On demandes des anges

Auteur : Lelong, M.-H. | Ouvrage : Les bons anges .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Chapitre I

CETTE his­toire se passe dans un vil­lage, un vrai vil­lage, comme peuvent en rêver les petits gar­çons et les petites filles des villes. C’est-à-dire que les mai­sons, avec leurs grands toits rouges, ne s’é­crasent pas bête­ment les unes contre les autres, mais s’a­gré­mentent d’un beau fumier où picorent des poules, d’un abreu­voir où les vaches boivent len­te­ment, tan­dis qu’une dou­zaine de canards blancs jacassent au milieu d’une rue silen­cieuse, et que, par-des­sus tout cela, s’é­tale le fond d’un beau ciel cou­leur bleu de lessive. 

Oh ! le joli vil­lage de France. 

C’est l’é­té. Comme il fait chaud ! Dans ce vil­lage de France, il y a, cela va de soi, un clo­cher, le clo­cher d’une vieille église qui sonne l’An­ge­lus, matin et soir, pour qu’on fasse une petite prière en sou­ve­nir de la Sainte Vierge et de l’Ange Gabriel, et aus­si pour aver­tir qu’il faut atte­ler les che­vaux, ou bien qu’il est l’heure de reve­nir des champs. 

Dans cette église où s’est conser­vé, jus­qu’à la fin de cette chaude mati­née d’é­té, tant de bonne fraî­cheur, que se passe-t-il donc ? 

On entend une voix qui interpelle : 

— Mar­cel ! tai­sez-vous s’il vous plaît ! Pour jeu­di pro­chain, vous appren­drez le cha­pitre 5, sur les démons. Roger ! fau­dra-t-il vous punir ? En His­toire Sainte revoir de la page 70 à la page 73. 

Une baguette frappe sur un banc, pour rap­pe­ler à l’ordre.

Les forains installent leurs roulottes pour la fête du village

C’est, évi­dem­ment, la fin de la leçon de caté­chisme. Trois quarts d’heure d’im­mo­bi­li­té, de silence, d’at­ten­tion, c’est bien dif­fi­cile lors­qu’on a 7 ans, 10 ans, même 12 ans. D’au­tant plus que les pre­mières voi­tures des bou­tiques foraines sont déjà arri­vées pour la fête du vil­lage, et que les tuyaux de poêles des rou­lottes fument sur la place communale. 

— Les gar­çons vont sor­tir, reprend la voix de Mon­sieur le Curé ; les filles, res­tez. Je vous salue, Marie, pleine de grâces

Un bruit de galoches : on s’agenouille. 

Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, main­te­nant et à l’heure de notre mort. Ain­si soit-il. 

Notre-Dame des Anges : 

Priez pour nous.

Notre-Dame des Anges : 

Priez pour nous. 

Notre-Dame des Anges : 

Priez pour nous : 

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. 

Ain­si soit-il ! répondent ensemble les enfants du caté­chisme de la paroisse Notre-Dame des Anges. 

Pre­mier cla­que­ment de mains : on sort des bancs.

Deuxième cla­que­ment des mains : une génuflexion. 

Au troi­sième coup on s’en va, par l’al­lée cen­trale, les bras croisés. 

La bande des gar­çons s’é­par­pille sur la place avec un bruit de cour de récréa­tion, et bien­tôt l’on n’en­tend plus l’autre bande des canards.

— Mes enfants (c’est Mon­sieur le Curé qui parle), qu’al­lons-nous faire dimanche prochain ? 

— M’sieur le Curé ! M’sieur le Curé ! sup­plient aus­si­tôt une bonne dou­zaine de petites, filles qui ont une envie folle de parler. 

— Fran­çoise.

— Dimanche, nous allons faire la fête. 

— Oui, nous allons faire la fête, Dimanche, mais la fête n’est pas seule­ment une ques­tion de tartes, de prunes et de che­vaux de bois. Jean­nette, pour­quoi est-ce la fête ? dit Mon­sieur le Curé. 

— Parce que c’est la grande fête de la Sainte Vierge après.

— C’est à peu près bien répon­du. Le 15 août, qui tombe un mar­di, est en effet la fête de l’As… de l’As… 

— …somp­tion, com­plète en chan­ton­nant le chœur des petites filles. 

Monsieur le curé fait le catéchisme aux fillettes

— La fête de l’As­somp­tion est la fête de la paroisse Notre-Dame des Anges, et c’est pour­quoi la fête patro­nale a lieu le Dimanche qui pré­cède. Vous voyez Notre-Dame des Anges, dans ce vitrail, au-des­sus de l’au­tel. La Sainte Vierge est enle­vée au ciel sur un nuage bleu, et des petits anges, une nuée d’an­ge­lots, volent autour d’elle. Que fait-on l’a­près-midi de la fête ?

Made­leine est la pre­mière du caté­chisme. Aus­si, elle répond sans hésiter : 

— On fait la pro­ces­sion dans les rues. 

— Nous y voi­là. Donc, cette année, il y aura la fête Dimanche pro­chain, et Mar­di sera encore la fête, la fête de l’As­somp­tion de la Sainte Vierge. Il faut une belle pro­ces­sion. Que ver­rons-nous dans la pro­ces­sion de la Sainte Vierge ? 

— Des ban­nières ! Des pom­piers ! La musique ! 

— Bien sûr ; on voit cela dans toutes les pro­ces­sions. Mais ici, à Notre-Dame des Anges, qui pour­rait-on mettre, auprès de la Sainte Vierge, auprès de Notre-Dame ? 

— Des anges ! des anges ! 

— Par­fai­te­ment, tous les anges pos­sibles et ima­gi­nables. Qui veut faire l’ange ?

— Moi ! moi ! moi ! 

— Vous serez toutes des anges, pro­mit Mon­sieur le Curé. Mais il fau­dra apprendre. Que fau­dra-t-il pour faire de vous des anges ? 

— Des ailes, dit Colette sans hésiter. 

— Oui, on repré­sente les anges avec des ailes, comme sur le vitrail, pour mon­trer qu’ils peuvent aller par­tout. Il y aura donc des ailes pour tout le monde. (La classe de caté­chisme devint agi­tée). Je viens d’en rece­voir trois grandes caisses (des sou­pirs d’ad­mi­ra­tion et de joie accueillirent cette éton­nante nou­velle). Il y en a qui sont piquées d’é­toiles d’or. (Cette fois l’en­thou­siasme débor­da).

— Toutes celles qui seront dans la cour du patro­nage, cet après-midi à trois heures, pour­ront repré­sen­ter un ange à la procession. 

Alors, ce fut du délire, et l’on oublia tout à fait qu’on ne parle pas à l’église. 

— Moi, je veux être l’ange du coin ! s’é­cria une petite fille rousse, en mon­trant du doigt un ange qui vole­tait au bas du vitrail. 

— Moi, je veux être celui qui est frisé !

— Moi, je veux être celui qui sourit ! 

— Moi, je veux être celui qui chante ! 

Mon­sieur le Curé s’empressa de cou­per court : 

— C’est bien ! C’est bien ! Made­moi­selle Gaby dis­tri­bue­ra les rôles et vous expli­que­ra tout. Je vous salue, Marie, pleine de grâces

Et ce jeu­di-là, la leçon de caté­chisme des petites filles prit fin au milieu de l’al­lé­gresse géné­rale, dans une vision de trois immenses caisses rem­plies d’ailes pour anges de 7 à 12 ans, des ailes blanches trans­pa­rentes, par­se­mées d’étoiles.

Les angelots du vitrail de l'église

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