Si nous reparlions de l’ange gardien

Auteur : Lelong, M.-H. | Ouvrage : Les bons anges .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Chapitre IV

MOI, dit Claire, la petite infirme, je suis tou­jours « perchée ». 

Elle dit cela avec un sou­rire, mais il y avait beau­coup de tris­tesse au fond de ce sourire.

Mlle Gaby, qui venait de pous­ser la voi­ture un peu plus loin, car le soleil avait tour­né, s’as­sit auprès de Claire pour la distraire. 

— Made­moi­selle, je pense sou­vent à l’ange gar­dien, dit la pauvre Claire, car j’en ai besoin bien sou­vent. Je vou­drais savoir si tout le monde a son ange gar­dien (elle son­geait aux négrillons de l’Ex­po­si­tion Colo­niale qu’elle avait vus sur les affiches car elle n’a­vait pu faire, vous le pen­sez bien, ce grand voyage de Paris — et dont on lui avait dit qu’ils n’é­taient pas baptisés). 

— Pour­quoi pas ? Le Bon Dieu aime tous ceux qui ont une âme, puisque Jésus a ver­sé son sang pour tout le monde. Aus­si, l’ange gar­dien suit le bap­tême des petits enfants, pas seule­ment en reve­nant de l’é­glise, lors­qu’on jette des sous et des dra­gées aux gamins, mais encore à l’aller. 

— Et quand ils seront grands ? inter­roge aus­si­tôt l’in­firme visi­ble­ment anxieuse de savoir si un jour ne vien­drait pas où son bon ange l’a­ban­don­ne­rait. On parle tou­jours des anges gar­diens des petits enfants, jamais des anges gar­diens des grandes personnes.

— Ras­sure-toi, Claire. Tu n’as qu’à bien faire atten­tion, et tu sen­ti­ras tou­jours ton bon ange auprès de toi. Les grandes per­sonnes s’oc­cupent de beau­coup trop de choses et n’ont plus le temps de pen­ser au Bon Dieu. Elles croient que leur bon ange les oublie, mais c’est elles, bien plu­tôt, qui oublient leur bon ange. La preuve, c’est qu’elles le retrouvent, lors­qu’elles ont un peu plus de temps, au moment de la mort. La Sainte Écri­ture cite même des cas où les anges, — les anges gar­diens, bien enten­du — se sont occu­pés de l’en­ter­re­ment des grands Saints. Ce qui est cer­tain, c’est que Mon­sieur le Curé, chaque fois qu’il conduit quel­qu’un au cime­tière, met la tombe sous la garde de l’ange du défunt. 

— C’est pour cela qu’il est si tran­quille, le cime­tière, et qu’il y fait si bon, dit l’in­firme. Alors, c’est fini ? l’ange n’a plus rien à faire ? 

— Il n’a plus rien à faire si cette âme tombe en enfer. Là, les bons anges n’entrent pas, parce que s’ils entraient, ce ne serait plus l’en­fer. Mais ils accom­pagnent leurs pro­té­gés au Pur­ga­toire, et ils sont bien contents lorsque, sans tache aucune, abso­lu­ment pareils à eux, ils les pré­sentent enfin à Dieu. 

Quel­que­fois, ils font le ser­vice des âmes, direc­te­ment de la terre au ciel. C’est le cas des petits enfants que le Bon Dieu rap­pelle à lui. 

Il y eut un silence. Claire son­geait au petit frère qui était par­ti si vite, un matin de prin­temps où les ceri­siers étaient en fleurs. Elle pen­sa : on pleure beau­coup, et pour­tant, il n’y a pas que du cha­grin dans ces larmes. Mais elle ne sut pas le dire. Les petites filles comme Claire pensent à une foule de choses qu’elles ne savent pas dire. 

Mlle Gaby, qui, elle, sait très bien racon­ter et qui a dû voir beau­coup de pays, expli­qua ce qui se passe en Espagne. 

Là-bas, quand un bébé s’en va au ciel, on dit que le Bon Dieu le reprend pour en faire un ange. Aus­si, son papa et sa maman ne se mettent pas en noir. Ils ont de la peine, c’est sûr, mais ils ont de la joie aus­si d’a­voir un petit ange au ciel. On couvre le petit cer­cueil de fleurs, et l’on danse, toute la nuit, au son des tambourins. 

— C’est drôle, ça, de dan­ser à l’enterrement. 

— D’or­di­naire, l’ange gar­dien n’a pas fini sa mis­sion en si peu de temps, et le tra­vail ne lui manque pas. 

On est pré­ser­vé d’une foule de choses aux­quelles on ne prend pas garde. Si l’on y réflé­chis­sait un peu, on serait bien obli­gé de le recon­naître. Je vou­drais bien que vous m’ex­pli­quiez com­ment il se fait que les allu­mettes lais­sées sous la main des petits enfants ne flambent pas plus sou­vent, que le chau­dron d’eau bouillante ne se répande pas sur eux, que le chien méchant ne les morde pas, que les bohé­miens ne les emportent pas, et pour­quoi ils ne tombent pas dans la cage de l’es­ca­lier, ou par la fenêtre du pre­mier, ou dans la citerne ouverte. 

— Mon papa a lu, l’autre jour, dans le jour­nal, l’his­toire de trois gar­çons qui se sont noyés. 

— Oui, le jour­nal rap­porte les acci­dents qui sont arri­vés, mais il ne raconte pas tous les acci­dents qui auraient dû arri­ver, les jambes cas­sées, les déraille­ments, les incen­dies, et que les anges gar­diens ont empêchés. 

— Bien sûr, ça ne se voit pas. 

— Même s’ils le savaient, ils ne le pour­raient, pas encore, parce qu’il y en aurait trop et que leur jour­nal serait trop petit. 

Et puis, les grandes per­sonnes ne com­prennent jamais très bien les petits enfants. (Les cris des bébés prouvent qu’il y a un mal­en­ten­du entre eux et les grandes per­sonnes). Avec les bons anges ils s’ar­rangent à merveille. 

Pen­dant le som­meil, les bons anges res­tent auprès des ber­ceaux et envoient de beaux rêves. C’est pour cela, paraît-il, que les enfants rient en dor­mant, et qu’on dit : « rire aux anges ». 

— Tout cela est fort joli, Made­moi­selle Gaby. Main­te­nant, je com­prends. Les bons anges sont tou­jours auprès des petits enfants, et c’est pour­quoi tout le monde les aime. 

— C’est natu­rel. Les bons anges des petits enfants, Notre-Sei­gneur le dit dans l’É­van­gile, « voient la face du Père qui est dans les cieux », c’est-à-dire le Bon Dieu lui-même. C’est un peu comme si l’ange gar­dien leur envoyait, avec une glace, un rayon du ciel sur la figure. Tout le monde aime le ciel, et c’est pour­quoi tout le monde vou­drait les embrasser. 

— Ah ! ça, par exemple, dit Claire, je n’y avais jamais pen­sé et je sais pour­quoi le bon Jésus aimait les petits enfants : ils lui rap­pe­laient son pays qui est le paradis. 

Cette idée, qu’elle avait décou­verte sans le faire exprès, parut ravir la jeune infirme. Quand on ne peut pas cou­rir avec les autres, on pense beau­coup plus que les autres à des choses sérieuses. 

Claire avait revu, bien des fois, dans son esprit, ce grand Jésus si bon, qui avait des yeux et des gestes si doux que tout le monde le sui­vait, et qui, d’un seul coup, fai­sait mar­cher les paralytiques. 

Elle le voyait aus­si, au milieu des éco­liers et éco­lières qui reve­naient de l’é­cole, avec la petite éponge qui pen­dait du sac, pour essuyer l’ar­doise, ce qui lui rap­pe­lait le temps où il allait à l’é­cole. La chan­son le dit, le petit gar­çon Jésus ne man­quait pas la classe : 

Le petit Jésus s'en va-t-à l'école. 

Aus­si, ne vou­lait-il pas qu’on empê­chât d’ap­pro­cher de lui les gamins de l’école com­mu­nale de Naza­reth et des vil­lages où il pas­sait avec saint Pierre qui porte les clefs et saint Jean qui a les che­veux blonds. 

Des petits enfants entou­raient le grand fils de la Sainte Vierge. Il deman­dait ce qu’on avait fait en classe, si on avait su le catéchisme. 

Ceux qui étaient à la fête, c’é­taient les anges gar­diens des petits enfants. Ils vire­vol­taient au-des­sus de la troupe bruyante, comme des tour­te­relles blanches qui décrivent des cercles gra­cieux avant de se poser. S’il n’y avait pas eu tant de bruit, on aurait enten­du le bat­te­ment de leurs ailes.

Encore une fois, Claire ne se disait pas dis­tinc­te­ment ces choses, elle avait seule­ment des impres­sions, mais si on lui avait dit : « C’est bien à cela que tu songes, n’est-ce pas ? » elle aurait répon­du sans hési­ter : « Oui, oui, c’est à cela. » 

—Made­moi­selle, deman­da Claire, est-ce que l’En­fant Jésus avait un ange gardien ? 

— Est-ce que l’En­fant Jésus avait un ange gar­dien ? répé­ta Mile Gaby embar­ras­sée… Mon­sieur le Curé va nous le dire.

Bébé rit aux anges - Ange gardien veillant sur le berceau du tout-petit
Bébé rit aux anges.


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