∼∼ VII ∼∼
Grande émotion, ce matin. On va assister à la Messe aux Catacombes. Chemin faisant, Colette cause avec sa mère.
— Comment est-ce construit, maman, ce monument des Catacombes ?
— Il ne s’agit pas de monuments, ma chérie, mais bien de cimetières creusés en galeries souterraines, hors de la ville, et où un grand nombre de chrétiens, de martyrs surtout, eurent leurs sépultures ; au plus fort des persécutions, les chrétiens y trouvèrent aussi un refuge pour le culte.
— Encore des souterrains ! murmure Colette, qui décidément ne prend pas son parti de ces visites en profondeur.
De fait, il faut descendre dans le tuf et pénétrer dans de sombres galeries.
Yvon presse le mouvement : Nous visiterons l’ensemble plus tard. Avant tout, entrons dans la crypte des Papes. La Messe va commencer.
Oh ! cette Messe ! nul ne l’oubliera. Autour de l’autel de pierre, un groupe d’adolescents, vêtus de chlamydes blanches, forment couronne et répondent au prêtre tous ensemble. Les lumières se jouent sur leur blancheur et la rendent comme immatérielle, se détachant sur les murs sombres.
— On dirait des anges, chuchote Annie.
Mais Colette, saisissant la main de sa mère, lui souffle à l’oreille :
— Je reconnais le costume de Tharcisius. Il est habillé un peu comme cela, sur les images.
Tout bas, maman répond :
— Oui, et songe qu’il est parti des Catacombes pour porter le Bon Dieu aux chrétiens qui allaient mourir. Tout à l’heure, ce Jésus qu’il a défendu au prix de sa vie, nous allons tous le recevoir.
Alors Colette plonge sa tête blonde dans ses deux mains et ne bouge plus jusqu’à la communion.
Cependant le temps fuit dans cette ardente prière. Papa fait signe de sortir pour aller prendre une bonne tasse de chocolat à l’Hôtellerie des Pères Salésiens.
Yvon y retrouve le Père H., savant bien connu, qui se met immédiatement à la disposition des pèlerins, pour leur faire parcourir un peu en détail les Catacombes.
La troupe s’engage donc de nouveau dans les longues galeries qui se croisent en tous sens, et sont bordées de tombeaux creusés dans les parois.
— Autrefois, mes enfants, des dalles fermaient tous les tombeaux. Sur ces dalles, dont certaines existent encore, comme vous pouvez le constater, on retrouve des inscriptions, qui ont permis de reconnaître les corps des martyrs. A côté de celles qui désignent les martyrs, on en a retrouvé beaucoup d’autres appartenant à toute la société chrétienne d’alors. Détail touchant : ici ou là, l’esclave est enterré dans la chapelle patricienne, près de ses maîtres.
Et puis, venez voir ces peintures si intéressantes. Vous ne les comprendrez pas toutes, parce qu’elles sont symboliques. Il s’agissait de dérouter les païens, alors on prenait des signes convenus.
Ici, ce poisson traversé par un trident, c’est le symbole du Christ mourant sur la Croix, et cet autre poisson qui nage, portant sur son dos une coupe pleine de pains, c’est l’image de l’Eucharistie. Là, ces brebis groupées autour de cet homme, ce sont les Apôtres, figurés aux pieds de Notre Seigneur. De loin en loin, nous allons rencontrer des peintures de la Sainte Vierge.
Quand on étudie sérieusement ces vieilles fresques, on éprouve une grande joie à constater que les premiers chrétiens croyaient tout ce que nous croyons, adoraient les mêmes mystères, participaient aux mêmes sacrements.
Aussi, bien des conversions ont eu lieu, même en ces dernières années, sur ces tombes où reposèrent jadis les corps des martyrs. Il y en a de particulièrement populaires, et, à ce propos, avez-vous remarqué, en entrant pour assister à la Messe ce matin, la statue de Sainte Cécile ?
Colette s’est approchée du Père H. pour demander :
— Est-ce que c’est cette statue toute blanche qui représente une jolie, jolie sainte, couchée comme si elle était morte ?
— C’est cela même. Elle est en effet représentée dans l’attitude où elle mourut, si simple, si belle aussi, là même où son corps fut déposé après son martyre.
— Pourquoi l’avait-on tuée ?
— Parce qu’après avoir converti son époux et son beau-frère, elle eut encore le courage de les soutenir pendant leurs martyres et de les ensevelir après leur mort.

Le juge l’envoya chercher pour l’obliger à sacrifier aux idoles. Il est raconté de sainte Cécile que, « ni par crainte de mort ni par amour de vie, elle ne céda aux menaces du tyran ; elle lui dit même : « Ta puissance est semblable à une peau de bête enflée que la pointe d’une aiguille dégonfle facilement. »
« Après avoir subi plusieurs tortures, elle fut décapitée. Le bourreau ne parvint point à lui trancher la tète. Elle survécut trois jours, ne cessant de confirmer et de fortifier les chrétiens dans la Foi. »
— C’est beau ! dit Colette.
— Oui, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas tout. Suivez-moi, maintenant, vers cette autre partie des Catacombes, assez éloignée d’ici et qui porte le nom de Saint-Sébastien. En nous y rendant, rappelons-nous, si vous voulez, ce qu’on raconte à propos de cet admirable saint.
« Il était né à Narbonne, en Gaule. Les empereurs Dioclétien et Maximien l’avaient en grand honneur, car il tenait la principale dignité de la première cohorte.
« Dioclétien, ayant connu, par la rumeur publique, que Sébastien était depuis longtemps chrétien secret, entra en grande fureur. Il le convoqua devant lui et le taxa d’ingratitude ; mais le saint répondit que, comme chrétien, il avait toujours prié pour le salut de l’empire et de ses empereurs. Sur cette réponse, on le conduisit au milieu d’un champ ; et ayant été placé contre une colonne, Sébastien fut criblé de flèches. »
Cependant, la nuit suivante, une femme s’aperçut qu’il vivait encore. Elle le cacha, le soigna et le guérit.

A peine remis, Sébastien alla se présenter aux empereurs pour leur reprocher leurs persécutions. L’empereur fit assommer l’héroïque officier. Les chrétiens l’ont enterré aux Catacombes aux pieds des apôtres, car les corps de saint Pierre et de saint Paul restèrent quelque temps en ces lieux mêmes, ainsi que l’a prouvé une récente découverte. Venez, nous allons étudier ensemble ces grands souvenirs.
La visite se prolonge sans qu’on s’en aperçoive, lorsque, tout à coup, Bernadette est frappée par l’expression de fatigue qui cerne les yeux de sa mère. Elle s’en émeut. Maman répond souriante :
— Consultez donc vos montres ? Nous ne déjeunerons pas avant 13 h 1/2, selon votre langage moderne.
Cette constatation oblige à brusquer les adieux et les remerciements à l’adresse de l’excellent Père H., pour reprendre hâtivement la route du logis.
Cependant, quand vient la fin de l’après-midi, les supplications sont telles, que les parents consentent à descendre vers le Colisée.
Cheminant sans hâte, les pèlerins mettent un bon moment, avant d’atteindre le Colisée.
Bâti par Vespasien et Titus, pour les jeux publics qui passionnaient le peuple romain, l’immense amphithéâtre pouvait contenir 80 000 personnes. Ses puissantes murailles étaient revêtues de marbres de toutes couleurs, où chatoyait à l’aise le soleil de Rome. Maintenant encore, ses ruines imposantes donnent une impression d’incomparable grandeur.
Bernard enveloppe l’ensemble d’un long regard.
— Comme il est facile de revoir ce qui se passait dans ce cadre ! Ces tribunes, où tout Rome se pressait dans l’étalage d’un luxe fou ; au milieu, l’empereur et ses intimes ; dans l’arène, à certains jours, non plus les gladiateurs prêts au combat, mais des chrétiens désarmés. Derrière les grilles, qui ferment les profonds repaires, ménagés ici, voyez-vous, sous les gradins mêmes, les bêtes fauves qui rugissent affamées.
On les lâche : tigres, lions, panthères. Je crois les voir bondir, ils vont tout dévorer.
Annie soupire :
— Être mangée par des bêtes ! Je ne pourrais jamais !
— Allons donc, répond Bernard farceur, tu ne pourrais pas ! C’est pourtant bien simple, il n’y a qu’a se laisser manger, voilà tout !
Mais Yvon regarde sa sœur :
— Écoute, Annie ; pour te donner du courage, voici un joli trait tiré des Actes des Martyrs. Saint Aratus avait été condamné aux bêtes, mais il lui restait une terreur insurmontable : ô mon Dieu, priait-il, tout ce que vous voudrez, lion, tigre, taureau furieux, mais pas d’ours ! Je vous en supplie, pas d’ours ! Or il fut jeté aux ours, des ours qui jeûnaient depuis vingt-quatre heures ! Mais les lourdes bêtes velues, après l’avoir flairé, s’éloignèrent en grondant. Alors on lâcha un lion qui eut tôt fait, en quelques coups de dents, d’envoyer Aratus au Paradis.
D’ailleurs, on vit plus d’une fois les bêtes les plus féroces se coucher aux pieds des martyrs et les lécher. C’est ce que redoutait le grand évêque d’Antioche, saint Ignace, quand il suppliait les chrétiens de Rome de ne pas demander pour lui semblable miracle et qu’il leur écrivait : « Je suis le froment de Jésus-Christ, je dois être moulu par la dent des bêtes. » Il fut exaucé, et sa lettre reste un admirable chant d’amour au Christ. Que ce soit au Colisée, aux Catacombes ou ailleurs, tous ces martyrs de la primitive Église sont à nous. On les vénère ici depuis 1700 ans. Ce sont les aînés de la famille après tout.
— Parmi eux, déclare Bernard, il est permis d’avoir des préférences. Les miennes vont aux soldats chrétiens. Rude métier que le leur. A côté de saint Sébastien, dont nous parlions ce matin, y a‑t-il rien de plus beau que toute cette légion romaine commandée par saint Maurice, qui se laissa massacrer pour avoir refusé de participer au sacrifice païen ?
Sacrifier sa carrière, quand on l’aime tant, et sa vie, au besoin, pour garder son âme propre, ce n’est pas toujours facile, et c’est de tous les temps. Dernièrement, au Maroc, j’ai appris, dans une famille amie, qu’un officier de France, fait prisonnier par les Arabes, est mort tout comme saint Maurice, pour avoir refusé, comme lui aussi, un geste de paganisme.
Et Bernard semble défier tous les païens du monde. Jean admiratif déclare :
— Tu aurais fait, ma foi, un beau soldat martyr.
Un joyeux éclat de rire répond, puis Bernard ajoute :
— C’est plus facile à dire qu’à faire.
— Juste, dit Yvon. Mais, quand on prie, Dieu donne la force. Seulement, vous savez, les soldats de Bernard n’ont pas eu seuls toutes les gloires. Selon une expression connue, mais très exacte, le sang des martyrs coulait à flots, non seulement à Rome, mais dans les provinces romaines et particulièrement en Gaule. — Les historiens s’accordent à parler de millions de martyrs dans les trois premiers siècles, et les Bollandistes, si savants et si précis, citent plus de 20 000 noms. Dans cette foule, toutes les classes, tous les âges sont confondus. A qui les lui demande, voyez-vous, Dieu donne, jusqu’à l’héroïsme, sa grâce et son amour.
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