Catégorie : <span>Daniel-Rops</span>

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Saint Paul, aven­tu­rier de Dieu .

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I. LA PISTE DU DÉSERT.

C’é­tait un jour d’é­té, aux abords de midi. Sur la piste sablon­neuse qui menait à , une petite cara­vane se hâtait : quelques gardes, deux ou trois secré­taires, accom­pa­gnant un jeune homme de peu de mine, à qui, cepen­dant, tous mar­quaient beau­coup de res­pect. A leur cos­tume, à leur lan­gage, on recon­nais­sait des Israé­lites, et le petit homme roux appar­te­nait à la classe des « Doc­teurs de la Loi », qui ensei­gnaient la reli­gion. Tous sem­blaient pres­sés d’ar­ri­ver à la capi­tale syrienne. De temps en temps, le petit homme par­lait à ses com­pa­gnons de voyage, et l’on sen­tait, à l’en­tendre, qu’il était pos­sé­dé d’une étrange fureur.

Saint Paul sur le chemin de Damas

Cette scène se pas­sait en l’an­née 36 de notre ère. Trois ans plus tôt, à Jéru­sa­lem, sur le Gol­go­tha, un homme était mort, cru­ci­fié entre deux ban­dits. On l’ap­pe­lait Jésus de Naza­reth. Pen­dant plus de trente mois, il avait par­lé à des foules, ensei­gnant une doc­trine d’a­mour, de misé­ri­corde, gué­ris­sant les malades, fai­sant de grands miracles, et par­mi ceux qui l’a­vaient accom­pa­gné, beau­coup avaient pro­cla­mé qu’il était le Mes­sie, le Dieu fait homme, et que ce serait lui le Sau­veur d’Is­raël. Or, c’é­tait cela que ne vou­laient pas admettre les Princes du Peuple Juif et les prêtres : qu’un homme sor­ti de rien, fils d’un char­pen­tier de Naza­reth, fût vrai­ment le Porte-Parole du salut, non, non, cela ne leur parais­sait pas pos­sible. Et puis, que devien­draient-ils, eux, si ce Jésus et sa bande triom­phaient ? Et c’é­tait pour­quoi un com­plot avait été mon­té ; des pièges avaient été ten­dus au soi-disant Mes­sie ; un traître même avait été payé pour qu’il le fît arrê­ter. Condam­né par les prêtres, on avait bien vu que ce Jésus n’é­tait pas le Mes­sie ! Il était mort sur la croix comme un mal­fai­teur, et les siens n’a­vaient même pas levé un doigt pour le sauver.

Et, cepen­dant, un bruit étrange s’é­tait répan­du dans tout Jéru­sa­lem. Les dis­ciples de Jésus avaient pro­cla­mé que, trois jours après sa mort, il était res­sus­ci­té ! Le tom­beau où l’on avait pla­cé son corps avait été trou­vé vide. Qua­rante jours de suite, cer­tains l’a­vaient vu paraître, et non pas un seul, mais des dizaines, des cen­taines peut-être ; l’un de ses anciens dis­ciples l’a­vait même tou­ché ! Du coup, rele­vant la tête, ses par­ti­sans se répan­daient sur les places, triom­phants. Si Jésus était res­sus­ci­té, alors tout ce qu’il avait dit était vrai ; il était réel­le­ment le Christ, le Dieu fait homme. Les Princes du Peuple et les prêtres avaient com­mis un crime abo­mi­nable, en le condam­nant à mort. Il fal­lait répé­ter son mes­sage au monde. Et, ain­si, des noyaux de fidèles de Jésus se consti­tuaient dans la Pales­tine et même au dehors.

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

Temps de lec­ture : 14 minutes

Couvent du mont Saint-Odile - Vie de saint Odile pour les enfantsAccro­ché au rebord des Vosges, domi­nant de très haut la riche plaine où coule le Rhin, quel est ce couvent dont tous les Alsa­ciens parlent avec émo­tion ? Qu’il fasse grand soleil ou qu’il pleuve, que les forêts de sapins soient enve­lop­pées de brume ou qu’une lumière bleu­tée s’é­tende aux flancs des monts, le pay­sage est tou­jours admi­rable. Vingt villes, trois cents vil­lages, voi­là ce qu’on aper­çoit de la mer­veilleuse ter­rasse ; au loin, une flèche rose se dresse comme un cierge : celle de la de Stras­bourg, chef-d’œuvre de l’art gothique. Ce lieu béni, d’où monte vers Dieu, depuis douze cents ans, une prière conti­nuelle, c’est Sainte-Odile, le monas­tère de la patronne de l’, illus­tré par elle et où sur­vit son souvenir.

* * *

C’é­tait au VIIIe siècle de notre ère. Vous rap­pe­lez-vous ce qui s’est pas­sé au VIIIe siècle ? Charles, sur­nom­mé Mar­tel à cause de son ter­rible mar­teau d’armes, venait d’ar­rê­ter les Arabes à Poi­tiers ; son fils Pépin le Bref, — le Bref, c’est-à-dire le cour­taud, le petit de taille, — avait obte­nu du Pape le titre de et, à côté de lui, le jeune Charles com­men­çait à faire remar­quer la bra­voure et le génie qui lui vau­dront le sur­nom de « Charles le Grand », Char­le­magne. L’Al­sace, alors, était au pou­voir d’un Duc célèbre par sa valeur au com­bat, mais aus­si par sa bru­ta­li­té : Adal­ric. Rien, jus­qu’a­lors, ne lui avait résis­té ; pas un enne­mi qu’il n’eût vain­cu, pas un ours pour­sui­vi par ses chiens qu’il n’eût tué. Et pour­tant, un grand cha­grin rava­geait sa vie : sa femme Beres­vinde ne lui avait point don­né d’. Déjà il voyait, après sa mort, les belles terres d’Al­sace livrées à la rapine des voi­sins, par­ta­gées entre leurs mains avides. Et il se désolait…

Ils se déso­laient tant, Adal­ric et Beres­vinde, qu’ils déci­dèrent de se reti­rer du monde et de s’ins­tal­ler sur un haut som­met des Vosges pour y médi­ter sur leur cha­grin. Ils choi­sirent la butte la plus escar­pée, pro­té­gée d’un côté par l’à-pic et de l’autre par une muraille de rochers infran­chis­sables, et ils y firent bâtir leur nou­veau châ­teau, le « châ­teau haut », le Hohen­burg. Près de sa demeure, Beres­vinde, qui était fort pieuse et ins­truite dans l’É­cri­ture Sainte, ordon­na d’é­le­ver un couvent où des reli­gieuses prie­raient avec elle pour qu’en­fin elle eût un enfant.

Et voi­ci que Dieu enten­dit ses prières. La duchesse put annon­cer à son mari que bien­tôt il aurait une grande joie. Hélas ! courte joie… car la petite fille qui vint au monde, si jolie, si rose et blonde qu’elle fût, avait une infir­mi­té bien pénible : ses yeux res­taient fer­més. Elle serait toute sa vie… Quand il apprit cela, le Duc Alda­ric entra dans une colère ter­rible. Ain­si Dieu n’a­vait exau­cé son sou­hait que pour le déce­voir de façon pire encore ! Mieux valait n’a­voir pas d’en­fant du tout que cette misé­rable petite aveugle ! Le pays entier n’al­lait-il pas mur­mu­rer qu’une malé­dic­tion pesait sur son sei­gneur ? Aus­si quand Beres­vinde deman­da quel nom por­te­rait sa fille au bap­tême : « Aucun ! répon­dit le sou­dard. Aucun ! J’in­ter­dis qu’on bap­tise cet avor­ton aveugle qui me fait honte ! Qu’on la tue aus­si­tôt et qu’on aban­donne son corps aux cochons ! »

Beresvinde emmène sainte Odile - Catéchisme et scoutismeLa mal­heu­reuse mère eut beau se jeter à genoux, sup­plier son mari de lais­ser vivre la fillette… En vain ! En vain, elle pro­po­sa de l’emporter, très loin, de la faire éle­ver en cachette, sans jamais révé­ler à qui­conque qui étaient les parents de cette mal­heu­reuse enfant. Alda­ric demeu­ra impla­cable ! Cette fille était sa honte ; qu’elle dis­pa­rût ! Alors, de nuit, Beres­vinde prit le bébé, l’en­ve­lop­pa chau­de­ment, l’ins­tal­la dans une cais­sette, et, sor­tant en secret du châ­teau, lan­ça le fra­gile esquif sur la rivière de l’Ehn, dont les eaux lim­pides font tour­ner le mou­lin d’O­ber­nai. Puis, ren­trant dans sa chambre, elle se mit en prière. Dieu, le Dieu Tout-Puis­sant, qui sau­va le petit Moïse aban­don­né au fil du Nil, comme il est rap­por­té dans la Sainte Écri­ture, n’au­rait-il pas pitié de cette inno­cente créature ?…

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

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— Imal­da ! Imalda !

Fresque de la Vierge - Vital des madones - BologneLa mère de l’, qui l’ap­pe­lait, se diri­gea sans hési­ter vers le fond du jar­din. Quand on ne voyait pas la fillette, on pou­vait être sûr qu’elle était là, dans ce coin tran­quille où l’on n’en­ten­dait que le souffle du vent sur la cime des cyprès et le gazouille­ment de la fon­taine. Contre le mur se dres­sait un petit ora­toire, fait tout sim­ple­ment d’un toit en auvent, abri­tant une fresque : cette pein­ture repré­sen­tait une Sainte Vierge tenant l’En­fant Jésus sur ses genoux, comme en avait tant peint le meilleur artiste de la ville, celui qu’on appe­lait « Vital des Madones », une Sainte Vierge d’une mer­veilleuse dou­ceur. Imal­da aimait cette belle image. De longues heures, bien qu’elle eût seule­ment neuf ans, elle demeu­rait age­nouillée sur les dalles de l’al­lée, priant, médi­tant, réci­tant les Psaumes qu’elle savait par cœur comme un moine ou une . Et ses parents s’en étonnaient.

Son père, le comte Lam­ber­ti­ni, un des plus riches sei­gneurs de la ville, plus accou­tu­mé, comme beau­coup d’hommes de son temps, à faire des affaires et à se battre qu’à prier hum­ble­ment le Sei­gneur, trou­vait exa­gé­rée cette pié­té. « Va-t-elle donc se faire nonne ? » criait-il quand il appre­nait que sa fille était encore à genoux devant la Madone du jar­din. Mais sa femme, émer­veillée de trou­ver dans son enfant cette âme si pure et si chré­tienne, lui répon­dait qu’elle ne pou­vait cer­tai­ne­ment sou­hai­ter mieux que de voir sa petite conti­nuer à gran­dir dans l’a­mour du Christ.

— Qu’a­vons-nous à lui repro­cher ? Jamais une déso­béis­sance, jamais un men­songe, jamais un mou­ve­ment de mau­vaise humeur. Nous avons peut-être don­né le jour à une petite Sainte. Lais­sons-la répondre à la voix qui l’appelle…

Et l’a­ma­bi­li­té, la gen­tillesse de cette enfant étaient si exem­plaires que, dans toute la famille, on lui avait chan­gé son nom de Made­leine en celui d’I­mal­da, qui vou­lait dire : « aus­si douce que le miel ».

* * *

Cela se pas­sait dans la ville de Bologne, au début du XIVe siècle, vers l’an­née 1330. A cette époque, l’I­ta­lie toute entière était dans une très dou­lou­reuse situa­tion. Depuis déjà long­temps, les guerres civiles suc­cé­daient aux guerres étran­gères, les unes et les autres fai­sant beau­coup de mal au pays. Le Pape et l’Em­pe­reur ne s’en­ten­daient pas ; leurs par­ti­sans se livraient des com­bats ter­ribles, où des vil­lages flam­baient, des villes étaient assié­gées, prises et pillées. Très peu de temps avant, Bologne avait été ain­si champ de bataille et avait énor­mé­ment souf­fert. Ce n’é­tait pas encore assez ! Dans la cité même les clans s’op­po­saient aux clans. On lut­tait famille contre famille, et chaque mai­son sei­gneu­riale se trans­for­mait en véri­table for­te­resse, capable de sup­por­ter des sièges : cer­taines avaient même dres­sé de très hautes tours, — l’une n’a­vait pas moins de cent mètres, — sem­blables à des don­jons, pour y ins­tal­ler leurs guet­teurs et leurs sol­dats ; deux de ces tours se voient encore. Dou­lou­reuse situa­tion, et dont une petite fille sen­sible se ren­dait par­fai­te­ment compte.

D’ailleurs, tant de choses étaient tristes en cette époque ! Ne disait-on pas que le Pape avait été obli­gé de fuir Rome où sa per­sonne sacrée n’é­tait plus en sûre­té, et qu’il s’é­tait réfu­gié, bien loin de là, au royaume de France, dans une ville nom­mée Avi­gnon où il construi­sait un grand palais : preuve qu’il vou­lait y demeu­rer bien long­temps. Dans l’É­glise entière, cette absence du Saint Père hors de la Ville Éter­nelle était consi­dé­rée comme un mau­vais pré­sage : depuis treize siècles, depuis que saint Pierre est 

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

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— Non, je ne tra­hi­rai pas le ser­ment de mon bap­tême ! Non, je n’ac­cep­te­rai pas de reve­nir aux idoles, aux fétiches ! Non, non… je pré­fère mourir !

À quel moment de l’his­toire sommes-nous donc ? À Rome, à l’é­poque des grandes per­sé­cu­tions, et cette jeune voix qui pro­clame ain­si sa foi, est-ce celle d’un frère de sainte Agnès, de sainte Blan­dine ; celle d’un du IIIe ou du IVe siècle ? Nul­le­ment, nous sommes en plein XIXe siècle. Il y a envi­ron soixante-cinq ans. Et où donc ? Regardez.

Les martyrs OugandaisLes jeunes enfants sont noirs, abso­lu­ment noirs, oui de jeunes nègres de qua­torze ou quinze ans. Ali­gnés les uns à côté des autres, une qua­ran­taine, ils sont enfer­més dans des cages en bam­bous ; leur cou est pris dans une fourche et de lourdes pièces de bois leur empri­sonnent un pied et un poi­gnet. Devant eux s’a­gitent des sortes de monstres gro­tesques et hor­ribles en grand nombre ; le visage enduit d’ar­gile rouge, zébré de traî­nées de suie, la tête héris­sée de plumes, des peaux de bêtes atta­chées autour des reins, un col­lier d’os­se­ments bat­tant sur la poi­trine et des gre­lots tin­tant à leurs che­villes, ce sont des sor­ciers. Mais leurs ges­ti­cu­la­tions menaçantes,leurs cris, leurs chants sau­vages, pas plus que les pré­pa­ra­tifs du grand bûcher qu’on élève non loin de là, rien ne peut faire flé­chir le cou­rage de ces jeunes héros du Christ.

Ils mour­ront tous, sans un moment de fai­blesse, sans qu’un seul aban­donne la foi et tra­hisse. Cette his­toire des petits est un des plus beaux cha­pitres de toute la grande his­toire de l’É­glise… Écoutez-la !

* * *

L’im­mense conti­nent noir, l’A­frique, a été péné­tré par le Chris­tia­nisme sur­tout depuis un siècle… Et cette péné­tra­tion a été l’œuvre d’hommes admi­rables, les Mis­sion­naires, prêtres et moines d’un dévoue­ment sans trêve, d’un cou­rage à toute épreuve, d’une mer­veilleuse bon­té. Aus­si braves quand il s’a­git d’al­ler, en des pays hos­tiles, par­mi des peuples encore sau­vages, pour y semer la bonne parole du Christ, l’É­van­gile, que patients et bons orga­ni­sa­teurs quand il s’a­git ensuite de vivre au milieu des noirs, pour leur appor­ter non seule­ment l’en­sei­gne­ment chré­tien, mais toutes sortes de secours, les mis­sion­naires ont été, dans toute l’A­frique, de véri­tables conqué­rants paci­fiques qui, sans armes, ont gagné à la civi­li­sa­tion des espaces géants. Aujourd’­hui, il n’est contrée si loin­taine, si per­due, qui n’ait ses Mis­sion­naires. Au Père, les indi­gènes viennent deman­der tout : un conseil, un médi­ca­ment, une pro­tec­tion. Si l’É­glise a désor­mais des mil­liers de fidèles dans le conti­nent noir, c’est aux Mis­sion­naires que ce grand suc­cès est dû.

Cardinal Lavigerie fondateur des Pères Blancs, missionnairesPar­mi ceux qui ont par­ti­ci­pé le mieux à cette grande tâche se trouvent au pre­mier rang les Pères Blancs. Ils ont été fon­dés par un homme de génie, le Car­di­nal Lavi­ge­rie, tout exprès pour vivre la même vie que les indi­gènes, s’ha­billant comme eux, par­lant leur langue, aidés aus­si par les Sœurs Blanches qui, vivant de la même façon, s’oc­cupent spé­cia­le­ment des femmes et des enfants. « II y a là-bas cent mil­lions d’êtres humains qui attendent le Christ ; je veux les don­ner à Lui ! » s’é­tait écrié un jour Lavi­ge­rie devant le Pape Pie IX. Et, fidèles à cette pro­messe, Pères blancs et Sœurs blanches n’ont pas ces­sé, depuis lors, de tra­vailler à sa réalisation.

Vers 1880, les Pères blancs avaient péné­tré dans l’. Savez-vous où se trouve, sur la carte d’A­frique, ce pays ? Regar­dez au sud du Sou­dan et de l’É­thio­pie, c’est-à-dire à l’est du conti­nent. Là s’é­tend un immense pla­teau, grand à peu près comme la France, que domine la puis­sante masse du vol­can Elgon. Une magni­fique nappe d’eau, le lac Vic­to­ria, — si vaste qu’il s’y pro­duit de petites marées,— en occupe le sud, et c’est de ce lac que sort une des deux rivières qui, en s’u­nis­sant, vont for­mer le Nil. Ce haut pla­teau, où le cli­mat est frais, où les pluies sont suf­fi­santes sans être exces­sives, ne manque pas de richesses : bana­niers, épices, café, maïs, sor­gho, bœufs et mou­tons y font vivre à l’aise une popu­la­tion qui se déve­loppe. Cette popu­la­tion est for­mée de nègres ; des nègres intel­li­gents, tra­vailleurs, qu’on appelle « bantous ».

Comme la presque tota­li­té des nègres d’A­frique, les ban­tous de l’Ou­gan­da étaient

Auteur : Daniel-Rops | Ouvrage : Légende dorée de mes filleuls .

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Sur l’eau claire de l’Oise, à cris joyeux, quatre vaillants gar­çons ont pous­sé un canot. C’est l’au­tomne : le vent frais qui balaie les nuages dans le ciel d’un bleu pâle fait fris­son­ner la sur­face de la rivière et vol­ti­ger les feuilles rousses des grands bois de l’Ile de France. « Holà, ensemble ! Allez, mes com­pa­gnons ! » Et les rameurs de frap­per en cadence, et le léger esquif de filer au courant.

Histoire Saint Louis enfant et ses camarades de jeuxCes gar­çons qui ont tous quatre envi­ron douze ans, à les voir ne croi­rait-on point de petits pay­sans ? Comme les fils des fer­miers du temps, ils portent chausses de grosse toile, courte robe par des­sus et un sur­cot de drap bour­ru, le tout pas­sa­ble­ment sali d’a­voir péché les gre­nouilles dans les vases de la rivière. Pour­tant, à les regar­der mieux, on observe sur leurs traits une dis­tinc­tion natu­relle, une finesse de bonne édu­ca­tion ; et par­ti­cu­liè­re­ment le plus grand, le plus mince, magni­fique aux longs che­veux blonds bou­clés, aux yeux doux, au pro­fil déli­cat, à qui ses cama­rades paraissent obéir sans hési­ter. Ne vous y trom­pez pas. Ce gar­çon­net n’est autre que Mon­sei­gneur Louis, fils aîné de France, qui, dans quelques vingt ou trente ans sans doute, sera .

Quelques vingt ou trente ans… Non, la Pro­vi­dence en a autre­ment déci­dé. Que sont ces cava­liers ? Ils suivent la rivière en hélant le canot des gar­çons. Tout pris par leur jeu, ceux-ci, d’a­bord, n’en­tendent même pas. « Un, deux ! un, deux ! » Et les rames conti­nuent à battre vigou­reu­se­ment les eaux pai­sibles. Enfin ces cris attirent leur atten­tion. « Arrê­tez ! On nous appelle ! »

Quand ils abordent, le pelo­ton des cava­liers les attend. D’un coup d’œil, Mon­sei­gneur Louis recon­naît le Conné­table, le Grand Écuyer, le Cha­pe­lain du Palais et de hauts offi­ciers. Qu’y a‑t-il ? Ce n’est point pour abré­ger leur inno­cente pro­me­nade qu’on a envoyé vers lui tous ces puis­sants sei­gneurs. Et tous ont l’air grave, la face sou­cieuse et inquiète. D’instinct,avant même que le Conné­table ait par­lé, l’en­fant a devi­né la dou­lou­reuse nou­velle. Il pense à son père, le roi Louis VIII, qui se bat quelque part dans le sud du royaume et a déjà si bra­ve­ment taillé en pièces l’An­glais. A la guerre, sait-on qui peut être indemne ? « Mon­sei­gneur mon père ?» inter­roge-t-il. Rapide, il a repris sa cotte demi-longue de drap fin, ser­rée d’une cor­de­lière de soie et d’or, son man­teau écar­late dou­blé de petit-gris qu’il avait posé à terre avant de sau­ter dans la barque. Rien qu’à la façon dont ces hommes s’in­clinent devant lui, il a com­pris : non pas au com­bat, mais d’une mala­die étrange, d’une fièvre incon­nue, —et cer­tains diront peut-être du poi­son,— le roi Louis VIII est mort en