XVI
C’est le soir. De grands lis blancs montent jusqu’à la baie largement ouverte près de laquelle Colette est encore étendue. Leur parfum pénétrant envahit l’atmosphère et Colette songe, les yeux au loin vers l’horizon. Elle a posé son livre sur ses genoux et contemple ravie le paysage, qu’une lueur rose, bleue, grise, enveloppe lentement.
Dans cette paix silencieuse, la voix désolée de Marianick arrache Colette à sa pensée. Sûrement, les enfants font encore quelque bêtise !
La voix se rapproche, Marianick apparaît, maintenant d’un côté un Yamil qui cherche à lui glisser dans la main, et de l’autre une Nicole à figure friponne, mi-colère, mi-regret.
— Beau gibier que je t’amène, Colette ! Nicole mange toutes les confitures. Il est grand temps qu’elle aille à l’école trouver des maîtresses qui lui en feront passer le goût.
Quant à celui-là, vous prétendez qu’il sait sa religion. Faudrait qu’y nous dise laquelle. Pas la mienne, pour sûr. Ah ! ma Doué ! si c’est au catéchisme qu’il apprend à faire « endêver » les gens !
Tiens, je m’en vais, j’ai trop envie de cogner dessus. D’ordinaire, ça n’est pas mon goût, pourtant !
Et Marianick tourne les talons, laissant les deux enfants penauds, devant Colette, qui les regarde sans l’ombre d’un sourire.
— Enfin, mes petits, comment se fait-il que vous ne cessiez pas de faire des sottises ?
— Je vais te le dire, déclare impétueusement Nicole. C’est pas difficile à comprendre. Ici, la maison est très, très grande et maman est tout le temps occupée à mettre de l’ordre, et à tout espèce de choses. Alors, quand on a fini la classe, maman range dans les armoires et Bruno et moi on est seuls, et Yamil appelle ; c’est amusant, tu sais. Pourquoi que c’est toujours défendu, quand c’est amusant ?
— Non, pas toujours… Je t’en reparlerai un de ces quatre matins. Pour l’instant, j’ai une autre idée.
Dis-moi, Yamil, pendant combien de temps es-tu allé au catéchisme ?
— Un an.
— Tu as appris ton Histoire Sainte ?
— Un piti peu.
— Et tu serais content d’en apprendre davantage, avec la « petite damiselle », comme tu dis ?
— Yamil très content.
— Alors, entends-moi bien, c’est sérieux. Chaque fois que Marianick me dira que tu l’as mérité, tu viendras assister à la leçon.
Yamil fait une grimace affreuse :
— Li Marianick jamais dire bien.
— Marianick dira la vérité, Yamil, le reste te regarde.
Assieds-toi là sans bouger et écoute. Cela te donnera peut-être envie de revenir les autres jours et donc de le mériter.
— Mais, dit Nicole, on est trop loin dans l’Histoire Sainte. Il ne saura pas le commencement.
— S’il est sage, je le lui apprendrai aussi. Il peut toujours assister à vos leçons. Tu vas voir comme celle d’aujourd’hui sera intéressante. Seulement, je veux aussi Bruno. Appelle-le…
Les enfants installés, Yamil accroupi sur la natte, Colette commence :
— Bernard vous a raconté l’Histoire des Juges, sauf celle des deux derniers.
Nicole, le nez au vent :
— Comment s’appelaient-ils ?
— Héli et Samuel. Héli était bon, mais très faible. Il n’osait pas châtier les pécheurs et permettait à ses deux fils de mener une vie scandaleuse.
Il veillait cependant avec soin sur un enfant que ses parents lui avaient confié, après l’avoir voué au service du Seigneur.
Ce petit s’appelait Samuel.
Bruno ne comprend pas.
— Qu’est-ce que ça veut dire : être voué au service du Seigneur ?