Chapitre VII
MAINTENANT, je vais vous dire ce qui s’est passé le jour de la fête Notre-Dame des Anges, ce qui s’est passé dans les rues parsemées de bleuets, de marguerites et de fougères.
La procession était déjà très belle, mais si l’on avait pu voir, comme les anges, ce qui se passait dans le cœur des petites filles de la procession, on aurait vu quelque chose de plus beau encore.
D’abord, il faisait un grand soleil.
Tous ceux qui ont vu, au moins 7 ou 8 fois, revenir les belles fêtes de l’année, savent que les saisons suivent le calendrier. Les choses se passent un peu comme dans le livre des « Cinq cents recettes de cuisine » : pour une belle fête de Noël, prenez une église de village, des sapins, saupoudrez-les de neige et de givre … Une Toussaint bien réussie veut une petite pluie grise. La fête de Notre-Dame des Anges, elle, doit être servie chaud. Thérèse l’avait définie autrefois : « C’est quand le Bon Dieu se promène sous le soleil, et moi je lui jette des fleurs. » En effet, à Notre-Dame des Anges le Bon Dieu aime tellement se promener qu’à l’Assomption il fait comme si c’était la Fête-Dieu ! Donc, il y avait, ce jour-là, beaucoup de soleil.
Le petit village dont je vous parle est posé au croisement de deux routes. Comme, à chaque bout, un reposoir a été dressé, le chemin du Saint Sacrement forme une croix, un grand signe de croix à travers les fermes et les maisons.

Cela commence, la veille au soir, par des échafaudages de tonneaux, de caisses, de poutres. On ne croirait jamais qu’il en sortira quelque chose de bien.
On a saccagé les parterres.
Les fers à friser du village sont mobilisés : des têtes bouclées, c’est encore ce qu’on a trouvé de mieux pour représenter des anges.
Sur le coup de 3 heures et demie, la procession débouche sur la place.
Car elle sort, à Notre-Dame des Anges, la procession.
Dans certains pays, les gens sont si méchants, si méchants, qu’ils empêchent le Bon Dieu de sortir une malheureuse fois par an. Alors, comme un pauvre oiseau en cage, il fait seulement le tour de sa prison.
Dans mon petit village, il sort, avec les bannières et la fanfare municipale au pas cadencé, qui lance au ciel le tonnerre de sa musique et l’éclat de ses cuivres bien astiqués.

Quoi ? Cet enfant de chœur tout flambant, qui porte la croix, et que tout le monde suit, c’est Julot, le dénicheur de nids ?
Voici la Reine des Anges qui est la Présidente des Enfants de Marie, naturellement. Elle pose doucement ses pieds, comme si elle n’avait presque plus besoin du sol pour marcher.
Son immense manteau à revers bleus est tenu par des amours de petits enfants frisottés, qui n’en croient pas leurs yeux, et que Mlle Gaby a bien de la peine à faire marcher comme il faut.
Ils ont des ailes toutes petites : ce sont des angelots.
Regardez l’ange gardien. Comme il est sérieux, avec son doigt levé vers le ciel et une main sur l’épaule d’un petit garçon qui joint les menottes et qui est Mimi !
Voici les neuf chœurs angéliques, trois par trois. Vous ne reconnaissez pas le tablier noir, le tablier à carreaux, la robe écossaise ? Cela ne m’étonne pas : il n’y a plus que du blanc, voiles de tulle blanc, robes de satin blanc, sandales de toile blanche, si légères qu’elles semblent ne plus peser. Ah ! je vous garantis qu’il y en a du blanc dans les neuf chœurs de la procession Notre-Dame des Anges.

N’oublions pas les ailes ajustées sur les épaules, les ailes avec des étoiles d’or piquées sur la tarlatane.
Voilà l’ange gardien de la paroisse suivi des anges gardiens de la France.
Saints Anges
priez pour la France.
De sa voiture de paralytique, Claire a regardé défiler la procession, en égrenant son chapelet et en baissant la tête lorsque le Saint Sacrement est passé.
Bon, c’est le reposoir, le Saint Sacrement qui monte, le village endimanché qui s’agenouille ou s’incline, la petite sonnette qui grelotte pour la bénédiction.
Dans mon village de Notre-Dame des Anges, pendant que le Bon Dieu s’est arrêté au reposoir, pour se reposer un peu, comme le nom le dit, le sacristain, qui sue à grosses gouttes, avance à Monsieur le Curé des bouquets bien ficelés et préparés par chaque famille, et Monsieur le Curé leur fait toucher, un à un, le soleil d’or à l’endroit où se trouve Notre-Seigneur. Notre-Seigneur donne, pour ainsi dire, un baiser à chaque bouquet que l’on conserve dans les maisons, au-dessus du bénitier. Un papier portant le nom de la famille est bien lié au bouquet, comme cela on ne se trompe pas en les reprenant.

À peine le Bon Dieu est-il parti vers un autre reposoir, que toutes les mamans du quartier, les unes après les autres, déposent leurs nourrissons dans la niche où l’ostensoir vient de s’abriter.
Et, je ne sais pas comment cela se fait, cette marmaille qui avait poussé tant de cris déchirants, six mois ou un an plus tôt, comme autrefois Mimi, au baptême, maintenant ne pleure plus, au contraire.
Ces petits frères des anges sont heureux de se voir à cette place, si haut, avec cette bonne chaleur, et toutes ces fleurs qui sentent bon, et tout ce monde qui les regarde avec admiration et envie.
Julot a remis la procession en marche. Elle défile devant nous.
Hâtons-nous de revoir, encore une fois, les Anges Gardiens de la France et de la paroisse, les anges du Paradis, les Archanges et les Principautés, les Puissances, les Vertus et les Dominations, les Thrônes, les Chérubins et les Séraphins ; derrière Notre-Dame des Anges et ses angelots, le mystère de l’ange gardien qui touche toujours son petit garçon à l’épaule (l’ange gardien envoie les inspirations, c’est comme si l’on vous touchait à l’épaule).
Ce que veut dire ce petit garçon qui tient votre place, mon cher lecteur, est écrit en lettres dorées sur des oriflammes multicolores que porte, tout de travers, ce qui a de 4 à 7 ans dans le village. Et sur chacune de ces oriflammes on peut lire une invocation des litanies du saint Ange Gardien :

La fête continue
Épilogue
CAR il y eut un épilogue.
Devant la statue blanche et bleue de Notre-Dame des Anges, derrière le maître-autel, Monsieur le Curé a rassemblé les anges de la procession.
Un peu fatigués, les anges. Quelques ailes ont glissé des épaules. Mais, au fond, on est tout de même bien content.
Le malheur est que tout cela va finir.
Pas du tout.
— Mes enfants, déclare Monsieur le Curé, nous allons faire durer le bonheur que nous avons trouvé aujourd’hui, en instituant la Confrérie des Saints Anges. La Confrérie des Saints Anges est une association de prières dont le but est d’honorer les anges qui servent le Bon Dieu avec tant de fidélité, d’obtenir leur protection sur l’Église, la France, les associés et leurs familles, de leur demander le courage d’observer les vertus dont ils nous donnent l’exemple : l’amour de Dieu et du prochain, l’obéissance rapide et sans murmure, l’innocence angélique. Nous réciterons chaque soir la petite prière à l’Ange Gardien, et, le premier mardi du mois, nous nous réunirons pour parler des bons anges et les prier ensemble.
Il est inutile d’ajouter que toutes les petites mains se levèrent aussitôt.
Mlle Gaby voulut montrer l’exemple et donna son nom.
Claire se fit inscrire le soir même et devint la plus fervente des congréganistes.
Quelle chance ! On allait quitter ces belles ailes blanches et reprendre la robe écossaise, la robe à carreaux, le tablier noir, mais il resterait quelque chose de cette grande fête.
Et les petites filles en blanc, Thérèse, Madeleine, Yvette, Colette, Jeannette, Françoise, Monique, Odile, Lucienne, Denise et leurs compagnes reprirent le chemin de leurs maisons sans le regret qu’on a toujours lorsque quelque chose de beau vient de finir.

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