XXII
— C’est pas de jeu, Colette.
— Qu’est-ce qui n’est pas de jeu ?
— Mais tu n’as pas tout dit.
Et la tête de Pierre apparaît à hauteur de la fenêtre, entre deux grosses touffes de roses rouges.
La seconde d’après, on entend craquer les branches et deux autres minois surgissent, au milieu des fleurs. Puis, avant que Colette ait eu le temps de protester, Pierre fait un rétablissement savant et se trouve à l’intérieur, suivi de Nicole qui se hisse plus péniblement. Bruno seul est resté en route.
Colette crie :
— Veux-tu bien faire le tour par la porte ! Il ne va rien rester du rosier. Vous êtes insupportables. Pierre, pourquoi entraînes-tu les petits dans ces escapades ?
Pierre reste un peu honteux.
— Je n’y ai pas pensé.
— Penses‑y une autre fois. Regarde la robe de Nicole.
Un bout de mousseline déchirée pend au-dessus du genou, et Nicole le contemple, un peu rouge, en silence. Elle dit enfin :
— Gronde pas, tate. C’est si amusant de grimper dans les rosiers !
— Et ce-sera amusant pour maman de raccommoder ta robe ?
— Non,… mais c’est pas maman qui le fera.
— Qui donc alors ?
Nicole jette les bras autour du cou de Colette.
— Ce sera toi !
— Friponne ! en voilà une conclusion ! Écoute, mon petit Nicou, je devrais sérieusement te gronder, parce que tu fais tout ce qui te passe par la tête, sans penser à ce qui s’ensuivra. T’a-t-on, oui ou non, défendu de grimper par les fenêtres ?

Nicole, déconfite :
— Oui.
— Eh bien, que ce soit dit une fois pour toutes. Tu ne recommenceras plus ?
— Non, tate.
— Alors viens près de moi. Je vais rattacher tant bien que mal ce pauvre morceau qui pend.
Pierre, ennuyé de l’aventure, n’a pas encore osé dire pourquoi il est venu, et c’est Colette qui le lui demande. Il répond, un peu gêné :
— Tu n’as pas fini l’histoire du Royaume de Juda. Je suis noyé dans tous ces rois. Tout se mêle dans ma tête, je raterai ma composition.
— Tu ne rateras rien du tout, si tu te donnes un peu de peine. Qu’est-ce qui t’embrouille ?
— Je sais que Manassé, le successeur d’Ézéchias, a été aussi mauvais que son père était bon. Et même qu’il fit martyriser Isaïe. Mais après ?
— Après, vaincu et emmené captif à Babylone, il se repentit de ses fautes et demanda pardon à Dieu.
— Oui, mais pendant qu’il était en prison, que devenait son peuple ?
— Il luttait courageusement. Une femme héroïque, Judith, lui vint en aide.
Nicole, dont les yeux suivent avec une certaine inquiétude l’aiguille de tate, lève la tête :
— Une femme ! Qu’est- ce qu’elle a fait ?
— Elle a beaucoup prié pour son peuple, et puis elle a délivré la ville de Béthulie en s’introduisant, suivie d’une servante, dans le camp du général Holopherne, qu’elle a tué. L’armée assyrienne, privée de son chef, s’enfuit en abandonnant toutes ses richesses.
Alors, Manassé est revenu à Jérusalem et y a rétabli encore une fois la vraie religion, que Josias, prince fidèle et pieux, essaya de maintenir. Mais les derniers rois de Juda retombèrent dans l’idolâtrie ; le prophète Jérémie fut envoyé de Dieu pour les avertir du châtiment qui les attendait. Rien n’y fit.
— Qu’est-ce qui va arriver ? demande Nicole inquiète.
Colette arrête un instant sa reprise.
— Quelque chose de terrible. Rends-toi compte, Pierre : Dieu a tout fait pour éclairer son peuple et le sauver. Les Juifs n’ont pas voulu comprendre, et les nombreuses punitions subies ne les ont pas rendus plus clairvoyants que les bienfaits dont Dieu les a comblés.
Alors va surgir Nabuchodonosor.
— Quel nom fait Nicole. Qui c’est, Nabuchodonosor ?
— Le roi de Babylone. Il est très puissant, rien ne lui résiste. Il va prendre et piller Jérusalem une première fois.
Quelques années après, il y revient ; mais alors il saisit le roi, lui fait crever les yeux, le jette en prison et massacre toute sa famille. La ville est de nouveau pillée, le Temple détruit, tous les Juifs emmenés en exil. Jérémie accompagne ses compatriotes, mais avant de partir il cache dans une caverne du mont Nébo le Tabernacle et l’Arche d’Alliance.
Et là se termine l’histoire du Royaume de Juda.
Tu vois, Pierre, que ce n’est pas si compliqué que cela.
Pierre soupire,… il n’est pas très convaincu. Mais, devant Colette toujours penchée sur la robe de Nicole, il est pris d’un remords :
— C’est égal, tu es une chic fille, Colette, et je ne sais pas trop ce qu’on deviendrait si tu n’étais pas là.

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