Joseph et ses frères

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Histoire Sainte illustrée .

Temps de lec­ture : 14 minutes

X

Colette est inquiète. Elle a trou­vé Maria­nick endor­mie sur sa chaise dans la cui­sine et le visage pâle à mourir.

Dou­ce­ment réveillée, la bonne vieille a sou­ri, de ce sou­rire qui court à peine sur ses lèvres trop minces, pour dire :

— Las ! je ne suis plus bonne à rien, ma jolie !

Et Colette a sur­pris une las­si­tude infi­nie dans les yeux fidèles qui se rivaient aux siens. Alors, elle a effleu­ré d’un bai­ser le front ser­ré dans la coiffe blanche, comme elle eût posé les lèvres sur l’i­mage de quelque vieille sainte, au pays des landes et des genêts, puis elle a répon­du gaiement :

— Tu en fais trop ! C’est de l’or­gueil, vois-tu, de refu­ser tou­jours de l’aide, et je t’a­ver­tis que je suis par­fai­te­ment déci­dée à liguer tout le monde contré toi, pour que tu acceptes un peu de secours. Qu’est-ce qu’on devien­drait sans toi, Maria­nick ! On va te soi­gner, ma vieille, que tu le veuilles ou non. Et tu seras obli­gée de beso­gner encore des années sur cette « pauvre terre », comme tu dis !…

Plai­san­tant ain­si pour cacher son émoi, Colette court cher­cher sa mère.

Il fal­lut cou­cher Maria­nick et, pen­dant quelques jours, la main­te­nir de force à la chambre. Elle répé­tait : C’est‑y pas mal­heu­reux ! Où je vas-t‑y retrou­ver mes pauvres affaires ? Défen­dez tou­jours à Ber­nard de mettre le nez dans l’of­fice, y serait capable de mélan­ger l’huile et le vinaigre dans la même bou­teille ! Hélas ! quand la bonne vieille redes­cen­dit à la cui­sine, elle n’y retrou­va pas Ber­nard, mais un petit Bédouin, avec un visage de demoi­selle, des yeux noirs qui lui pre­naient toute la figure, une robe qui cou­vrait presque ses pieds nus, et des gestes de jeune chat adroit, souple et malin.

Maria­nick faillit en avoir une syncope.

— Que c’est‑y que ce païen-là ? demande-t-elle à maman, qui assiste pru­dem­ment à l’abordage.

— Pas un païen, ma bonne Maria­nick, mais un petit chré­tien, que nous a four­ni le Père rec­teur du col­lège. Il va t’ai­der au ménage, faire tes com­mis­sions, ta vais­selle. Il a bonne volon­té, tu verras.

Un « ara­bi­co » comme celui-là pour l’ai­der, elle, Maria­nick ! On a per­du la tête dans cette mai­son. c’est sûr. Et, sans un regard sur l’in­trus, Maria­nick, les lèvres ser­rées, s’en va droit à son fourneau.

Après déjeu­ner, on com­mente le fait du jour.

— Dieu veuille que Maria­nick sup­porte son asso­cié, dit maman non sans inquié­tude. J’ai bien peur qu’il ne lui fasse bien des sot­tises et qu’il n’en­traîne dans son sillage les deux petits, aux­quels j’ai pour­tant défen­du de jouer avec lui.

Comme pour don­ner rai­son aux craintes mater­nelles, Nicole et Bru­no, rouge de colère et se bous­cu­lant, entrent en tour­billon, se prennent les pieds dans le tapis et culbutent l’un par-des­sus l’autre au beau milieu de l’appartement.

— Qu’est-ce que cela signi­fie ! dit Gene­viève sévèrement.

— C’est Yamil !…

— C’est Yamil !…

— Hé bien quoi, Yamil ?

— Y m’a caché ma pou­pée, crie Nicole.

— Y m’a cas­sé ma trot­ti­nette, gémit Bruno.

— Faut le fouet­ter, conti­nue Nicole à tra­vers ses larmes, comme nous quand on est méchant.

Rete­nant son fou rire, Gene­viève relève ses enfants, essuie les larmes et cherche à savoir le fin mot de l’af­faire, lorsque Maria­nick, la coiffe à l’en­vers, s’en­cadre dans la porte.

Sa voix tremble de fureur contenue :

— Si ce païen-là conti­nue, moi je monte au gre­nier et j’y laisse ma cuisine !

Cette fois, c’est grave. Maman suit Maria­nick en deman­dant des expli­ca­tions, qui sont vite données.

Yamil est natu­rel­le­ment taquin, mali­cieux et d’une sou­plesse inquié­tante. Il joue des tours sans qu’on puisse s’en aper­ce­voir et maman sou­pire à la pen­sée d’un enfant de plus dans la mai­son,… mais quel enfant !

Pen­dant ce temps, les deux petits, avec force gestes, racontent, indi­gnés, les méfaits de Yamil.

Ber­nard trouve cela on ne peut plus amusant.

— Vous savez, les petits Bédouins sont très malins… et il fau­dra du temps pour mettre Yamil à la page. Les enfants juifs ont un tout autre carac­tère, beau­coup plus sérieux et rêveur, ce qui ne veut certes pas dire qu’ils soient sans défauts, mais c’est différent.

— Alors, dit Colette, qui tient avec une incroyable téna­ci­té à son rôle de pro­fes­seur, Yamil ne te ferait pas pen­ser au petit Joseph de notre His­toire Sainte ?

— Oh ! pas du tout. Tan­dis qu’à l’es­ca­drille, j’ai à faire à un très jeune Juif, qui convien­drait par­fai­te­ment comme type.

— Quel type ? demande immé­dia­te­ment Nicole, en cli­gno­tant des yeux comme quand elle ne com­prend rien du tout.

Colette répond à ce regard :

— J’au­rais vou­lu me ser­vir du petit Yamil pour vous faire le por­trait de Joseph, dont l’his­toire est tel­le­ment jolie, mais il paraît qu’il n’a pas le type.

Bru­no, de sa petite voix, déclare :

— Yamil est assom­mant. Lais­sez-le tran­quille et raconte l’his­toire, si elle est chic. Qui c’est Joseph ?

— L’un des douze enfants de Jacob. Deman­dez à l’oncle Ber­nard de vous dire leurs noms ?

Inté­rieu­re­ment, Colette, fine mouche, espère un peu embar­ras­ser son cou­sin… Douze noms, s’en souvient-il ?

Mais, par­fai­te­ment calme, avec un petit sou­rire iro­nique, Ber­nard qui a com­pris, défile : Ruben, Siméon, Lévi, Jud, Issa­char, Zabu­lon, Dan, Neph­ta­li, Gad, Aser, Joseph et Benjamin.

— Oh ! fait Bru­no, plein d’admiration.

Comme si Colette n’exis­tait plus, Ber­nard conti­nue : Savez-vous, les mioches, que dix de ces gaillards ont été de méchants gar­ne­ments. Ils ont trou­vé moyen d’être jaloux de leur petit frère Joseph ; jamais vous ne devi­ne­riez pourquoi ?

Quatre yeux inter­ro­ga­teurs sont plan­tés dans ceux de Bernard…

Enchan­té de son suc­cès, il poursuit :

— Un beau matin, Joseph très sim­ple­ment avait racon­té à ses frères qu’il avait eu de beaux rêves. Il s’é­tait cru trans­por­té dans un champ de blé, au temps de la mois­son, lorsque les gerbes rele­vées attendent, appuyées l’une contre l’autre, qu’on les trans­porte dans les granges.

Chose étrange, les gerbes des frères de Joseph sem­blaient venir s’in­cli­ner devant la sienne ; et puis, autre songe plus extra­or­di­naire encore : il avait vu dans son rêve le soleil, la lune et les étoiles se pros­ter­ner devant lui.

Nicole se tré­mousse sur sa petite chaise.

— Pour­quoi y fai­sait des rêves comme ça ?

— Joseph devait être char­gé d’une grande mis­sion. Le Bon Dieu se ser­vait de ces songes pour le lui faire com­prendre. Ses frères l’ont bien devi­né et, furieux de pen­ser que Joseph devien­drait peut-être plus puis­sant qu’eux tous, ils déci­dèrent de s’en débarrasser.

— Y vont pas le tuer ? réclame Bru­no tout apeuré.

Joseph vendu comme esclave par ses frères— Crois-tu qu’ils y ont pen­sé ! Ruben, le frère aîné, n’a tout de même pas été assez lâche pour le per­mettre ; mais tous ensemble, ils ont ven­du le petit Joseph comme esclave à des mar­chands égyp­tiens. Je vous assure que la mort eût été moins cruelle, car les fils de Jacob connais­saient l’é­pou­van­table escla­vage de ce temps-là.

— J’es­père que leur papa les a beau­coup. beau­coup punis ? Est-ce qu’il les a mis au cachot noir ?

Ber­nard ne peut s’empêcher de rire.

— Non, Nicole, pour une bonne rai­son, c’est que ces méchants gar­çons ont trom­pé Jacob, leur père. Ils ont tué un che­vreau, trem­pé dans son sang la robe de Joseph et por­té cette robe à Jacob, en lui racon­tant que l’en­fant avait été dévo­ré par les bêtes féroces.

— Ils ont men­ti, dit Bru­no avec un air de dédain. Hé bien ! c’é­taient des vilains monsieurs !

— Tu n’as jamais si bien par­lé, mon bon­homme ; mais ces vilains mon­sieurs, comme tu dis, ne s’at­ten­daient pas à la manière dont le Bon Dieu leur repro­che­rait leur infamie.

À peine arri­vés en Égypte, les mar­chands reven­dirent Joseph à un fonc­tion­naire de la cour du roi Pha­raon, nom­mé Putiphar.

Comme Joseph refu­sa d’o­béir à la femme de Puti­phar, qui vou­lait l’o­bli­ger à faire une mau­vaise action, il fut jeté en pri­son en même temps que l’é­chan­son et le pan­ne­tier du Pharaon.

— Pas si vite, Ber­nard, dit Colette, assez satis­faite de prendre l’o­ra­teur en faute. Crois-tu par hasard que les petits vont y com­prendre quelque chose ?

Dis-leur au moins que l’é­chan­son du Pha­raon était un ser­vi­teur char­gé de ver­ser à boire à la table du roi, et le pan­ne­tier celui qui ser­vait le pain.

— Bon, ça va ! Or donc, Joseph, ins­pi­ré par le Bon Dieu, pré­dit à ces ser­vi­teurs ce qui leur arri­ve­rait bien­tôt. L’é­chan­son fut déli­vré, comme Joseph le lui avait assu­ré. Mais, une fois libre, il oublia com­plè­te­ment celui qui lui avait si bien pré­dit sa déli­vrance, et Joseph res­ta en prison.

Joseph explique le songe du pharaonBru­no, logique, interrompt :

— Pour­quoi tu dis alors que le Bon Dieu a puni les vilains frères de Joseph ? C’est Joseph qui est en pri­son, c’est pas ses frères.

— Attends un peu. Ça va venir…

Sur ces entre­faites, le roi Pha­raon eut à son tour des songes étranges qui l’in­quié­tèrent beau­coup, car il eut beau appe­ler tous les savants d’É­gypte, per­sonne ne pou­vait lui en don­ner l’explication.

C’est alors que l’é­chan­son se sou­vint tout à coup de Joseph et de sa science extra­or­di­naire. Il en par­la au Pha­raon, qui le fit appe­ler aussitôt.

Dans ses rêves mys­té­rieux, le roi avait vu sept vaches grasses dévo­rées par sept vaches maigres. Il avait vu aus­si sept beaux épis de blé englou­tis par sept épis malingres et desséchés.

Joseph, éclai­ré par Dieu, expli­qua au Pha­raon ce que signi­fiaient ces songes : sept années de récoltes abon­dantes allaient enri­chir l’É­gypte, mais elles seraient sui­vies par sept années de ter­rible disette. Il fal­lait donc faire des pro­vi­sions et des réserves de blé et de farine, pour n’en pas man­quer au temps de la famine.

Jacob envoya ses fils en Égypte acheter du blé.
Jacob envoya ses fils en Égypte ache­ter du blé.

Émer­veillé de tant de clair­voyance, le Pha­raon char­gea Joseph de prendre toutes les mesures néces­saires. Il en fit ce qu’on appel­le­rait aujourd’­hui son pre­mier ministre, seule­ment un ministre qui connais­sait à fond ce qu’il avait à faire. Si bien que les récoltes sage­ment accu­mu­lées en Égypte devinrent le seul espoir des pays d’a­len­tour, quand la disette com­men­ça à se faire sentir.

— Alors, réclame Nicole. Joseph n’é­tait plus malheureux ?

— Non, puisque le Pha­raon, en recon­nais­sance des ser­vices ren­dus, le com­blait de faveurs et de richesses ; mais cela ne l’empêchait pas d’être loin de son père qu’il aimait et de gar­der le sou­ve­nir de la jalou­sie de ses frères : avec cela, au fond du cœur, com­ment veux-tu qu’il fût vrai­ment heureux ?

— Enfin, quand y seront‑y punis ses frères ? dit Bru­no, qui tient à cette puni­tion exemplaire.

— Cette fois, nous y voi­là. Au pays de Jacob comme ailleurs, le blé man­quait, si bien que ses fils vinrent en Égypte pour en ache­ter. Ils s’a­dres­sèrent au tout-puis­sant inten­dant du Pha­raon, sans se dou­ter le moins du monde qu’ils avaient affaire à Joseph ; mais lui les recon­nut fort bien. Joseph aimait sur­tout le petit Ben­ja­min, son der­nier frère. Or il n’é­tait pas là. Il réso­lut de savoir ce qu’é­tait deve­nu l’en­fant, et décla­ra que Siméon res­te­rait en Égypte, en otage, jus­qu’à ce qu’on lui eût ame­né Ben­ja­min. Là-des­sus, il ren­voya ses neuf autres frères avec du blé, mais sans le leur faire payer.

— C’est ça leur puni­tion, Ben ? c’est pas la peine d’en parler !

— Écoute, Bru­no, si tu inter­romps tout le temps, moi, je me tais.

La petite voix futée de Nicole proteste :

— Parle pour moi, oncle Ber­nard. Je suis sage.

L’o­ra­teur s’impatiente :

— Pour l’ins­tant, tai­sez-vous tous les deux !

L’an­née sui­vante, les fils de Jacob revinrent avec Ben­ja­min. Le vieux Jacob aurait vou­lu s’op­po­ser au départ de son der­nier fils, se deman­dant avec angoisse pour­quoi l’in­ten­dant du Pha­raon récla­mait sa présence .

Quand Joseph vit arri­ver ce frère pré­fé­ré, il eut bien de la peine à ne pas le prendre dans ses bras en lui criant la véri­té, mais il eut le cou­rage de se taire. L’é­preuve qu’il vou­lait impo­ser aux autres n’é­tait pas terminée.

Nicole n’ose plus inter­rompre, mais ses yeux parlent :

— Quelle épreuve ?…

Lire la bible en famille : Jacob bénit toute sa famille avant de mourir
Jacob bénit toute sa famille avant de mourir.

— Il fait remettre à ses frères le blé deman­dé, puis il ordonne en secret de glis­ser sa coupe dans le sac de Ben­ja­min… Quelques heures après leur départ, il envoya la police à leurs trousses en les accu­sant de vol. On fouille leurs sacs et, natu­rel­le­ment, la coupe de Joseph se retrou­va dans celui de Ben­ja­min. Toute la cara­vane est rame­née chez le gouverneur.

Aus­si­tôt Joseph décide de gar­der le soi-disant voleur et de ren­voyer sans lui ses autres frères. Mais ils déclarent tous qu’ils pré­fèrent demeu­rer pri­son­niers en Égypte plu­tôt que de ren­trer sans Ben­ja­min, car leur père, ajoutent-ils, en mour­rait de douleur.

L’é­preuve tour­nait en leur faveur. C’est alors que Joseph n’y tient plus. Il se fait recon­naître. Vous ima­gi­nez l’ef­froi de ses frères.

— C’est bien fait, c’est bien fait ! crie Nicole, sau­tant d’un pied sur l’autre.

eter_von_Cornelius_-_Joseph se fait reconnaître par ses frères— C’est pas assez puni ! déclare Bru­no, qui déci­dé­ment a de sévères prin­cipes de justice.

— Tu n’y com­prends rien. Joseph, lui, savait ce qu’il fai­sait. Quand il fut bien sûr que le repen­tir de ses frères était sin­cère et pro­fond, il leur par­don­na tout, et les envoya en grande hâte cher­cher Jacob.

Le Pha­raon leur fit cadeau de la terre de Ges­sen, où Jacob, conso­lé, vécut et mou­rut entou­ré de ses enfants.

Nicole pivote pour dire :

— Ça finit bien. L’his­toire est jolie. C’est sûr qu’elle est vraie, oncle Bernard ?

— Abso­lu­ment sûr, mais tu l’ap­pren­dras mieux plus tard.

— Et, dit Colette, ce petit Joseph ven­du par ses frères, ne pen­sez-vous pas que c’est encore une figure ?

Qui donc, plus tard, fut ven­du aus­si par un de ses apôtres ?

— C’est Jésus, Notre-Sei­gneur, répond Nicole sans hésiter.

Cepen­dant du jar­din on entend maman qui gronde un peu. Bru­no s’é­branle vers la porte, regarde, puis se retourne pour dire :

— Yamil aus­si est une figure, mais c’est celle d’un diablotin !…

Coloriage biblique - Joseph vient à la rencontre de Jacob, son père
Joseph vient à la ren­contre de Jacob, son père.

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