Temps de lecture : 2 minutesUn homme amena près de Jésus son enfant possédé par le démon. Les disciples n’avaient pu chasser l’esprit mauvais. Le père, à genoux, dit au Sauveur : « Si vous pouvez quelque chose, ayez pitié de nous et secourez-nous ! » Jésus lui répondit : « Si tu peux croire, tout est possible à celui…
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Ce dimanche-là, le petit Jean avait fini, plus tôt que de coutume, de vendre le paquet de journaux, dont il avait la charge.
Il compta, dans sa poche, les quelques sous qu’il venait de gagner, et se dirigea, vers la sombre maison, où vivait la vieille femme qui le gardait. Quand il arriva, elle était en conversation, avec la femme du charbonnier, et comme d’habitude, fit semblant de trouver insuffisant, le gain du petit Jean :
— Si ce n’est pas malheureux, dit-elle à sa voisine, être obligée de loger, de nourrir et d’habiller ce grand garçon, avec ces quelques sous.

La mère Mathieu exagérait : d’abord, l’Assistance Publique la payait pour entretenir l’enfant. De plus, elle le logeait dans un grenier, où une caisse pleine de paille lui servait de lit, et le nourrissait de pain sec et de châtaignes bouillies. Quant à ses vêtements, il valait mieux n’en pas parler : le pauvre petit avait une culotte rapiécée que recouvrait, entièrement, une veste si longue et si large, qu’on aurait pu y tailler un costume complet. Dépourvu de bas et de chaussettes, il portait, été comme hiver, de lourdes galoches, et ses cheveux ébouriffés s’échappaient d’une casquette, que la pluie et le soleil avaient fanée, tour à tour.
« Quelle scène sublime dans sa simplicité ! fait observer M. le comte Lafond. Au premier plan, sur le seuil de la grange, étaient les enfants, les mains jointes, les yeux tout grands ouverts, et recevant en plein cœur la mystérieuse lumière qui jaillissait de l’apparition, et que réverbéraient leurs naïves figures.
« Sur le second plan, dans l’intérieur de la grange ouverte, était le groupe des hommes, des femmes et des religieuses, et, au milieu de ce groupe, le vénérable pasteur du Pontmain, prosterné jusqu’à terre.
« Et plus loin, dans la pénombre, les bestiaux de Barbedette, ruminant en silence.
« Ne se croirait-on pas transporté à cette nuit mémorable où les bergers de la Judée, avertis par des anges environnés d’une lumière divine, vinrent adorer Jésus dans l’étable de Bethléem ? »
Alors, comme si la prière ajoutait à sa gloire la belle Dame grandit et s’éleva plus haut dans le ciel.
« Elle est maintenant, dirent les enfants, deux fois grande comme sœur Vitaline. »
« Le cercle bleu, disaient les petits voyants, s’étendait en proportion de l’agrandissement de l’apparition. Les étoiles du temps, selon leur expression, se rangeaient vivement comme pour lui faire place, et venaient deux à deux se ranger sous les pieds de la Vierge. » Ce mouvement d’étoiles était également invisible pour les assistants.

D’autres étoiles se multipliaient sur la robe qui en était déjà parsemée, « Y en a‑t-il ! y en a‑t-il ! criaient les enfants ; c’est comme une fourmilière.… elle est bientôt toute dorée. »
Désormais personne ne doutait plus : l’enthousiasme des enfants se communiquait à la foule recueillie. Tous sont debout : la sœur Marie-Edouard entonne le Magnificat, poursuivi par toutes les voix ensemble. Le premier verset s’achevait à peine, que les quatre enfants (le petit Friteau n’était plus là) s’écrièrent tous à la fois : « Oh ! voilà encore quelque chose qui se fait !.… »
Un grand écriteau blanc, large d’environ un mètre cinquante centimètres, qui s’étendait d’une extrémité à l’autre de la maison Guidecoq, apparut au-dessous des pieds de la Dame et du cercle bleu,.
Il semblait aux enfants qu’une main invisible traçât lentement, sur ce fond d’une éclatante blancheur, de beaux caractères d’or, des majuscules, comme dans les livres. Ce furent successivement un M, un A, un I, puis un S.
Ce mot MAIS resta d’abord seul pendant dix minutes. Pendant ce temps d’arrêt, vint à passer un habitant du bourg, Joseph Babin, qui s’en revenait du dehors.
Surpris de ces rassemblements et de ces chants : « Vous n’avez qu’à prier, dit-il, les Prussiens sont à Laval ! »
Cette nouvelle, de nature à troubler toute la population, ne causa pas le moindre effroi. Interprète du sentiment général, une femme répondit : « Eh bien ! quand même les Prussiens seraient à l’entrée du village, nous n’aurions pas peur ; la sainte Vierge est avec nous. »
Bientôt informé de ce qui se passe, ce brave homme partage cette confiance, et se mêle au groupe pour prier.
La nouvelle de l’occupation de Laval était heureusement fausse. Les Prussiens n’y entrèrent pas, grâce, sans doute, au pèlerinage et à la protection de Notre-Dame d’Avesinières.
Le Magnificat achevé, la phrase suivante brillait sur l’écriteau :
MAIS PRIEZ MES ENFANTS.
Cent fois, les enfants, interrogés par le curé, les sœurs et les assistants, épelèrent ces mots sans hésitation ni contradiction aucune.
L’émotion générale était profonde ; il n’y avait plus d’incrédules, et presque tous pleuraient.
La belle Dame souriait toujours.
Il était environ sept heures et demie ; il y avait deux heures que durait l’apparition.
On ouvrit alors le grand portail de la grange, dans laquelle environ soixante personnes avaient cherché un abri contre le froid rigoureux. À l’entrée, on avait apporté des chaises, sur lesquelles les enfants prirent place. Ils se levaient souvent pour manifester, par des gestes expressifs, les sentiments d’admiration que leur inspirait le magnifique spectacle qu’ils avaient seuls le privilège de voir.
« II faut, dit le vénérable curé, chanter les litanies de la sainte Vierge, et la prier de faire connaître sa volonté. »
Sœur Marie-Edouard commença les litanies. À la première invocation, les enfants s’écrièrent vivement :
« Voilà encore quelque chose qui se fait. Ce sont des lettres. C’est un D. »
Et ils nommèrent successivement, et à qui le premier, les lettres des mots suivants, complètement tracés à la fin des litanies :
DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS.
[Mardi 17 janvier], après la classe du soir, vers cinq heures et demie, les deux petits garçons entrèrent dans la grange avec leur père. À la lueur pâle et vacillante d’un flambeau de résine, ils saisirent les longs marteaux de bois qui servaient à piler les ajoncs, et tous trois se mirent à cette besogne pour donner à leurs chevaux la ration du soir.
Le travail fut bientôt interrompu par l’arrivée d’une femme du bourg, qui avait à parler au père Barbedette. C’était Jeannette Détais, l’ensevelisseuse des morts du village. Pendant cet instant de répit, Eugène s’avança vers la porte, restée entr’ouverte.
« J’allais, disait-il, tout simplement pour voir le temps. »
La nuit, une claire et froide nuit de janvier, était venue. Dans l’immensité des cieux scintillaient dès milliers d’étoiles, dont la clarté était reflétée par la neige qui couvrait la terre. L’enfant admirait ce ciel, il lui semblait qu’il n’avait jamais vu autant d’étoiles. Mais bientôt il fut absorbé par un spectacle bien plus beau et plus étonnant :
Tout à coup, à vingt pieds environ au milieu et comme au-dessus du toit d’Augustin Guidecoq, il aperçut une belle grande Dame. Sa robe bleue, parsemée d’étoiles d’or, sans taille et sans ceinture, comme une aube sacerdotale, tombait du cou jusques aux pieds. Les manches étaient larges et pendantes comme celles des anciens surplis. Les chaussures étaient bleues comme la robe et surmontées d’un ruban d’or formant rosette. Un voile noir, cachant entièrement les cheveux et les oreilles, et couvrant le tiers du front, retombait sur les épaules jusqu’à la moitié du dos, ce dont on s’assurait, par les deux extrémités qui ressortaient, les bras étant abaissés. Immédiatement rejeté en arrière, ce voile laissait la figure à découvert. Sur la tête, la Dame portait une couronne d’or, sans autre ornement qu’un petit liseré rouge, situé à peu près au milieu. Cette couronne s’évasait par le haut comme la corolle d’un lis. La figure de la Dame, blanche et lumineuse, était petite et d’une incomparable beauté. Elle avait les mains étendues et abaissées, comme on a coutume de représenter Marie-Immaculée. Elle regardait l’enfant et souriait.
Eugène pensa que cette vision était l’annonce de là mort de son frère, dont on n’avait pas de nouvelles depuis trois semaines. Il n’avait pas peur cependant, parce que, disait-il, la Dame riait.
Jeannette sortit en ce moment de la grange ; l’enfant l’arrêta sur le seuil, et appela son attention sur la partie du ciel qui s’étendait au-dessus de la maison Guidecoq. « Ma foi, mon pauvre Eugène, répondit-elle après avoir bien regardé, je ne vois absolument rien. »
Ce petit colloque avait attiré le père et le petit Joseph. Barbedette ne vit rien, non plus que Jeannette ; Joseph aperçut la même vision que son frère, et la décrivit exactement de même.
Le père, ne voyant rien, s’imagina que ses fils faisaient des contes, et leur intima l’ordre de revenir piler des ajoncs. Habitués à obéir sans réplique, les enfants rentrèrent tout de suite dans la grange.
Cependant, à peine avaient-ils donné quelques coups de piloches, que le père, comme poussé par une secrète inspiration, envoya Eugène s’assurer si la vision était encore là. L’enfant obéit avec empressement et déclara que c’était encore tout pareil.
Commençant à soupçonner qu’il se passait réellement quelque chose d’extraordinaire, Barbedette dit à Eugène d’aller dire à sa femme Victoire, de se rendre à la grange, sans toutefois la prévenir de quoi il était question.
Profitant de cette interruption nouvelle, le petit Joseph était retourné contempler la belle Dame, et la mère survint au milieu de ses exclamations de joie et d’admiration.
Ne distinguant rien, non plus que son mari, elle suspecta un moment la sincérité des enfants ; mais, bientôt émue par leur persévérant témoignage, et réfléchissant qu’elle ne les avait jamais surpris en mensonge, elle suspendit son jugement :
« C’est peut-être bien la sainte Vierge qui nous apparaît, dit-elle. Puisque vous dites que vous la voyez, disons cinq Pater et cinq Ave en son honneur. »

Cependant les cris de joie des enfants avaient été entendus, et les voisins se présentèrent sur le seuil de leurs portes, disant :
« Que voyez-vous ? Qu’est-ce qu’il y a ? —Ce n’est rien, dirent le père et la mère Barbedette, ce sont les petits gars qui affolent ; ils disent qu’ils voient quelque chose ; et nous, nous ne voyons rien. »
Et ils fermèrent la porte de la grange et récitèrent les cinq Pater et les cinq Ave.
« Regardez, dit ensuite Victoire à ses enfants, si vous voyez encore. »
Ceux-ci répondirent affirmativement.
S’imaginant qu’elle distinguerait mieux au moyen de ses lunettes, la bonne femme alla les chercher. Cette fois elle amena sa servante qui, non plus qu’elle, ne put rien apercevoir.
Doutant encore de la sincérité des deux enfants, les parents les obligèrent à rentrer dans la grange. Au bout de cinq minutes leur besogne fut finie ; la soupe était trempée. On leur commanda de venir souper. Pour la première fois de leur vie, il leur en coûtait d’obéir. Ils s’en allaient lentement, presque à reculons, regardant toujours la belle Dame, et témoignant que, si cela dépendait d’eux, ils resteraient là. « Oh ! que c’est beau ! que c’est beau ! » ne cessaient-ils de s’écrier.
Temps de lecture : 9 minutesOn dit que bien menteurs sont les chasseurs. Ils sont poètes à leur façon, ces grands chevaliers de la nature, et je crois plutôt qu’ils ne mentent point, mais qu’il leur arrive parfois d’exagérer la vérité. Oyez cependant.
Souvent, ces soirs d’hiver, quand seul, on se sent si bien chez soi, près d’un bon feu qui flamboie, le vieux curé du village, Deferr, avait l’aubaine de recevoir la visite nocturne de maître chasseur Rossoz. Ce n’était ni un scrupuleux, ni un athée notoire que notre chasseur. De temps à autre, le Bon Dieu devait pourtant se contenter d’une bonne intention en guise de sanctification du dimanche. Cependant, maître Rossoz n’oubliait pas son vieux curé Deferr et les soirées d’hiver, quand la lune n’était pas propice pour l’affût de fin limier goupil, il s’en allait vers le presbytère. Non pas qu’il allât se confesser, car notre chasseur ne sentait le besoin, et pour son corps et pour son âme, de se lessiver qu’une fois l’an. Une vraie belle âme au demeurant, mais dans la plus noire des enveloppes. En ce soir de janvier, maître chasseur Rossoz se hâte pourtant vers la cure et si l’on dit que se hâter n’était pas son fort, on pouvait deviner quelque grave aventure.
Le calme du presbytère n’avait pas même été troublé par ce visiteur insolite, car maître chasseur Rossoz, d’un pas glissé et toujours prudent, avait franchi les sombres couloirs et voici qu’il entrait dans la chambre de son vieux curé assis près du fourneau en pierre « ollaire ». M. Deferr n’est pas sorti de sa prière, il a hoché la tête pour saluer et ses mains pieusement fermées comme ses yeux, parcouraient régulièrement les gros grains bruns d’un chapelet franciscain. Le curé n’a rien dit à son homme, puisqu’il parlait à son Dieu.
Rossoz s’est assis dans le grand fauteuil de cuir réservé aux visites. Il n’a rien dit, lui non plus ; mais ses yeux brillaient d’une étrange histoire et ses mains tannées allaient nerveusement des poches de son lamentable paletot de chasse à sa pipe noire et rongée, puis remontaient la figure par
devant jusqu’à ses cheveux, pour recommencer cent fois le même manège. Personne ne disait rien et le jeu des mains recommençait chaque fois plus rapide et l’étrange histoire brûlait toujours plus dans ses yeux. Le cuir brûlait sur le fauteuil. La douce chaleur du fourneau brûlait et la prière silencieuse du vieux curé brûlait. Des mains de feu tiraient l’un après l’autre les grains rougis du chapelet franciscain, pareils à des charbons ardents. Sa solide tête de chasseur de chamois, elle, elle lui semblait s’écarteler comme un tronc dans les flammes. Voilà maintenant que toute la chambre brûlait, du feu partout, partout du feu qui tournait, qui tournait avec lui et lui avec le feu.
Le chapelet du curé a soulevé une brise de fraîcheur en roulant par terre et Rossoz s’est jeté aux pieds de son vieil ami Deferr, puis il a dit : « Mon Père, pardonnez-moi, parce que j’ai péché… parce que j’ai péché… parce que j’ai péché… parce que j’ai… » Les mains du prêtre se posèrent, telle la rosée du matin fraîchissant une fleur, sur les mains brûlantes du chasseur prosterné.
Alors Rossoz a pu continuer sa confession. « Parce que j’ai, poursuit-il, parce que j’ai tué un chamois, aujourd’hui, près de la chapelle de S. Christophe. » Le curé n’y comprenait plus rien. Rossoz, lui, le grand braconnier de la vallée, se confesser d’avoir descendu un chamois ! Jamais ça ne lui était arrivé.