Malgré la fuite du temps, la province du Berry garde vivant le souvenir de l’humble bergère, morte martyre à seize ans pour avoir aimé d’un unique Amour « son Sauveur Jésus ».
L’histoire de Sainte Solange est courte comme sa vie, mais un parfum suave fait d’angélique pureté et de triste poésie s’en dégage.
Elle naît vers l’an 860, sous le règne de Charles le Chauve et le gouvernement de Gérard, comte de Bourges. Sa ville natale est Villemont, non loin de la capitale du Berry, ses parents, de simples paysans, dont le nom est resté inconnu.
On sait seulement qu’ils cultivent la vigne et sont de fidèles vassaux du Comte de Bourges. « Pauvres des biens de la terre, disent ses biographes, mais riches des biens du ciel, ils remercient Dieu de leur indigence et s’estiment plus heureux que les seigneurs de la contrée. Dans le pays on les cite comme gens de probité et d’honneur ».
Ainsi que Sainte Geneviève, Solange n’est donc pas riche, mais elle n’est pas pauvre non plus puisqu’elle garde le troupeau de ses parents. Toute petite encore, elle se rend dans une grande prairie plantée de beaux arbres, proche de la ferme paternelle, et, la gaule à la main, son grand chien à ses côtés, elle mène paître ses brebis. Sa douceur est si attirante que les bêtes l’entourent, l’écoutent chanter des cantiques à la Sainte Vierge comme si elles comprenaient.
Sous un bosquet qu’ombragent des chênes et des ormes, Solange s’est fait une petite chapelle où elle prie mieux que partout ailleurs. Elle a demandé à son père d’y planter une grande croix faite de deux branches d’arbre entrecroisées, au pied, elle a groupé quelques grosses pierres et c’est là qu’elle passe toutes ses journées, entourée de ses brebis et d’une troupe d’oiseaux qui se posent sur sa tête.
Un jour de grosse chaleur que ses moutons dorment et que son chien même est au repos, elle entend une voix très douce lui dire :
« Veux-tu m’épouser pour l’éternité, petite Solange ? »
Émue par cette voix qu’elle devine être celle du Christ fait homme l’enfant répond :
« Je suis toute à vous, Seigneur ! prenez-moi pour le temps et pour l’éternité ».
Elle s’agenouille, joint les mains, et les yeux levés en extase vers la vision céleste, elle balbutie :
« Oh ! Seigneur Jésus que vous êtes beau ! »
Dès cet instant l’humble bergère s’est consacrée à Dieu… et elle n’a que sept ans, disent ses biographes.
Les années passent, l’enfant devient adolescente. Sa mère lui a raconté l’histoire de Sainte Agnès, la douce vierge de treize ans qui, repoussant l’hommage d’un jeune praticien, a préféré la mort du martyr à la vie sans Dieu. Cette foi ardente d’Agnès, cette fidélité dans l’amour juré font sur Solange une si profonde impression que la jeune vierge romaine est désormais pour elle l’unique modèle à imiter. Elle joint son nom chaque matin dans ses prières à celui de Jésus et la supplie de la soutenir dans la voie qu’elle a choisie.
Religieuse contemplative en face de la nature, la petite Solange reste des journées entières perdue dans une sorte d’extase. Une singulière conscience de ses devoirs de pastourelle se mêle pourtant à ses pieuses méditations. Elle devine quand une brebis s’égare ; alors, sans quitter son attitude de prière, elle cherche autour d’elle l’animal fugitif ; et quand elle l’a aperçu, il lui suffit d’un seul regard pour qu’incontinent la brebis revienne auprès d’elle.
Solange est d’une grande beauté (les chroniques du temps s’accordent pour l’affirmer). D’une taille élevée, bien prise, elle a des traits d’une extrême régularité et surtout un regard qui fascine par son charme souverain.
Elle entend souvent autour d’elle parler de cette beauté que beaucoup lui envient ; mais craignant que des pensées d’orgueil et de vanité ne soient pour elle un danger, elle fuit sans relâche toutes les occasions qui peuvent devenir pour elle une raison de contrister son Sauveur. Ses biographes prétendent même que quand elle lave le linge de la famille dans la petite rivière qui coule au bas de la prairie et que l’onde transparente du ruisseau lui renvoie l’image de ses traits, « elle se hâte d’agiter l’eau pour briser ce miroir, de crainte que la vanité ne vint à se glisser dans son âme ».
L’hiver, quand la neige et les frimas retiennent son troupeau à l’étable, elle passe de longues journées à l’église au pied du tabernacle. Là, dans le silence et la solitude, elle médite sur les souffrances de Jésus en croix et chaque jour le désir de verser son sang pour sa gloire devient plus ardent.
Les pauvres qui sont les membres souffrants de Jésus-Christ ont la plus large part à ses soins et à ses prières. Par une dilection toute particulière, Dieu lui a accordé le don des miracles. À quinze ans à peine, elle guérit les malades, délivre du malin esprit les âmes torturées et, par sa parole angélique, panse plus de blessures morales que sa main ne ferme de plaies au nom de Notre-Seigneur jésus-Christ. Aussi, malgré le soin qu’elle prend de fuir le regard des hommes, sa charité la trahit et le rayonnement de sa sainteté s’étend au loin.