Le roi de France, Louis le neuvième, qui fut plus tard canonisé, faisait un jour une promenade à cheval avec le sire de Joinville et quelques seigneurs. Il arriva au village de Charenton par un pont à péage. Il paya scrupuleusement pour lui, pour sa suite et pour les chevaux, bien qu’on lui eût offert le passage gratuit. De l’autre côté du pont, il tomba sur des paysans réunis en cercle autour d’un jeune homme. Celui-ci, agile comme un singe, les pieds en l’air et la tête en bas,courait sur les mains avec vélocité. Les spectateurs qui applaudissaient se tinrent cois, par respect, à la venue du cortège. L’homme se replaça sur ses pieds et s’approcha sur un signe de Louis. Il retira son bonnet, râpé et troué, d’où pendait, à moitié brisée, une plume de coq, et, immobile, attendit qu’on l’interrogeât. Il était de piètre mine, maigre, accoutré d’habits rapiécés dont les teintes, jadis vives, étaient décolorées ; mais son attitude était gracieuse et ses mouvements aisés. Ses joues étaient creuses, mais son regard était clair et sa lèvre spirituelle.
— Qui es-tu ? dit le roi.
— Un homme, répondit l’autre.
— D’où viens-tu ?
— De là-bas.
— Où vas-tu ?
— À côté de mon ombre.
— De quel pays es-tu ?
— De notre ville.
— Où est ta ville ?
— Sur une rivière.
— Qu’est-ce que cette rivière ?
— De l’eau.