L’envie
Le long de la grande allée, bordée d’eucalyptus, s’avance un gamin aux yeux ronds et vifs, aux cheveux laineux et frisés… C’est Yoséfou, un gracieux négrillon que sa démarche nerveuse et saccadée a fait surnommer Guigué, ce qui veut dire, dans la langue de sa tribu : la sauterelle.
À l’autre bout de l’allée apparaît une forme blanche, c’est Sœur Claire. Pour se garantir contre les ardeurs d’un soleil implacable elle porte sur son voile un grand casque doublé de vert.
« Où vas-tu, Yoséfou ? » demande-t-elle à la Sauterelle. « Je vais à l’église saluer Mwana-Jésus », le Petit Jésus, répond la Sauterelle. « Très bien, dit Sœur Claire ; salue-le aussi de ma part ! »
Arrivé à l’église le jeune négrillon se prosterne devant le tabernacle puis, d’un brusque mouvement de jarret, se redresse comme s’il avait des ressorts dans les jambes. C’est la génuflexion habituelle de la Sauterelle ! Aussitôt après, il se dirige vers la crèche. Le voici en face de Mwana-Jésus ! Ses yeux ronds et blancs brillent de joie et aussi d’envie. Il est si beau ce petit Jésus et si blanc… tandis que lui, Yoséfou, est noir comme l’ébène Mais Jésus regarde surtout la couleur des âmes ! Et celle de la Sauterelle est blanche comme un beau lys. Et parce que son petit cœur est tout à lui voici que notre négrillon improvise une étonnante litanie : « Mon Dieu, notre Père, que votre Fils est beau ! Je vous félicite !… Sainte Vierge Marie, que votre enfant est beau ! Je vous félicite !… Bergers, que vous êtes gentils d’être venus visiter Jésus… Je vous félicite !… Rois-Mages, je vous félicite de lui avoir apporté des cadeaux ! »