- Oh ! Bonjour, chère amie ! Comme je suis contente de vous rencontrer ! Comment allez-vous ?
- Beaucoup mieux que les jours précédents ! Le docteur de Révot m’a donné un remède formidable. Mes maux de tête ont disparu, comme par enchantement ! Me voilà en pleine forme !
- Quelle merveilleuse nouvelle ! J’ai bien regretté votre absence, l’autre jour, au dîner organisé par la famille Pagé.
- Comment donc c’est passé cette fameuse soirée ?
- Ma foi, je n’ai pas fort apprécié la fête. Figurez-vous que mademoiselle Pagé et plusieurs de ses amis en sont venus à parler du brave Monsieur de Montfort. Sans aucune charité, ils se sont mis à le critiquer, à le ridiculiser…
- Comment ? Ils se sont moqué d’un prêtre si dévot ? Mais pour quel motif ?
- Oh ! Ce n’est pas compliqué ! Vous savez comme moi, le bien que fait ce saint prêtre dans toute la région. Il secoue tellement les âmes que beaucoup se convertissent et changent de vie. Il n’a pas peur de dire les choses.
Dernièrement, il a même osé critiquer la toilette d’une jeune demoiselle en plein sermon. La mère de celle-ci était tellement furieuse que lorsque le bon père est sorti de l’église, la dame, en furie, s’est jeté sur lui et lui a donné plusieurs coups de canne. Le bon Monsieur de Montfort n’a même pas essayé de se défendre, il a simplement attendu que la tempête se calme. Puis il a dit, avec beaucoup de douceur : « Madame, j’ai fait mon devoir ; il fallait que votre fille fasse le sien ! ». Je pense que les solides leçons de ce saint homme dérange la mentalité de mademoiselle Pagé et de ses amis !
- C’est évident ! Pourtant tout ce que l’on raconte sur Monsieur de Montfort devrait les faire réfléchir ! Pour moi, mon opinion est faite, c’est un saint ! Il suffit de suivre une de ses missions pour en être convaincue ! Vous souvenez-vous de celle qu’il a prêché dans l’église des dominicains l’an dernier ?
- Oh oui ! Pour rien au monde je ne l’aurai manqué ! L’église était bondée, nous étions bien trois mille femmes à l’écouter… Je ne peux oublier la façon dont il nous parla du rosaire ! Et son amour pour Notre-Dame…
- Vous a‑t-on raconté dans quelle circonstance le bon père Grignion de Montfort a pu prêcher une mission sur l’île d’Yeu, dernièrement ?
- Non ! Racontez moi…
-Eh bien, voici ce qu’un ami de mon frère, marin de Saint-Gilles, nous a raconté… Écoutez-moi, c’est assez édifiant…
Monsieur de Montfort avait décidé de partir évangéliser l’île d’Yeu. La chose était périlleuse car des corsaires anglais, en ce début d’année 1712, infestaient les parages. Arrivé aux Sables‑d’Olonne, le missionnaire chercha un patron de chaloupe prêt à le mener sur l’île. Personne ne voulut l’y conduire. Mais cela ne le découragea nullement. Il prit le chemin d’un autre port breton : Saint-Gilles. Là aussi, les matelots refusèrent de le passer. Le prêtre ne se tint pas pour vaincu. Avant repartir vers La Rochelle, il pria avec grande ferveur le rosaire, puis fit une dernière tentative. Il retourna voir le patron de la plus grande chaloupe du port, lui promit, au nom du Ciel, que le voyage se passerait sans problème puis le supplia tellement que le brave capitaine finit pas accepter.