En plein ciel

Auteur : Lelong, M.-H. | Ouvrage : Les bons anges .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Chapitre III

L’ARRIVÉE de Thé­rèse, sœur aînée de Colette, condui­sant par la main son petit frère qu’on appelle Mimi, accor­da tout le monde. 

Thé­rèse a 12 ans. Mimi a 4 ans. 

Thé­rèse est une grande fille qui sait com­ment il faut faire pour rece­voir une dame en visite, lorsque maman n’a pas fini de recueillir les œufs dans le pou­lailler. Elle fait entrer, prie gen­ti­ment de s’as­seoir, ali­mente la conver­sa­tion (par­fois, elle l’a­li­mente beau­coup trop), ce qui fait dire : « Elle est avan­cée pour son âge ». 

Michel — Mimi, si vous vou­lez — est un gros gar­çon avec des genoux éter­nel­le­ment sales et de beaux yeux noirs. Au goût des pompes litur­giques il joint le culte de l’au­to­mo­bile. Depuis le pas­sage de Mon­sei­gneur en tour­née de confir­ma­tion, il a déci­dé d’être ensemble évêque et chauf­feur. Pour l’ins­tant, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Il est encore petit. 

Il est admis, le jeu­di, à la sec­tion des filles du patronage. 

Il arrive à petits pas, son nez rose tout humide encore d’a­voir été débarbouillé. 

Quand on vit grande Thé­rèse mar­cher, comme une maman, auprès du tout petit Mimi, le sou­le­ver pour lui faire des­cendre les trois marches, il n’y eut qu’un cri dans le groupe des fillettes : « Voi­là l’ange gar­dien ! Voi­là l’ange gardien ! » 

— Et Mimi, dit Colette, sera le petit gar­çon de l’ange gardien. 

Au fait, per­sonne n’y avait son­gé. Des anges gar­diens, on en trouve plus qu’on en veut, mais il faut bien qu’ils gardent quelque chose, ces anges, et qui vou­drait se lais­ser gar­der et renon­cer à être un ange ? 

Toute la bande est debout, on entoure Mimi, on lui fait fête, on l’acclame. 

Mimi ne com­prend pas, mais il est visi­ble­ment heu­reux qu’on s’oc­cupe tel­le­ment de lui, et il s’as­so­cie à l’en­thou­siasme général. 

Hélas ! ce fut autre chose quand il fal­lut répéter. 

— Tu vois, Mimi, Thé­rèse fera comme ça (Thé­rèse met sa main gauche sur l’é­paule de Mimi et montre le ciel de l’in­dex de la main droite) et toi, tu feras comme ça (on joint les menottes de Mimi) et tu mar­che­ras bien sagement. 

Mimi, joindre les mains et mar­cher sagement !

Le voi­là, d’un seul coup, assis sur le gazon. L’ange gar­dien doit le cajo­ler pour le faire consen­tir à se remettre debout. 

L'ange gardien
L’ange gar­dien

— Il faut être un bon petit gar­çon, dit Mlle Gaby, autre­ment le bon ange va pleurer. 

Le bon ange se cache la figure et fait sem­blant de pleurer. 

Mimi, qui aime bien son bon ange, se remet en marche, mais il oublie vite que les bons anges pleurent lorsque les petits gar­çons déso­béissent, et il s’arrête. 

Mlle Gaby lui fait un petit sermon. 

— J’aime autant ne pas être un ange gar­dien, se dit plus d’une petite fille. 

Enfin, le groupe de l’ange gar­dien se remet en route. 

Pour­quoi faut-il qu’un papillon, un beau papillon noir et feu, vol­tige tout près ? Le petit gar­çon de l’ange gar­dien court après le papillon. Tant pis pour le petit gar­çon, il marche dans les orties et se pique les mol­lets. Il pleure et il faut que son bon ange le console : « Voi­là ce qui arrive aux déso­béis­sants qui courent après les papillons ». 

Les piqûres d’or­ties, les larmes, les paroles de l’ange gar­dien, font leur effet et le tour de la cour s’ac­com­plit sans autre inci­dent. Et même, sur un mot du bon ange, Mimi va cueillir un bou­ton d’or qui avait pous­sé contre le mur et l’offre gen­ti­ment à l’in­firme qui sou­rit dans sa voiture. 

— C’est tout à fait cela, dit Mlle Gaby. L’ange gar­dien conduit l’en­fant dont il est char­gé, il l’empêche de se faire piquer par toutes les méchantes choses qui poussent de tous côtés sur la terre et quand on lui déso­béit on se fait mal. Le bon ange, qui est bon, comme son nom l’in­dique, nous console et il est content lors­qu’on fait un petit plai­sir aux autres,comme Mimi qui vient de don­ner une fleur à Claire. 

L'ange gardien consolateur
L’ange gar­dien consolateur

Bra­vo pour Mimi et son bon ange ! 

— Bra­vo ! bra­vo ! acclament les petites filles. 

— Et nous, qu’est-ce qu’on fera, à la pro­ces­sion ? disent les autres. 

— Vous, vous sui­vrez le groupe de l’ange gardien. 

— N’im­porte com­ment ? demande Françoise. 

— Comme à la sor­tie de la grand’­messe, alors, ajoute Jeannette. 

— Pas du tout, répond Mlle Gaby. Les anges ne sont pas mélan­gés, il n’y a jamais désordre chez les anges. Il y en a qui sont en tête, et d’autres après. 

— Je veux être en avant, dit Yvette. 

— Made­moi­selle Yvette, dit Mlle Gaby, sachez que chez les anges ceux qui sont après ne veulent jamais la place de ceux qui sont avant. Ils sont très contents d’être là, parce que ce n’est pas la paresse qui les y a mis, mais le Bon Dieu. Tout le monde ne peut pas être pre­mier. Ceux qui sont pre­miers aiment beau­coup ceux qui viennent ensuite et sont tou­jours gen­tils pour eux. Les plus beaux anges aident tou­jours les autres. 

— Com­bien y a‑t-il de places, Made­moi­selle ? demande la petite fille à robe écos­saise. (Celle-là n’aime pas beau­coup l’ef­fort et aime autant être aidée par les autres). 

— Bon, dit Mlle Gaby, je vois que tu veux faire le der­nier chœur, c’est enten­du. (Puis s’a­dres­sant à toutes) 3 ran­gées de 3 chœurs d’anges, 3 fois 3… 

— 9, chan­tonnent les enfants. 

— 9 chœurs d’anges. Cha­cun a un nom que je vais vous dire. Ce nom sera ins­crit en lettres de papier doré, sur une écharpe. Vous mar­che­rez donc sur 3 rangs de 3. Au pre­mier rang viennent d’a­bord les Séra­phins et les Chérubins.

Les Séra­phins sont les pre­miers anges de la Cour céleste. 

Qui est pre­mière au catéchisme ? 

Les Chérubins, les Séraphins et les Thrônes

— C’est Madeleine. 

— Alors, Made­leine repré­sen­te­ra les Séraphins. 

Made­leine, comme un res­sort, fut debout et se mit à gauche du groupe. 

— Les Ché­ru­bins, eux, sont très savants. 

— Ils ont été long­temps à l’é­cole ? inter­roge Jeannette.

— Mais non : ils savent tout sans apprendre. 

Un gros sou­pir d’Y­vette signi­fia : « Quelle chance ! » et fit rire tout le monde. 

— Yvette pour­rait faire le Ché­ru­bin, dit Claire, puis­qu’elle veut être savante sans apprendre. 

— C’est chic ! s’é­cria Colette. 

Auprès du Séra­phin, pre­mière au caté­chisme, vint se ran­ger le Ché­ru­bin bonne der­nière de classe. 

— Main­te­nant il faut un Thrône.

— Un Trône ! Un Trône ! comme celui de Louis XIV ! 

— Non ! un Thrône qui s’é­crit avec un H. Ce sont les anges qui ont la spé­cia­li­té de repré­sen­ter la sou­mis­sion et l’o­béis­sance à Dieu. Nous allons faire un concours pour savoir qui a fait le plus bel acte d’o­béis­sance depuis ce matin. 

On fit le concours. Plu­sieurs avaient fait des com­mis­sions sans s’a­mu­ser en che­min. Une autre avait ber­cé son petit frère. Celle qui rem­por­ta le prix fut la petite fille au tablier noir qui avait empê­ché ses com­pagnes d’al­ler jouer près de la rivière, endroit défendu. 

— Voi­là tou­jours 3 groupes d’anges, dit Mlle Gaby. 

Deuxième ran­gée, les Dominations. 

Les Vertus, les Dominations et les Puissance

Ici, on ne cher­cha pas longtemps. 

— Colette ! Colette ! crièrent de petites voix perçantes. 

En effet, Colette veut tou­jours commander. 

— Atten­tion ! dit aus­si­tôt Mlle Gaby. Ne confon­dons pas la domi­na­tion du caprice et de l’es­prit propre avec le zèle pour la Mai­son de Dieu que repré­sente le qua­trième chœur.

Je ne suis pas sûr que Colette com­prit très bien, mais elle bais­sa le nez comme si elle avait quelque reproche à se faire sur ce chapitre. 

En tout cas, elle fut dési­gnée, et Colette la Domi­na­tion vint se ran­ger à la place du qua­trième chœur des Anges. 

— Les Ver­tus sont envoyées par Dieu, dans les assauts dif­fi­ciles, et les Puis­sances com­battent tout par­ti­cu­liè­re­ment les mau­vais anges. 

— Les mau­vais anges ? Il y a des anges méchants ? 

— Mais oui. Sou­ve­nez-vous du caté­chisme. Luci­fer est le chef des mau­vais anges. Il en a entraî­né toute une bande à sa suite. Voi­là ce que c’est que de suivre de mau­vais cama­rades. Le Bon Dieu n’en a plus vou­lu dans son para­dis, et leurs places, res­tées vides, nous attendent si nous vou­lons. Mais on ne s’en occu­pe­ra pas. Au reste, per­sonne ne vou­drait les représenter. 

— Ceux-là, dit la petite fille dont les che­veux ont la cou­leur des blés mûrs, on pour­rait les faire repré­sen­ter par les garçons. 

La petite fille aux che­veux cou­leur des épis mûrs a un frère, qu’on appelle Julot, galo­pin de 14 ans, avec lequel elle a sou­vent des démêlés. 

— Mon frère Mar­cel aus­si est méchant, dit le tablier à carreaux. 

Mlle Gaby dut inter­ve­nir pour défendre les gar­çons, qui n’ont pas tou­jours tous les torts. Sans elle, je crois bien qu’on aurait obli­gé les gar­çons à figu­rer, dans la pro­ces­sion, avec des cornes, une queue et une fourche. 

Tout ce qu’elle concé­da fut que la sœur de Julot por­te­rait l’é­charpe des Ver­tus à la pro­ces­sion, et la sœur de Mar­cel l’é­charpe des Puissances. 

Oh ! Oh ! il n’y a plus que trois chœurs angé­liques à dis­tri­buer, et il reste bien plus de trois petites filles à ser­vir. On com­mence à s’inquiéter.

— Les Prin­ci­pau­tés ! annonce Mlle Gaby. 

Les Prin­ci­pau­tés sont les anges que le Bon Dieu envoie, non pour gar­der un petit enfant qui vient de naître, mais pour gar­der une nation, un pays. Sainte Jeanne de Chan­tal, par exemple, ren­con­tra, sur la route de Lyon, les anges gar­diens de la France… 

Jean­nette sai­sit la balle au bond : 

— Oh ! mais alors, c’est moi qui repré­sen­te­rai les Prin­ci­pau­tés puisque je m’ap­pelle Jean­nette. Jeanne, Jean­nette, c’est un peu la même chose… 

Ce rai­son­ne­ment n’é­tait peut-être pas très sérieux, mais il fal­lut bien se rendre. 

Archange, Principauté, Ange

— Celle qui cite­ra deux noms d’Ar­changes célèbres, annon­ça Mlle Gaby, fera l’Ar­change à la pro­ces­sion. Deux noms d’Ar­changes bien connus.

— …

— Je vais vous aider. Le Bon Dieu se sert des Archanges dans les grandes occa­sions. Le com­bat des Bons Anges et des Mau­vais Anges est une grande occa­sion. Quel est l’Ange qui a fait par­ler de lui dans le com­bat contre Lucifer ?

— …

— Allons ! c’est le même qui dans l’his­toire de Jeanne d’Arc, à Domrémy… 

— Saint Michel, dit Jeannette. 

— Par­don ! Jean­nette fait déjà la Prin­ci­pau­té. Ça ne compte pas. Celle qui dira le nom d’un Archange gagne­ra, car je dirai un autre nom encore, pour faire les deux. Voyons, une autre grande occa­sion, quand le Bon Dieu annon­ça le petit Jésus… 

— L’Ar­change Gabriel, s’é­cria triom­pha­le­ment Fran­çoise, comme vous, Mlle Gaby ! 

— Très bien, et l’on connaît aus­si l’Ar­change Raphaël qui rame­na le jeune Tobie chez son père. Fran­çoise sera l’Ar­change, et toi (elle désigne la robe écos­saise), tu seras, comme c’est conve­nu, le groupe des simples anges. Ils sont déjà très beaux : la preuve c’est que le Bon Dieu choi­sit chez eux l’ange gardien. 

— Et nous ! il n’y a plus de place pour nous, Made­moi­selle ? sup­plièrent celles qui n’a­vaient pas encore été nommées. 

Ange musicien et Ange adorateur

On les comp­ta. Elles étaient quatre : Monique, Odile, Lucienne et Denise. 

Que feraient Monique, Odile, Lucienne et Denise, dans la pro­ces­sion Notre-Dame des Anges ? 

Claire, la petite infirme, eut une idée merveilleuse. 

— Puis­qu’il n’y a pas seule­ment des anges gar­diens pour les per­sonnes, elles pour­raient faire les anges gar­diens du village. 

— Bra­vo ! Claire, s’é­cria Mlle Gaby. Nous allons faire mieux encore. Monique por­te­ra l’ins­crip­tion : « Saint Ange, priez pour la paroisse », et les trois autres seront les anges gar­diens de la France. 

— Il en faut bien 3, remar­qua Made­leine, pour un grand pays comme la France. 

On fit la répé­ti­tion géné­rale, c’est-à-dire qu’on tour­na, pen­dant quelques minutes, dans la cour, en pro­ces­sion. Mimi, auprès de son ange gar­dien, était deve­nu sage. Les neuf chœurs angé­liques sui­vaient trois par trois, en chantant : 

Au ciel ! au ciel ! au ciel !
J'irai la voir un jour. 

Puis venaient l’ange gar­dien de la paroisse, le trio d’anges gar­diens de la France, et, fer­mant la marche, Mlle Gaby, pous­sant la voi­ture de Claire qui disait en riant : « Moi, je fais l’ambulance ».

Je ne sais plus très bien ce qui s’est racon­té ensuite. Je me sou­viens seule­ment que la Grande Demoi­selle a dit, à un cer­tain moment — et tout le monde, même Colette, était silen­cieux comme à l’église : 

« Pour par­ler des anges, ce n’est pas des paroles qu’il fau­drait, c’est de la musique, de la musique qui se ferait dou­ce­ment dans la chambre à côté, et qui serait tel­le­ment bonne à l’âme qu’on en pleu­re­rait presque ». 

Là-des­sus s’or­ga­ni­sa une par­tie de chat-per­ché qui devint bien­tôt très bruyante et pen­dant laquelle domi­nèrent — est-il besoin de l’a­jou­ter ? — les appels stri­dents de la Domination. 

Mais ici, il faut com­men­cer un autre chapitre.

L'ange de l'Annonciation ; l'ange Gabriel - Ave Maria

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