Étiquette : <span>Napoléon</span>

Auteur : Goldie, Agnès | Ouvrage : Petites Vies Illustrées pour enfants .

Temps de lec­ture : 19 minutes

(D’après le R. P. Bessières, S. J.)

Sienne-.

Un joyeux son de cloche : Ding-Dong !… C’est le bap­tême d’An­na-Maria Gian­net­ti, née le 29 mai 1769.

Ajaccio-Corse.

Ding-Dong !… C’est le bap­tême de Bona­parte, né comme Anna de parents Tos­cans, le 15 août 1769. 

Qui se dou­te­rait que le petit sera Empe­reur et que l’autre, son aînée de deux mois, aura un rôle à jouer près de lui ?

Pie­tro Gian­net­ti, phar­ma­cien à Sienne, est tout content d’être grand-père ; il s’in­té­resse à cette gamine qui, dès qu’elle peut trot­ter, « joue par­mi les oli­viers et les cyprès, les espa­liers de vignes et de roses qui couvrent le haut pla­teau aux rem­parts rouges. » 

Le grand-père meurt. Son fils, qui a fait ses études de phar­ma­cie, le rem­place, et bien­tôt se ruine. Où cacher sa misère ? Louis décide de gagner Rome. Annette, six ans, fera le voyage à pied, empor­tant sa charge de hardes… Ils arrivent au quar­tier popu­laire des Monts. Pen­dant huit ans, ils y ren­con­tre­ront sou­vent le fran­çais Benoît Labre, un jeune qui s’est fait pèle­rin et pauvre volon­taire, pour expier le luxe de son temps. On l’a­per­çoit en prière aux pieds de la Vierge mira­cu­leuse de Notre-Dame des Monts. À trente-cinq ans, il meurt ; la d’An­nette aide à la der­nière toi­lette, tan­dis que les enfants crient à tra­vers les rues : « E morio il san­to : Le saint est mort ! »

En arri­vant à Rome, les Gian­net­ti ont dû cher­cher du tra­vail. Lui­gi a fini par accep­ter de faire des ménages. La petite va à l’é­cole des Sœurs de la Via Gra­zio­sa ; une épi­dé­mie fait licen­cier les classes, et après deux ans seule­ment d’é­tude, la fillette entre en appren­tis­sage chez deux bonnes demoi­selles. Elle dévide la soie, apprend à tailler et à coudre, ce qui, un jour, lui sera bien utile dans sa nom­breuse famille. Le soir, de retour au logis de la rue de la Vierge, Annette lave le linge, pré­pare la polen­ta. Tout n’est pas rose à la mai­son ! Le père, qui regrette Sienne et sa phar­ma­cie, s’ai­grit tous les jours un peu plus et décharge sa mau­vaise humeur sur sa fille. Il va jus­qu’à la maltraiter. 

Maria San­ta, la maman, est au contraire fière de son Annette qu’elle appelle un peu trop sou­vent : « ma toute belle ». 

Belle, elle l’é­tait en effet, l’é­co­lière au fichu rouge, et elle l’est encore plus de qua­torze à seize ans. 

Et Napo­léon, lui, que devient-il ? — Il est à l’é­cole mili­taire de Brienne. Il n’a pas quinze ans que, d’un ton sans réplique, il réclame de l’argent à son père : « Mon­sieur, … je suis las d’af­fi­cher l’in­di­gence… Et quoi, mon­sieur, votre fils sera conti­nuel­le­ment le plas­tron de quelques nobles pal­to­quets…? Non mon père ; non ! Si la for­tune se refuse abso­lu­ment à l’a­mé­lio­ra­tion de mon sort, arra­chez-moi de Brienne ; don­nez-moi, s’il le faut, un état méca­nique. »

C’est la mère qui répond. Elle a de trop grandes ambi­tions pour son fils pour en faire un simple méca­no !
Ajac­cio — 2 juin 1784 — « Si je reçois jamais une pareille épître de vous, je ne m’oc­cupe plus de Napo­léon ! Où avez-vous appris, jeune homme, qu’un fils s’a­dres­sât à son père comme vous l’a­vez fait ?… Vous deviez être convain­cu qu’une impos­si­bi­li­té abso­lue de venir à votre secours était la seule cause de notre silence. » 

Les deux familles ne sont pas riches, mais Annette, mieux que Napo­léon, accepte sa pau­vre­té ; elle ne serait tout de même pas fâchée de se mettre « à gagner ». Son père est main­te­nant en ser­vice au palais Mut­ti. La Seno­ra Ser­ra, sa patronne, cherche une jeune femme de chambre. Annette, qui a seize ans, quitte l’ou­vroir et va avec sa mère s’ins­tal­ler dans deux pièces du palais. 

Hâtée d’a­voir une jolie sou­brette, Maria Ser­ra, qui n’a elle-même que trente ans, ne tarit pas d’é­loges sur sa petite ser­vante. Les parents, comme Per­rette, écha­faudent mille châ­teaux en Espagne. Leur Annette, comme une Cen­drillon, a pas­sé de la ruelle obs­cure aux gale­ries pleines de musique et de lumière. Ne lais­se­ra-t-elle pas sa pan­toufle à quelque prince char­mant ? à quelque riche gar­çon qui ren­dra son lustre à la famille ? — Mais non ! Annette a les goûts simples. Une seule chose la pré­oc­cupe : fon­der un foyer chré­tien. Jus­te­ment, elle a sou­vent l’oc­ca­sion de ren­con­trer un employé du palais Chi­gi, Domé­ni­co Tal­gi, un peu fruste, disons même assez rustre, gros­sier même, dif­fi­cile de carac­tère, mais droit, hon­nête, fon­ciè­re­ment bon. Annette a vingt ans quand le mariage se célèbre le 7 jan­vier 1790. Tous com­mu­nient, puis il y a dîner, chants et danses.

Pie­tro Gian­net­ti est tout content d’être grand-père…

Napo­léon fait aus­si son che­min. Le voi­ci lieu­te­nant d’ar­tille­rie à seize ans, géné­ral à vingt-quatre, com­man­dant en chef de l’ar­mée d’I­ta­lie à vingt-six, pre­mier Consul à trente, Empe­reur à trente-cinq, dis­tri­buant cou­ronnes et prin­ci­pau­tés à neuf de ses frères, beaux frères et parents …

Après son mariage, Anna va vivre au palais Chi­gi, actuel minis­tère des affaires étran­gères… immense palais aux trois cents fenêtres, gar­nies aux étages infé­rieurs d’é­paisses grilles de fer. À l’in­té­rieur, enfi­lades de larges cou­loirs, d’es­ca­liers de marbre, de salons… Tout au fond, sur la ruelle de la Glis­sière, deux pièces d’ha­bi­ta­tion pour le ménage. 

Le dimanche, joie de sor­tir ensemble ! Pour faire plai­sir à son mari, Anna-Maria fait toi­lette : robe de soie rouge, que lui a offerte son Domé­ni­co, pen­dants d’o­reilles et col­liers de perles qui s’a­joutent au col­lier corail et or, don­né par Maria Ser­ra. Est-ce trop pour une Ita­lienne jolie, joyeuse, por­tée à rire, à chan­ter, à se dis­traire ? Ce qui ne l’empêche pas d’être très fidèle à sa messe du dimanche et sou­vent à la messe en semaine ; très fidèle au cha­pe­let qu’à genoux elle dit chaque soir avec Doménico. 

Auteur : Par un groupe de pères et de mères de familles | Ouvrage : Petite Histoire de l'Église illustrée .

Temps de lec­ture : 11 minutes

∼∼ XXVII ∼∼

La chère vieille mai­son est retrou­vée. Quelles délices ! Toutes les fenêtres sont ouvertes au soleil ; les petites filles s’es­soufflent à entas­ser dans les armoires le conte­nu des malles.

On voit pas­ser Ber­nard, Jean, André affu­blés d’im­menses tabliers, bran­dis­sant des têtes de loups des­ti­nées à don­ner la chasse à toutes les arai­gnées du pays ! Mais le tablier du petit scout, mal­gré des com­bi­nai­sons savantes, est tel­le­ment long, qu’il marche des­sus et tombe, la tête la pre­mière, dans un vieux coffre à bois ! Ce sont des rires qui n’en finissent plus. La pous­sière vole dans tous les sens ; sous pré­texte de cirer, Ber­nard danse éper­du­ment sur le dal­lage, en chan­tant une tyro­lienne apprise en . Le tapage est infernal.

Maman appelle sa fille aînée :

— Ber­na­dette, l’ar­ri­vée ne vaut pas mieux que le départ ! Emmène-moi cette jeu­nesse au pres­by­tère. M. le Curé sera si content,… et nous, à tel point déli­vrés de ces gar­ne­ments et de leurs ran­ge­ments invraisemblables !

Le curé explique aux enfants l'histoire de l'égliseQuelques ins­tants plus tard, la cloche fêlée de la cure branle à toute volée, et le vieux prêtre aler­té accourt, tout rajeu­ni par la joie, au-devant de ses bruyants paroissiens…

Les jours passent comme des songes. Tout est un bon­heur nou­veau. Colette s’ex­ta­sie sur les petits pous­sins éclos au pou­lailler ou bien, avec Annie, arrose à pro­fu­sion les fleurs de son jar­din, quitte à rafraî­chir en même temps ses bas et ses sou­liers. De temps en temps, la bande joyeuse accom­pagne le vieux Curé chez quelque malade éloi­gné. Che­min fai­sant, on lui conte ce qu’on a vu là-bas, en Pales­tine, à Rome, et com­ment, en cours de route, voyages et excur­sions ont per­mis d’é­tu­dier un peu les grandes lignes de l’His­toire de l’Église.

Un soir, pour repo­ser leur vieil ami, après une longue ran­don­née dans les che­mins creux, Ber­nard pro­pose une halte à l’ombre d’un talus, tout rose de bruyère. Les pieds dans la mousse, cha­cun s’as­sied confortablement.

Autour d’un champ d’a­joncs tout proche, de vieilles souches de chênes semblent mon­ter la garde. M. le Curé les contemple lon­gue­ment, puis, tout à coup :

— Mes enfants, vou­lez-vous que nous redi­sions une vieille his­toire, comme pour com­plé­ter ce que vous avez appris ? C’est l’his­toire de dou­leur et de sang, dont les sou­ve­nirs jaillissent dans ma mémoire, en regar­dant ce champ d’a­joncs entou­ré de chênes.

Colette et les petits poussins.
Colette et les petits poussins.

J’ai 80 ans. Mon grand-père a vu la fran­çaise de 1789. Vous en savez les phases prin­ci­pales, peut-être n’a­vez-vous jamais réflé­chi à ceci : « Cette révo­lu­tion était faite dans les esprits depuis long­temps. Pré­pa­rée par la réforme, com­men­cée par la phi­lo­so­phie incré­dule et la cor­rup­tion des mœurs, elle exis­tait en prin­cipe, dès que ces causes suc­ces­sives eurent détruit, dans les masses, le res­pect de l’au­to­ri­té, non plus seule­ment auto­ri­té reli­gieuse, mais auto­ri­té poli­tique et sociale. »

Je crois voir dans tes yeux, Colette, que je m’ex­plique trop savam­ment pour toi…

— Non, mon­sieur le Curé, j’ai com­pris tout de même, vous vou­lez dire que toutes ces vilaines gens qui ont men­ti pen­dant long­temps, comme Luther et Vol­taire, sont arri­vés à trom­per beau­coup de monde. Alors, comme on ne vou­lait plus obéir au Bon Dieu, on refu­sait aus­si d’o­béir au Pape, qui com­man­dait à Rome en son nom, et au roi, qui com­man­dait en France.