Tout joyeux, vous courez à la fenêtre ou au jardin.
Autre chose est de vivre dans les neiges du Grand Nord, comme le missionnaire qui s’en va si loin évangéliser l’Esquimau.
Le P. Le Roux, un Breton aux yeux bleus et le P. Rouvière, Lozérien aux yeux noirs, tous les deux Oblats de Marie, partent à la recherche des Esquimaux campés sur la banquise.
La banquise… Imaginez-vous cela ? une mer sans bateaux, sans vagues, immobilisée sous la neige. Au loin, du côté de la terre, la falaise aux cavernes habitées par les ours blancs ; au large, un chaos de blocs de glace qui se détachent avec un bruit de tonnerre et s’en vont à la dérive… Quelle idée d’aller vivre là ! C’est que, sous la neige, il y a la glace, et sous la glace, l’eau, et dans l’eau, le poisson et le mammifère dont l’homme se nourrira puisqu’il ne peut cultiver la terre ni récolter les fruits d’arbres inexistants.
Venant de la Mission Notre-Dame d’Espérance, après plusieurs jours de voyage, les deux missionnaires aperçoivent enfin les coupoles des maisons de neige. Il est temps ! Pères et chiens sont à bout de forces et quel froid ! 52 degrés au-dessous de zéro ! « Tiens, remarque un des Pères, nous avons été signalés ; voici qu’ils sortent de leurs iglous. »
Un Esquimau vient en effet à leur rencontre et les salue à la mode de son peuple, bras levés, non en signe de reddition, mais de bienvenue. Suivent des inclinaisons de tête à droite, à gauche, une inclination jusqu’au sol,… et cela recommence. On ne peut être plus poli ! Les deux Français imitent de leur mieux. Une vraie pantomime.
L’homme se retourne alors vers le groupe qui le suit : « Kra-bouma ! clame-t-il, ce sont des Blancs ! » Et il court vers eux, mains tendues. Hommes, femmes, vieillards, enfants imitent le geste ; c’est à qui tendra ses deux mains garnies d’épaisses moufles de fourrure et tous rient de contentement. Les Blancs, ils les connaissent un peu pour les rencontrer à Fort-Norman quand ils vont y échanger fourrures et ivoires contre thé, sucre et tabac.
Le P. Rouvière n’est point un agent de commerce et il tient à leur dire, tout clair, le but de sa visite : « Nous sommes venus de très loin (de la France, par delà la mission) pour vous parler de Dieu qui a créé les poissons, les phoques et les hommes. Son fils Jésus, descendu du ciel sur la terre est mort pour ouvrir le ciel à ceux qui l’auront aimé ! »
Peut-être avez-vous entendu raconter l’histoire de ces Esquimaux ou de ces Indiens qui, à semblables paroles, ne s’étonnèrent pas : le Créateur, ils l’avaient deviné, découvert, par la beauté de sa création et ils l’avaient nommé le Grand Esprit. Ceux-ci ne comprennent pas ; ils se regardent surpris, puis, ne sachant que répondre, ils éclatent de rire.
Dans le pays d’Unamio, entre les terres riveraines de l’Océan Indien, alors sujettes du Sultan de Zanzibar, vivait au siècle dernier la petite Suéma.
Il est beau le pays de Suéma : immenses plaines couvertes d’arbres fruitiers, traversées par de jolis ruisseaux. Les indigènes y récoltent magnoc, ignames, patates, maïs et presque tous les légumes d’Europe.
Au delà des plaines, d’immenses forêts remplies de tigres, d’hyènes, de panthères, de lions, dont les rugissements, répercutés par les échos, semblent la nuit des roulements de tonnerre. Là, paissent d’innombrables éléphants dont les défenses fournissent un bel ivoire, principale ressource et richesse du pays.
Les Africains de cette région vivent en grande partie de la chasse.
« Père, puis-je aller chasser avec toi ? » a demandé souvent la petite Suéma.
— Non. Quand tu seras plus grande ! »
Aujourd’hui, le père a répondu : « viens ! »
La première opération consiste à creuser, dans divers endroits de la forêt, des fosses profondes que l’on recouvre de branchages et de hautes herbes. Ce travail terminé, hommes, femmes et enfants se réunissent pour la battue. Comme Suéma se sent en sécurité entre son père, sa mère et ses sœurs, malgré ses sept ans, elle se montre très brave.
Arrivée à la lisière du bois, la troupe des chasseurs forme la chaîne, puis, au signal donné, s’enfonce dans la forêt, resserrant son cercle à mesure qu’elle marche et poussant des cris aigus afin d’épouvanter et de déloger le gibier. Quelques hommes chargés d’arcs et de sagaies précèdent la bande ; d’autres, dispersés, veillent autour des trappes et pourchassent les animaux qui, par instinct ou par adresse évitent les pièges en sautant par dessus.
Ne soupçonnant aucun danger, Suéma sautille joyeusement entre sa mère et ses sœurs ; elle s’amuse tant qu’elle se croit à une partie de plaisir. Heureux et fier de sa fille, le père marche en avant, tenant une flèche toute prête sur la corde de son arc.
Les chasseurs se rapprochent de la ligne des trappes ; ils n’en sont plus séparés que par un bosquet touffu quand sort de ce bosquet un rugissement si rauque, si prolongé, que tous en restent pétrifiés. Le sang se fige dans les veines ; un silence de mort remplace les cris de la battue, mais laissons Suéma nous raconter elle-même la suite : « Tandis que les échos répétaient ce rugissement du lion, j’aperçus ce terrible animal qui, les yeux flamboyants, la crinière hérissée, battait la terre de sa longue queue. Il approche… sa marche un peu oblique le conduit directement vers nous… Il passe à côté de mon père puis s’arrête, prêt à bondir sur mes sœurs et sur moi. À ce moment même, il rugit d’une façon terrible. Mon père comprend qu’il n’y a pas un moment à perdre ; il s’élance et attaque l’animal ; ses flèches et ses sagaies toujours si sûres, manquent cette fois leur but. Alors, le couteau de chasse à la main, il se jette sur le lion et, avec ses bras crispés, saisit la crinière de l’animal.
« La frayeur m’a tellement glacée que je ne vois plus ce qui se passe ; c’est à peine si j’aperçois, dans un tourbillon de sang, une masse rouge qui roule à terre et disparaît dans la forêt. » Le lion, furieux, blessé, a emporté le père de la petite Suéma.
La battue cesse ; la forêt devient solitaire ; seuls les sanglots de la veuve et de ses filles interrompent le silence. La nuit les trouve au même endroit et les rugissements de l’hyène rappellent à la pauvre mère son dernier-né, resté à la maison.
Ce soir-là, pour la première fois, la case fut sans feu, triste et silencieuse. « Oh ! ajoutait Suéma, comme on souffre quand on ne connaît pas Dieu et qu’on ne sait pas le prier ! »
Les parents de Suéma n’avaient pas reçu comme nous les lumières de la foi ; mais fidèles à la loi naturelle, inscrite par Dieu en tout homme, ils faisaient simplement leur devoir. Comme la jeune Africaine parlait avec bonheur des jours de son enfance ! des bontés de son père, des soins dont l’entourait sa mère, de l’affection mutuelle qui les unissait tous : « J’entendais dire aux enfants des voisins : « Voilà l’heureuse Suéma qui mange tous les jours de la viande et du sel ! » J’étais fière de ces paroles parce qu’elles faisaient l’éloge de mon père. »
« On disait aussi quelquefois, en me voyant passer : « Voilà Suéma la propre, aux cheveux bien tressés. J’étais contente de ces paroles qui étaient l’éloge de ma mère. » Mais revenons aux tristes jours qui suivirent la mort du chef de famille.
Maintenant Suéma a autre chose à faire que de rire et de chanter en gardant les brebis avec les enfants de son âge ; elle cultive la terre avec ses aînées. Hélas, sur les récoltes s’abat un nuage de sauterelles ; ces insectes dévorent les plantes jusqu’à la racine et les arbres jusqu’à l’écorce. Ceux qui ont des réserves de sel ramassent des sauterelles et les mettent au saloir. Chez Suéma, impossible ! Le père est mort sans avoir dit où il prenait les plantes dont il extrayait ce sel si précieux parce que si rare en ce pays. Ces plantes existent-elles encore ? Les sauterelles ont tout dévoré !
Un joyeux son de cloche : Ding-Dong !… C’est le baptême d’Anna-Maria Giannetti, née le 29 mai 1769.
Ajaccio-Corse.
Ding-Dong !… C’est le baptême de Napoléon Bonaparte, né comme Anna de parents Toscans, le 15 août 1769.
Qui se douterait que le petit sera Empereur et que l’autre, son aînée de deux mois, aura un rôle à jouer près de lui ?
Pietro Giannetti, pharmacien à Sienne, est tout content d’être grand-père ; il s’intéresse à cette gamine qui, dès qu’elle peut trotter, « joue parmi les oliviers et les cyprès, les espaliers de vignes et de roses qui couvrent le haut plateau aux remparts rouges. »
Le grand-père meurt. Son fils, qui a fait ses études de pharmacie, le remplace, et bientôt se ruine. Où cacher sa misère ? Louis décide de gagner Rome. Annette, six ans, fera le voyage à pied, emportant sa charge de hardes… Ils arrivent au quartier populaire des Monts. Pendant huit ans, ils y rencontreront souvent le français Benoît Labre, un jeune qui s’est fait pèlerin et pauvre volontaire, pour expier le luxe de son temps. On l’aperçoit en prière aux pieds de la Vierge miraculeuse de Notre-Dame des Monts. À trente-cinq ans, il meurt ; la mère d’Annette aide à la dernière toilette, tandis que les enfants crient à travers les rues : « E morio il santo : Le saint est mort ! »
En arrivant à Rome, les Giannetti ont dû chercher du travail. Luigi a fini par accepter de faire des ménages. La petite va à l’école des Sœurs de la Via Graziosa ; une épidémie fait licencier les classes, et après deux ans seulement d’étude, la fillette entre en apprentissage chez deux bonnes demoiselles. Elle dévide la soie, apprend à tailler et à coudre, ce qui, un jour, lui sera bien utile dans sa nombreuse famille. Le soir, de retour au logis de la rue de la Vierge, Annette lave le linge, prépare la polenta. Tout n’est pas rose à la maison ! Le père, qui regrette Sienne et sa pharmacie, s’aigrit tous les jours un peu plus et décharge sa mauvaise humeur sur sa fille. Il va jusqu’à la maltraiter.
Maria Santa, la maman, est au contraire fière de son Annette qu’elle appelle un peu trop souvent : « ma toute belle ».
Belle, elle l’était en effet, l’écolière au fichu rouge, et elle l’est encore plus de quatorze à seize ans.
Et Napoléon, lui, que devient-il ? — Il est à l’école militaire de Brienne. Il n’a pas quinze ans que, d’un ton sans réplique, il réclame de l’argent à son père : « Monsieur, … je suis las d’afficher l’indigence… Et quoi, monsieur, votre fils sera continuellement le plastron de quelques nobles paltoquets…? Non mon père ; non ! Si la fortune se refuse absolument à l’amélioration de mon sort, arrachez-moi de Brienne ; donnez-moi, s’il le faut, un état mécanique. »
C’est la mère qui répond. Elle a de trop grandes ambitions pour son fils pour en faire un simple mécano ! Ajaccio — 2 juin 1784 — « Si je reçois jamais une pareille épître de vous, je ne m’occupe plus de Napoléon ! Où avez-vous appris, jeune homme, qu’un fils s’adressât à son père comme vous l’avez fait ?… Vous deviez être convaincu qu’une impossibilité absolue de venir à votre secours était la seule cause de notre silence. »
Les deux familles ne sont pas riches, mais Annette, mieux que Napoléon, accepte sa pauvreté ; elle ne serait tout de même pas fâchée de se mettre « à gagner ». Son père est maintenant en service au palais Mutti. La Senora Serra, sa patronne, cherche une jeune femme de chambre. Annette, qui a seize ans, quitte l’ouvroir et va avec sa mère s’installer dans deux pièces du palais.
Hâtée d’avoir une jolie soubrette, Maria Serra, qui n’a elle-même que trente ans, ne tarit pas d’éloges sur sa petite servante. Les parents, comme Perrette, échafaudent mille châteaux en Espagne. Leur Annette, comme une Cendrillon, a passé de la ruelle obscure aux galeries pleines de musique et de lumière. Ne laissera-t-elle pas sa pantoufle à quelque prince charmant ? à quelque riche garçon qui rendra son lustre à la famille ? — Mais non ! Annette a les goûts simples. Une seule chose la préoccupe : fonder un foyer chrétien. Justement, elle a souvent l’occasion de rencontrer un employé du palais Chigi, Doménico Talgi, un peu fruste, disons même assez rustre, grossier même, difficile de caractère, mais droit, honnête, foncièrement bon. Annette a vingt ans quand le mariage se célèbre le 7 janvier 1790. Tous communient, puis il y a dîner, chants et danses.
Napoléon fait aussi son chemin. Le voici lieutenant d’artillerie à seize ans, général à vingt-quatre, commandant en chef de l’armée d’Italie à vingt-six, premier Consul à trente, Empereur à trente-cinq, distribuant couronnes et principautés à neuf de ses frères, beaux frères et parents …
Après son mariage, Anna va vivre au palais Chigi, actuel ministère des affaires étrangères… immense palais aux trois cents fenêtres, garnies aux étages inférieurs d’épaisses grilles de fer. À l’intérieur, enfilades de larges couloirs, d’escaliers de marbre, de salons… Tout au fond, sur la ruelle de la Glissière, deux pièces d’habitation pour le ménage.
Le dimanche, joie de sortir ensemble ! Pour faire plaisir à son mari, Anna-Maria fait toilette : robe de soie rouge, que lui a offerte son Doménico, pendants d’oreilles et colliers de perles qui s’ajoutent au collier corail et or, donné par Maria Serra. Est-ce trop pour une Italienne jolie, joyeuse, portée à rire, à chanter, à se distraire ? Ce qui ne l’empêche pas d’être très fidèle à sa messe du dimanche et souvent à la messe en semaine ; très fidèle au chapelet qu’à genoux elle dit chaque soir avec Doménico.
Temps de lecture :12minutesCette histoire commence quarante-sept ans après l’arrivée de saint François-Xavier au Japon. L’apôtre des Indes n’y a passé que deux ans et cela lui a suffi pour fonder une Église florissante. Vers 1595, on y compte 300.000 chrétiens ; ce n’est pas pour plaire à l’Empereur, très fanatique de ses idoles. Ordre est donné aux missionnaires de quitter le pays.
Voyez ce que dit l’Évangile du berger qui s’enfuit devant le loup, et du Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Bref ! Tous les missionnaires restent à leur poste. Qu’arrive-t-il ? — Neuf d’entre eux sont arrêtés ; des Franciscains, des Jésuites, dont un prêtre japonais.
Quinze chrétiens sont arrêtés aussi. Parmi eux, trois enfants de chœur : Louis, 11 ans, Antoine, 14, Thomas, 15. Les prisonniers sont amenés sur la grande place de Miyado ; d’un coup de couteau, on leur coupe le bout de l’oreille ; le sang coule sur leurs joues, sur leur cou et sur leurs vêtements : les voici marqués comme vous avez pu voir les animaux destinés à l’abattoir.
La foule s’apitoie devant les trois enfants, et aussi les bourreaux : « Voyons Vous n’allez pas vous faire tuer ! Renoncez à votre Dieu Nous vous relâcherons aussitôt »
Les trois garçons, pour toute réponse, chantent à tue-tête le Notre Père.
Bravo !
Maintenant, voilà tous les détenus sur des chariots. On les promène à travers la ville, puis dans toutes les cités du sud, comme pour dire aux chrétiens : « Voyez ce qui vous attend ! »
Les enfants chantent toujours !
« Toi du moins, dit le bourreau à Louis, le plus jeune, va-t-en ! Tu es trop petit ! Nous ne voulons pas de toi ; » mais Louis reste.
Bien sûr, il pourrait partir sans renier son Dieu, puisque, cette fois, la liberté lui est offerte sans condition, mais il se doute que les païens diront ensuite bien haut qu’il a renié sa foi. Et puis, quel scandale pour les chrétiens qui pourraient s’y tromper ! Lui, un renégat ?… Trois fois non !!! Il préfère rester avec ses camarades.
Maintenant, c’est au trio que l’on propose la liberté. La nuit, leurs liens sont desserrés ; la porte de leur prison reste ouverte, Dehors, c’est la vie sauve, le pain… et les trois garçons ne bougent pas. Ils mourront plutôt que de laisser croire aux païens et aux chrétiens qu’ils ont trahi le Christ ! Quels cœurs vaillants n’est-ce pas !
La promenade à travers le sud continue. Il fait froid, il pleut… rien à manger… Défense aux chrétiens massés sur le parcours, d’offrir aux condamnés quoi que ce soit. Imitant Véronique au chemin de la croix, quelques intrépides brisent le cordon des soldats et donnent aux malheureux des vêtements, des vivres. Deux sont pris. Désormais, ils seront vingt-six au lieu de vingt-quatre, sur les charrettes.
Temps de lecture :18minutesUn vieil ermite priait dans sa cabane, quand entra un petit garçon. Gêné d’avoir dérangé le vieillard dans sa prière, l’enfant lui tendit une corbeille de fruits et partit en courant, non sans lui avoir transmis les salutations de sa mère.
« Hé, petit ! pourquoi pars-tu si vite ? Comment t’appelles-tu ?
— Joao (Jean en français).
— Et comment s’appelle ta maman ?
— Thérésa.
— Où habitez-vous ?
— Dans la rue Verte, vous savez, la boutique de fruits… c’est à nous.
— Ah ! Oui, fit l’ermite, subitement pensif… » Il demeura silencieux quelques instants et reprit : « Tu as huit ans maintenant, n’est-ce pas ?… Quand tu es né, le 8 mars 1495, toutes les cloches de l’église Notre-Dame se sont mises à sonner. Au même moment, une lumière s’est montrée au-dessus de votre maison, à la rue Verte… Oui, petit, fais bien tout ce que le bon Dieu demandera de toi, car Il te réserve de grandes choses.
— Maman le dit aussi, M. l’Ermite ; elle vous demande de prier pour nous. À bientôt, Père ! Je vous apporterai encore des fruits un autre jour !
— À bientôt petit ! Et n’oublie jamais ce que je t’ai dit ! »
Joao descend gaîment de l’ermitage. Un moment il s’arrête sur le pont de bois qui enjambe la rivière Canha et s’intéresse aux navires en papier que quelques gamins lancent sur l’eau : Chanceux petits bateaux qui vont jusqu’au grand Tage et peut-être ensuite jusqu’aux Indes ! « Moi aussi, j’irai aux Indes sur un bateau plus grand et j’en reviendrai avec un grand baril plein d’or comme Manel le rémouleur. »
Joao arrive chez lui juste à temps pour aider son père à décharger son mulet des lourds paniers d’olives qu’il transportait. Ce faisant, il raconte son entrevue avec l’ermite et ses projets d’avenir :
« J’irai loin, loin… L’oncle Alfonso m’a dit un jour que toi aussi, tu voulais partir loin, loin, avec Vasco de Gama.
— Ça se peut, Joao, mais en attendant je suis toujours là à transporter fruits et olives.
— Vamos que a sopa ma mesa ! (la soupe est servie !) cria la mère. Allons, vite ! »
Le repas fut interrompu par l’entrée d’un grand jeune homme vêtu de noir, qui demandait l’hospitalité. Une nouvelle assiette fut mise sur la table et l’étranger s’empressa de faire honneur à la soupe au lard et au bon vin rouge de Montemor-o-Novo.
Ce soir-là, Joao se coucha tard. Longuement l’étranger avait parlé du long voyage qu’il avait fait ; du parcours plus long encore qu’il lui restait à faire pour gagner Salamanque en Espagne. Il avait décrit les belles églises du pays, les hôpitaux. Quel mirage pour le petit rêveur de Portugais. Une cinquantaine d’années plus tard, la petite Thérèse d’Avila partira avec son frère Rodrigue pour le pays des Maures, dans l’espoir d’y subir le martyre ; le petit Jean Ciudad décide de suivre l’étranger pour voir les églises de Madrid. Ensuite, il reviendra à la maison ! Plus tendrement que de coutume, il embrasse sa mère avant de se coucher, et de grand matin il rejoint l’inconnu sur la route.
Rude voyage ! L’homme et l’enfant couchent sur la dure, mangent rarement à leur faim. À chaque étape, ils tâchent de gagner quelques centavos. Ainsi font les routiers, chantant leurs ballades en s’accompagnant sur la guitare.
Ils marchent longtemps, longtemps… Ils passent la frontière espagnole et arrivent à la petite ville d’Oropesa. Joao ne peut aller plus loin. Ses soixante lieues de marche (249 kilomètres) l’ont épuisé. Il est si las, si las, qu’il en a oublié jusqu’au nom de sa petite ville. Un chef de bergers le recueille, tandis que l’étranger poursuit sa route…