XV
La chaleur devient intense, et Colette en souffre beaucoup.
Elle maigrit, s’étiole. Autour d’elle on se préoccupe sans trop oser se le dire.
Un beau jour, le docteur arrive à l’improviste. Bourru, mais excellent ami, il entre comme chez lui et va directement chez la malade.
— Ma petite damiselle, comme dit votre Yamil, je voudrais voir votre mère.
Colette, un peu étonnée, hèle Bruno, qui, comme par hasard, déambule dans le vestibule, et l’envoie à la recherche de maman.
Pauvre maman, elle accourt, déjà inquiète. Pourquoi cette visite du docteur ?
Lui, l’accueille en souriant avec malice, car il sait tout ce que pensent les mamans.
— Je n’ai pas l’air d’un porteur de mauvaises nouvelles, voyons, chère madame. Je crois, au contraire, vous en transmettre une bonne. Il est grand temps de me transporter cette petite fille hors de la zone de chaleur qui commence à nous étouffer. Or j’ai un ami qui part avec toute sa famille pour la France et l’Angleterre. Six mois d’absence, une grande maison à louer dans le Liban. Vos deux ménages peuvent y tenir. Les hommes ne seront pas loin de leurs affaires. Prix raisonnables et à débattre, parce qu’avant tout, nous voulons mettre là-dedans des gens sûrs.
Prévenez votre mari. Je l’attends ce soir pour conclure. Ça va ?
— Comment voulez-vous que ça n’aille pas, docteur, répond maman, dont le regard ému va du visage joyeux du médecin à la petite figure mince et pâlie de sa fille.
— C’est bon ! entendu !
Il faudra transporter le « colis » avec soin, pas de mouvements inutiles, et puis, j’irai vous voir là-bas.
Et le docteur disparaît comme il était venu. Quinze jours après, avec armes et bagages, toute la famille s’installe en montagne.
Bruno et Pierre prétendent imiter les déplacements des Hébreux ; ils regrettent de ne pas avoir de tentes pour y coucher la nuit et ils essaient en vain de persuader Marianick qu’elle doit faire la route à pied, en poussant ses troupeaux devant elle, aidée de Yamil…
Les troupeaux se composent d’un chat, de six poules et de cinq lapins, lesquels, bien mis en cage, parviennent à la maison… horreur ! en automobile !
Dès le dimanche suivant, Bernard fait son apparition, pour la journée. Il est enthousiasmé. Quel air léger,… quelle vue !
— Et tu as déjà moins pauvre figure, Colette. Attends un peu qu’on t’installe bien, là, à l’ombre, avec tout cet horizon devant toi. Ça va jusqu’en Palestine, ma parole !
— Jusqu’en Palestine !… C’est un peu loin, mais tout de même c’est vaste et beau. D’ici, ce sera joliment plus facile de continuer nos leçons aux petits.
— Mais cette fois, c’est moi qui raconterai. Songe un peu, j’arrive de Jéricho.
— Pas possible !
— Très possible, au contraire, et j’en ai vu des souvenirs ! Nous étions un groupe d’aviateurs invités aux manœuvres anglaises.
— Alors appelle les petits. Tu sais, ou plutôt tu ne sais pas, que nous avons tout dit, jusqu’aux Juges.
— Jusqu’à Josué ?
— Exactement.
— Alors ça va barder !
Ce bel entrain met de la lumière dans les yeux de Colette et subjugue les enfants accourus à l’appel.
— Regardez un peu, de ce côté, loin, très loin dans la direction du sud. Là-bas, par derrière la ligne d’horizon, c’est la Terre promise aux Hébreux.
Nicole et Bruno font un effort magnifique pour réaliser cette chose étonnante. Ils ouvrent des yeux énormes et croient voir les tentes du camp.
— Un fleuve coulait au milieu de ce pays de Chanaan. On l’appelle le Jourdain. Je l’ai traversé avant-hier.
— Le même Jourdain ?
— Oui, Bruno, le même Jourdain. Seulement moi, je l’ai survolé au nord, tandis que les Hébreux conduits par Josué, après la mort de Moïse, l’on atteint par le sud, et que, cette fois encore, il s’agissait de le traverser sans moyens perfectionnés.
Mais ce fut comme pour la mer Rouge : les eaux se séparèrent et les Hébreux passèrent à pied sec.
Le fleuve franchi, le peuple de Dieu atteignit la petite ville de Galgala, où il célébra la Pâque ; ce jour-là, la manne cessa de tomber. Le désert était franchi, la terre désormais fertile, on n’en avait plus besoin,
C’est alors, écoutez bien, que Josué décida de prendre la ville de Jéricho. Et figurez-vous que j’y étais hier.
— Tu arrives de Jéricho ! C’est tout de même pas une ville pareille à celle de Josué ?
— Attendez, suivez-moi bien. Je suis allé dans la petite ville actuelle, située au pied d’une chaîne de montagnes que domine de sa masse sombre le mont de la Tentation. Jéricho repose là, au milieu des sables, sorte d’oasis dans le désert, avec ses palmeraies et ses quelques villas. Mais en nous dirigeant vers le nord, nous avons rencontré les ruines qui marquent l’emplacement de l’ancienne Jéricho, celle que connut Notre-Seigneur. Et puis plus loin, dans la même direction, d’autres ruines, découvertes par des fouilles et, celles-là, absolument extraordinaires. Ce sont les restes de Jéricho, la ville prise par Josué, et vous allez voir à quel point c’est captivant.
Quand les Hébreux sont arrivés devant la ville, elle était entourée de murailles. Comment les franchir ?
Josué fit sept fois le tour de la ville avec l’Arche d’Alliance. Au septième tour, il ordonna de faire sonner les trompettes et, au même moment, les murs de la ville croulèrent. Jéricho était prise.
Or, les fouilles récentes ont découvert ces murailles que l’on retrouve écroulées, dans la position même de leur chute, au ras du sol, et l’on voit encore les petites ruelles de la ville et des habitations très petites, avec leurs cloisons en ruine.
— C’est incroyable ! dit Nicole.
— Vous comprenez qu’à l’arrivée des Hébreux à Jéricho, tous les pays se liguèrent contre eux, et la guerre fut sévère. Le roi Gabaon s’allia seul au peuple de Dieu. Il allait succomber avec toute son armée, quand Josué accourut à son secours et écrasa l’ennemi.
Mais la bataille se prolongeait et la nuit allait venir. Pour achever la victoire, il fallait y voir clair. Josué n’hésite pas. Il supplie le Bon Dieu de prolonger le jour, il l’obtient et sa victoire est éclatante.
Il lui fallut encore sept années cependant pour achever la conquête de la terre de Chanaan.
C’est toute cette Palestine que nous avons parcourue enfants, Colette, tu t’en souviens ? Elle est comprise entre la Syrie, au nord, là où nous sommes en ce moment, et le désert qui rejoint l’Égypte.
— Inutile de préciser, dit Colette en riant tout à fait. Nous connaissons ce désert là ! Ma jambe surtout m’obligera à en garder longtemps le souvenir.
Nicole s’agite un peu :
— Je voudrais savoir qui a commandé aux Hébreux après Josué.
— Pendant trois cents ans, quatorze autres Juges se sont succédé. Les plus importants s’appellent Gédéon, Samson, Héli et Samuel.
Bruno, l’air vieux monsieur :
— Ils sont ennuyeux ou bien ils sont amusants ?
Bernard avec une mimique respectueuse :
— Écoute, mon cher, tu vas en juger avec toute ton expérience.
Bruno, vexé, comprend seulement qu’on se moque de lui, et s’enveloppe de dignité silencieuse.
Nicole, elle, s’impatiente :
— Avec tout ça, tu nous laisses en plan ! Alors, Gédéon, qu’est-ce qu’il a fait ?
— La guerre. Sept fois de suite les Hébreux, auxquels on donne maintenant le nom d’Israélites, — vous savez, en souvenir de Jacob et de l’ange ? — ont été réduits en servitude, parce que, malgré la défense de Dieu, ils s’alliaient avec des voisins infidèles. Ils épousaient des idolâtres et eux-mêmes finalement abandonnaient le Bon Dieu. Chaque fois, une invasion ennemie les punissait, chaque fois ils se repentaient et, chaque fois, Dieu, dans sa bonté, les sauvait.
La manière dont Gédéon les tira d’affaire n’est pas banale. Il s’agissait de repousser les Madianites. L’armée des Hébreux avait peur, et Gédéon, malgré sa propre bravoure, sentait l’angoisse l’envahir.
Dieu voulut lui prouver qu’il ne devait mettre sa confiance qu’en Lui seul. Il lui ordonna de ne prendre que trois cents hommes pour combattre les Madianites.
— Pour lutter contre tous les autres ?
— Parfaitement, petite Nicou ; mais ces trois cents soldats se glissèrent autour du camp, tenant d’une main une cruche contenant une torche allumée, de l’autre une trompette. En même temps, ils brisèrent leurs vases et sonnèrent de la trompette. Les torches et le vacarme firent une peur bleue aux Madianites, qui se crurent cernés de toutes parts. Surpris dans leur sommeil, ils s’entre-tuèrent dans la nuit ou fuirent épouvantés.
Bruno, les mains dans ses poches :
— Épatant ! Et après ?
— Après, passons à Samson. Cette fois, l’Histoire finit très tristement. Dieu avait donné à Samson une force incroyable. Tout jeune encore, il étouffa dans ses bras un lion qui voulait le dévorer.
— Un lion ?
Les enfants sont épouvantés. Il a étouffé un lion !
— Bien mieux encore. Le Bon Dieu l’avait chargé de repousser les Philistins. Un beau jour, il se met en chasse et prend au piège trois cents renards. Il les attache deux par deux, ayant à la queue des torches allumées, et les lâche dans les champs des Philistins. Vous voyez d’ici la course des pauvres bêtes affolées.
Ils incendièrent les blés et les vignes des Philistins.
Mais, dans un moment de lâcheté, au lieu de défendre leur sauveur, les Israélites livrèrent Samson aux Philistins.
Nicole est indignée :
— C’est dégoûtant ! Quelles vilaines gens !
— Y sont pas propres, tes Hébreux, ajoute Bruno.
Bernard sourit mélancoliquement.
— Vous en rencontrerez d’autres du même calibre, allez, en apprenant l’Histoire. Et les Juifs, qui ont livré Jésus !
Mais revenons à Samson. Lié, garrotté avec des cordes neuves, les Philistins pensaient bien le tenir. Il brise tranquillement ses liens, empoigne une mâchoire d’âne, tue avec cette arme dernier modèle un millier de Philistins et met les autres en fuite.
Nicole pirouette de joie :
— Oh ! que c’est bien ! Alors, c’est fini, ils les a tous rossés !
— Oh ! Nicole, proteste Colette.
— Mais non, il ne les a pas tous rossés, continue Bernard. C’est là que l’histoire devient triste. Donnez-vous la peine de comprendre.
Avant la naissance de Samson, un ange était apparu à sa maman. Il lui avait dit qu’elle devrait consacrer au Bon Dieu le petit garçon qu’Il lui enverrait.
On ne coupait pas les cheveux à ceux qui étaient ainsi consacrés à Dieu. Samson avait donc gardé les siens longs.
La force extraordinaire dont il était doué dépendait de sa fidélité à ce qu’il avait promis à Dieu par sa consécration. Or, il manqua à sa promesse. Alors, une méchante femme, Dalila, qui avait réussi à lui arracher son secret, lui coupa les cheveux pendant son sommeil et Samson ne fut plus qu’un pauvre homme, auquel on creva les yeux et qui fut condamné à tourner la meule d’un moulin.
Nicole, les larmes aux yeux :
— Jusqu’à sa mort ?
— Attends donc ! Dalila n’avait pas pensé à tout. Les cheveux de Samson repoussèrent et il sentait revenir sa force, car Dieu lui pardonnait.
Un jour, il n’hésite plus. Il pénètre dans le temple des Philistins, en ébranle les colonnes et le temple s’écroule, ensevelissant Samson avec trois mille de ses ennemis et tous les chefs de leur nation.
Nicole, subitement consolée, traduit sa pensée :
— Je déteste Dalila et tous les Philistins et j’aime beaucoup Samson, tu sais, Bernard.
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