XVII
Et le lendemain, et les jours suivants, Yamil est revenu.
Marianick n’y comprend rien et n’est pas loin de penser que Colette lui a jeté un sort, mais un bon sort, à la manière des anges gardiens.
Toujours est-il qu’accroupi et invariablement silencieux, le petit Bédouin ne perd pas une parole des leçons d’Histoire Sainte. D’ailleurs Nicole et Bruno sont tout aussi intéressés.
Ce matin, Nicole, à peine arrivée, questionne :
— Quand David a été tout à fait roi, il est devenu très puissant, je pense ? Et il est toujours resté bon ?
Il a eu ses grandeurs et ses faiblesses. Ce fut d’abord un roi guerrier. Il organisa une armée de 288 000 hommes, dont 25 000 toujours prêts à marcher, et sa puissance s’étendit de l’Euphrate au Nil.
C’est alors qu’il se laissa griser par cette puissance même. Il oublia qu’il la devait à Dieu seul. C’est vite fait de glisser sur la pente du mal. David commit alors un péché très grave. Les commandements de Dieu défendaient, — dans ce temps-là comme aujourd’hui, — d’épouser une femme déjà mariée et dont le mari vivait. Or David aimait Bethsabée, la femme d’Urie, l’un de ses meilleurs officiers.
Il donna exprès à cet officier un poste très dangereux. Urie fut tué et David, qui s’était ainsi débarrassé indignement de son rival, épousa Bethsabée. Remarquez en passant, mes petits, que ceux qui ont écrit l’Ancien Testament ne cachent jamais les fautes commises par les meilleurs personnages. C’est une preuve de plus que tout est vrai dans l’Histoire Sainte. Vous devinez que Dieu ne laissa pas impuni le crime de David. Il lui envoya le prophète Nathan pour le lui reprocher et lui annoncer les châtiments qui en résulteraient.
— Oh ! dit Nicole, David a fait un très, très grand péché, à sa place j’aurais eu une peur !…
— David a eu beaucoup de chagrin, quand il comprit combien sa faute avait offensé le Bon Dieu.
Il la pleura toute sa vie et composa des prières et des chants admirables, qui disent son repentir et sa confiance en la miséricorde du Bon Dieu. Il se soumit à toutes les pénitences que Dieu lui imposa, et par là il devint très saint.
Son fils, Absalon, se révolta contre lui et mourut dans sa révolte. Vous devinez la peine inconsolable du roi.
Puis, trois années de famine firent périr soixante-dix mille Israélites. Croyez-vous que David ne souffrit pas de penser qu’il avait attiré de tels châtiments sur son peuple ?
Enfin, il sentit venir la mort et désigna son fils Salomon pour lui succéder. Il le fit sacrer roi par le grand prêtre Sadoc, et le peuple l’acclama.
David aurait bien voulu, avant de mourir, faire construire un temple magnifique pour y mettre l’Arche d’Alliance et amener son peuple à y adorer Dieu ; mais il se sentait indigne d’une pareille tâche. Il donna à Salomon tous les ordres nécessaires pour la construction du temple et mourut paisiblement. Le Bon Dieu, touché de son repentir, lui avait depuis longtemps pardonné. Il fut enterré à Jérusalem.
Yamil, les coudes aux genoux, se redresse lentement. Il voudrait évidemment demander quelque chose et n’y arrive pas.
— Qu’est-ce que tu veux dire, mon petit ? lui demande doucement Colette.
— Yamil comprendre mieux Dieu Bon. Mais Yamil pas vraiment savoir devenir bon aussi, pour aimer li Bon Dieu.
— Ne t’inquiète pas, tu verras comme ça deviendra facile. Quand nous aurons fini notre Histoire Sainte, je reprendrai avec toi le catéchisme, et tu seras savant, Yamil, tout comme nous.
Le petit Bédouin saisit la main de Colette et la baise, avant qu’elle n’ait eu le temps de s’en apercevoir. Touchée, elle sourit, mais gronde un peu.
— C’est tout naturel de t’aider, vois-tu. Tâche de bien suivre aujourd’hui la vie de Salomon. C’est bien un peu compliqué pour toi, mais il y a beaucoup de belles choses à apprendre.
Bruno est un tantinet jaloux. Si on passe le temps à s’occuper de Yamil, on ne racontera pas grand’chose.
— Dis-la alors, tate, la vie de Salomon.
— Oui, mais il y a trois parties très différentes dans son histoire. Voyons d’abord comment a débuté son règne.

Nicole réclame :
— Dis-nous encore avant, est-ce qu’il était marié ?
— Bien sûr, il épousa une princesse égyptienne qui lui donna en dot la ville de Gazan.
Salomon était donc un roi puissant. Il châtia sévèrement les ennemis de son gouvernement et, la paix bien établie, il fit célébrer à Gabaon une grande fête religieuse autour du Tabernacle. Cette piété fit plaisir au Bon Dieu, et figurez-vous que, la nuit suivante, Il apparut à Salomon pour lui dire : « Demande ce que tu veux que je te donne. »
Nicole et Bruno, d’un même élan, sont debout.
— Le Bon Dieu lui a dit ça ? Qu’est-ce qu’il a demandé ?
— Devinez ? fait Colette malicieuse.
Bruno réfléchit laborieusement.
— C’est vrai, y avait pas encore d’autos. Il a dû demander beaucoup de beaux chevaux ?
— Ou bien de faire toujours tout ce qui lui plaisait ? dit Nicole.
— Li demander beaucoup d’or, déclare Yamil.
— Vous n’y êtes pas,… mais pas du tout.
Salomon répondit à Dieu : « Je ne suis qu’un tout jeune homme ne sachant pas comment me conduire. Accordez donc à votre serviteur un cœur attentif pour juger votre peuple, pour discerner le bien du mal. » — Ce qui signifiait : « Mon Dieu, je vous en prie, donnez-moi la Sagesse. »
Les trois enfants sont déçus.
— Il n’a même pas demandé autre chose avec ?… Il aurait eu tout ce qu’il aurait voulu !
— Oh ! petits sots que vous êtes ! Vous ne comprenez rien au Cœur du Bon Dieu.
Justement parce que Salomon s’est montré si humble dans sa prière, Dieu en a été touché et lui a répondu :
« Parce que tu n’as choisi ni la gloire ni la fortune, mais la Sagesse pour discerner ce qui est juste, je t’accorde ce don précieux et — écoutez la fin — ce que tu ne m’as pas demandé : la richesse et la gloire ! » Voilà comment agit le Bon Dieu.
— Alors, Salomon a eu tout, tate ?
— Oui, Bruno. Sa sagesse éclatait surtout dans ses jugements. Un jour, on lui amène deux femmes et un enfant, chacune prétendant qu’il était à elle. Le roi ordonne de couper l’enfant en deux. Chaque femme en aurait la moitié. L’une d’elles y consentit. L’autre supplia : « Donnez l’enfant à cette femme, mais ne le tuez pas ! » À ce cri, tout le monde reconnut la mère, et Salomon lui rendit son fils bien vivant.
Vous comprenez combien, en agissant ainsi, il avait la joie d’être aimé !
C’est alors qu’au comble de sa puissance, Salomon se servit de ses richesses pour faire construire le Temple merveilleux dont David avait rêvé.
Je voudrais vous faire entrevoir quelque chose de cette construction.
Il s’agissait du Temple du seul Vrai Dieu, Créateur du ciel et de la terre et souverain Seigneur de toutes choses.
Rien ne pouvait être assez beau pour Lui. Salomon, qui dans sa sagesse le comprenait, fit les choses royalement.
Voyez, là, tout autour de nous et fuyant vers la Palestine, ces monts du Liban. Ils étaient alors couverts de cèdres splendides.
— Oui, oui, dit Bruno, y en a encore.
— Imaginez trente mille Israélites et cent cinquante mille étrangers employés aux travaux et, parmi eux, d’innombrables équipes abattant cèdres et cyprès dans la montagne et les transportant à Jérusalem, car c’est à Jérusalem que le Temple fut construit.
Sept années durant, ces milliers d’ouvriers ajoutèrent les splendeurs aux splendeurs.
Le Saint des Saints, où reposait l’Arche d’Alliance, était entièrement revêtu d’or, de même l’autel, de même encore deux chérubins sculptés en bois d’olivier, placés au centre du sanctuaire.
En avant, séparée du Saint des Saints par un voile précieux, la partie appelée le Saint contenait l’autel des parfums, dix tables d’or pour recevoir les pains offerts à Dieu et dix chandeliers d’or à sept branches.
Tout autour du sanctuaire, des constructions extérieures, — les parvis, — étaient destinées à recevoir les foules qui y viendraient prier.
Il y avait le parvis des prêtres, celui des Israélites, celui des femmes et celui où étaient admis les gentils, ou païens.
Or, toutes ces constructions étaient faites en admirables pierres taille, préparées d’avance, et que les ouvriers plaçaient en silence, car, par respect pour Dieu, aucun bruit de marteau ou de fer ne fut entendu pendant la construction.
Et, quand tout fut achevé, Salomon organisa des fêtes inouïes, qui durèrent quatorze jours, pour consacrer le Temple au Seigneur.
Il vint une multitude de peuples de toutes les parties du royaume et d’au delà. On offrit à Dieu des milliers de sacrifices et l’Arche d’Alliance fut déposée dans le Saint des Saints.
Une pareille grandeur, tant de piété, de sagesse, une puissance universellement reconnue, étaient des dons admirables de Dieu. Salomon le comprit d’abord, puis l’orgueil le saisit, il y céda et tomba dans des fautes lamentables, jusqu’à abandonner Dieu qui l’avait comblé.
— Ce n’est pas possible ! proteste Nicole indignée.
— Hélas ! c’est pourtant vrai. Il se repentit sans doute, mais pas comme David, qui avait eu le cœur si humble, si plein de confiance et d’amour de Dieu. Aussi Salomon fut-il averti qu’en punition de ses crimes, son royaume serait divisé.
Mais ça, c’est toute une autre affaire, et il nous faudra un grand moment pour apprendre comment la prédiction s’est réalisée.

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