Quelqu’un qui en sait long

Auteur : Lelong, M.-H. | Ouvrage : Les bons anges .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Chapitre V

MONSIEUR le Curé arri­vait, en effet, par la petite porte qui donne sur le jar­din du pres­by­tère. Il por­tait un grand panier rem­pli de roses en papier qu’il fal­lait entre­la­cer pour en faire des guir­landes — une rouge, une blanche, une rouge, une blanche. 

En un clin d’œil, la bande du « chat-per­ché » fut ras­sem­blée : ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de tres­ser des guir­landes de roses en papier.

— Claire vou­drait savoir, dit Mlle Gaby, si l’En­fant Jésus avait son ange gar­dien ; le caté­chisme n’en parle pas. 

— Ni l’É­van­gile non plus, répon­dit M. le Curé. 

— Natu­rel­le­ment, l’En­fant Jésus avait un ange gar­dien, dit Madeleine. 

Made­leine a beau tenir la pre­mière place du caté­chisme, M. le Curé ne croit point qu’elle soit inca­pable de se tromper. 

— Dou­ce­ment, dou­ce­ment. Que fait notre ange gardien ? 

Made­leine répond d’une seule haleine, comme on dévide une leçon de catéchisme : 

— Notre ange gar­dien nous défend, nous guide, nous conseille et prie pour nous dans les dangers. 

— Bien répon­du. Ne voyez-vous pas qu’il y a là des choses dont l’En­fant Jésus pou­vait se pas­ser ? Est-ce qu’il avait besoin d’être gui­dé et conseillé ? Non, puis­qu’il savait tout. Est-ce qu’il avait besoin qu’on prie pour lui ? Non plus, puis­qu’il était le Bon Dieu…

— Alors, l’En­fant Jésus n’a pas eu d’ange gar­dien, dit Made­leine, attris­tée et déçue. 

Visi­ble­ment, le cercle des petites filles trou­vait que c’é­tait bien dommage. 

— Atten­dez ! atten­dez ! vous allez tou­jours trop vite. Admet­tons que l’ange gar­dien de l’En­fant Jésus n’é­tait pas un ange gar­dien comme les autres. Il n’a­vait pas à envoyer de bonnes ins­pi­ra­tions, puisque tout ce qui sor­tait de Jésus était bon. Je ne sais pas, après tout, s’il devait por­ter ses mérites devant Dieu, puisque Jésus était Dieu. 

— Un seul n’au­rait pas suf­fi, il en aurait fal­lu une équipe, dit Claire. 

— Notre-Sei­gneur a par­lé des anges qu’on ver­rait, dans le ciel ouvert, mon­ter et des­cendre au-des­sus de sa tête. Si, lors­qu’il était petit, un ange, le plus beau des anges du para­dis, a été mis à son ser­vice, plus tard il en a eu plu­sieurs, et c’est lui qui les commandait. 

— Il était le gar­dien des anges gar­diens, fit Madeleine.

— Et de tous les autres anges. Il l’a dit : Je n’au­rais qu’à faire un petit signe et plus de douze légions d’anges, c’est-à-dire douze régi­ments d’anges, se pré­ci­pi­te­raient sur les méchants. 

Made­leine, Colette, Claire, toutes leurs com­pagnes virent, dans un éclair, le régi­ment de chas­seurs à che­val qui avait can­ton­né dans le vil­lage, l’au­tomne der­nier. Douze régi­ments de chas­seurs à cheval ! 

— En tout cas, pour­sui­vit Mon­sieur le Curé, dans l’his­toire de Jésus, il est bien sou­vent ques­tion d’anges qui s’oc­cupent de lui, à com­men­cer par les anges qui ont chan­té dans la nuit de Noël : Glo­ria in excel­sis Deo.

Lorsque Hérode vou­lut tuer le petit Jésus (en ce temps-là, les anges gar­diens des Saints Inno­cents arri­vèrent très nom­breux au para­dis avec des âmes toutes blanches), un ange aver­tit saint Joseph et la Sainte Vierge qu’il fal­lait par­tir tout de suite en Égypte. « L’ange du Sei­gneur, » dit l’É­van­gile. C’est un tra­vail d’ange gar­dien que fait cet ange-là. Plus tard, après le jeûne de qua­rante jours au désert… 

— Qua­rante jours ! dit Colette, à mi-voix, sur un ton d’effroi. 

— …nous savons encore que « les anges le servaient ». 

Et l’Ange de l’A­go­nie, cet Ange du Jar­din des Oli­viers dont on ne dit pas le nom, n’est-ce pas encore un des bons anges de Jésus ? 

— Et après ? fait Thérèse. 

Thé­rèse veut tou­jours savoir ce qui se passe après. Quand une his­toire est finie, elle ne manque jamais de ques­tion­ner encore : Et après ? 

— Et après ? Jésus est mon­té au ciel, et ce sont encore des anges qui ont pré­dit son retour. 

— Et après ? dit l’insatiable. 

— Après, après, les anges ont été bien contents que tout cela soit fini si heu­reu­se­ment, et ils conti­nuent de chan­ter et d’être joyeux comme aux pre­miers jours, autour de Notre-Seigneur. 

— Ils ne reviennent plus sur terre ? (Cette fois, c’est Claire qui interroge.)

— Notre-Sei­gneur Jésus-Christ est au ciel, c’est enten­du, mais il n’a pas quit­té la terre, il y a quel­qu’un qui tient sa place… 

— Le Pape ! dit la petite fille au tablier noir. 

— L’ange gar­dien de l’En­fant Jésus est deve­nu l’ange gar­dien du Pape ! s’é­cria Thé­rèse, dans un trait de génie. 

— Du calme, Thé­rèse. Disons du moins que la Sainte Église, dont Notre-Sei­gneur Jésus-Christ est l’âme, est pro­té­gée, tout natu­rel­le­ment, par les anges qui étaient pré­po­sés à son ser­vice lors­qu’il était sur terre. 

Comme il n’y avait plus moyen de dire : après, Thé­rèse fit machine en arrière : 

— Et avant la nais­sance du petit Jésus, est-ce qu’il y avait des anges gardiens ? 

— Bien enten­du. Il y avait déjà des bons anges au para­dis ter­restre. (C’é­tait le bon temps. Ceux-là avaient moins d’en­nuis que les anges gar­diens d’au­jourd’­hui). Dans l’His­toire Sainte on les trouve à chaque page. Même quand on ne parle pas d’eux, on sent bien qu’ils sont là. Après le coup du ser­pent et de la pomme, le Bon Dieu n’a­vait plus qu’une idée : pré­pa­rer la venue de l’En­fant Jésus à Bethléem. 

Ici, Mon­sieur le Curé se mit à racon­ter une his­toire, l’his­toire si jolie qu’on aime entendre redire.

Moïse dans son panier sur le Nil, protégé par son ange gardien
L’ange gar­dien de Moise

Le Pha­raon, roi d’É­gypte, qui était un homme méchant dans le genre d’Hé­rode, avait com­man­dé de tuer tous les petits gar­çons des Juifs. Il y avait une maman qui aimait beau­coup son petit gar­çon. Avec du gou­dron, comme les mari­niers en badi­geonnent leurs bateaux, elle arran­gea une cor­beille d’o­sier de telle sorte que celle-ci pou­vait flot­ter sur l’eau. Elle dépo­sa son petit gar­çon dans la cor­beille et la mit dans le Nil qui est un grand fleuve qui va tout dou­ce­ment. Près du bord, dans les roseaux, le petit dor­mait. Il se croyait encore dans son berceau. 

La fille du Pha­raon, qui venait se bai­gner, fut bien tou­chée de voir cela : un tout petit gar­çon dor­mant en suçant son pouce, dans une cor­beille d’o­sier, entre les nénu­phars du Nil. Elle prit le bébé qu’elle appe­la Moïse, ce qui veut dire : sau­vé des eaux, et l’on sait tout ce qui arri­va dans la suite. 

La Sainte Écri­ture dit bien que la sœur du petit Moïse sur­veillait à dis­tance, mais com­ment tout cela aurait-il été pos­sible si Moïse n’a­vait pas été pro­té­gé par son bon ange ? 

Eh bien ! dit encore Mon­sieur le Curé, tous les petits enfants ont cou­ru, sans le savoir, de grands dan­gers comme le petit Moïse, et c’est pour­quoi ils doivent prier sou­vent leur bon ange. Le Pha­raon, c’est le diable, il veut tuer leur âme et il faut que l’ange gar­dien vienne les défendre. 

— Je me sou­viens, dit Mlle Gaby, d’une prière à l’Ange Gabriel qu’on m’a apprise lorsque j’é­tais petite, parce que saint Gabriel est mon patron. 

En ce temps-là, je savais le Notre Père et le Je vous salue, Marie, mais je ne com­pre­nais pas très bien ce que je disais, et sou­vent, dans la prière du soir, je four­rais, à tort et à tra­vers, les paroles du Notre Père dans les paroles du Je vous salue, Marie. Mais la prière à l’Ange Gabriel, je la com­pre­nais très bien. Encore main­te­nant, cette prière revient toute seule. La voi­ci, c’est pour les bébés : 

« Ange Gabriel, des­cen­du du ciel, demande à Marie : — Marie, dor­mez-vous ? — Non, je ne dors pas. — À quoi pen­sez-vous ? — Je pense à mon petit Jésus qui a les deux pieds cloués, les deux bras éten­dus, une cou­ronne d’é­pines sur la tête. Les petits enfants qui diront Ange Gabriel au matin et au soir n’i­ront jamais en enfer. »

— Il fau­dra l’ap­prendre à Mimi, son­gea Thé­rèse, c’est très facile. 

— Elle est bien jolie, cette petite prière pour les petits enfants, dit M. le Curé, mais il y en a une autre pour les plus grands. 

Il tira, de la poche de sa sou­tane, un livre noir, et lut : 

« O mon bon ange, je me jette avec confiance entre vos bras, sou­ve­nez-vous que cette pauvre âme dont Dieu vous a confié le soin est le prix du sang de Jésus-Christ… » 

Non, dit Mon­sieur le Curé, cette prière est trop longue, en voi­ci une plus courte : 

« Ange de Dieu, que la Misé­ri­corde divine a pré­po­sé à ma garde, éclai­rez-moi de vos lumières, réglez mes actions et pro­té­gez-moi contre tous les dan­gers qui menacent mon corps et mon âme. » 

C’est une prière tout à fait sérieuse, dit-il encore, en se tour­nant du côté de Mlle Gaby, car je vois que les Sou­ve­rains Pon­tifes l’ont enri­chie de nom­breuses indul­gences. D’a­bord, de 100 jours chaque fois… 

— Qu’est-ce que c’est une indul­gence ? dit Thé­rèse, la curieuse. 

— Une indul­gence, c’est comme un bon point qui per­met­trait d’être un peu moins long­temps au Purgatoire.

— 100 bons points d’un seul coup ! s’ex­cla­ma Colette. 

— Moi, je sais une prière à l’ange gar­dien, dit Monique. Elle réci­ta aus­si­tôt, sans man­quer un mot :

« O mon bon ange gar­dien, allez, je vous en conjure, où mon Jésus repose. Dites-lui que mon cœur l’aime, l’a­dore, avec de pro­fonds sen­ti­ments d’hu­mi­li­té, d’a­mour et de recon­nais­sance, et invi­tez cet aimable pri­son­nier d’a­mour à venir dans mon cœur et à y faire son séjour. » 

— Puisque Monique sait tant de choses sur les anges gar­diens, dit M. le Curé, elle va nous dire quel jour de la semaine leur est consa­cré. Le Ven­dre­di est au Sacré-Cœur, le Same­di à la Sainte Vierge, le Dimanche est le Jour du Sei­gneur. Quel est le jour des Saints Anges ? 

On enten­dit : lun­di, jeu­di, mar­di, mercredi. 

— C’est mar­di, décla­ra M. le Curé en regar­dant tou­jours son petit livre. 

— Pour­quoi est-ce un mar­di ? deman­da Thérèse. 

— Le livre ne le dit pas, répon­dit M. le Curé, mais il dit que la fête des anges gar­diens qu’on véné­rait déjà au com­men­ce­ment de l’É­glise fut fixée, en 1870, par le pape Clé­ment X, le 2 octobre. 

— Pour moi, dit Colette qui a tou­jours réponse à tout, même quand les livres n’en ont plus, je pense que c’est à cause de la ren­trée à l’é­cole… c’est tel­le­ment dif­fi­cile d’être sage en classe. 

On n’é­tait encore que le 10 août. Il fai­sait chaud. Octobre est le mois où les hiron­delles s’en vont parce que les feuilles com­mencent à tom­ber et qu’il fait froid. Colette son­gea que ce moment-là était encore loin, très loin. Et cette pen­sée la rem­plit d’aise.

Ange gardien et un enfant sur le chemin de l'école.

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