Temps de lecture : 2 minutesAvant de mourir, Jésus voulut avoir son triomphe. Monté sur une ânesse, monture du pays, il entra à Jérusalem, environné d’une foule qui chantait « Hosanna », c’est-à-dire « Vive Jésus » ! Les uns lui tendaient des rameaux d’olivier, qu’ensuite ils jetaient à terre pour en couvrir le chemin. D’autres étendaient leur manteau sur la…
Étiquette : <span>Rameau</span>

C’était le plus beau rameau, celui de la petite Vivette, un rameau chargé de jouets et de bonbons, suivant la coutume du pays. Et Vivette, bien qu’elle le trouvât lourd à porter, en était très fière, Elle faisait « sa glorieuse », comme disait son père, et se réjouissait fort à l’idée de l’effet qu’elle produirait tout à l’heure à l’église…

…lors de la bénédiction des rameaux. Mais voilà que le bon ange gardien de Vivette, qui se tenait tout près d’elle, fut très peiné par ce sentiment d’orgueil. Il essaya bien de souffler à la petite fille que ce n’était vraiment pas joli d’aller voir le Bon Dieu en pensant seulement à éclabousser ses compagnes de sa richesse.
Hosannah au Fils de David !
D’ABORD intimidé, Jean n’osant avancer, demeura près du bénitier, son rameau à la main. Mais, à chaque instant, la porte s’ouvrait et, pressé d’entrer, le nouvel arrivant bousculait l’enfant. À la fin, un homme vêtu de rouge, et dont les culottes courtes laissaient voir les bas blancs et les souliers à boucles, prit Jean par le bras et le poussa doucement vers des bancs où de nombreux petits garçons étaient assis côte à côte. Une dame en deuil, au visage doux et triste, fit signe à l’un des enfants de se reculer pour faire place à Jean et ordonna tout bas à un autre garçonnet de donner au nouveau-venu un livre noir à tranches rouges.
Le pauvre petit tendit la main, mais il jeta sur la dame un coup d’œil embarrassé et retourna gauchement le livre dans ses mains, mais sans l’ouvrir.
La dame se pencha vers lui, en disant doucement :
— Ouvre à la page 60 et suis l’office.
— Je ne sais pas lire, bégaya l’enfant.
La dame eut un geste étonné, mais n’insista pas :
— Alors, regarde et dis ta prière, conseilla-t-elle.
On n’avait pas besoin de dire à Jean de regarder : il n’avait pas assez d’yeux pour contempler l’admirable spectacle qui s’offrait à lui.
Dans le fond, près de l’autel doré et fleuri, des prêtres, magnifiquement vêtus de soie et d’or, se tenaient auprès d’un monceau de rameaux, sur lesquels l’un d’eux étendait la main en parlant dans une langue inconnue.
— Levez-vous et tenez, tous, vos rameaux à la main, dit la dame, on va les bénir.
Et Jean, comme les autres, brandit le brin d’olivier, sur lequel tombèrent les paroles saintes :

« Daignez bénir, Seigneur, ces branches de palmier ou d’olivier… Par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Amen. »
C’était, maintenant, devant l’autel illuminé, la lente procession des prêtres en blancs surplis, qui recevaient, inclinés, la palme ou le rameau qu’on venait de bénir. Derrière eux, venaient des enfants dont la seule vue plongea le petit Jean dans un étonnement plein d’admiration. La plupart d’entre eux n’étaient guère plus grands que lui ; mais ce n’étaient pas eux qui portaient des culottes rapiécées et des vestes trop longues. Ils avaient, tous, de belles robes rouges, ornées de tant de petits boutons, qu’il était impossible de les compter. Une autre robe, de dentelle, blanche, celle-là, recouvrait tout le haut du corps et s’attachait, sur les épaules, par des flots de ruban rouge.
Sur les têtes, dont la plupart étaient bouclées, de toutes petites calottes rouges étaient posées, si en arrière, que Jean se demanda comment elles pouvaient tenir. Ce n’était pas tout : des bas et des pantoufles rouges complétaient le costume. Jean soupira : Qu’ils devaient être heureux, ces enfants ! Ils suivaient, maintenant, la procession qui traversait l’église et leurs voix enfantines se mêlaient à celles des chantres.
Cependant, arrivée à la grande porte, la moitié de la procession sortait sur la place de l’église, tandis que l’autre moitié, demeurée à l’intérieur, chantait les louanges de Dieu. À travers la porte, l’on entendait des voix répondant aux voix des chantres.
Puis, un coup fut frappé à la porte : elle s’ouvrit et, le premier, s’avança l’enfant de chœur qui portait une grande croix d’or.
Derrière lui marchaient les prêtres et les autres enfants portant des palmes et des rameaux.
Alors, la messe commença : au son d’une clochette agitée par un enfant de chœur, les fidèles s’agenouillaient et se relevaient, et Jean, comme les autres, baissait la tête devant ce Dieu qu’on ne lui avait pas appris à connaître.
Une émotion très douce l’envahissait : ces chants, ces cérémonies, cette foule en prière, comme c’était paisible et beau ! Jamais, depuis sa toute petite enfance, il ne s’était senti si heureux et si tranquille. Autour de lui, les bambins qui avaient trouvé l’office un peu long, jetaient des regards gourmands sur les friandises de leurs rameaux. Il arrivait, même, qu’une langue timide effleurât un fruit confit, mais un regard de la mère faisait tout rentrer dans l’ordre. Même dans le Midi, où les rameaux des petits enfants se couvrent de bonbons, les joies du dimanche des Rameaux ne doivent pas faire oublier que le Carême est un temps de privations. C’est le jour de Pâques, seulement, quand les cloches reviennent de Rome, que l’on peut goûter aux sucreries.
Prêtres et enfants de chœur avaient quitté l’autel où déjà s’éteignaient les cierges. La dame en deuil distribua aux enfants des billets de présence, puis, faisant signe à Jean de la suivre, elle se dirigea vers la sortie.
Sur le perron de l’église, elle s’arrêta :
— Je ne t’ai jamais vu au patronage, mon petit, comment t’appelles-tu ?
— Jean Varnaud, dit l’enfant ; dans ma maison il y a le petit du charbonnier qui va au patronage, mais moi, je ne peux pas, je travaille.
— Qu’est-ce que tu peux bien faire ?
— Je vends des journaux.
— Quel âge as-tu ?
— Huit ans.
— Eh bien, mon petit, à huit ans, on doit être à l’école et au patronage. Où habites-tu ?
— Dans la rue des Lauriers, au-dessus du charbonnier.
— Bien, et souriant à l’enfant,la dame s’éloigna.
Vers cinq heures, Jean s’apprêtait à aller vendre les journaux du soir quand on frappa à la porte, et, au grand étonnement de la mère Mathieu, Madame Lagarde (ainsi se nommait la dame du patronage) entra dans la cuisine malpropre.
Ce dimanche-là, le petit Jean avait fini, plus tôt que de coutume, de vendre le paquet de journaux, dont il avait la charge.
Il compta, dans sa poche, les quelques sous qu’il venait de gagner, et se dirigea, vers la sombre maison, où vivait la vieille femme qui le gardait. Quand il arriva, elle était en conversation, avec la femme du charbonnier, et comme d’habitude, fit semblant de trouver insuffisant, le gain du petit Jean :
— Si ce n’est pas malheureux, dit-elle à sa voisine, être obligée de loger, de nourrir et d’habiller ce grand garçon, avec ces quelques sous.

La mère Mathieu exagérait : d’abord, l’Assistance Publique la payait pour entretenir l’enfant. De plus, elle le logeait dans un grenier, où une caisse pleine de paille lui servait de lit, et le nourrissait de pain sec et de châtaignes bouillies. Quant à ses vêtements, il valait mieux n’en pas parler : le pauvre petit avait une culotte rapiécée que recouvrait, entièrement, une veste si longue et si large, qu’on aurait pu y tailler un costume complet. Dépourvu de bas et de chaussettes, il portait, été comme hiver, de lourdes galoches, et ses cheveux ébouriffés s’échappaient d’une casquette, que la pluie et le soleil avaient fanée, tour à tour.
Temps de lecture : 8 minutesLe voilà ! Le voilà ! courons vite… »
Saisissant la main de sa petite sœur, Jacques l’entraîne à toute vitesse sur le sentier rocailleux. Il y a de la joie partout aujourd’hui : dans l’air pur et le ciel bleu, dans le soleil qui brille radieux, et sur le visage de tous ces gens qui courent, chargés de branches vertes, dans la direction d’un point mystérieux où la foule s’amasse peu à peu.
« Hosanna ! Hosanna .…»
Des cris arrivent jusqu’aux oreilles de Jacques et de Myriam qui, tout essoufflés, cherchent à se faufiler parmi les groupes. Comme ils sont petits, ils arrivent sans trop de peine à se frayer un passage à travers la foule qui s’agite de plus en plus, brandissant ses palmes et redoublant ses cris :
« Hosanna ! Hosanna ! Gloire au fils de David !… »
Les enfants sont arrivés au premier rang, au bord même du sentier où ils demeurent soudain immobiles, le cœur battant d’émotion. A quelques pas d’eux, les hommes s’avancent, essayant tant bien que mal d’écarter la foule. Au milieu d’eux, assis sur un ânon : le Prophète… le fameux prophète qui, depuis tant de mois, parcourt le pays en faisant le bien, et que plusieurs prétendent être le Messie tant attendu de tous… Comme Il a l’air bon ! Son visage est lumineux comme le soleil, son regard plus doux que le miel.
De tous leurs yeux, Jacques et sa sœur regardent. Myriam est si émue qu’elle ne peut plus parler. Elle a joint ses petites mains et fixe éperdument Celui qui vient, tandis que Jacques, débordant d’enthousiasme, agite ses palmes et crie tant qu’il peut de vibrantes acclamations.
Quelques minutes encore, et le Seigneur sera tout près d’eux. Il arrive… Le voilà… Tout d’un coup, Jacques et Myriam, éperdus, tombent à genoux sur le chemin… En passant près d’eux, le Prophète les a longuement regardés, puis Il leur a souri, et son sourire, pénétrant jusqu’au fond de leur cœur, y a mis une lumière si claire, si chaude, qu’elle est en eux comme un vivant soleil.
C’est Jacques qui s’est ressaisi le premier. Il s’est relevé d’un bond et s’est précipité sur les pas du Seigneur pour mêler ses cris à ceux du bruyant cortège qui, sans fin, continue à L’acclamer.
* * *
Le soleil avait depuis longtemps disparu à l’horizon lorsque Jacques, tout couvert de poussière, est revenu à la maison. Hors de lui, le garçon n’en finit pas de raconter sa journée ; et demain, oui, demain sûrement, et les autres. jours, il recommencera à suivre le Prophète, à L’acclamer, et, qui sait, peut-être même arrivera-t-il à se faire connaître de Lui ?