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Infatigables, les scouts ont demandé à leur aumônier d’aller au sommet du mont Cavo, le plus élevé des monts Albains, à 949 mètres d’altitude, un peu au sud-est du lac d’Albano.
Sur les instances du Père X…, Bernard et Jean ont obtenu de se joindre à eux. Avec la troupe, ils rentreront à Rome, où la famille sera de retour, car on n’attend plus que l’audience pontificale pour mettre le cap sur la France.
L’ancienne route romaine, dite voie triomphale, conduit au sommet du mont Cavo ; elle est ombragée, la montagne elle-même joliment boisée. Cependant rien ne vaut la vue unique qui, des hauteurs du mont, attend le voyageur.
On découvre la côte, la mer jusqu’à Civita-Vecchia ; et puis, ce sont, à perte de vue, derrière les monts Albains, des chaînes estompées et, plus proches, les ondulations monotones et mélancoliques de la campagne romaine.
Maximin, qui est de la partie, se plante très droit sur un roc et n’hésite pas à déclarer :
— Nous avons le monde à nos pieds !
— Eh ! mon bon, riposte Bernard, en prenant l’accent du Midi, on ne voit tout de même pas jusqu’à la Cannebière !
C’est alors une joute impayable entre les deux garçons, au grand bonheur du reste de la bande. Le petit André rit pour tout de bon, en dévorant Bernard de ses yeux trop brillants, dans son petit visage pâle.
L’aumônier, de son côté, scrute longuement l’horizon.
— Venez près de moi ; contemplons un peu ensemble. Cet immense panorama, n’en déplaise à mon jeune ami, ne nous permet pas de voir jusqu’au bout du monde, mais comme il est facile, d’ici, de s’imaginer le va-et-vient des armées à travers l’Europe ; sur cette mer si bleue, on vit passer jadis une flotte toute blanche que décrit le sire de Joinville dans ses mémoires.
— Quelle flotte ?
— Revenons d’abord, voulez-vous, vers l’an 1100, et regardons très loin, vers l’Orient, du côté de Jérusalem.
Nous apprendrons que la ville, le Calvaire, le tombeau du Christ, sont aux mains des musulmans, dont la puissance de nouveau menace la chrétienté.
Or, à la même époque, les seigneurs féodaux sont de plus en plus turbulents. Ils sont sans cesse en luttes entre eux. Quelle belle et légitime expansion à leur humeur batailleuse, qu’une ou plusieurs expéditions pour délivrer les Lieux Saints.
— J’aurais aimé cela, dit Maximin, mais pourtant c’est un peu fou, tant de sang répandu, tant de sacrifices, pour délivrer une province minuscule et quelques villes.
Bernard bondit :
— Allons donc ! quand cette province est la Palestine, les villes Damas ou Jérusalem ? Je me serais fait hacher dix fois, cent fois, s’il eût fallu…
— Bernard, ne prenez pas feu ! Nous sommes tous du même avis, mais il est bien permis de raisonner les causes qui ont entraîné l’Europe sur les routes de Jérusalem. Elles sont multiples. D’abord celles dont nous venons de parler, et qui eussent suffi, car la délivrance des Lieux Saints valait en effet tous les sacrifices ; mais, de plus, l’Église et l’Europe sentaient la menace musulmane grandir et il était nécessaire de lui opposer une barrière, sous peine d’invasions redoutables pour le monde et pour la Foi.