La dernière chevauchée des Rois Mages

Auteur : Marcotte, Bernard | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 18 minutes

Après avoir ado­ré Jésus, les Rois Mages s’en retour­nèrent dans leur pays. Voi­ci un qui nous décrit ce voyage des Rois Mages avec poésie.

* * *

La nuit tombe vite en hiver : déjà le cré­pus­cule com­men­çait, ils allaient sor­tir du royaume de Juda et gra­vis­saient la der­nière col­line ; le roi Gas­pard était sur son che­val blanc, le roi sur son che­val brun, le roi sur son che­val noir.

Légende des rois mages pour les enfants du KT

Or le Sei­gneur se pen­cha du haut du ciel et regar­da : un fris­son étrange par­cou­rait encore l’u­ni­vers, toute la Créa­tion trem­blait, sai­sie de joie et d’an­goisse, car un mys­tère venait de s’ac­com­plir et depuis le jour où le Tout-Puis­sant l’a­vait tirée du néant, rien d’aus­si for­mi­dable ne s’é­tait pro­duit : ter­ribles avaient été les grandes eaux du déluge qui avaient lavé la face de la terre, et cepen­dant le monde en avait été moins pro­fon­dé­ment ébranlé.

Comme nous dis­tin­guons au milieu d’un vaste pay­sage l’a­gi­ta­tion de quelques insectes minus­cules, l’É­ter­nel aper­çut les trois Rois qui che­vau­chaient sur la terre ; il appe­la à lui ses anges et, leur mon­trant la col­line que les voya­geurs allaient gra­vir : « Vous tra­ce­rez un che­min à tra­vers l’es­pace, depuis le som­met de cette col­line, à l’en­droit où la route va s’in­cli­ner sur l’autre ver­sant, jus­qu’au seuil de mon . » Il dit, et tout aus­si­tôt les légions célestes prirent leur vol et se dis­per­sèrent dans l’étendue.

À toutes les heures, la nuit comme le jour, au cré­pus­cule comme à l’au­rore, des nuages flottent au-des­sus de la terre ; le vent les dis­perse ou les ras­semble à sa guise, ils sont vains comme les tour­billons de pous­sière et n’ont aucune des­ti­née à accom­plir. Cette nuit-là cepen­dant, ils allaient être les ins­tru­ments d’une pen­sée divine.

« Nous ferons ce che­min avec des nuées et des vapeurs », avaient dit les anges, et les vents avaient sus­pen­du leur souffle. Inertes et dociles, les masses légères des nuages demeu­rèrent en sus­pens et les ouvriers célestes com­men­cèrent à les pous­ser vers le som­met de la col­line. En même temps, quelques-uns d’entre eux ayant glis­sé sans s’ar­rê­ter vers la terre, vinrent se poser au-des­sus des voya­geurs et les accom­pa­gnèrent, invi­sibles, mais chan­tant des chants d’une grâce mélan­co­lique et péné­trante afin de déta­cher leurs âmes de ce monde et des les pré­pa­rer au mira­cu­leux voyage.

Histoire des rois mages pour les scouts et loueteaux - Anges musiciensLe roi Gas­pard dit : « Est-ce seule­ment la nuit qui tombe, est-ce une tem­pête qui se pré­pare ? Là-haut, devant nous, je vois le ciel s’a­bais­ser sur la terre et se bâtir une muraille de nuées.

— Qu’im­porte ! dit le roi Mel­chior. Mon cœur était triste, mais voi­ci que tout s’é­claire, car une musique a reten­ti sur nos têtes et c’est toute mon âme qui l’écoute.

— Je suis comme un homme qui va dor­mir, ajou­ta le roi Bal­tha­zar ; mes pau­pières s’a­lour­dissent, mes pen­sées deviennent confuses : tout ce voyage est bien étrange. »

Ils che­vau­chaient tou­jours côte à côte : leurs mon­tures frap­paient de leurs sabots le sol dur­ci de la route, mais ils n’en­ten­daient plus que cette musique aérienne au-des­sus d’eux et ils ne sen­taient plus les secousses ni la fatigue du voyage.

Une fois encore, le roi Mel­chior par­la : « Ai-je donc res­pi­ré le par­fum d’une fleur enchan­tée ou d’un de ces arbres qui donnent la mort ? Là-bas, dans ma fer­tile val­lée, il y a des forêts odo­rantes, pleines de grâce et de fraî­cheur, et les par­fums qu’on y res­pire vous plongent par degrés insen­sibles dans un éter­nel som­meil. Ici pour­tant l’air est gla­cé et je ne vois autour de nous qu’un sol sté­rile cou­vert de rochers arides. »

Et ce fut tout : ils allaient main­te­nant, silen­cieux et immo­biles sous leurs man­teaux de pourpre et de bro­cart, la tête pen­chée sur la poi­trine, et ils ne sen­taient plus leur vie ter­restre que comme un rêve obs­cur qui s’ef­fa­çait en eux.

La nuit com­men­çait. Là-haut, au-des­sus de la col­line, à tra­vers l’es­pace, les anges entas­saient les nuées et bâtis­saient un che­min. De loin, on eût dit une tour colos­sale, une colonne qui s’é­le­vait toute droite vers le ciel, blanche et ferme avec des parois lisses. De près, on aurait vu les masses des nuages s’en­che­vê­trer les unes dans les autres, bizar­re­ment décou­pées comme ces blocs de pierre informes qu’on tire des car­rières, et ce n’é­tait pas une colonne, mais une spi­rale aux anneaux innom­brables. De l’O­rient à l’Oc­ci­dent, du Nord au Midi, les anges avaient traî­né tous les nuages vers la col­line : aucune vapeur ne flot­tait plus sous la voûte du ciel, la nuit était claire et lim­pide et l’on voyait briller toutes les étoiles. Haute était la colonne de nuées, innom­brables les anneaux de la spi­rale qui se tor­dait sans fin sur elle-même, gra­vis­sant chaque fois un des degrés du ciel : cepen­dant, elle n’a­vait pas encore atteint le seuil du Para­dis. Alors les ouvriers divins des­cen­dirent plus près de la terre, ils allèrent vers ces contrées plus douces où il n’y a pas d’hi­ver, où toute l’an­née les fleurs éclosent, où le soleil brille d’un éclat plus vif, et, dans la soli­tude par­fu­mée de la nuit qu’emplissait leur vol, au-des­sus des jar­dins aux feuillages fré­mis­sants, le long des val­lées où les fleuves glissent par­mi les roseaux, au-des­sus des plages marines qu’emplit tou­jours le bruit des vagues, ils virent s’é­tendre de molles vapeurs, plus déli­cates encore et plus fines que les nuages du ciel. C’é­taient ces brumes ondu­leuses, ces traî­nées de brouillard qu’on voit s’é­le­ver au cré­pus­cule et qui semblent être l’ha­leine même de la terre. Quand on les tra­verse, on sent l’o­deur des herbes et des feuillages, de toutes les plantes et de toutes les fleurs. De loin on les dirait vivantes tant elles sont gra­cieuses et légères : elles ont ins­pi­ré à l’es­prit des hommes bien des rêves ingé­nus ou sub­tils. Les anges savaient qu’elles étaient belles, qu’elles com­po­saient une des har­mo­nies de la nature, une des joies de la vie : mais il leur fal­lait obéir à la volon­té suprême et leur œuvre était plus magni­fique et plus enchan­te­resse que ces spectacles.

Quand on fait la mois­son, les tra­vailleurs s’empressent dans le champ : tout le monde est joyeux, le soleil brille, on n’en­tend que des chan­sons et des rires ; la faux siffle au ras des épis qui tombent par files tou­jours égales, les femmes et les enfants les ramassent et campent les gerbes, tout est lumière et fête, et nul ne songe que de ce beau champ doré qui se ridait au vent comme l’eau des lacs, il ne res­te­ra rien le soir venu, que la nudi­té de la terre appa­raî­tra, qu’on ver­ra le sol gris tout héris­sé de chaumes et qu’on aura peine à y mar­cher. Pareils à ces mois­son­neurs, les anges pleins d’une acti­vi­té joyeuse sai­sirent les brumes et, sans se sou­cier de la beau­té des pay­sages qu’ils allaient dépouiller, ils les empor­tèrent là-haut pour finir leur che­min : ils les traî­naient après eux ou les por­taient par bras­sées comme des gerbes molles qui ployaient et s’in­cli­naient sur leur corps. Leur va-et-vient emplis­sait l’es­pace et bien­tôt la route céleste fut ache­vée ; le che­min de nuées attei­gnait le seuil du Para­dis. Les anges revinrent alors dans le royaume de Dieu, lais­sant les voya­geurs suivre la voie qu’ils avaient tra­cée : seuls res­tèrent auprès d’eux ces musi­ciens invi­sibles qui devaient les gui­der et les gar­der de toute défaillance.

Les trois Rois allaient arri­ver sur le som­met de la col­line et s’en­ga­ger sur cette nou­velle route. Tou­jours silen­cieux et immo­biles, la tête incli­née sur la poi­trine, comme ense­ve­lis au fond d’eux-mêmes, ils se lais­saient por­ter de ce che­min ter­restre à ce che­min céleste, de la vie péris­sable à la vie éternelle.

Les rois mages au paradisLa mort n’est qu’un pas­sage : ce n’est qu’une minute plus grave dans une exis­tence dont rien ne peut arrê­ter le cours. Vous sui­vez la rue d’une ville, au-des­sus des mai­sons vous voyez un coin du ciel, mais votre âme se sent encore à l’é­troit et vos yeux vou­draient voir tout l’es­pace et toute la lumière. À mesure que vous vous appro­chez de l’en­ceinte, la rue se rétré­cit et devient plus sombre, plus étouf­fante. Bien­tôt même elle s’en­gage dans un long cou­loir voû­té qui perce une épaisse muraille : c’est la porte de la ville. L’air y est gla­cé, il y fait presque nuit : mais à l’autre extré­mi­té brille cette même lumière qui vous attire tou­jours. Et comme à tra­vers la joie impar­faite, à tra­vers l’an­goisse encore, votre âme per­sé­vère et se tend vers elle. Vous savez le reste : au-delà c’est un espace infi­ni qui se découvre. Donc, comme on passe d’un lieu dans un autre, comme on fran­chit l’en­ceinte d’une ville ou la fron­tière d’un pays, ain­si les Rois Mages mou­rurent. La musique qui les accom­pa­gnait, et qu’ils n’a­vaient ces­sé d’en­tendre comme à tra­vers un rêve, devint claire et gaie comme un chant de prin­temps. La tor­peur qui les acca­blait se dis­si­pa, ils rele­vèrent la tête et rou­vrirent leurs yeux : il n’y avait plus autour d’eux que l’es­pace noc­turne et cette route d’un blanc lai­teux que ne fai­saient plus réson­ner les sabots des chevaux.

« Ô bon­heur, dit le roi Mel­chior, je suis pareil à l’homme qui s’est bai­gné dans les eaux du fleuve et qui a lavé les souillures de son corps. Il se sent puri­fié, ses membres en se mêlant aux flots lim­pides sont deve­nus plus forts et plus souples, il éprouve en tous ses mou­ve­ments une grâce et une légè­re­té qui l’é­tonne. Ain­si mon âme a plon­gé dans le som­meil et elle y a pui­sé une vie nouvelle.

— Est-ce de la neige qui est tom­bée sur la col­line et qui étouffe le bruit de notre marche ? » deman­da le roi Balthazar.

Le roi Gas­pard lui répon­dit : « Si tu avais vécu dans mes mon­tagnes, roi du désert, tu sau­rais que la neige n’a pas cette dou­ceur vapo­reuse et que l’air est gla­cé au-des­sus d’elle. Je ne sais quel est ce che­min que nous sui­vons, j’i­gnore où nous mène­ra cette route et mon âme s’é­tonne encore de cette musique qui nous accom­pagne et nous enchante. »

Il y a, dans les prai­ries, des sen­tiers cou­verts de fleurs et d’herbes qui s’in­clinent un ins­tant et se relèvent sitôt qu’on les a fou­lées ; dans les forêts, la mousse et les feuilles mortes cachent la terre sous leur molle épais­seur ; le sable du rivage est doux et tié­dit au soleil ; dans les palais, il y a des tapis moel­leux qui ne sau­raient bles­ser les pieds les plus déli­cats des prin­cesses ; mais jamais route aus­si douce, d’une sub­stance aus­si ténue, n’a­vait été fou­lée. Toute la nuit les Rois Mages sui­virent les lacets innom­brables de ce che­min céleste : ils n’é­prou­vaient ni las­si­tude, ni angoisse, rien qu’une curio­si­té joyeuse, un ravis­se­ment tran­quille. Des musi­ciens invi­sibles sem­blaient les pré­cé­der et annon­cer leur venue : ils se tai­saient pour les mieux entendre.

La nuit allait finir, ils appro­chaient : les chan­sons légères, les gra­cieuses mélo­dies qui les avaient gui­dés gros­sirent peu à peu jus­qu’à deve­nir une cla­meur de triomphe qui se réper­cu­ta dans l’é­ten­due. Brus­que­ment le silence se fit : ils virent que le sol s’é­ten­dait à plat devant eux, les sabots des che­vaux réson­naient sur la terre, la route blanche avait dis­pa­ru. Ils se retour­nèrent, mais ils n’a­per­çurent que les ténèbres de la nuit et les cieux étoi­lés. Devant eux s’ou­vrait une val­lée immense ; tout au fond c’é­tait l’aube, le ciel pâlis­sait et ils com­men­çaient à dis­tin­guer sur la blan­cheur vague de l’ho­ri­zon la forme indé­cise d’une ville merveilleuse.

« Nous nous sommes éga­rés, dit le roi Bal­tha­zar, mais je bénis notre erreur. Il y a un fleuve à notre gauche : on voit briller ses eaux à tra­vers les branches des arbres. Voi­ci des col­lines et des prai­ries. En véri­té, il y a dans mon royaume des val­lées toutes pareilles. »

C’é­tait le matin au Para­dis : les Rois Mages conti­nuaient de s’a­van­cer et tout s’a­ni­mait autour d’eux. Très loin à l’O­rient une lumière dorée se répan­dait dans le ciel et repous­sait la nuit : la ville qu’on aper­ce­vait au fond de la val­lée et qui était une des Cités de Gloire du Tout-Puis­sant se déta­chait, déjà plus nette, avec ses clo­che­tons et ses dômes, ses tou­relles et ses murailles cré­ne­lées. Des vols d’anges tra­ver­saient l’es­pace. Les Che­roubs, gar­diens des fleurs, riaient dans le silence mati­nal et l’on enten­dait encore sur le som­met d’une col­line un séra­phin soli­taire qui jouait de la harpe : l’une après l’autre les notes cris­tal­lines sem­blaient se déta­cher et tom­ber dans l’es­pace lim­pide comme ces gouttes de rosée qui glissent de la pointe des herbes jus­qu’à l’eau pro­fonde des lacs. Tout s’é­clai­rait et les Rois Mages conti­nuant leur voyage, les yeux fixés sur la ville loin­taine, aper­çurent bien­tôt quel­qu’un qui leur parut être le maître de ces contrées magni­fiques et qui venait à leur ren­contre comme pour accueillir ses hôtes : il avait l’as­pect d’un grand vieillard, ses traits étaient calmes et pleins de majes­té, sa longue barbe blanche flot­tait sur sa robe vio­lette, ses regards étaient doux et péné­trants comme s’ils attei­gnaient jus­qu’au fond des choses invi­sibles, mais ce qui les frap­pa le plus en lui, c’é­tait l’as­su­rance et la cer­ti­tude de tous ses gestes. Il y a dans les actions humaines, dans nos mou­ve­ments et nos paroles mille hési­ta­tions invi­sibles, mille contra­dic­tions cachées qui donnent à notre conduite une appa­rence de trouble et de fai­blesse. Notre vie est comme une phrase bégayée, comme une ébauche aux formes indé­cises : mais à voir cet incon­nu on éprou­vait la même joie pure et pleine qu’en regar­dant la ligne har­mo­nieuse d’une sta­tue de marbre ou en écou­tant un beau vers noble­ment décla­mé par un acteur. Sans doute c’é­tait la longue habi­tude de la domi­na­tion qui s’é­tait impri­mée dans tout son corps : il était plein de sa puis­sance et de sa majes­té royale. Afin de lui témoi­gner leur res­pect, les trois voya­geurs mirent pied à terre et s’ap­pro­chèrent, tenant leurs che­vaux par la bride.

« Tu dois être un grand Roi, lui dirent-ils en s’a­ge­nouillant devant lui, et nous t’en­vions ce bon­heur et cette richesse. Tes peuples sont heu­reux et nous n’a­vons enten­du en venant vers toi que des chants et des rires. Ta val­lée est fer­tile, ta ville est magni­fique : on dirait un amon­cel­le­ment d’or et de pierres précieuses.

— Des mil­liers de val­lées, des mil­liers de villes com­posent mon empire, leur répon­dit l’inconnu.

— Je suis le roi Gas­pard, dit le pre­mier, mon peuple vit épars dans les mon­tagnes et ma ville est bâtie bien au-des­sus du niveau des plaines.

— Sur ta ville éle­vée, sur tes mon­tagnes et sur ton peuple, roi Gas­pard, je règne aussi.

— Depuis que le roi Mel­chior a fait bâtir une ville de briques au bord du fleuve, dit le second, son nom est célé­bré dans la val­lée : on a plan­té pour lui sur les ter­rasses de son palais des jar­dins magni­fiques. Les fruits de ses arbres sont les plus doux de la terre.

— Sur ta ville de briques, sur ta val­lée et sur ton fleuve, roi Mel­chior, je règne aussi.

— Connais-tu le désert ? dit le troi­sième, je suis le roi Bal­tha­zar et mon royaume est une terre aride : mais on y trouve de l’or et des joyaux. Nos che­vaux sont fins et rapides : quand le vent sou­lève dans l’air les tour­billons de sable, nous fuyons à tra­vers l’é­ten­due et nous devan­çons la tempête.

— Sur le vent de la tem­pête, sur le grain de sable du désert, sur l’or et les joyaux et sur la terre aride, roi Bal­tha­zar, je règne aus­si. Toutes les choses sont mon empire. La mon­tagne est à moi avec ses neiges et ses glaces, ses forêts silen­cieuses et ses val­lées pro­fondes. Le fleuve m’ap­par­tient depuis sa source invi­sible jus­qu’à son estuaire : les plaines qu’il tra­verse, les villes qu’il reflète sont sous ma domi­na­tion et je règne encore sur les flots innom­brables de la mer où va se perdre le tor­rent de ses eaux. Comme le maître du ver­ger pos­sède les fruits des arbres qu’il a plan­tés, je pos­sède les étoiles du ciel et tous les astres de la nuit. En véri­té, vous avez régné dans mon royaume.

Epiphanie et la royauté du Christ— Nous ne te com­pre­nons pas, dirent-ils. Depuis que nous avons quit­té notre pays tout ce qui nous entoure est mys­té­rieux. Nous sommes par­tis gui­dés par une étoile brillante et nous ne nous connais­sions pas avant cette aven­ture. Après un long voyage nous vîmes que l’é­toile s’ar­rê­tait sur un petit vil­lage et nous par­vînmes jus­qu’à une étable où un enfant venait de naître. Cet enfant était Dieu mais nous ne savons pas à quel signe sa divi­ni­té nous fut mani­fes­tée : nous lui avons offert des étoffes pré­cieuses et des joyaux, de l’en­cens et de la myrrhe. Main­te­nant nous retour­nons vers nos royaumes. Si quel­qu’une de nos richesses nous était res­tée, nous aurions aimé te l’of­frir et t’a­do­rer aussi.

— C’est à moi qu’elles furent offertes, dit l’É­ter­nel, c’est moi que vous avez ado­ré. J’ai reçu votre encens et votre myrrhe, vos étoffes et vos bijoux. Il n’y a qu’un Dieu : cet enfant est moi-même et je suis cet enfant. Deux fois, ô Rois Mages, vous avez che­vau­ché vers moi : là-bas sur les che­mins de la terre et cette nuit à tra­vers le ciel. Or c’est ici mon Para­dis et ma demeure de toute éter­ni­té, c’est le royaume céleste dont on ne revient plus. »

Il dit et comme les yeux de l’en­fant qui s’ouvrent à la lumière du matin, leur âme s’ou­vrit à la véri­té et une clar­té se fit en eux. Ils jetèrent leurs man­teaux sur le sol et se prosternèrent.

« Sei­gneur, voi­ci que nous répé­tons le geste de l’a­do­ra­tion. Là-bas sur la terre, nous sommes venus avec un grand cor­tège, les mains char­gées de riches offrandes, et toi tu nous appa­rais­sais misé­rable et comme aban­don­né. Main­te­nant c’est dans ta gloire que nous te véné­rons, ô Maître, et c’est nous qui sommes misé­rables et dépouillés. »

Le soleil sur­git au-des­sus de l’ho­ri­zon. Au fond de la plaine la Cité de Gloire s’illu­mi­na, tout à coup flam­boyante, tan­dis que der­rière eux, entre la terre et le ciel, les vents du matin ache­vaient d’é­bran­ler et de dis­per­ser le frêle che­min bâti de vapeurs et de brumes : on voyait fuir les nuages vers tous les points de l’horizon.

C’est ain­si que les Rois Mages entrèrent au Paradis.

Ber­nard Mar­cotte, 1912

Légende de l'Épiphanie
Ado­ra­tion des mages – Sebas­tia­no Conca (1676 – 1764)
Musée des Beaux-Arts Tours

2 Commentaires

  1. leyrissoux Madeleine a dit :

    trés beau recit…Merci

    6 octobre 2022
    Répondre
    • Le Raconteur a dit :

      C’est à Ber­nard Mar­cotte que revient tout le mérite.

      Et j’ap­pré­cie aus­si beau­coup la pro­fon­deur de ce beau récit.

      6 octobre 2022
      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire le pourriel. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.