Au défilé des bons anges

Auteur : Lelong, M.-H. | Ouvrage : Les bons anges .

Temps de lec­ture : 9 minutes

Chapitre VII

MAINTENANT, je vais vous dire ce qui s’est pas­sé le jour de la fête Notre-Dame des Anges, ce qui s’est pas­sé dans les rues par­se­mées de bleuets, de mar­gue­rites et de fougères. 

La pro­ces­sion était déjà très belle, mais si l’on avait pu voir, comme les anges, ce qui se pas­sait dans le cœur des petites filles de la pro­ces­sion, on aurait vu quelque chose de plus beau encore.

D’a­bord, il fai­sait un grand soleil. 

Tous ceux qui ont vu, au moins 7 ou 8 fois, reve­nir les belles fêtes de l’an­née, savent que les sai­sons suivent le calen­drier. Les choses se passent un peu comme dans le livre des « Cinq cents recettes de cui­sine » : pour une belle fête de Noël, pre­nez une église de vil­lage, des sapins, sau­pou­drez-les de neige et de givre … Une Tous­saint bien réus­sie veut une petite pluie grise. La fête de Notre-Dame des Anges, elle, doit être ser­vie chaud. Thé­rèse l’a­vait défi­nie autre­fois : « C’est quand le Bon Dieu se pro­mène sous le soleil, et moi je lui jette des fleurs. » En effet, à Notre-Dame des Anges le Bon Dieu aime tel­le­ment se pro­me­ner qu’à l’As­somp­tion il fait comme si c’é­tait la Fête-Dieu ! Donc, il y avait, ce jour-là, beau­coup de soleil. 

Le petit vil­lage dont je vous parle est posé au croi­se­ment de deux routes. Comme, à chaque bout, un repo­soir a été dres­sé, le che­min du Saint Sacre­ment forme une croix, un grand signe de croix à tra­vers les fermes et les maisons. 

Les enfants de chœur suive la croix de procession

Cela com­mence, la veille au soir, par des écha­fau­dages de ton­neaux, de caisses, de poutres. On ne croi­rait jamais qu’il en sor­ti­ra quelque chose de bien. 

On a sac­ca­gé les parterres. 

Les fers à fri­ser du vil­lage sont mobi­li­sés : des têtes bou­clées, c’est encore ce qu’on a trou­vé de mieux pour repré­sen­ter des anges.

Sur le coup de 3 heures et demie, la pro­ces­sion débouche sur la place. 

Car elle sort, à Notre-Dame des Anges, la procession. 

Dans cer­tains pays, les gens sont si méchants, si méchants, qu’ils empêchent le Bon Dieu de sor­tir une mal­heu­reuse fois par an. Alors, comme un pauvre oiseau en cage, il fait seule­ment le tour de sa prison. 

Dans mon petit vil­lage, il sort, avec les ban­nières et la fan­fare muni­ci­pale au pas caden­cé, qui lance au ciel le ton­nerre de sa musique et l’é­clat de ses cuivres bien astiqués. 

La fanfare accompagne le fête du village

Quoi ? Cet enfant de chœur tout flam­bant, qui porte la croix, et que tout le monde suit, c’est Julot, le déni­cheur de nids ? 

Voi­ci la Reine des Anges qui est la Pré­si­dente des Enfants de Marie, natu­rel­le­ment. Elle pose dou­ce­ment ses pieds, comme si elle n’a­vait presque plus besoin du sol pour marcher. 

Son immense man­teau à revers bleus est tenu par des amours de petits enfants fri­sot­tés, qui n’en croient pas leurs yeux, et que Mlle Gaby a bien de la peine à faire mar­cher comme il faut. 

Ils ont des ailes toutes petites : ce sont des angelots. 

Regar­dez l’ange gar­dien. Comme il est sérieux, avec son doigt levé vers le ciel et une main sur l’é­paule d’un petit gar­çon qui joint les menottes et qui est Mimi ! 

Voi­ci les neuf chœurs angé­liques, trois par trois. Vous ne recon­nais­sez pas le tablier noir, le tablier à car­reaux, la robe écos­saise ? Cela ne m’é­tonne pas : il n’y a plus que du blanc, voiles de tulle blanc, robes de satin blanc, san­dales de toile blanche, si légères qu’elles semblent ne plus peser. Ah ! je vous garan­tis qu’il y en a du blanc dans les neuf chœurs de la pro­ces­sion Notre-Dame des Anges. 

L'ange gardien guide le petit garçon et lui indique le ciel

N’ou­blions pas les ailes ajus­tées sur les épaules, les ailes avec des étoiles d’or piquées sur la tarlatane. 

Voi­là l’ange gar­dien de la paroisse sui­vi des anges gar­diens de la France.

Saints Anges 
priez pour la France.

De sa voi­ture de para­ly­tique, Claire a regar­dé défi­ler la pro­ces­sion, en égre­nant son cha­pe­let et en bais­sant la tête lorsque le Saint Sacre­ment est passé. 

Bon, c’est le repo­soir, le Saint Sacre­ment qui monte, le vil­lage endi­man­ché qui s’a­ge­nouille ou s’in­cline, la petite son­nette qui gre­lotte pour la bénédiction. 

Dans mon vil­lage de Notre-Dame des Anges, pen­dant que le Bon Dieu s’est arrê­té au repo­soir, pour se repo­ser un peu, comme le nom le dit, le sacris­tain, qui sue à grosses gouttes, avance à Mon­sieur le Curé des bou­quets bien fice­lés et pré­pa­rés par chaque famille, et Mon­sieur le Curé leur fait tou­cher, un à un, le soleil d’or à l’en­droit où se trouve Notre-Sei­gneur. Notre-Sei­gneur donne, pour ain­si dire, un bai­ser à chaque bou­quet que l’on conserve dans les mai­sons, au-des­sus du béni­tier. Un papier por­tant le nom de la famille est bien lié au bou­quet, comme cela on ne se trompe pas en les reprenant. 

Les petites filles déguisées en ange durant la procession

À peine le Bon Dieu est-il par­ti vers un autre repo­soir, que toutes les mamans du quar­tier, les unes après les autres, déposent leurs nour­ris­sons dans la niche où l’os­ten­soir vient de s’abriter. 

Et, je ne sais pas com­ment cela se fait, cette mar­maille qui avait pous­sé tant de cris déchi­rants, six mois ou un an plus tôt, comme autre­fois Mimi, au bap­tême, main­te­nant ne pleure plus, au contraire. 

Ces petits frères des anges sont heu­reux de se voir à cette place, si haut, avec cette bonne cha­leur, et toutes ces fleurs qui sentent bon, et tout ce monde qui les regarde avec admi­ra­tion et envie. 

Julot a remis la pro­ces­sion en marche. Elle défile devant nous. 

Hâtons-nous de revoir, encore une fois, les Anges Gar­diens de la France et de la paroisse, les anges du Para­dis, les Archanges et les Prin­ci­pau­tés, les Puis­sances, les Ver­tus et les Domi­na­tions, les Thrônes, les Ché­ru­bins et les Séra­phins ; der­rière Notre-Dame des Anges et ses ange­lots, le mys­tère de l’ange gar­dien qui touche tou­jours son petit gar­çon à l’é­paule (l’ange gar­dien envoie les ins­pi­ra­tions, c’est comme si l’on vous tou­chait à l’épaule). 

Ce que veut dire ce petit gar­çon qui tient votre place, mon cher lec­teur, est écrit en lettres dorées sur des ori­flammes mul­ti­co­lores que porte, tout de tra­vers, ce qui a de 4 à 7 ans dans le vil­lage. Et sur cha­cune de ces ori­flammes on peut lire une invo­ca­tion des lita­nies du saint Ange Gardien :

Litanie des anges :
Saint Ange, mon gardien
Saint Ange, mon consolateur

La fête continue

Épilogue

CAR il y eut un épilogue. 

Devant la sta­tue blanche et bleue de Notre-Dame des Anges, der­rière le maître-autel, Mon­sieur le Curé a ras­sem­blé les anges de la procession. 

Un peu fati­gués, les anges. Quelques ailes ont glis­sé des épaules. Mais, au fond, on est tout de même bien content. 

Le mal­heur est que tout cela va finir. 

Pas du tout. 

— Mes enfants, déclare Mon­sieur le Curé, nous allons faire durer le bon­heur que nous avons trou­vé aujourd’­hui, en ins­ti­tuant la Confré­rie des Saints Anges. La Confré­rie des Saints Anges est une asso­cia­tion de prières dont le but est d’ho­no­rer les anges qui servent le Bon Dieu avec tant de fidé­li­té, d’ob­te­nir leur pro­tec­tion sur l’É­glise, la France, les asso­ciés et leurs familles, de leur deman­der le cou­rage d’ob­ser­ver les ver­tus dont ils nous donnent l’exemple : l’a­mour de Dieu et du pro­chain, l’o­béis­sance rapide et sans mur­mure, l’in­no­cence angé­lique. Nous réci­te­rons chaque soir la petite prière à l’Ange Gar­dien, et, le pre­mier mar­di du mois, nous nous réuni­rons pour par­ler des bons anges et les prier ensemble. 

Il est inutile d’a­jou­ter que toutes les petites mains se levèrent aussitôt. 

Mlle Gaby vou­lut mon­trer l’exemple et don­na son nom. 

Claire se fit ins­crire le soir même et devint la plus fer­vente des congréganistes. 

Quelle chance ! On allait quit­ter ces belles ailes blanches et reprendre la robe écos­saise, la robe à car­reaux, le tablier noir, mais il res­te­rait quelque chose de cette grande fête. 

Et les petites filles en blanc, Thé­rèse, Made­leine, Yvette, Colette, Jean­nette, Fran­çoise, Monique, Odile, Lucienne, Denise et leurs com­pagnes reprirent le che­min de leurs mai­sons sans le regret qu’on a tou­jours lorsque quelque chose de beau vient de finir.

Ange chantant : Gloria in excelsis Deo

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