Sainte Solange

| Ouvrage : Les saintes patronnes de France .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Mal­gré la fuite du temps, la pro­vince du garde vivant le sou­ve­nir de l’humble , morte mar­tyre à seize ans pour avoir aimé d’un unique Amour « son Sau­veur Jésus ».

L’his­toire de est courte comme sa vie, mais un par­fum suave fait d’an­gé­lique et de triste poé­sie s’en dégage.

Elle naît vers l’an 860, sous le règne de Charles le Chauve et le gou­ver­ne­ment de Gérard, comte de Bourges. Sa ville natale est Vil­le­mont, non loin de la capi­tale du Ber­ry, ses parents, de simples pay­sans, dont le nom est res­té inconnu.

On sait seule­ment qu’ils cultivent la vigne et sont de fidèles vas­saux du Comte de Bourges. « Pauvres des biens de la terre, disent ses bio­graphes, mais riches des biens du ciel, ils remer­cient Dieu de leur indi­gence et s’es­timent plus heu­reux que les sei­gneurs de la contrée. Dans le pays on les cite comme gens de pro­bi­té et d’honneur ».

Ain­si que Sainte Gene­viève, Solange n’est donc pas riche, mais elle n’est pas pauvre non plus puis­qu’elle garde le trou­peau de ses parents. Toute petite encore, elle se rend dans une grande prai­rie plan­tée de beaux arbres, proche de la ferme pater­nelle, et, la gaule à la main, son grand chien à ses côtés, elle mène paître ses bre­bis. Sa dou­ceur est si atti­rante que les bêtes l’en­tourent, l’é­coutent chan­ter des can­tiques à la Sainte Vierge comme si elles comprenaient.

Sous un bos­quet qu’om­bragent des chênes et des ormes, Solange s’est fait une petite cha­pelle où elle prie mieux que par­tout ailleurs. Elle a deman­dé à son père d’y plan­ter une grande croix faite de deux branches d’arbre entre­croi­sées, au pied, elle a grou­pé quelques grosses pierres et c’est là qu’elle passe toutes ses jour­nées, entou­rée de ses bre­bis et d’une troupe d’oi­seaux qui se posent sur sa tête.

Un jour de grosse cha­leur que ses mou­tons dorment et que son chien même est au repos, elle entend une voix très douce lui dire :

« Veux-tu m’é­pou­ser pour l’é­ter­ni­té, petite Solange ? »

Émue par cette voix qu’elle devine être celle du Christ fait homme l’en­fant répond :

« Je suis toute à vous, Sei­gneur ! pre­nez-moi pour le temps et pour l’éternité ».

Elle s’a­ge­nouille, joint les mains, et les yeux levés en extase vers la vision céleste, elle balbutie :

« Oh ! Sei­gneur Jésus que vous êtes beau ! »

Dès cet ins­tant l’humble ber­gère s’est consa­crée à Dieu… et elle n’a que sept ans, disent ses biographes.

Les années passent, l’en­fant devient ado­les­cente. Sa mère lui a racon­té l’his­toire de Sainte Agnès, la douce vierge de treize ans qui, repous­sant l’hom­mage d’un jeune pra­ti­cien, a pré­fé­ré la mort du à la vie sans Dieu. Cette foi ardente d’A­gnès, cette fidé­li­té dans l’a­mour juré font sur Solange une si pro­fonde impres­sion que la jeune vierge romaine est désor­mais pour elle l’u­nique modèle à imi­ter. Elle joint son nom chaque matin dans ses prières à celui de Jésus et la sup­plie de la sou­te­nir dans la voie qu’elle a choisie.

Reli­gieuse contem­pla­tive en face de la nature, la petite Solange reste des jour­nées entières per­due dans une sorte d’ex­tase. Une sin­gu­lière conscience de ses devoirs de pas­tou­relle se mêle pour­tant à ses pieuses médi­ta­tions. Elle devine quand une bre­bis s’é­gare ; alors, sans quit­ter son atti­tude de prière, elle cherche autour d’elle l’a­ni­mal fugi­tif ; et quand elle l’a aper­çu, il lui suf­fit d’un seul regard pour qu’in­con­ti­nent la bre­bis revienne auprès d’elle.

Solange est d’une grande beau­té (les chro­niques du temps s’ac­cordent pour l’af­fir­mer). D’une taille éle­vée, bien prise, elle a des traits d’une extrême régu­la­ri­té et sur­tout un regard qui fas­cine par son charme souverain.

La belle bergère Sainte Solange, patronne du Berry

Elle entend sou­vent autour d’elle par­ler de cette beau­té que beau­coup lui envient ; mais crai­gnant que des pen­sées d’or­gueil et de vani­té ne soient pour elle un dan­ger, elle fuit sans relâche toutes les occa­sions qui peuvent deve­nir pour elle une rai­son de contris­ter son Sau­veur. Ses bio­graphes pré­tendent même que quand elle lave le linge de la famille dans la petite rivière qui coule au bas de la prai­rie et que l’onde trans­pa­rente du ruis­seau lui ren­voie l’i­mage de ses traits, « elle se hâte d’a­gi­ter l’eau pour bri­ser ce miroir, de crainte que la vani­té ne vint à se glis­ser dans son âme ».

L’hi­ver, quand la neige et les fri­mas retiennent son trou­peau à l’é­table, elle passe de longues jour­nées à l’é­glise au pied du taber­nacle. Là, dans le silence et la soli­tude, elle médite sur les souf­frances de Jésus en croix et chaque jour le désir de ver­ser son sang pour sa gloire devient plus ardent.

Les pauvres qui sont les membres souf­frants de Jésus-Christ ont la plus large part à ses soins et à ses prières. Par une dilec­tion toute par­ti­cu­lière, Dieu lui a accor­dé le don des miracles. À quinze ans à peine, elle gué­rit les malades, délivre du malin esprit les âmes tor­tu­rées et, par sa parole angé­lique, panse plus de bles­sures morales que sa main ne ferme de plaies au nom de Notre-Sei­gneur jésus-Christ. Aus­si, mal­gré le soin qu’elle prend de fuir le regard des hommes, sa cha­ri­té la tra­hit et le rayon­ne­ment de sa sain­te­té s’é­tend au loin.

Un de ses his­to­riens écrit : « La nature entière semble lui être sou­mise, elle com­mande au soleil et à la pluie, dis­sipe les orages, arrête les inon­da­tions, ordonne aux nuages de tom­ber sur les cam­pagnes déso­lées par la séche­resse. Elle n’a qu’à vou­loir et les ani­maux qui ravagent les fruits de la terre dis­pa­raissent ; son pou­voir sur les bêtes sau­vages est si grand que sous son regard les loups deviennent doux comme des agneaux ».

Bien­tôt Solange devient dans toute la région un objet de véné­ra­tion. Non seule­ment du Ber­ry, mais encore des pro­vinces avoi­si­nantes, on vient vers elle, on veut la voir, la connaître.

Cette renom­mée arrive jus­qu’à la cour du comte de Poi­tiers, Ber­nard II. L’un de ses fils, Ramulfe, en enten­dant van­ter autour de lui, la ver­tu, la sagesse et sur­tout la beau­té de la jeune ber­gère, est pris d’un désir invin­cible d’en faire son épouse.

Sous pré­texte d’al­ler chas­ser sur ses terres de Vil­le­mont, où il pos­sède un ren­dez-vous de chasse, il part un matin au point du jour. On lui a dit que dès l’aube levée, Solange garde ses bre­bis dans le pré tout proche de la mai­son de son père et que, durant tout le jour, elle file, chante et prie.

Après une longue che­vau­chée, le jeune sei­gneur arrive en vue de Vil­le­mont. La cha­leur du jour a fait place à la fraî­cheur du cré­pus­cule, la nature est calme, silen­cieuse, sereine.

De loin, Ramulfe aper­çoit Solange. Elle est age­nouillée au pied de la croix rus­tique, ses bre­bis l’en­tourent, cou­chées autour d’elle comme si elles ne vou­laient pas trou­bler l’ex­tase de la vierge qui chaque jour veille sur elles.

En silence Ramulfe s’ap­proche de la jeune fille. Il est si frap­pé par sa mer­veilleuse beau­té, qu’a­vec la fougue d’une jeu­nesse ardente, il décide sur l’heure que Solange sera sa femme. Qu’im­porte la dis­pro­por­tion de leurs rangs, qu’im­portent les lois du royaume qui inter­disent aux suze­rains de choi­sir une épouse par­mi leurs vas­saux, il ne veut d’autre com­pagne que la ber­gère de Vil­le­mont. Aucun obs­tacle ne pour­ra se dres­ser entre elle lui lui sans qu’il en soit vainqueur.

Cepen­dant Solange n’a point aper­çu le brillant cava­lier qui vient de mettre pied à terre. Sa prière n’est pas ache­vée, Dieu n’a pas fini de lui par­ler. Immo­bile au pied du cal­vaire, son visage est d’une beau­té céleste.

Le jeune prince dont l’a­mour est pure­ment humain reste un ins­tant sub­ju­gué par cette irréelle apparition.Il n’ose par­ler, le son de sa voix lui ins­pire une sorte de crainte.

Enfin il s’en­har­dit et met­tant un genou en terre devant Solange, lui, le puis­sant sei­gneur, le prince héri­tier du duché de Bourges, il demande à l’humble pas­tou­relle de deve­nir son épouse.

« Vous serez prin­cesse, ajoute-t-il, vous aurez la puis­sance, la richesse, vous vivrez au palais ducal et sou­vent je vous mène­rai à la Cour du roi de France où votre beau­té vous fera régner en souveraine ! »

Sainte Solange gardant son troupeau en Sologne et Ramulfe
— J’ai déjà un époux, Seigneur !

Mais cette vision de gloire n’é­blouit pas plus la fille des vigne­rons de Vil­le­mont que la noblesse et la fière allure du Prince héri­tier ne font impres­sion sur son cœur de jeune fille. Levant sur Ramulfe son regard vir­gi­nal, dou­ce­ment elle répond :

« J’ai déjà un époux, seigneur.

— Un époux, s’é­crie Ramulfe. Quel est-il ? Sûre­ment il n’est mon égal ni en noblesse, ni en for­tune, ni en beau­té, ni en bravoure.

— Il vous sur­passe, sei­gneur, en beau­té, en sagesse, en ver­tu et en richesse. Mon époux, c’est Jésus-Christ, votre Maître et le mien.

— C’est impos­sible, reprend le jeune prince ; belle comme vous l’êtes, vous ne devez pas renon­cer au monde et vous enfer­mer dans un cloître !

— Je vous ai dit Celui à qui j’ap­par­tiens depuis mon enfance. Il m’a épou­sée par sa grâce, à Lui seul je garde une éter­nelle foi ! »

Et comme Solange, ras­sem­blant son trou­peau, va prendre le che­min de Vil­le­mont, Ramulfe se fait plus pressant.

« Il faut venir avec moi, mon enfant, vous ne devez avoir aucune crainte, je ferai de vous mon épouse, je vous le jure par serment ! »

Mais tou­jours Solange fait la même réponse.

« Je suis la fian­cée de Jésus-Christ, sei­gneur ; lais­sez-moi ! Je prie­rai pour vous, c’est la seule grâce que je puisse vous accorder ».

Exas­pé­ré, le duc devient menaçant.

« Je sau­rai bien obte­nir par la force ce que vous refu­sez à mes prières ! » s’é­crie-t-il avec colère.

Prise de peur, Solange tente de s’en­fuir ; mais Ramulfe qui vient de remon­ter à che­val, s’é­lance à sa pour­suite et l’at­teint. Se pen­chant sur sa selle il sai­sit la pauvre fille, la jette bru­ta­le­ment devant lui, et part dans un galop furieux.

La pauvre enfant pousse un long cri de détresse…

« Jésus ! Jésus ! » implore-t-elle suppliante.

Le ravis­seur ne se laisse pas émou­voir ; tout au contraire. Piquant de ses épe­rons les flancs de son che­val, il pour­suit sa course. Comme il va fran­chir la petite rivière de l’Oua­tier qui coule au bas du vil­lage, Solange, par un suprême effort, s’ar­rache des bras qui l’en­serrent, saute à terre et tente de prendre la fuite. Mais la colère de Ramulfe, que cette résis­tance n’a fait qu’ac­croître, ne connaît plus de bornes. L’a­mour mépri­sé vient chez lui de se chan­ger en haine ; celle qu’il aime ne sera pas à Celui qui la lui dispute !

Tirant son glaive, il le bran­dit au-des­sus de la petite ber­gère et d’un coup lui tranche la tête.

Sainte Solange martyr décapité

Alors s’ac­com­plit ce pro­dige. Par trois fois on entend la voix de la morte appe­ler le Maître vers qui elle s’en est allée.

« Jésus ! Jésus ! Jésus ! » arti­culent ses lèvres.

Puis on la voit se pen­cher, ramas­ser sa tête d’où s’é­coule un sang ver­meil et len­te­ment se diri­ger vers le cime­tière Saint-Mar­tin où elle veut repo­ser. Une fois de plus Jésus, époux vir­gi­nal d’une vierge enfant, a vou­lu la glo­ri­fier par un miracle insigne.

On ense­ve­lit Solange dans ce même cime­tière où l’a­vaient conduit ses der­niers pas en ce monde. Dès qu’elle repo­sa en terre sainte de nom­breux miracles com­men­cèrent à s’ac­com­plir sur sa tombe, et bien­tôt l’é­glise Saint-Mar­tin prit en son hon­neur le nom de Sainte-Solange.

Les siècles en pas­sant n’ont point amoin­dri la fer­veur des habi­tants du Ber­ry envers leur patronne. Avec une confiance que jus­ti­fient les miracles qui s’o­pèrent chaque jour, ils implorent sa pro­tec­tion, soit en cas de cala­mi­tés publiques, soit pour conju­rer un fléau de la nature.

La châsse est alors por­tée pro­ces­sion­nel­le­ment et son secours demande ne se fait jamais attendre.

Une vieille chro­nique raconte ce fait qui se serait pas­sé au début du XVIIe siècle :

« C’é­tait tou­jours les habi­tants du lieu, écrit le Père Giry, qui por­taient la chasse de Sainte Solange. Ils devaient être à jeun, en état de grâce, la tête et les pieds nus et avoir com­mu­nié à la messe solen­nelle en l’é­glise Saint-Étienne.

« L’an 1631, la pro­ces­sion étant proche du bourg de Para­cy, un des por­teurs de la châsse se lais­sa empor­ter à jurer avec scan­dale pour quelque chose qui lui déplai­sait. Il fut puni sur le champ d’une manière mira­cu­leuse et très par­ti­cu­lière. Un des bras du bran­card sur lequel la châsse était posée s’ap­pe­san­tit si rude­ment sur son épaule que ce mal­heu­reux sem­blait devoir être écra­sé. Ni lui ni le peuple ne com­prirent d’a­bord ce mys­tère. Mais le cri­mi­nel ayant connu par un autre miracle de la divine bon­té le crime qu’il venait de com­mettre, en jurant, deman­da par­don aus­si­tôt à Dieu, à la sainte et au peuple. Ayant montre par de vraies larme le regret sin­cère de son cœur, il eut la joie de pou­voir conti­nuer de por­ter le pré­cieux tré­sor pen­dant le reste du che­min, ce qu’il fit sans aucune peine.

Main­te­nant encore quand on redoute le ravages de la séche­resse, on porte pro­ces­sion­nel­le­ment la châsse de Sainte Solange, et la douce pas­tou­relle en sou­ve­nir sans doute des vertes prai­ries où pais­saient ses bre­bis, envoie la pluie bien­fai­sante qui rafraî­chit le sol brûlant.

Coloriage sainte Solange

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.