Chapitre I
CETTE histoire se passe dans un village, un vrai village, comme peuvent en rêver les petits garçons et les petites filles des villes. C’est-à-dire que les maisons, avec leurs grands toits rouges, ne s’écrasent pas bêtement les unes contre les autres, mais s’agrémentent d’un beau fumier où picorent des poules, d’un abreuvoir où les vaches boivent lentement, tandis qu’une douzaine de canards blancs jacassent au milieu d’une rue silencieuse, et que, par-dessus tout cela, s’étale le fond d’un beau ciel couleur bleu de lessive.
Oh ! le joli village de France.
C’est l’été. Comme il fait chaud ! Dans ce village de France, il y a, cela va de soi, un clocher, le clocher d’une vieille église qui sonne l’Angelus, matin et soir, pour qu’on fasse une petite prière en souvenir de la Sainte Vierge et de l’Ange Gabriel, et aussi pour avertir qu’il faut atteler les chevaux, ou bien qu’il est l’heure de revenir des champs.
Dans cette église où s’est conservé, jusqu’à la fin de cette chaude matinée d’été, tant de bonne fraîcheur, que se passe-t-il donc ?
On entend une voix qui interpelle :
— Marcel ! taisez-vous s’il vous plaît ! Pour jeudi prochain, vous apprendrez le chapitre 5, sur les démons. Roger ! faudra-t-il vous punir ? En Histoire Sainte revoir de la page 70 à la page 73.
Une baguette frappe sur un banc, pour rappeler à l’ordre.

C’est, évidemment, la fin de la leçon de catéchisme. Trois quarts d’heure d’immobilité, de silence, d’attention, c’est bien difficile lorsqu’on a 7 ans, 10 ans, même 12 ans. D’autant plus que les premières voitures des boutiques foraines sont déjà arrivées pour la fête du village, et que les tuyaux de poêles des roulottes fument sur la place communale.
— Les garçons vont sortir, reprend la voix de Monsieur le Curé ; les filles, restez. Je vous salue, Marie, pleine de grâces…
Un bruit de galoches : on s’agenouille.
— Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.
— Notre-Dame des Anges :
— Priez pour nous.
— Notre-Dame des Anges :
— Priez pour nous.
— Notre-Dame des Anges :
— Priez pour nous :
— Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
— Ainsi soit-il ! répondent ensemble les enfants du catéchisme de la paroisse Notre-Dame des Anges.
Premier claquement de mains : on sort des bancs.
Deuxième claquement des mains : une génuflexion.
Au troisième coup on s’en va, par l’allée centrale, les bras croisés.
La bande des garçons s’éparpille sur la place avec un bruit de cour de récréation, et bientôt l’on n’entend plus l’autre bande des canards.
— Mes enfants (c’est Monsieur le Curé qui parle), qu’allons-nous faire dimanche prochain ?
— M’sieur le Curé ! M’sieur le Curé ! supplient aussitôt une bonne douzaine de petites, filles qui ont une envie folle de parler.
— Françoise.
— Dimanche, nous allons faire la fête.
— Oui, nous allons faire la fête, Dimanche, mais la fête n’est pas seulement une question de tartes, de prunes et de chevaux de bois. Jeannette, pourquoi est-ce la fête ? dit Monsieur le Curé.
— Parce que c’est la grande fête de la Sainte Vierge après.
— C’est à peu près bien répondu. Le 15 août, qui tombe un mardi, est en effet la fête de l’As… de l’As…
— …somption, complète en chantonnant le chœur des petites filles.

— La fête de l’Assomption est la fête de la paroisse Notre-Dame des Anges, et c’est pourquoi la fête patronale a lieu le Dimanche qui précède. Vous voyez Notre-Dame des Anges, dans ce vitrail, au-dessus de l’autel. La Sainte Vierge est enlevée au ciel sur un nuage bleu, et des petits anges, une nuée d’angelots, volent autour d’elle. Que fait-on l’après-midi de la fête ?
Madeleine est la première du catéchisme. Aussi, elle répond sans hésiter :
— On fait la procession dans les rues.
— Nous y voilà. Donc, cette année, il y aura la fête Dimanche prochain, et Mardi sera encore la fête, la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge. Il faut une belle procession. Que verrons-nous dans la procession de la Sainte Vierge ?
— Des bannières ! Des pompiers ! La musique !
— Bien sûr ; on voit cela dans toutes les processions. Mais ici, à Notre-Dame des Anges, qui pourrait-on mettre, auprès de la Sainte Vierge, auprès de Notre-Dame ?
— Des anges ! des anges !
— Parfaitement, tous les anges possibles et imaginables. Qui veut faire l’ange ?
— Moi ! moi ! moi !
— Vous serez toutes des anges, promit Monsieur le Curé. Mais il faudra apprendre. Que faudra-t-il pour faire de vous des anges ?
— Des ailes, dit Colette sans hésiter.
— Oui, on représente les anges avec des ailes, comme sur le vitrail, pour montrer qu’ils peuvent aller partout. Il y aura donc des ailes pour tout le monde. (La classe de catéchisme devint agitée). Je viens d’en recevoir trois grandes caisses (des soupirs d’admiration et de joie accueillirent cette étonnante nouvelle). Il y en a qui sont piquées d’étoiles d’or. (Cette fois l’enthousiasme déborda).
— Toutes celles qui seront dans la cour du patronage, cet après-midi à trois heures, pourront représenter un ange à la procession.
Alors, ce fut du délire, et l’on oublia tout à fait qu’on ne parle pas à l’église.
— Moi, je veux être l’ange du coin ! s’écria une petite fille rousse, en montrant du doigt un ange qui voletait au bas du vitrail.
— Moi, je veux être celui qui est frisé !
— Moi, je veux être celui qui sourit !
— Moi, je veux être celui qui chante !
Monsieur le Curé s’empressa de couper court :
— C’est bien ! C’est bien ! Mademoiselle Gaby distribuera les rôles et vous expliquera tout. Je vous salue, Marie, pleine de grâces…
Et ce jeudi-là, la leçon de catéchisme des petites filles prit fin au milieu de l’allégresse générale, dans une vision de trois immenses caisses remplies d’ailes pour anges de 7 à 12 ans, des ailes blanches transparentes, parsemées d’étoiles.

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