XIX
Colette, appuyée sur l’épaule de son père, fait ses premiers pas.
Tous deux causent, en allant tout doucement sous les arbres, d’un fauteuil à l’autre. On parle des enfants, de Yamil.
— Si vous saviez comme il se transforme, papa. C’est délicieux de lui apprendre son catéchisme et son Histoire Sainte. Seulement, ces jours-ci, je vais avoir besoin de vous.
— Pour faire le catéchisme à Yamil ! Ah ! non, par exemple ! Je serais incapable de garder ma patience.
— Ça, je n’en suis pas sûre ! Mais ce n’est pas de Yamil, cette fois, qu’il s’agit. Je voudrais pour nos trois petits une explication claire sur le rôle des prophètes dans l’Histoire Sainte. Pierre nous a donné l’autre jour une définition un peu fantaisiste. Seulement, voilà ! je ne sais pas comment m’y prendre.
— Et moi non plus.
— Oh ! papa, ne soyez pas taquin. Pensez‑y un peu. Ce sera pour après le déjeuner.
— À l’heure de la sieste ? Tu as juré que je les endorme tous !
— Nous verrons bien, conclut Colette avec son charme irrésistible.
Allez donc refuser quelque chose à Colette ! Son père en est tout à fait incapable. L’heure venue, il s’exécute, non sans avoir dit avec un gros soupir :
— Colette s’est mis en tête que je vous fasse un cours d’histoire. En plein midi, mes pauvres enfants, nous dormirons tous dans cinq minutes. Moi le premier.
— Non, non, crient les deux petits en sautant ensemble sur les genoux de leur oncle, on vous réveillera, nous deux ! Quelle leçon vous allez dire ?
— D’abord répondez à mes questions. C’est moi l’élève, vous les professeurs.
— Quelle chance ! crie Nicole enchantée.
Mais Bruno lève son petit doigt et arrondit deux yeux sévères :
— Gare, si vous êtes pas sage !
Papa prend un petit air contrit pour dire :
— Je vais essayer. Alors s’il vous plaît, monsieur Bruno, je voudrais savoir ce que c’est qu’un ambassadeur ?
Bruno devient tout à coup malheureux et met son pouce dans sa bouche.
Alors papa se tourne vers Nicole.
— Mademoiselle, qu’est-ce que c’est qu’un ambassadeur ?
Nicole ferme à moitié les yeux… mais ne répond pas.
— Mes professeurs ne sont pas calés. Pierre, en sais-tu davantage ?
— Un ambassadeur, c’est… c’est quelqu’un qui est envoyé par un grand personnage pour le représenter.
— Ah ! tout de même ! Ajoute : il est parfois chargé de missions spéciales et décide au nom de son souverain. La parole d’un ambassadeur vaut celle du roi, de l’empereur, du président, etc…
Nicole et Bruno reprennent un peu d’aplomb, mais cette histoire d’ambassadeur les déroute.
Nicole hasarde :
— Alors, c’est pas une leçon d’Histoire Sainte ?
— Pourquoi pas ? Est-ce que Pierre ne vous a pas parlé du prophète Élie ?
— Si.
— Le prophète Élie et tous les autres prophètes étaient les ambassadeurs du Bon Dieu. Ces ambassadeurs, Il les choisissait, en général, parmi les hommes les plus saints de l’époque dans laquelle ils vivaient. Il leur donnait une mission spéciale et le Saint-Esprit leur inspirait, leur soufflait, si vous voulez, ce qu’ils avaient à dire.
Le plus souvent, ils annonçaient d’avance des événements connus de Dieu seul. Cela s’appelait prophétiser, d’où leur nom de prophètes.
Mais voilà que maintenant je vous parle comme à des grands.
— On aime mieux ça, avoue Nicole, qui, au fond, mourait de peur d’être encore interrogée.
— Regardez-moi bien alors. Bruno, ouvre les oreilles. Il s’agit de bien me suivre.
Le Bon Dieu avait un peuple choisi. Vous savez ça. Il entendait le préserver de l’idolâtrie des autres peuples. L’avez- vous compris ?
— Colette l’a dit vingt fois, cent fois, déclare Nicole. On le sait par cœur.
— Bon. On vous a expliqué aussi que dix tribus, c’est-à-dire les deux tiers du Peuple de Dieu, malgré tous les bienfaits dont elles avaient été comblées, se révoltèrent et formèrent le royaume d’Israël ?
Nicole, très fière :
— Pierre l’a raconté, on le sait.
— Eh bien ! si les Israélites abandonnaient Dieu, Dieu, lui, ne les abandonnait pas. C’est surtout lorsqu’ils s’éloignaient de Lui qu’il leur envoya les prophètes pour punir les uns, avertir les autres, maintenir, sauver ou rétablir la vraie religion, jusqu’à la venue de Notre-Seigneur.
Voilà comment les prophètes furent les ambassadeurs du Bon Dieu. Et, pour qu’on les écoutât mieux, Dieu leur donnait souvent le don de faire des miracles.
Bruno tire son oncle par la manche :
— C’est quoi, des miracles, s’il vous plaît ?
— Un miracle, c’est quelque chose, — plus exactement, — un fait qui est en dehors des lois de la nature et qui ne peut s’accomplir que par la puissance de Dieu.
Deux paires d’yeux s’arrondissent… Ni Bruno ni Nicole n’ont compris.
— Voyons, pour que vous saisissiez mieux, c’est une loi de la nature que le feu brûle ou qu’un poids lourd s’enfonce dans l’eau. C’est une loi de la nature, encore plus absolue, que des chairs rongées par un cancer profond, par exemple, ne puissent se refaire et guérir tout d’un coup, et combien d’autres choses encore.
Comme c’est le Bon Dieu qui a établi les lois de la nature, quand Il a créé le monde, Il a seul le pouvoir de les modifier, lorsque ça lui plaît.
— Facile à comprendre, dit Pierre à mi-voix. Si j’avais fait une invention, j’aurais le droit de la changer quand ça me conviendrait.
— Oui. Mais comme Dieu a établi les lois de la nature avec une sagesse infinie, Il ne les modifie que très rarement, et seulement quand un miracle est nécessaire pour prouver sa puissance, ou bien pour confirmer sa parole et la parole de ceux qui parlent en son nom.
Bruno voudrait l’histoire d’un de ces miracles, ce serait bien amusant. Il lève son petit bout de nez.
— Y‑z’en ont fait beaucoup de miracles, les prophètes ?
— Beaucoup.
— Faut les dire, s’il vous plaît.
— Tous, ce serait impossible ; essayons de choisir parmi les plus intéressants.
Le prophète Élie, fuyant devant Achab, fut recueilli par une pauvre veuve de Sarepta. Cette pauvre femme n’avait pas d’enfant. Élie lui obtint du Bon Dieu la naissance d’un petit garçon, mais voilà que ce fils unique mourut. Le désespoir de sa mère faisait pitié. Élie ressuscita l’enfant.
— Tout vivant ?
— Mais oui, Bruno, tout vivant. Tu ne voudrais pas qu’il l’ait ressuscité à moitié !
Le prophète Élisée, disciple d’Élie, rendit également la vie au fils d’une femme de Sunam, qui l’avait charitablement secouru. Puis, il guérit de la lèpre un général syrien, Naaman ; il sauva les Israélites de la famine, etc., etc.
Chaque fois le miracle prouvait qu’Élisée était vraiment l’envoyé de Dieu. Y êtes-vous cette fois ?
— Oui, oui, oui.
— Bon. Mais, attention, il y a des faits qui paraissent merveilleux et qui ne sont pas des miracles. Il y a des miracles certains, comme ceux que de nombreux et savants médecins constatent souvent à Lourdes de notre temps, et ce serait une sottise de ne pas écouter de pareils témoins. Pour ce qui est du passé, nous ne sommes absolument obligés de croire que les miracles dont le témoignage est contenu dans l’Ancien et le Nouveau Testament, qu’on appelle aussi les Saintes Écritures.
Or, justement, les miracles accomplis par les prophètes sont de ceux-là.
— Dites-en d’autres, mon oncle, réclame Nicole, des très extraordinaires.
— Petite curieuse ! Que veux-tu de plus extraordinaire que de ressusciter les morts ? Écoute pourtant ceci :
Il y eut un prophète nommé Jonas. Dieu voulut l’envoyer au roi de Ninive pour lui dire : « Si les habitants de cette ville ne font pas pénitence de leurs péchés, Ninive sera détruite… » Mais c’était une commission si dangereuse à faire, que Jonas n’en eut pas le courage. Il s’enfuit en bateau vers la ville de Tharsis. Voilà que survient une terrible tempête. Les matelots, pris de peur, et croyant à quelque mauvais sort, s’imaginent qu’ils vont apaiser la colère du Ciel en jetant Jonas par-dessus bord.
— Ça y est ! fait Bruno, il est noyé.
— Ou mangé par les requins, ajoute Nicole fort agitée.
— Ni l’un ni l’autre. Un énorme poisson l’engloutit, sans le dévorer, et, trois jours après, le dépose vivant sur le rivage.
Nicole est enchantée :
— Il est resté trois jours dans le gros poisson ?
— Oui, et ce qui est miraculeux, c’est que Jonas soit demeuré vivant et que le poisson ait été le déposer à l’endroit même où il devait aborder.
Tu vois bien que le Bon Dieu est le maître de toutes choses. Jonas le comprit, se repentit de son manque de courage, et s’en alla vers Ninive prêcher la pénitence.
Il fut écouté ; les habitants de Ninive demandèrent pardon à Dieu, leur ville fut épargnée.
Parmi les prophètes dont on vous parlera encore, d’ici la fin de l’Histoire Sainte, les plus importants seront Daniel et Isaïe. Mais Colette vous dira pourquoi.
Regardez la pendule, mes petits. Que va-t-on penser à mon bureau, si je passe ici mon temps à vous apprendre l’Ancien Testament ?
Et, posant à terre les deux enfants, qui se pendent à son veston, papa se secoue en riant et s’enfuit.
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