Saint Jean-Baptiste

| Ouvrage : La revue des saints .

Temps de lec­ture : 19 minutes

Précurseur du Messie

Fête le

Un jour que Jésus-Christ prê­chait aux mul­ti­tudes, il dit en par­lant de Jean : « Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agi­té par le vent (c’est-à-dire un homme faible, sans carac­tère, qui tourne à tous vents d’o­pi­nions) ? Mais encore qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu mol­le­ment ? Vous savez que c’est dans les palais des rois qu’on trouve ceux qui portent des riches habits et qui vivent dans les plai­sirs. Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un pro­phète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un pro­phète. Car c’est de lui qu’il a été écrit : Voi­ci que j’en­voie mon ange devant ta face, afin qu’il pré­pare ton che­min devant toi. En véri­té, je vous le dis, entre les fils des femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-Bap­tiste. » [1]

Quel éloge ! Et dans quelle bouche ! Celle du Fils de Dieu !

occupe dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té une place unique et incom­pa­rable, il est un trait d’u­nion entre les deux mondes, il résume en lui tout l’An­cien Tes­ta­ment et pré­pare le Nou­veau. Mon­trant le pro­mis déjà pré­sent au milieu de son peuple, il ferme la suc­ces­sion des pro­phètes et il ouvre la mis­sion des apôtres.

Par un pri­vi­lège unique entre les pro­phètes, il a eu l’hon­neur d’être lui-même pro­phé­ti­sé, plus de sept siècles avant sa nais­sance, par Isaïe et Malachie.

Les parents de saint Jean-Baptiste.

Il y avait en Israël deux familles nobles entre toutes : la famille royale de David, d’où devait naître le Mes­sie, et la famille sacer­do­tale d’Aa­ron, dont le sacer­doce figu­rait, annon­çait et pré­pa­rait le vrai et unique sacer­doce de Jésus-Christ. Marie, Mère de Jésus, était de la race de David ; Zacha­rie et son épouse Eli­sa­beth, parents du saint , étaient de la race d’Aa­ron. En outre, Eli­sa­beth, fille d’une sœur de sainte Anne, mère de Marie, se trou­vait être la cou­sine ger­maine de la Très Sainte Vierge. Elle était tou­te­fois beau­coup plus âgée que Marie. Eli­sa­beth et Zacha­rie avaient une autre noblesse, noblesse excel­lente et per­son­nelle, celle de la sain­te­té : « Tous deux étaient justes devant Dieu, dit l’é­van­gé­liste saint Luc, mar­chant sans reproche dans tous les com­man­de­ments et les ordon­nances du Seigneur. »

Mais, tris­tesse immense pour les deux époux, « ils n’a­vaient point de fils », et humai­ne­ment ne pou­vaient plus en espé­rer, ce qui était consi­dé­ré comme un opprobre et une malé­dic­tion chez les Hébreux. Dieu le per­met­tait ain­si pour éprou­ver et per­fec­tion­ner leur ver­tu et aus­si parce que saint Jean-Bap­tiste, comme Isaac, Sam­son, Samuel, comme Marie enfin, la Vierge bénie entre toutes les créa­tures, devait être le fruit de la grâce et de la prière, plus encore que de la nature.

Apparition de l’archange Gabriel.

Les des­cen­dants d’Aa­ron avaient été divi­sés par David en classes ou familles qui se suc­cé­daient à tour de rôle pour exer­cer leur minis­tère dans le Temple de Jéru­sa­lem. Zacha­rie appar­te­nait à la classe d’A­bia, c’é­tait la hui­tième. Le Temple était un vaste édi­fice, pas, comme le sont nos cathé­drales, un édi­fice impor­tant n’of­frant qu’un seul lieu de réunion. Qu’on ima­gine d’a­bord une vaste place ou espla­nade, entou­rée d’une enceinte et flan­quée de construc­tions diverses. Entrez sur cette espla­nade, vous êtes dans une vaste cour, c’est le par­vis des Gen­tils, où tout le monde peut entrer. Une sorte de balus­trade et une double ran­gée de colonnes séparent cette pre­mière cour d’une seconde, le par­vis des Juifs, où les Hébreux seuls peuvent péné­trer ; ce par­vis est sépa­ré lui-même d’un troi­sième, le par­vis des Lévites ou des Prêtres, où l’on immole les vic­times et au milieu duquel se dresse le sanc­tuaire ou temple pro­pre­ment dit. Ce der­nier édi­fice est très éle­vé et on y arrive par de nom­breuses marches ; il est divi­sé en deux par­ties, le Saint et le Saint des saints. Le grand-prêtre seul, une fois l’an, peut entrer dans le Saint des saints. Dans le Saint on voit, entre autres, l’au­tel des par­fums, petite table en bois de sétim, cou­verte de lames d’or.

Chaque matin à neuf heures et chaque soir à trois heures, l’un des prêtres de semaine, dési­gné par le sort, entrait dans le Saint et fai­sait brû­ler une poi­gnée d’en­cens sur l’au­tel des par­fums ; puis il sor­tait, et du haut des degrés du sanc­tuaire il bénis­sait le peuple réuni dans les par­vis : « Que le Sei­gneur, disait-il en croi­sant les mains, te bénisse et te conserve ; que le Sei­gneur te découvre son visage et ait pitié de toi ; que le Sei­gneur tourne vers toi son visage et te donne la paix. » Triple invo­ca­tion qui s’a­dres­sait mys­té­rieu­se­ment à la Sainte Tri­ni­té, en faveur de son peuple choisi.

Or, raconte l’é­van­gé­liste, lorsque Zacha­rie rem­plis­sait devant Dieu les fonc­tions du sacer­doce, selon le rang de sa classe, il arri­va qu’il lui échut par le sort, sui­vant la cou­tume obser­vée entre les prêtres, d’en­trer dans le temple du Sei­gneur pour y offrir l’en­cens. Et toute la mul­ti­tude était dehors priant, à l’heure de l’en­cens. Et un ange lui appa­rut, debout à droite de l’au­tel des par­fums. À cette vue, Zacha­rie se trou­bla et fut sai­si de crainte. Mais l’ange lui dit :

— Ne crai­gnez point, Zacha­rie, parce que votre prière a été exau­cée, et Eli­sa­beth votre épouse vous don­ne­ra un fils que vous nom­me­rez Jean (nom qui veut dire grâce de Dieu). Il sera pour vous un sujet de joie et de ravis­se­ment, et à sa nais­sance beau­coup se réjoui­ront. Car il sera grand devant le Sei­gneur ; il ne boi­ra point de vin ni d’au­cune liqueur enivrante, il sera rem­pli de l’Es­prit-Saint dès le sein de sa mère. Il conver­ti­ra un grand nombre d’en­fants d’Is­raël au Sei­gneur leur Dieu ; il mar­che­ra devant sa face dans l’es­prit et la ver­tu d’E­lie, afin qu’il unisse les cœurs des pères à ceux des fils (c’est-à-dire apprenne aux Juifs d’a­lors à imi­ter la foi de leurs pères les patriarches anciens), qu’il ramène les déso­béis­sants à la pru­dence des justes, pour pré­pa­rer au Sei­gneur un peuple parfait.

— À quoi recon­naî­trai-je la véri­té de ce que vous me dites ? répon­dit Zacha­rie, car je suis vieux et ma femme est avan­cée en âge.

Alors l’ange répon­dit avec majesté :

— Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour vous par­ler et vous annon­cer cette heu­reuse nou­velle. Et voi­ci que vous serez muet et ne pour­rez par­ler parce que vous n’a­vez pas cru à mes paroles, qui s’ac­com­pli­ront en leur temps.

Cepen­dant le peuple atten­dait Zacha­rie et s’é­ton­nait qu’il demeu­rât si long­temps dans le Temple.

Enfin il sor­tit pour don­ner la béné­dic­tion accou­tu­mée, mais « il ne pou­vait par­ler et ils com­prirent qu’il avait eu une vision dans le Temple. Quant à lui, il leur fai­sait des signes, et il res­ta muet.

« Quand les jours de son minis­tère furent accom­plis, Zacha­rie revint à la mai­son », triste, dit saint Pau­lin, deman­dant par­don à Dieu dans le secret de son cœur. Sa mai­son était à Aïn-Karim, petite ville située à deux lieues de Jéru­sa­lem, sur un pla­teau incli­né, au bas d’une mon­tagne, et au-des­sus d’une riante val­lée. Bien­tôt Eli­sa­beth eut la cer­ti­tude de don­ner le jour à un enfant.

La .

Six mois après, l’ange Gabriel appa­rais­sait à l’humble et incom­pa­rable Vierge de Naza­reth, il annon­çait à Marie sa mater­ni­té vir­gi­nale et divine, et ajou­tait en témoi­gnage de ses paroles : « Voi­là qu’E­li­sa­beth, votre cou­sine, a elle-même conçu un fils dans sa vieillesse, et c’est le sixième mois de celle qui était appe­lée sté­rile, parce que rien n’est impos­sible à Dieu. » Ain­si, Jean sem­blait déjà rem­plir son rôle de pré­cur­seur ; mais cette âme d’é­lite gémis­sait encore cap­tive sous les ruines du péché ori­gi­nel : une ins­pi­ra­tion inté­rieure apprend à Marie que la visite de la Mère de Dieu sera le salut de Jean, non moins que la joie d’Elisabeth.

Marie se lève donc et se met en route. Quatre ou cinq jours de marche séparent Naza­reth des mon­tagnes de Judée où demeure sa cou­sine, mais la cha­ri­té semble lui don­ner des ailes ; elle voyage rapi­de­ment, dit l’é­van­gé­liste, afin de saluer Eli­sa­beth. La Mère de Dieu pré­vient la mère de Jean ; Jésus pré­vient son pré­cur­seur ; Jésus parle par la bouche de Marie, et sa voix péné­trant jus­qu’à l’âme du fils d’E­li­sa­beth, celui-ci se réveille à la vie de la grâce, il a recon­nu son Sau­veur, il tres­saille dans le sein de sa mère. L’Es­prit-Saint, qui illu­mine lame du fils, rejaillis­sant sur la mère, Eli­sa­beth s’é­crie d’une grande voix (comme si elle par­lait au nom de tous les siècles à venir) : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni. Et d’où me vient ce bon­heur que la Mère de mon Sei­gneur vienne me visi­ter ? Vous êtes heu­reuse, vous qui avez cru que les choses qui vous ont été dites de la part du Sei­gneur s’accompliraient. »

Mais Marie, repous­sant la louange qui s’a­dresse à elle pour repor­ter à Dieu toute gloire, s’é­crie : « Mon âme glo­ri­fie le Sei­gneur », et elle fait entendre, pour la pre­mière fois en ce lieu soli­taire, les sublimes accents du Mag­ni­fi­cat, répé­té depuis par tous les siècles, en sou­ve­nir d’elle. Si cette pre­mière ren­contre fut si mer­veilleuse pour l’âme du Pré­cur­seur, com­bien de grâces durent accom­pa­gner le séjour de Marie auprès d’E­li­sa­beth pen­dant envi­ron trois mois ?

Naissance de saint Jean-Baptiste.

Quand le temps fut arri­vé, Eli­sa­beth mit au monde un fils ; les parents et les voi­sins, qui esti­maient la ver­tueuse mère, apprirent avec joie la misé­ri­corde dont le Sei­gneur avait usé envers elle. Le hui­tième jour, on vint, sui­vant l’u­sage, cir­con­cire l’en­fant, et ils lui don­naient le nom de Zacha­rie por­té par son père.

— Il n’en sera pas ain­si, dit Eli­sa­beth, mais il s’ap­pel­le­ra Jean.

On lui dit :

— Il n’y a per­sonne dans votre famille qui ait reçu ce nom.

Et on deman­dait par signe au père com­ment il vou­lait qu’on le nom­mât. Zacha­rie se fai­sant don­ner ce qu’il faut pour écrire tra­ça ces mots : « Jean est son nom. »

Mais à peine a‑t‑il répa­ré, par cet acte de foi et d’o­béis­sance, son doute d’au­tre­fois, que l’es­prit des pro­phètes illu­mine son âme, sa langue se délie, le beau can­tique du Bene­dic­tus jaillit de ses lèvres ins­pi­rées : « Béni soit le Sei­gneur, Dieu d’Is­raël, parce qu’il a visi­té et rache­té son peuple… Et toi, petit enfant, tu seras appe­lé le pro­phète du Très-Haut, car tu mar­che­ras devant sa face pour pré­pa­rer ses voies… »

Les miracles s’a­jou­taient donc aux miracles autour du ber­ceau de l’en­fant ; ceux qui demeu­raient dans les lieux voi­sins furent sai­sis d’une crainte res­pec­tueuse. Le bruit de ces mer­veilles se répan­dit sur toutes les mon­tagnes de Judée, tous ceux qui les enten­dirent racon­ter les conser­vèrent dans leur cœur, et ils disaient : « Que pen­sez-vous que sera un jour cet enfant ? Car la main du Sei­gneur était avec lui. »

Marie assis­tait-elle à ces joyeux évé­ne­ments ? Quelques-uns pensent qu’elle était déjà retour­née à Naza­reth ; mais saint Ambroise et beau­coup d’autres croient qu’elle ne quit­ta la mai­son de Zacha­rie qu’a­près la nais­sance de Jean. Nous aimons à nous repré­sen­ter le petit saint Jean, tou­jours pré­cur­seur, pré­cé­dant Jésus dans les bras de Marie ! Quand le divin Sau­veur fut né à Beth­léem, Eli­sa­beth et Zacha­rie vinrent-ils rendre à Marie sa visite d’au­tre­fois ? L’é­van­gé­liste ne nous l’ap­prend pas ; mais, étant don­né la proxi­mi­té des lieux (d’Aïn-Karim à Beth­léem il y a envi­ron deux heures), de bonnes rai­sons nous auto­risent à le pen­ser. Et si le petit Jean qui, mal­gré son enfance, jouis­sait déjà de l’u­sage de sa rai­son, fut alors por­té à Beth­léem, qui pour­ra décrire les scènes ravis­santes qui se pas­sèrent alors !

Bien­tôt, , usur­pa­teur du trône de David, apprend la nais­sance du Mes­sie, il craint pour son auto­ri­té, il envoie des satel­lites mas­sa­crer tous les petits enfants de Beth­léem et des envi­rons ; Jésus, empor­té en Égypte par Joseph et Marie, échappe à la mort. Mais que devint le fils de Zacha­rie, né non loin de Beth­léem ? D’an­ciennes légendes racontent qu’il fut mira­cu­leu­se­ment sau­vé. Quoi qu’il en soit, Zacha­rie, qui rem­plis­sait à Jéru­sa­lem ses fonc­tions sacer­do­tales, fut mas­sa­cré, d’a­près quelques auteurs, par ordre du roi, entre le Temple et l’au­tel, et la trace de son sang res­ta indé­lé­bile sur le pavé.

Eli­sa­beth mou­rut à son tour dans le désert mon­ta­gneux, quelque temps après, et les anges, dit-on, prirent soin du petit orphe­lin, dont la vie tout entière devait être si sem­blable à la leur.

Saint Jean au désert.

Jus­qu’à l’âge de trente ans, saint Jean vécut dans les déserts, loin de tout ce qui pou­vait ter­nir l’in­com­pa­rable pure­té de son inno­cence ; la prière, l’a­do­ra­tion, la louange de Dieu, la contem­pla­tion des gran­deurs divines, voi­là l’oc­cu­pa­tion de cet ange de la terre. Le lieu le plus habi­tuel de son séjour était une grotte taillée dans le roc, que le pèle­rin peut visi­ter encore, dans une val­lée soli­taire, étroite et pro­fonde, non loin de l’an­cienne Aïn-Karim, la ville natale du saint Pré­cur­seur. N’en déplaise à l’i­ma­gi­na­tion des peintres, saint Jean-Bap­tiste n’al­lait point à demi cou­vert d’une peau de mou­ton : une sorte de robe ou tunique tis­sée, en poil de cha­meau, ser­rée autour des reins par une cein­ture de cuir, tel était son vête­ment, tunique rude et pauvre, véri­table cilice et ins­tru­ment de per­pé­tuelle souf­france. Du miel sau­vage, des sau­te­relles, voi­là sa nour­ri­ture, nous dit l’é­van­gé­liste. Et quand le désert lui refu­sait ces maigres ali­ments, on raconte qu’il y sup­pléait par les fruits du carou­bier. Venait-il quel­que­fois au Temple de Jéru­sa­lem ? C’est pos­sible, mais saint Luc ne nous l’ap­prend point.

N’al­lait-il jamais à Naza­reth voir Jésus ? Un pas­sage de ses dis­cours au peuple semble indi­quer que non. Le témoi­gnage que Jean était appe­lé à rendre de Jésus devait paraître aux Juifs plus dés­in­té­res­sé et plus divin, venant d’un homme qui avait gran­di et vécu loin de Naza­reth et de la socié­té du Fils de Marie. Mais quelle mor­ti­fi­ca­tion inté­rieure pour l’âme si aimante de Jean ! Savoir son doux Sau­veur si près et ne point aller jouir de sa suave et sainte pré­sence ! … « Qu’est-ce que cela, s’é­crie saint Fran­çois de Sales, si ce n’est se pri­ver de Dieu pour l’ai­mer d’au­tant mieux et plus pure­ment ? Cet exemple accable mon esprit par sa grandeur… »

Saint Jean prêche aux foules et baptise le Fils de Dieu.

Enfin, les temps sont venus ; Jésus, caché à Naza­reth, va bien­tôt se mani­fes­ter au monde. Jean a trente ans, c’est l’âge qu’on exige des doc­teurs en Israël pour leur accor­der le droit d’ex­pli­quer au peuple les Livres Saints ; Dieu l’en­voie annon­cer aux hommes la grande nou­velle qu’ils ignorent et pré­pa­rer les voies à Jésus-Christ. Jean com­mence à prê­cher dans les mon­tagnes de Judée, non loin du lieu de sa retraite, et bien­tôt il vient faire entendre sa parole sur les rives du Jour­dain. Après quatre cents ans de silence, la voix des pro­phètes se fait de nou­veau entendre en Israël ; toute la Pales­tine s’é­meut, les mul­ti­tudes s’é­branlent et affluent vers le Jour­dain, on admire la sain­te­té du Pré­cur­seur, son aus­té­ri­té extra­or­di­naire ; les mer­veilles qui ont jadis signa­lé sa nais­sance reviennent sans doute à la mémoire de plusieurs.

« Race de vipères, s’é­criait le nou­vel Élie en s’a­dres­sant aux Pha­ri­siens, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Faites donc de dignes fruits de péni­tence, et n’es­sayez pas de dire : Abra­ham est notre père ; car je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut sus­ci­ter des enfants à Abra­ham. Déjà la cognée est à la racine de l’arbre. Tout arbre donc qui ne porte pas de bons fruits sera cou­pé et jeté au feu ! »

Et les foules l’in­ter­ro­geaient : « Que pou­vons-nous faire ? » Jean ne se per­dait pas en vaines for­mules. Sa réponse était nette et pra­tique. À tous il se conten­tait de rap­pe­ler la règle de la cha­ri­té et de l’au­mône : « Que celui qui a deux tuniques par­tage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi man­ger fasse de même. » Aux publi­cains il répon­dait : « N’exi­gez rien au-des­sus du tarif. » Aux sol­dats : « Ne moles­tez per­sonne, ne calom­niez per­sonne, conten­tez-vous de votre solde. » On voit que Jean connais­sait son milieu.

Beau­coup se repentent de leurs péchés et, comme témoi­gnage de ce repen­tir, reçoivent de Jean le de la péni­tence dans les eaux du Jourdain.

Enfin, le Bap­tiste —car tel sera désor­mais son nom— paraît un per­son­nage tel­le­ment sur­hu­main, qu’on se demande si peut-être il ne serait pas le Christ. Une dépu­ta­tion de prêtres et de lévites vient de Jéru­sa­lem l’in­ter­ro­ger. « Je ne suis pas le Christ, répond Jean. Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Pré­pa­rez les che­mins du Sei­gneur, ain­si que l’a dit Isaïe… Moi je bap­tise dans l’eau, mais il en est un qui a paru au milieu de vous et que vous ne connais­sez pas ; c’est lui qui doit bap­ti­ser dans l’Es­prit-Saint et dans le feu (c’est-à-dire dans la grâce sanc­ti­fiante et la cha­ri­té). Il vien­dra après moi, mais il est avant moi et je ne suis pas digne de délier les cor­dons de sa chaussure. »

Un jour, voi­ci un homme de Naza­reth qui arrive à son tour et demande à Jean de le bap­ti­ser. Jean a recon­nu son Maître : cet homme est Jésus, l’âme du Pré­cur­seur tres­saille de joie :

— C’est moi qui dois être bap­ti­sé par vous, lui dit-il, et c’est vous qui venez à moi !

— Lais­sez faire main­te­nant, dit le Sau­veur, il nous faut accom­plir ain­si toute justice.

Jésus des­cend dans l’eau, il reçoit le bap­tême de la péni­tence ; ce n’est pas l’eau qui sanc­ti­fie Jésus, mais Jésus qui sanc­ti­fie l’eau, et désor­mais le véri­table bap­tême, le bap­tême de Jésus-Christ qui efface le péché, est ins­ti­tué. Le fils de Dieu remonte hors de l’eau, les cieux s’en­tr’ouvrent, la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes com­plai­sances. » Le Saint-Esprit des­cend sous forme de et repose sur Jésus. Jour­née de bon­heur et de gloire pour Jean, car il a bap­ti­sé le Fils bien-aimé de Dieu !

Martyre de saint Jean-Baptiste.

Un autre jour, Jean-Bap­tiste voit encore Jésus venir à lui : « Voi­ci l’A­gneau de Dieu, s’é­crie-t-il, voi­ci Celui qui efface le péché du monde. » Deux de ses dis­ciples l’en­tendent et suivent Jésus : c’é­taient André, frère aîné de Pierre, et Jean, le futur évan­gé­liste, image vivante de Jean-Bap­tiste lui-même.

Bien­tôt le divin Maître com­mence ses pré­di­ca­tions et ses miracles sans nombre, les foules accourent autour de lui. Quelques dis­ciples de Jean s’en affligent, mais le Pré­cur­seur sur­abonde de joie : « Ne vous avais-je pas dit que je n’é­tais pas le Christ, mais que je le pré­cé­dais ? Il faut qu’il croisse et que moi je diminue. »

Hérode l’An­cien, le bour­reau des Inno­cents, était mort depuis long­temps, mais son fils, Hérode le tétrarque, était sou­ve­rain de la Gali­lée. Prince débau­ché, il avait enle­vé à son frère Phi­lippe sa femme, Héro­diade, pour l’é­pou­ser lui-même. Jean-Bap­tiste, dont les per­sé­cu­tions des pha­ri­siens n’a­vaient pu vaincre le cou­rage et l’a­pos­to­lique fran­chise, osa éga­le­ment dire la véri­té à Hérode : « Il ne t’est pas per­mis, lui répé­ta-t-il, d’a­voir la femme de ton frère. » Hérode fit enfer­mer le Pré­cur­seur dans la for­te­resse Maché­ronte, au-delà de la mer Morte. Tou­te­fois, il le crai­gnait et l’es­ti­mait, et même lui deman­dait conseil sur beau­coup de choses. Héro­diade, nou­velle Jésa­bel, n’en était que plus furieuse contre le nou­vel Élie. Au jour anni­ver­saire de sa nais­sance, Hérode offrit un grand fes­tin aux prin­ci­paux per­son­nages de ses États, la fille d’Hé­ro­diade, Salo­mé, vint dan­ser devant les convives. Ce spec­tacle plut tant au prince que, dans un moment d’exal­ta­tion, il dit à la dan­seuse : « Demande-moi tout ce que tu vou­dras, serait-ce la moi­tié de mon royaume. » Salo­mé cou­rut prendre conseil près de sa mère ; elle revint bien­tôt : « Je veux, dit-elle, que vous me don­niez à l’ins­tant ici, dans ce bas­sin, la tête de Jean-Bap­tiste. » Hérode fut attris­té, mais par res­pect humain il n’o­sa man­quer à sa pro­messe devant ses invi­tés ; un garde fut envoyé dans la pri­son, cou­pa la tête de Jean, l’ap­por­ta dans un plat à la dan­seuse, et celle-ci la don­na à sa mère. Quelle atro­ci­té dans un fes­tin ! À cette nou­velle, les dis­ciples de Jean vinrent et ense­ve­lirent le corps du , mis à mort pour avoir défen­du les lois sacrées du mariage.

Le culte de saint Jean-Bap­tiste a tou­jours tenu une grande place dans l’é­glise, qui a tou­jours fêté sa nais­sance le 24 juin et sa « décol­la­tion » ou mar­tyre le . Les feux de joie allu­més en son hon­neur sont un antique et louable usage, pour­vu qu’on en écarte tout désordre et toute super­sti­tion. Saint Jean-Bap­tiste reçoit des hon­neurs spé­ciaux dans une mul­ti­tude d’é­glises, depuis Saint-Jean-de-Latran, la cathé­drale de Rome et du monde, jus­qu’en de nom­breux sanc­tuaires qui attirent des pèle­rins en foule. La cathé­drale d’A­miens pos­sède la majeure par­tie de son chef.

A. E. L.

Sources consul­tées. – Evan­giles.R. P. D. Buzy, Saint Jean-Bap­tiste (Études his­to­riques et cri­tiques, Paris, 1922). – (V. S. B. P., nos 436 et 1069.)

  1. [1] Saint Mat­thieu, XI, 7 – 11.

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