Pontmain : Mais priez mes enfants !

Auteur : De Gaulle, Joséphine-Marie | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 13 minutes

(pre­mière par­tie)

« Quelle scène sublime dans sa sim­pli­ci­té ! fait obser­ver M. le comte Lafond. Au pre­mier plan, sur le seuil de la grange, étaient les enfants, les mains jointes, les yeux tout grands ouverts, et rece­vant en plein cœur la mys­té­rieuse lumière qui jaillis­sait de l’, et que réver­bé­raient leurs naïves figures. 

« Sur le second plan, dans l’in­té­rieur de la grange ouverte, était le groupe des hommes, des femmes et des reli­gieuses, et, au milieu de ce groupe, le véné­rable pas­teur du , pros­ter­né jus­qu’à terre.

« Et plus loin, dans la pénombre, les bes­tiaux de Bar­be­dette, rumi­nant en silence.

« Ne se croi­rait-on pas trans­por­té à cette nuit mémo­rable où les ber­gers de la Judée, aver­tis par des anges envi­ron­nés d’une lumière divine, vinrent ado­rer Jésus dans l’é­table de Bethléem ? »

Alors, comme si la ajou­tait à sa gloire la belle Dame gran­dit et s’é­le­va plus haut dans le ciel.

« Elle est main­te­nant, dirent les enfants, deux fois grande comme sœur Vitaline. »

« Le cercle bleu, disaient les petits voyants, s’é­ten­dait en pro­por­tion de l’a­gran­dis­se­ment de l’ap­pa­ri­tion. Les étoiles du temps, selon leur expres­sion, se ran­geaient vive­ment comme pour lui faire place, et venaient deux à deux se ran­ger sous les pieds de la Vierge. » Ce mou­ve­ment d’é­toiles était éga­le­ment invi­sible pour les assistants.

D’autres étoiles se mul­ti­pliaient sur la robe qui en était déjà par­se­mée, « Y en a‑t-il ! y en a‑t-il ! criaient les enfants ; c’est comme une four­mi­lière.… elle est bien­tôt toute dorée. »

Désor­mais per­sonne ne dou­tait plus : l’en­thou­siasme des enfants se com­mu­ni­quait à la foule recueillie. Tous sont debout : la sœur Marie-Edouard entonne le Mag­ni­fi­cat, pour­sui­vi par toutes les voix ensemble. Le pre­mier ver­set s’a­che­vait à peine, que les quatre enfants (le petit Fri­teau n’é­tait plus là) s’é­crièrent tous à la fois : « Oh ! voi­là encore quelque chose qui se fait !.… »

Un grand écri­teau blanc, large d’en­vi­ron un mètre cin­quante cen­ti­mètres, qui s’é­ten­dait d’une extré­mi­té à l’autre de la mai­son Gui­de­coq, appa­rut au-des­sous des pieds de la Dame et du cercle bleu,.

Il sem­blait aux enfants qu’une main invi­sible tra­çât len­te­ment, sur ce fond d’une écla­tante blan­cheur, de beaux carac­tères d’or, des majus­cules, comme dans les livres. Ce furent suc­ces­si­ve­ment un M, un A, un I, puis un S.

Ce mot MAIS res­ta d’a­bord seul pen­dant dix minutes. Pen­dant ce temps d’ar­rêt, vint à pas­ser un habi­tant du bourg, Joseph Babin, qui s’en reve­nait du dehors.

Sur­pris de ces ras­sem­ble­ments et de ces chants : « Vous n’a­vez qu’à prier, dit-il, les Prus­siens sont à Laval ! »

Cette nou­velle, de nature à trou­bler toute la popu­la­tion, ne cau­sa pas le moindre effroi. Inter­prète du sen­ti­ment géné­ral, une femme répon­dit : « Eh bien ! quand même les Prus­siens seraient à l’en­trée du vil­lage, nous n’au­rions pas peur ; la sainte Vierge est avec nous. »

Bien­tôt infor­mé de ce qui se passe, ce brave homme par­tage cette confiance, et se mêle au groupe pour prier.

La nou­velle de l’oc­cu­pa­tion de Laval était heu­reu­se­ment fausse. Les Prus­siens n’y entrèrent pas, grâce, sans doute, au pèle­ri­nage et à la pro­tec­tion de d’Avesinières.

Le Mag­ni­fi­cat ache­vé, la phrase sui­vante brillait sur l’écriteau :

MAIS PRIEZ MES ENFANTS.

Cent fois, les enfants, inter­ro­gés par le curé, les sœurs et les assis­tants, épe­lèrent ces mots sans hési­ta­tion ni contra­dic­tion aucune. 

L’é­mo­tion géné­rale était pro­fonde ; il n’y avait plus d’in­cré­dules, et presque tous pleuraient.

La belle Dame sou­riait toujours.

Il était envi­ron sept heures et demie ; il y avait deux heures que durait l’apparition.

On ouvrit alors le grand por­tail de la grange, dans laquelle envi­ron soixante per­sonnes avaient cher­ché un abri contre le froid rigou­reux. À l’en­trée, on avait appor­té des chaises, sur les­quelles les enfants prirent place. Ils se levaient sou­vent pour mani­fes­ter, par des gestes expres­sifs, les sen­ti­ments d’ad­mi­ra­tion que leur ins­pi­rait le magni­fique spec­tacle qu’ils avaient seuls le pri­vi­lège de voir.

« II faut, dit le véné­rable curé, chan­ter les lita­nies de la sainte Vierge, et la prier de faire connaître sa volonté. »

Sœur Marie-Edouard com­men­ça les lita­nies. À la pre­mière invo­ca­tion, les enfants s’é­crièrent vivement :

« Voi­là encore quelque chose qui se fait. Ce sont des lettres. C’est un D. »

Et ils nom­mèrent suc­ces­si­ve­ment, et à qui le pre­mier, les lettres des mots sui­vants, com­plè­te­ment tra­cés à la fin des litanies :

DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS.

Ces mots étaient écrits sur la même ligne que les pre­miers, et en carac­tères d’or d’é­gale gran­deur. Après le mot TEMPS, était un point, de la même gran­deur que les lettres, éga­le­ment en or, et que les enfants com­pa­raient à un soleil.

« Un soleil ponc­tuant la parole divine, dit M. Chau­ve­lot, quelle image ! Les pro­phètes n’en eussent point trou­vé de plus gran­diose et de plus saisissante ! »

On com­prend la joie des assis­tants en rece­vant cette céleste assu­rance : « Nous allons donc avoir la paix ! les Prus­siens vont par­tir ! nos fils seront sau­vée ! » On enten­dait ces excla­ma­tions joyeuses, au milieu de san­glots d’at­ten­dris­se­ment. Et la Dame sou­riait, comme heu­reuse de leur bonheur.

On chan­ta alors l’Invio­la­ta. Au moment où l’on finis­sait le ver­set : O Mater alma Chris­ti cha­ris­si­ma ; les voyants lisaient ces mots, com­men­çant la ligne suivante :

MON FILS.….

Il y eut alors un fré­mis­se­ment, une émo­tion indi­cible. On n’en pou­vait plus dou­ter, l’au­guste Dame était bien la sainte Vierge, mère de Dieu !

Pen­dant la fin de la prose et le chant du Salve Regi­na, dont elle fut aus­si­tôt sui­vie, de nou­velles lettres avaient été tra­cées par la main mys­té­rieuse ; les enfants lurent :

MON FILS SE LAISSE.….

Sœur Vita­line, qui se tenait au milieu d’eux, leur fit obser­ver que, sans doute, ils lisaient mal.— « Mon Fils se laisse, cela n’a pas de sens : regar­dez donc bien, il doit y avoir : Mon Fils se lasse….. — Non, ma Sœur, il y a un I.… »

Et tous ensemble ils épe­lèrent à l’en­vi le mot laisse.….

Puis vive­ment : « Mais, ma Sœur, atten­dez, ce n’est pas fini ; voi­là encore des lettres.… »

Avant la fin du Salve Regi­na, ils lurent :

MON FILS SE LAISSE TOUCHER.

Un grand trait, doré comme les lettres, sou­li­gnait cette der­nière phrase.

Les chants avaient ces­sé. La foule, émue et recueillie, priait. Le silence n’é­tait trou­blé que par la voix des enfants, qui répé­taient à chaque ins­tant l’ins­crip­tion mys­té­rieuse et consolante.

Depuis le miracle qui avait déter­mi­né la conver­sion de Constan­tin, l’ap­pa­ri­tion de la croix, accom­pa­gnée de la légende : In hoc signo vinces, c’é­tait la pre­mière fois qu’une ins­crip­tion céleste se lisait dans les airs.

Après les prières litur­giques que nous avons men­tion­nées , le curé indi­qua le can­tique sui­vant, qu’on avait cou­tume, au Pont­main, de chan­ter depuis la guerre :

REFRAIN : Mère de l'Espérance,
Dont le nom est si doux,
Protégez notre France,
Priez, priez pour nous.
Souvenez-vous, Marie, 
Qu'un de nos souverains
Remit notre patrie
En vos augustes nains.
La crainte et la tristesse 
Ont gagné tons les cœurs : 
Rendez-nous l'allégresse, 
La paix et le bonheur.
Vous calmez les orages, 
Vous commandez aux flots, 
Vous guidez aux rivages 
Les pauvres matelots.
De là rive éternelle, 
Secondez nos efforts,
Guidez notre nacelle 
Vers les célestes ports.
En ces jours de souffrance, 
Sauvez-nous du danger, 
Épargnez à la France 
Le joug de l'étranger.
Des mères en alarmes 
Raffermissez les cœurs : 
Venez sécher les larmes, 
O Mère des douleurs.
Au combat de la gloire 
Conduisez les soldats ; 
Donnez-leur la victoire 
Au jour des saints combats. »
Et si, pour la patrie, 
Bravant les coups du sort, 
Ils vont donner leur vie, 
Ah ! couronnez leur mort.

On peut voir de plus élé­gante poé­sie, mais, à coup sûr, rien de plus patrio­tique et de plus chrétien.

Pen­dant que les strophes se conti­nuaient, la sainte Vierge, comme heu­reuse du mes­sage de misé­ri­corde qu’elle appor­tait, éle­va dou­ce­ment ses mains, évi­dem­ment en actions de grâces ; et agi­tant les doigts, comme pour accom­pa­gner le chant du can­tique, elle regar­dait les enfants avec son sou­rire, d’une dou­ceur infi­nie. Eux, de plus en plus trans­por­tés de joie, sau­taient et bat­taient des mains, en répé­tant leurs exclamations : 

« Oh ! qu’elle est belle !… qu’elle est belle !… »

Les assis­tants riaient et pleu­raient à la fois. Ils voyaient sur ces visages d’en­fants, si expres­sifs et si sin­cères, comme un reflet du céleste sou­rire qui les ravissait.

Vers la fin du can­tique, l’ins­crip­tion dis­pa­rut : il sem­bla aux enfants qu’un rou­leau cou­leur du temps, pas­sant rapi­de­ment sur les lettres, les déro­bait à leurs regards.

Alors fut chan­tée la prière d’ex­pia­tion tant recom­man­dée par Mme Morin, et que nous avons citée plus haut.

Le visage de Marie prit alors une expres­sion de gra­vi­té. Cette prière s’a­dresse à Jésus, elle va le pré­sen­ter sur l’ins­tru­ment de son dou­lou­reux sup­plice. « Nous voi­ci, dit l’ab­bé Pos­tel, arri­vés à l’une des scènes les plus émou­vantes de ce grand acte de plu­sieurs heures, qui en ren­ferme tant d’autres. Tout à coup, une croix rouge, haute d’en­vi­ron deux pieds, avec un Christ éga­le­ment rouge, parut au devant de la divine Vierge, comme sus­pen­du en l’air. Les mains de Marie étaient res­tées à la hau­teur de ses épaules pen­dant le can­tique Mère de l’Es­pé­rance : elle les abaisse, sai­sit le cru­ci­fix, l’in­cline vers les enfants, à qui elle semble l’of­frir, et ils peuvent lire cette ins­crip­tion — JÉSUS-CHRIST — en lettres rouges aus­si, au som­met de la croix, c’est-à-dire au-des­sus du croi­sillon prin­ci­pal, sur un écri­teau blanc, très long. Elle pré­sente Jésus à ceux qui sol­li­citent sa misé­ri­corde ; elle veut dis­pa­raître der­rière lui ! Voi­là ce Fils qui se laisse enfin tou­cher, qui se réjouit d’en­tendre dire au pécheur :

« Nous n’of­fen­se­rons jamais plus
Un Père qui nous aime ! »

« Priez-le donc de tout cœur, semble-t-elle dire, c’est pour vous qu’il est mort, c’est pour vous qu’a cou­lé tout ce sang dont sa croix est rou­gie, et c’est grâce à cette croix que vous obtien­drez tout. Et j’u­ni­rai mes prières aux vôtres, et, le tenant dans mes bras, je ne le lais­se­rai point aller qu’il ne vous ait bénis.… »

« La très-sainte Vierge donc, pen­chée sur l’i­mage de son Fils, s’u­nis­sait aux sup­pli­ca­tions de la foule entre­mê­lant aux strophes du can­tique le Parce Domine : « Par­don­nez, Sei­gneur, par­don­nez à votre peuple. » La grâce était obte­nue, doit-on pen­ser : car la croix rou­gie du sang de notre Rédemp­teur s’ef­fa­ça, ou plu­tôt se trans­for­ma en deux petites croix blanches, dont l’une se pla­çait sur l’é­paule droite de Marie, l’autre sur son épaule gauche, pen­dant que les bras s’a­bais­saient dans la même posi­tion qu’au commencement.…..

« Le der­nier Parce Domine ache­vé, tout à coup, de la masse d’é­toiles accu­mu­lées sous les pieds de la divine Vierge, il s’en détache une qu’on dirait ani­mée. Mon­tant vers la gauche, elle tra­verse le cercle bleu, allume la bou­gie qui est à là hau­teur des genoux, puis s’é­lève à la seconde vis-à-vis des épaules, l’al­lume éga­le­ment, passe au-des­sus de la tête en sui­vant le cercle, arrive au côté droit et allume les deux autres bou­gies. Ensuite elle remonte et va se pla­cer au-des­sus de la cou­ronne de Marie, entre la grosse étoile et le cercle bleu qui enca­drait l’ap­pa­ri­tion. On se sou­vient que trois grandes étoiles, aper­çues de toute l’as­sis­tance, et for­mant tri­angle, se trou­vaient l’une sur la tête de la Dame, les deux autres à la hau­teur de ses mains, un peu en dehors du cercle. »

La sœur Marie-Edouard avait enton­né le chant de l’hymne Ave Maris Stel­la. La Mère de Dieu sou­riait de nou­veau aux voyants. Il était envi­ron huit heures et demie.

« Mes chers amis, dit ensuite le bon curé, nous allons faire tous ensemble la prière du soir. »

Tous se mirent à genoux.

Vers l’exa­men de conscience, les enfants qui ne quit­taient pas des yeux la céleste vision, annon­cèrent qu’un grand voile blanc, par­tant de sous les pieds de la sainte Vierge et mon­tant len­te­ment, la cou­vrait jus­qu’à la cein­ture ; s’é­le­vant ensuite peu à peu il l’en­ve­lop­pa jus­qu’au cou.

Les enfants ne voyaient plus que la figure d’une beau­té toute céleste de la Dame, qui leur adres­sait un der­nier sourire.

Bien­tôt elle voi­la son visage ; la cou­ronne res­ta seule visible avec l’é­toile qui la sur­mon­tait, puis tout dis­pa­rut avec le grand cercle bleu et les quatre bou­gies qui étaient res­tées allu­mées jus­qu’à la fin.

« Voyez-vous encore, mes enfants ? deman­da le curé. — Non, mon­sieur le curé, tout à dis­pa­ru. C’est tout fini, répé­tèrent-ils tous ensemble. »

Il était alors neuf heures moins un quart.

La foule se reti­ra len­te­ment, s’en­tre­te­nant comme les ber­gers de Beth­léem, d’un évé­ne­ment si pro­di­gieux, et empor­tant un sen­ti­ment de conso­la­tion ineffable.

Appa­ri­tion du Pont­main : anté­cé­dents, appa­ri­tions, pèle­ri­nage et faveurs obte­nues, 1873

M.-J. de Gaulle

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