Chapitre V
MONSIEUR le Curé arrivait, en effet, par la petite porte qui donne sur le jardin du presbytère. Il portait un grand panier rempli de roses en papier qu’il fallait entrelacer pour en faire des guirlandes — une rouge, une blanche, une rouge, une blanche.
En un clin d’œil, la bande du « chat-perché » fut rassemblée : ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de tresser des guirlandes de roses en papier.
— Claire voudrait savoir, dit Mlle Gaby, si l’Enfant Jésus avait son ange gardien ; le catéchisme n’en parle pas.
— Ni l’Évangile non plus, répondit M. le Curé.
— Naturellement, l’Enfant Jésus avait un ange gardien, dit Madeleine.
Madeleine a beau tenir la première place du catéchisme, M. le Curé ne croit point qu’elle soit incapable de se tromper.
— Doucement, doucement. Que fait notre ange gardien ?
Madeleine répond d’une seule haleine, comme on dévide une leçon de catéchisme :
— Notre ange gardien nous défend, nous guide, nous conseille et prie pour nous dans les dangers.
— Bien répondu. Ne voyez-vous pas qu’il y a là des choses dont l’Enfant Jésus pouvait se passer ? Est-ce qu’il avait besoin d’être guidé et conseillé ? Non, puisqu’il savait tout. Est-ce qu’il avait besoin qu’on prie pour lui ? Non plus, puisqu’il était le Bon Dieu…
— Alors, l’Enfant Jésus n’a pas eu d’ange gardien, dit Madeleine, attristée et déçue.
Visiblement, le cercle des petites filles trouvait que c’était bien dommage.
— Attendez ! attendez ! vous allez toujours trop vite. Admettons que l’ange gardien de l’Enfant Jésus n’était pas un ange gardien comme les autres. Il n’avait pas à envoyer de bonnes inspirations, puisque tout ce qui sortait de Jésus était bon. Je ne sais pas, après tout, s’il devait porter ses mérites devant Dieu, puisque Jésus était Dieu.
— Un seul n’aurait pas suffi, il en aurait fallu une équipe, dit Claire.
— Notre-Seigneur a parlé des anges qu’on verrait, dans le ciel ouvert, monter et descendre au-dessus de sa tête. Si, lorsqu’il était petit, un ange, le plus beau des anges du paradis, a été mis à son service, plus tard il en a eu plusieurs, et c’est lui qui les commandait.
— Il était le gardien des anges gardiens, fit Madeleine.
— Et de tous les autres anges. Il l’a dit : Je n’aurais qu’à faire un petit signe et plus de douze légions d’anges, c’est-à-dire douze régiments d’anges, se précipiteraient sur les méchants.
Madeleine, Colette, Claire, toutes leurs compagnes virent, dans un éclair, le régiment de chasseurs à cheval qui avait cantonné dans le village, l’automne dernier. Douze régiments de chasseurs à cheval !
— En tout cas, poursuivit Monsieur le Curé, dans l’histoire de Jésus, il est bien souvent question d’anges qui s’occupent de lui, à commencer par les anges qui ont chanté dans la nuit de Noël : Gloria in excelsis Deo.
Lorsque Hérode voulut tuer le petit Jésus (en ce temps-là, les anges gardiens des Saints Innocents arrivèrent très nombreux au paradis avec des âmes toutes blanches), un ange avertit saint Joseph et la Sainte Vierge qu’il fallait partir tout de suite en Égypte. « L’ange du Seigneur, » dit l’Évangile. C’est un travail d’ange gardien que fait cet ange-là. Plus tard, après le jeûne de quarante jours au désert…
— Quarante jours ! dit Colette, à mi-voix, sur un ton d’effroi.
— …nous savons encore que « les anges le servaient ».
Et l’Ange de l’Agonie, cet Ange du Jardin des Oliviers dont on ne dit pas le nom, n’est-ce pas encore un des bons anges de Jésus ?
— Et après ? fait Thérèse.