Qui sont ces saintes Maries de la Mer que l’on trouve en Provence ?… C’est une histoire très belle, si belle que les vagues caressantes — pour l’écouter, couraient le long du rivage, — à troupeaux.
À la conquête des âmes
Ces saintes Maries, ce sont les amies du Christ, ces saintes femmes qui le suivaient, au long des chemins de Palestine, alors qu’il allait, annonçant « la bonne nouvelle ».
Les Trois Maries : Marie-Jacobé, sœur de la Vierge ; Marie-Salomé, mère de Jacques et Jean, les apôtres au cœur ardent et Marie de Magdala, la Madeleine, sœur de Marthe et Lazare, celle que Jésus avait guérie de ses péchés et qui, fidèle, jusqu’au bout l’accompagna de son amour. Avec elles, Marthe, la bonne maîtresse de maison, et Sara, la servante au brun visage.
Les Juifs, qui avaient fait mourir le Sauveur, fermant au message divin leurs oreilles et leur cœur, maltraitaient ses amis. Ils chassèrent de leur pays les saintes femmes, les jetant dans une barque sans gouvernail, sans voiles ni rames. Ils embarquèrent en même temps Lazare, le ressuscité, Maximin l’évêque et le saint vieillard Trophime, témoins gênants du Christ.
Sur la mer bleue, qui baigna les pieds de Jésus, au rivage de Palestine, vogue la barque au caprice des flots. Une vague la lance à l’autre vague, comme un jouet. Jours gris sous un ciel tourmenté de nuages, nuits interminables où ne sourit aucune étoile. La tempête fait rage : tantôt au fond d’un gouffre plonge la barque ruisselante d’embruns ; tantôt, comme un fétu de paille, une trombe d’eau la soulève et, transis et tremblants, les pauvres voyageurs lèvent leurs regards suppliants vers le Ciel.
Les saintes prient, confiantes… tout dre e li man juncho « toutes droites et les mains jointes ». Invisibles, les Anges guident la barque… Vers les côtes de Provence, pour en faire don au beau pays qui sera la France, tout doucement, ils la poussent… Sur le rivage désert, les exilés abordent à la plage de sable fin.
À genoux, les amis du Christ remercient le Seigneur. Ils baisent cette terre qui les accueille et, pleins de zèle, les voilà qui partent à la conquête des âmes.
Lazare, dans Marseille, la riche et orgueilleuse cité, porte le message du Christ, ami des pauvres et des humbles et Marseille pleure ses péchés.
La Sainte Baume
Où va celle-ci, les yeux baissés sous son voile qui dérobe aux regards l’éclat de sa chevelure d’or, si belle que, pour la voir passer, les vieux pins se font signe.
Par les landes pierreuses, les vignobles et les olivettes, par delà les montagnettes peuplées de pins odorants, elle va… Longtemps, longtemps elle marche sur les pas d’un guide invisible à nos yeux. C’est Marie-Madeleine, Marie la contemplative, que Dieu appelle dans la solitude…
La noire montagne des Maures court le long de la mer ; une autre chaîne, plus élevée, par le même chemin, s’en va vers Marseille. Sur la plus haute montagne, Madeleine suit l’appel divin. Et voici que s’ouvre devant elle une vaste forêt qui laisse dans l’étonnement, tant elle est différente des paysages du Midi. Plus de pins ni d’eucalyptus, plus d’orangers ni de chênes-liège, mais de hautes fûtaies de hêtres et de chênes que jamais ne profane la hache du bûcheron. Quel silence, quelle solitude dans ses- profondeurs ! Tout en haut, parmi les rochers sauvages, une grotte béante, comme suspendue au-dessus de l’abîme. Sans hésiter, Marie-Madeleine pénètre dans l’ouverture de rochers. C’est là la demeure que le Seigneur lui a choisie : la sainte Baume[1].
Dans la sainte Baume, Madeleine prie. Ses genoux et ses coudes se meurtrissent sur la pierre. Et la lune la veille avec son flambeau pâle. Autour d’elle, la forêt se tait, recueillie, et les petits oiseaux, sur la montagne du Saint-Pilon, soudain ont fait silence. Tout alentour se penchent les Anges. Lorsqu’un pleur de Madeleine tombe sur la pierre, telle une perle précieuse, vite ils le recueillent dans leur calice d’or. Et de ces larmes bénies jaillit la source vive de l’Huveaune qui doucement descend dans la vallée baigner le pied des oliviers.
Madeleine pleure, prie et contemple… Chaque jour, les mêmes scènes revivent en son esprit, tandis qu’elle repasse dans son cœur les paroles divines que le Maître prononça pour elle seule et que l’Évangile garde comme un trésor.
Elle se revoit, jeune et belle, courant au plaisir, parant son front de couronnes fleuries, tandis que de son âme souillée se détournent les Anges. Elle sent encore, posé sur elle, le regard du Maître qui, pénétrant jusqu’au fond de son être, comme un trait de feu, lui dévoile tout d’un coup l’abîme de sa misère. Tandis qu’elle baigne les pieds du Seigneur de ses larmes et de ses parfums, elle entend la voix grave et suave : « Beaucoup de péchés lui sont pardonnés… »
Les trois années lumineuses à la suite du Maître… La soirée de Béthanie, Marthe, s’empressant, affairée, aux soins du ménage ; elle, assise aux pieds du Seigneur, buvant ses paroles. La plainte de cette pauvre Marthe, toujours soucieuse : « Dites-lui donc de m’aider. » Et la parole du Maître, qu’elle croit entendre encore : « Marie a choisi la meilleure part… »
La seconde scène du parfum, le vase brisé, les murmures des apôtres — qui n’ont pas compris — et le reproche si doux du Sauveur : « Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? »
La douloureuse journée après la terrible nuit de la trahison, le calvaire, les clous, la croix, les injures des prêtres et du peuple aveuglé, les brutalités des soldats romains… Le cri terrible du Crucifié, le coup de lance du Centurion… Marie entend, Marie voit tout cela dans sa contemplation. Et ce matin radieux de la Résurrection… Sa peine, son angoisse devant le Tombeau vide, sa recherche anxieuse et tout à coup, la voix qui la bouleverse : Marie. Ce matin de Pâques, où elle, pécheresse, la première voit de ses yeux le Christ ressuscité.
Ravie de joie et d’amour, Madeleine, portée par les Anges au sommet du Saint-Pilon, goûte les harmonies célestes et voit s’ouvrir le Paradis.Mais chaque jour, dans la grotte obscure, se meurtrissent ses genoux et coulent, intarissables, ses larmes.
Mais voici qu’elle entend l’appel du Seigneur. Elle va quitter la terre. Les Anges la transportent à l’oratoire de l’évêque Maximin qui lui donne le pain eucharistique. Dans un paisible sommeil, l’âme de Madeleine purifiée quitte la frêle enveloppe de son corps.
Ce corps vénéré, Maximin le couche dans un cercueil d’albâtre. De siècle en siècle il est parvenu jusqu’à nous. L’église de Saint-Maximin, achevée par le roi René, précieusement le garde dans sa crypte où vinrent s’agenouiller, au fil de l’histoire, les papes et les rois : Louis XII, Charles VIII, Anne de Bretagne, François Ier, Louis XIII et le grand Louis XIV, tous humbles pèlerins de la Sainte-Baume. Tandis que, dans la grotte bénie, témoin d’un si profond repentir et d’un si merveilleux amour, d’autres pèlerins cherchent les traces de Madeleine et, dans le silence, sont à l’écoute des secrets divins.
Sainte Marthe et la Tarasque
Où courez-vous, Marthe la diligente, auréolée de tresses d’or ? Votre bon cœur ne peut résister à la prière des pauvres gens de Tarascon, la petite cité qui se penche elle aussi au bord du grand Rhône, « pour boire ».
Un monstre, un dragon terrible, a établi sa demeure dans une caverne, sous un roc, au-dessus du fleuve. La bête a la queue d’un dragon, des yeux plus rouges que cinabre — sur le dos des écailles et des dards qui font peur.
Et les pauvres pécheurs, avec larmes, content les crimes du monstre affamé qui chaque jour dévore une nouvelle victime.
Armée de votre crucifix, sans peur, vous partez, Marthe aux blondes tresses, et vers le monstre horrifiant, tout droit vous marchez.
Éveillé en sursaut dans son antre, que battent les vagues du Rhône, le monstre s’élance, avec son mufle de lion, ses yeux jetant des éclairs. Mais, sous l’eau sainte, vainement il se cabre et grogne et siffle. Marthe, avec une liane fleurie, l’enlace et l’emmène, doux comme un agneau. Tout le peuple, émerveillé du prodige, croit au Dieu tout-puissant de Marthe et demande à être baptisé.
Tarascon n’a pas oublié la douce sainte aux cheveux d’or. Il fallait voir, naguère encore, la procession de la Tarasque ! Figurez-vous, enfants, une bête énorme, avec un dos rond, peint en blanc, où des écailles rouges, vertes et dorées rentraient les unes dans les autres ; de grands piquants sortaient de partout et, comme une crête, le dos portait des découpes pointues qui ressemblaient à une haie. La tête était une tête humaine, large, avec des yeux grands comme des soucoupes et, sur la mâchoire garnie de grosses dents, les lèvres se plissaient comme un baldaquin ; une grosse barbe de crin tombait jusqu’à terre ! faite avec trente queues de chevaux camarguais qu’on avait crespellées ensemble[2].
Et le monstre lance des pétards par les narines, et se trémousse et renverse d’un coup de queue les curieux imprudents. C’est un honneur de faire partie des douze chevaliers de la Tarasque qui portent à travers la ville, vêtus de pourpoints gris perle et coiffés de feutres de la même couleur avec de longues plumes roses. Image plaisante du terrible dragon d’autrefois qui rappelle aux Tarasconnais le touchant miracle qui les fit chrétiens.
Aux Saintes Maries
Tandis que Saint-Maximin garde jalousement le tombeau de Marie-Madeleine et Tarascon, le souvenir de sa sœur Marthe, c’est dans cette vieille église-forteresse que reposent les restes des deux autres Maries : Marie-Salomé et Marie-Jacobé. Alors que leurs compagnons remontaient le Rhône, au rivage même elles restèrent, priant et annonçant le royaume de Dieu aux pauvres pêcheurs.
Elle furent enterrées là où elles moururent ; mais bientôt on les oublia. Cependant, quinze siècles plus tard, le roi René découvrit leurs ossements. Il les fit placer dans des châsses précieuses en bois de cyprès. Solennellement on les porta dans la chapelle, tout en haut de l’église. Entrons, enfants, dans le sanctuaire. Comme Mireille, allons nous aussi prier les Saintes. La prière jaillit du cœur aux lèvres dans ce paysage de lumière, au bord de la mer bleue. Nous ferons brûler un cierge en leur honneur.
La vendeuse de cierges. — Un cierge en l’honneur des Saintes ! Comme vous avez raison, pichoun ! Elles sont si puissantes et si bonnes nos grandes saintes ; ce sont faiseuses de miracles. Ah ! si vous aviez été ici, au dernier pèlerinage de mai ! Vous en auriez vu brûler alors des cierges ! La crypte n’était qu’un buisson ardent. On y vient de toute la Provence à ce pèlerinage. Il est si pittoresque ! Il faut voir, derrière les reliques, nos fiers guardians de Camargue avec leur trident, bien droits sur leurs blancs chevaux aux riches crinières, aux longues queues flottantes. Surtout lorsqu’ils portent en croupe de jolies Arlésiennes avec leur châle de fine dentelle, leur croix d’or, et leur « chapelle » à ruban, tout comme notre Mireille [3] qui se dresse là, sur la place.
Chantal. — N’est-ce pas aussi le pèlerinage des Gitans ?
La vendeuse de cierges. — Té, bien sûr, ma chatouno.
C’est leur fête à eux, les bohémiens de tous pays. De tous les coins de d’Europe peut-être, ils s’en viennent honorer leur sainte, Sara, au brun visage comme eux. C’est chez nous que, près de ses reliques, devant son image, ils élisent leur reine, en grand secret. Des jours et des jours ils cheminent le long des routes, dans leurs roulottes fraîchement peintes qui vont cahin-caha, au pas des chevaux poussifs ou des ânes indolents. Quand ils arrivent aux Saintes et s’installent sur la plage, c’est un coup d’œil ! Figurez-vous un vaste campement de romanichels : les bêtes dételées broutant ça et là, les femmes s’affairant aux repas, les hommes rêvassant en fumant leur pipe, les enfants jouant et se querellant. Cent petits, feux s’allument et les voitures s’éclairent, jaunes, vertes, bleues. Et ces cris dans une langue inconnue, ces costumes aux couleurs voyantes, ces visages basanés, ces chevelures d’ébène où luisent les anneaux des pendants d’oreilles, tout cela met de la vie et du mouvement dans notre bourgade qui doucement somnole au bercement des vagues.
Le jour du pèlerinage, la crypte est à eux. Dès l’aube, il s’y entassent, debout ou accroupis dans le rayonnement des milliers de cierges et des prières bien à eux montent de leur foule bigarrée.
Tout à coup, de l’église haute, le long d’un câble fleuri descendent les châsses des saintes reliques où l’on voit, dans une barque ballotée par les vagues, nos Saintes en prière. Alors bonne Mère ! éclatent les cantiques, les alleluia à faire craquer les murs de notre vieille église. La foule se presse, les bras se tendent, tout le monde veut toucher les châsses ! Un vrai délire !
Enfin, lentement, la procession s’organise. Imaginez-vous ce cortège interminable, toutes ces couleurs chantant dans le soleil ! Les blancs, les rouges, les violets des prêtres et des évêques ; tout le bariolage des Gitans et l’harmonieux costume des Arlésiennes, et les châles et les coiffes de toute la Provence ! Et les bannières qui font frissonner leurs ors dans l’azur ! Un spectacle inoubliable !
Et la bénédiction de la mer ! Voilà qui est beau à voir et émouvant. La mer toute bleue jusqu’à l’horizon ; les vagues, à petit bruit, clapotant sur la plage, comme un murmure d’oraison. Là-haut, le ciel, tendu comme un dais de soie ; et cette lumière, toute une lumière de Paradis. Dans une barque pavoisée, a pris place le clergé, tous les prêtres sont en surplis blancs. Voici que s’avancent les Saintes portées par les épaules robustes des hommes qui, eux aussi, rentrent dans l’eau. Au-devant d’elles accourent les guardians à cheval, la vague écumant jusqu’au poitrail des chevaux. Quelle fière allure, nos beaux guardians, leur trident brandi comme la lance des chevaliers antiques ! Jusqu’aux braves bêtes qui prennent un air de circonstance.
La foule, attentive, se masse sur le rivage. Dans le grand silence, au clair bruissement des vagues, l’officiant étend la main vers la mer et la bénit. Je pense toujours, mes enfants que ce sont les flots de cette mer si bleue qui ont porté vers nous les Saintes, et par elles, le message de l’Évangile. Puis les cantiques reprennent, le long cortège se reforme et revient à l’église qui de nouveau se remplit pour le chant du Magnificat.
Bernard. — Quand tout est fini, vous devez trouver bien vide et monotone votre petite ville.
La marchande. — Caspi [4], moun fièu ! Quand la dernière roulotte s’ébranle, le long de la côte, quand elle disparaît dans le lointain derrière un bouquet de tamaris, j’éprouve toujours une vague tristesse… Mais nous avons encore de belles fêtes en octobre. Ce n’est plus la foule délirante, c’est plus recueilli, plus intime. Là encore, quelques guardians et Arlésiennes, quelques Gitans aussi, mais plus pieux, moins exubérants.
Mais quelle bavarde je suis ! Quand je parle des Saintes, je ne sais plus m’arrêter… Venez, mi pichoun, nous allons allumer vos cierges et je vous conduirai vers les châsses là-haut. Répétons tous ensemble :
Vivent les Saintes Maries !
Vivent les Saintes Maries !
Bonjour,
Très intéressant article … Cette histoire, sur laquelle j’avais déjà quelques notions, me passionne. En effet celle-ci me semble la source de l’évangélisation de notre pays à son tout début. Je souhaiterais approfondir mes connaissances sur les Saintes Maries, Sarah et leurs compagnons de voyage : les personnes, leurs liens, les circonstances de leur départ, leur accueil, leurs parcours… etc.
Une bibliographie sur le sujet me serait bien utile pour un travail sérieux, si une bonne âme peut m’aider à la trouver, le petit pèlerin de St Jacques en serait très heureux.
Bien courtoisement
Marc‑F