Chapitre VI
MES chers amis, qui avez lu jusqu’ici le livre des bons anges, je vous laisse deviner combien toutes ces choses durent bouillonner dans l’imagination de petites filles comme Thérèse et Colette. Elles y songeaient encore, après la prière du soir — pendant laquelle on n’oublia point l’invocation à l’ange gardien — et elles les remuaient toujours lorsqu’elles s’endormirent doucement.
Oh ! je voudrais dérouler devant vous le film de Pathé-Baby qui passa, durant la nuit, sous les paupières closes de Colette. Tout ce que nous venons d’entendre était mélangé de la façon la plus amusante.
Thérèse et Colette étaient des anges avec des robes à reflets, qui jouaient une partie endiablée de « chat-perché ». Leurs pieds effleuraient à peine le sol, et elles rebondissaient dans un bruit de grelots, si haut, si haut, qu’elles virent dans la rivière qui coule là-bas, entre les peupliers, un poupon qui avait la figure de Mimi, et qui riait dans son berceau. Le berceau flottait dans la rivière, au milieu du cresson, mais on n’avait pas peur : une grande demoiselle qui ressemblait à Mlle Gaby marchait sur la rivière, sans s’enfoncer, car elle avait des ailes, et elle veillait sur le berceau flottant.
Tout à coup, Black — le Black de l’eau de vaisselle — en moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter, ramenait le petit bateau sur la berge. Et là, Mimi cueillait des fleurs rouges et blanches qui s’envolaient en devenant des têtes ailées d’anges joufflus chantant comme des alouettes.
Ce fut un beau rêve et je ne suis pas sûr que les bons anges — les vrais bons anges des petites filles — n’y furent pour rien.
Hélas ! les beaux rêves finissent comme les bulles de savon qu’on lance en l’air en soufflant dans un fétu : l’arc-en-ciel s’y mire joliment, et puis, pouf ! plus rien. Il faut recommencer une nouvelle bulle.
Heureusement, lorsqu’arrive la fête paroissiale, Thérèse et Colette ont un moyen pour continuer, pendant la journée, les beaux rêves de la nuit : c’est tante Bonne, qui vient chaque année passer quelques jours chez ses nièces, au milieu du mois d’août. Si bien qu’on ne l’imagine plus sans tartes aux prunes, chevaux de bois et procession. Vous ne connaissez pas tante Bonne ? Comment vous expliquer tante Bonne si vous ne la connaissez pas ?
Sachez, du moins, que dans le cœur de Thérèse, Colette et Mimi, tante Bonne se confond avec maman, une maman qui ne gronde jamais. Elle a toujours eu des bandeaux de beaux cheveux blancs, et elle tricote, depuis toujours, des maillots pour les petits pauvres. C’est tante Bonne enfin Papa, maman, les amis de la maison disent : « Bonjour tante Bonne ! » On ne peut pas l’appeler autrement, puisque tante Bonne est son nom, et son nom est bien trouvé : jamais elle n’a fait de peine à quelqu’un. Elle défend toujours les petits enfants : « Il ne savait pas que c’était mal… Il ne l’a pas fait exprès… Il ne recommencera pas… » Et tout finit par un bonbon. « C’est déplorable, » dit papa. Mais, que voulez-vous ? on l’appelle tante Bonne, c’est tout dire.
Tante Bonne n’a pas seulement les poches remplies de bonbons, elle les a aussi toutes pleines d’histoires.
Ah ! les histoires de tante Bonne. Elle les invente à mesure, là, devant vous. C’est vraiment captivant de les voir se fabriquer comme on voit avancer le tricot du petit bas ou du chandail. Mais, tandis que le tricot, c’est toujours la même chose, dans les histoires, seuls les commencements sont pareils. « Il était une fois… », après on ne sait jamais ce qui va arriver.
— Tante Bonne, racontez-nous une belle histoire d’ange gardien.
Tante Bonne devait en connaître des histoires sur les bons anges, car elle était un peu de leur famille.
Tante Bonne toussota, rajusta ses lunettes, les deux petites filles escaladèrent un fauteuil d’osier et se casèrent entre les deux bras qui s’écartèrent un peu en se plaignant. L’histoire pouvait commencer. L’histoire commença.
Il était une fois un ange dans le paradis.

D’abord, il faut savoir que ceci n’est pas un conte de fées. Les contes de fées sont très beaux, et il est certain que plusieurs sont arrivés, mais ce que je vais vous dire est la pure vérité.
Il y avait une fois un ange dans le paradis. C’était un ange qui n’avait jamais rien fait, rien fait que d’être de la fête du ciel. (C’est surtout au ciel que l’année est en fête pour les enfants du Bon Dieu). Il y en a comme cela des grappes, des essaims, des bataillons entiers. Dieu seul en a fait le compte et lui seul peut se débrouiller dans cette foule d’anges.
Ce n’est pas qu’il s’ennuyait, cet ange, mais il avait été bien content tout de même lorsque Dieu, l’ayant fait s’approcher, lui dit : « Il me faut un ange gardien pour un petit garçon qu’on attend dans une maison dont je te donnerai l’adresse, et j’ai pensé à toi. »
Le petit ange brilla d’un plus vif éclat, d’abord parce qu’il s’était approché du Bon Dieu, et puis parce qu’il venait de recevoir un ordre et qu’une joie nouvelle le remplissait. Les anges sont comme cela : plus le Bon Dieu les commande, plus ils sont heureux.
Si nous savions être bien obéissants, nous ferions comme les anges, ajouta tante Bonne. Au lieu d’être grognons, lambins, « cabochards », si nous faisions tout de suite ce qu’on nous commande, d’abord ça irait bien mieux, et ensuite nous serions toujours contents au-dedans. Mais je continue l’histoire.
L’ange qui allait être envoyé était donc très heureux. Il en avait vu d’autres, comme lui, revenir quelquefois très vite, quelquefois après beaucoup de longues années, accompagnés d’une âme blanche comme neige, et c’était une grande fête au ciel.