« Quelle scène sublime dans sa simplicité ! fait observer M. le comte Lafond. Au premier plan, sur le seuil de la grange, étaient les enfants, les mains jointes, les yeux tout grands ouverts, et recevant en plein cœur la mystérieuse lumière qui jaillissait de l’apparition, et que réverbéraient leurs naïves figures.
« Sur le second plan, dans l’intérieur de la grange ouverte, était le groupe des hommes, des femmes et des religieuses, et, au milieu de ce groupe, le vénérable pasteur du Pontmain, prosterné jusqu’à terre.
« Et plus loin, dans la pénombre, les bestiaux de Barbedette, ruminant en silence.
« Ne se croirait-on pas transporté à cette nuit mémorable où les bergers de la Judée, avertis par des anges environnés d’une lumière divine, vinrent adorer Jésus dans l’étable de Bethléem ? »
Alors, comme si la prière ajoutait à sa gloire la belle Dame grandit et s’éleva plus haut dans le ciel.
« Elle est maintenant, dirent les enfants, deux fois grande comme sœur Vitaline. »
« Le cercle bleu, disaient les petits voyants, s’étendait en proportion de l’agrandissement de l’apparition. Les étoiles du temps, selon leur expression, se rangeaient vivement comme pour lui faire place, et venaient deux à deux se ranger sous les pieds de la Vierge. » Ce mouvement d’étoiles était également invisible pour les assistants.
D’autres étoiles se multipliaient sur la robe qui en était déjà parsemée, « Y en a‑t-il ! y en a‑t-il ! criaient les enfants ; c’est comme une fourmilière.… elle est bientôt toute dorée. »
Désormais personne ne doutait plus : l’enthousiasme des enfants se communiquait à la foule recueillie. Tous sont debout : la sœur Marie-Edouard entonne le Magnificat, poursuivi par toutes les voix ensemble. Le premier verset s’achevait à peine, que les quatre enfants (le petit Friteau n’était plus là) s’écrièrent tous à la fois : « Oh ! voilà encore quelque chose qui se fait !.… »
Un grand écriteau blanc, large d’environ un mètre cinquante centimètres, qui s’étendait d’une extrémité à l’autre de la maison Guidecoq, apparut au-dessous des pieds de la Dame et du cercle bleu,.
Il semblait aux enfants qu’une main invisible traçât lentement, sur ce fond d’une éclatante blancheur, de beaux caractères d’or, des majuscules, comme dans les livres. Ce furent successivement un M, un A, un I, puis un S.
Ce mot MAIS resta d’abord seul pendant dix minutes. Pendant ce temps d’arrêt, vint à passer un habitant du bourg, Joseph Babin, qui s’en revenait du dehors.
Surpris de ces rassemblements et de ces chants : « Vous n’avez qu’à prier, dit-il, les Prussiens sont à Laval ! »
Cette nouvelle, de nature à troubler toute la population, ne causa pas le moindre effroi. Interprète du sentiment général, une femme répondit : « Eh bien ! quand même les Prussiens seraient à l’entrée du village, nous n’aurions pas peur ; la sainte Vierge est avec nous. »
Bientôt informé de ce qui se passe, ce brave homme partage cette confiance, et se mêle au groupe pour prier.
La nouvelle de l’occupation de Laval était heureusement fausse. Les Prussiens n’y entrèrent pas, grâce, sans doute, au pèlerinage et à la protection de Notre-Dame d’Avesinières.
Le Magnificat achevé, la phrase suivante brillait sur l’écriteau :
MAIS PRIEZ MES ENFANTS.
Cent fois, les enfants, interrogés par le curé, les sœurs et les assistants, épelèrent ces mots sans hésitation ni contradiction aucune.
L’émotion générale était profonde ; il n’y avait plus d’incrédules, et presque tous pleuraient.
La belle Dame souriait toujours.
Il était environ sept heures et demie ; il y avait deux heures que durait l’apparition.
On ouvrit alors le grand portail de la grange, dans laquelle environ soixante personnes avaient cherché un abri contre le froid rigoureux. À l’entrée, on avait apporté des chaises, sur lesquelles les enfants prirent place. Ils se levaient souvent pour manifester, par des gestes expressifs, les sentiments d’admiration que leur inspirait le magnifique spectacle qu’ils avaient seuls le privilège de voir.
« II faut, dit le vénérable curé, chanter les litanies de la sainte Vierge, et la prier de faire connaître sa volonté. »
Sœur Marie-Edouard commença les litanies. À la première invocation, les enfants s’écrièrent vivement :
« Voilà encore quelque chose qui se fait. Ce sont des lettres. C’est un D. »
Et ils nommèrent successivement, et à qui le premier, les lettres des mots suivants, complètement tracés à la fin des litanies :
DIEU VOUS EXAUCERA EN PEU DE TEMPS.
Ces mots étaient écrits sur la même ligne que les premiers, et en caractères d’or d’égale grandeur. Après le mot TEMPS, était un point, de la même grandeur que les lettres, également en or, et que les enfants comparaient à un soleil.
« Un soleil ponctuant la parole divine, dit M. Chauvelot, quelle image ! Les prophètes n’en eussent point trouvé de plus grandiose et de plus saisissante ! »
On comprend la joie des assistants en recevant cette céleste assurance : « Nous allons donc avoir la paix ! les Prussiens vont partir ! nos fils seront sauvée ! » On entendait ces exclamations joyeuses, au milieu de sanglots d’attendrissement. Et la Dame souriait, comme heureuse de leur bonheur.
On chanta alors l’Inviolata. Au moment où l’on finissait le verset : O Mater alma Christi charissima ; les voyants lisaient ces mots, commençant la ligne suivante :
MON FILS.….
Il y eut alors un frémissement, une émotion indicible. On n’en pouvait plus douter, l’auguste Dame était bien la sainte Vierge, mère de Dieu !
Pendant la fin de la prose et le chant du Salve Regina, dont elle fut aussitôt suivie, de nouvelles lettres avaient été tracées par la main mystérieuse ; les enfants lurent :
MON FILS SE LAISSE.….
Sœur Vitaline, qui se tenait au milieu d’eux, leur fit observer que, sans doute, ils lisaient mal.— « Mon Fils se laisse, cela n’a pas de sens : regardez donc bien, il doit y avoir : Mon Fils se lasse….. — Non, ma Sœur, il y a un I.… »
Et tous ensemble ils épelèrent à l’envi le mot laisse.….
Puis vivement : « Mais, ma Sœur, attendez, ce n’est pas fini ; voilà encore des lettres.… »
Avant la fin du Salve Regina, ils lurent :
MON FILS SE LAISSE TOUCHER.
Un grand trait, doré comme les lettres, soulignait cette dernière phrase.
Les chants avaient cessé. La foule, émue et recueillie, priait. Le silence n’était troublé que par la voix des enfants, qui répétaient à chaque instant l’inscription mystérieuse et consolante.
Depuis le miracle qui avait déterminé la conversion de Constantin, l’apparition de la croix, accompagnée de la légende : In hoc signo vinces, c’était la première fois qu’une inscription céleste se lisait dans les airs.
Après les prières liturgiques que nous avons mentionnées , le curé indiqua le cantique suivant, qu’on avait coutume, au Pontmain, de chanter depuis la guerre :
REFRAIN : Mère de l'Espérance,
Dont le nom est si doux,
Protégez notre France,
Priez, priez pour nous.
Souvenez-vous, Marie,
Qu'un de nos souverains
Remit notre patrie
En vos augustes nains.
La crainte et la tristesse Ont gagné tons les cœurs : Rendez-nous l'allégresse, La paix et le bonheur.
Vous calmez les orages, Vous commandez aux flots, Vous guidez aux rivages Les pauvres matelots.
De là rive éternelle, Secondez nos efforts, Guidez notre nacelle Vers les célestes ports.
En ces jours de souffrance, Sauvez-nous du danger, Épargnez à la France Le joug de l'étranger.
Des mères en alarmes Raffermissez les cœurs : Venez sécher les larmes, O Mère des douleurs.
Au combat de la gloire Conduisez les soldats ; Donnez-leur la victoire Au jour des saints combats. »
Et si, pour la patrie, Bravant les coups du sort, Ils vont donner leur vie, Ah ! couronnez leur mort.
On peut voir de plus élégante poésie, mais, à coup sûr, rien de plus patriotique et de plus chrétien.
Pendant que les strophes se continuaient, la sainte Vierge, comme heureuse du message de miséricorde qu’elle apportait, éleva doucement ses mains, évidemment en actions de grâces ; et agitant les doigts, comme pour accompagner le chant du cantique, elle regardait les enfants avec son sourire, d’une douceur infinie. Eux, de plus en plus transportés de joie, sautaient et battaient des mains, en répétant leurs exclamations :
« Oh ! qu’elle est belle !… qu’elle est belle !… »
Les assistants riaient et pleuraient à la fois. Ils voyaient sur ces visages d’enfants, si expressifs et si sincères, comme un reflet du céleste sourire qui les ravissait.
Vers la fin du cantique, l’inscription disparut : il sembla aux enfants qu’un rouleau couleur du temps, passant rapidement sur les lettres, les dérobait à leurs regards.
Alors fut chantée la prière d’expiation tant recommandée par Mme Morin, et que nous avons citée plus haut.
Le visage de Marie prit alors une expression de gravité. Cette prière s’adresse à Jésus, elle va le présenter sur l’instrument de son douloureux supplice. « Nous voici, dit l’abbé Postel, arrivés à l’une des scènes les plus émouvantes de ce grand acte de plusieurs heures, qui en renferme tant d’autres. Tout à coup, une croix rouge, haute d’environ deux pieds, avec un Christ également rouge, parut au devant de la divine Vierge, comme suspendu en l’air. Les mains de Marie étaient restées à la hauteur de ses épaules pendant le cantique Mère de l’Espérance : elle les abaisse, saisit le crucifix, l’incline vers les enfants, à qui elle semble l’offrir, et ils peuvent lire cette inscription — JÉSUS-CHRIST — en lettres rouges aussi, au sommet de la croix, c’est-à-dire au-dessus du croisillon principal, sur un écriteau blanc, très long. Elle présente Jésus à ceux qui sollicitent sa miséricorde ; elle veut disparaître derrière lui ! Voilà ce Fils qui se laisse enfin toucher, qui se réjouit d’entendre dire au pécheur :
« Nous n’offenserons jamais plus
Un Père qui nous aime ! »
« Priez-le donc de tout cœur, semble-t-elle dire, c’est pour vous qu’il est mort, c’est pour vous qu’a coulé tout ce sang dont sa croix est rougie, et c’est grâce à cette croix que vous obtiendrez tout. Et j’unirai mes prières aux vôtres, et, le tenant dans mes bras, je ne le laisserai point aller qu’il ne vous ait bénis.… »
« La très-sainte Vierge donc, penchée sur l’image de son Fils, s’unissait aux supplications de la foule entremêlant aux strophes du cantique le Parce Domine : « Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple. » La grâce était obtenue, doit-on penser : car la croix rougie du sang de notre Rédempteur s’effaça, ou plutôt se transforma en deux petites croix blanches, dont l’une se plaçait sur l’épaule droite de Marie, l’autre sur son épaule gauche, pendant que les bras s’abaissaient dans la même position qu’au commencement.…..
« Le dernier Parce Domine achevé, tout à coup, de la masse d’étoiles accumulées sous les pieds de la divine Vierge, il s’en détache une qu’on dirait animée. Montant vers la gauche, elle traverse le cercle bleu, allume la bougie qui est à là hauteur des genoux, puis s’élève à la seconde vis-à-vis des épaules, l’allume également, passe au-dessus de la tête en suivant le cercle, arrive au côté droit et allume les deux autres bougies. Ensuite elle remonte et va se placer au-dessus de la couronne de Marie, entre la grosse étoile et le cercle bleu qui encadrait l’apparition. On se souvient que trois grandes étoiles, aperçues de toute l’assistance, et formant triangle, se trouvaient l’une sur la tête de la Dame, les deux autres à la hauteur de ses mains, un peu en dehors du cercle. »
La sœur Marie-Edouard avait entonné le chant de l’hymne Ave Maris Stella. La Mère de Dieu souriait de nouveau aux voyants. Il était environ huit heures et demie.
« Mes chers amis, dit ensuite le bon curé, nous allons faire tous ensemble la prière du soir. »
Tous se mirent à genoux.
Vers l’examen de conscience, les enfants qui ne quittaient pas des yeux la céleste vision, annoncèrent qu’un grand voile blanc, partant de sous les pieds de la sainte Vierge et montant lentement, la couvrait jusqu’à la ceinture ; s’élevant ensuite peu à peu il l’enveloppa jusqu’au cou.
Les enfants ne voyaient plus que la figure d’une beauté toute céleste de la Dame, qui leur adressait un dernier sourire.
Bientôt elle voila son visage ; la couronne resta seule visible avec l’étoile qui la surmontait, puis tout disparut avec le grand cercle bleu et les quatre bougies qui étaient restées allumées jusqu’à la fin.
« Voyez-vous encore, mes enfants ? demanda le curé. — Non, monsieur le curé, tout à disparu. C’est tout fini, répétèrent-ils tous ensemble. »
Il était alors neuf heures moins un quart.
La foule se retira lentement, s’entretenant comme les bergers de Bethléem, d’un événement si prodigieux, et emportant un sentiment de consolation ineffable.
Apparition du Pontmain : antécédents, apparitions, pèlerinage et faveurs obtenues, 1873
M.-J. de Gaulle
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