Par une nuit froide de décembre, le mistral souffle. Je descends de ma chambre et que vois-je ? La crèche illuminée par une douce lumière émanant des santons. Je me tiens coite et j’attends, fixant les yeux sur cette crèche pourtant familière que je ne reconnais plus. Qu’a-t-elle changé ? Rien, seulement cette lumière. Tiens, on dirait qu’elle transforme les personnages. Ils sourient et semblent vivants. Je m’enhardis à leur parler. Voyant l’ange joufflu qui bat des ailes, je lui demande :
— « D’où viens-tu petit ange ? »

Mais que se passe-t-il ? Il me répond :
— « Je viens du ciel et j’ai pour nom Bouffareo. On m’a appelé ainsi parce que j’ai de grosses joues à force de souffler dans ma trompette. Dieu m’a envoyé sur terre pour sonner de mon instrument à la naissance de son Fils. Mais je n’ai pas bien chaud avec mes seules ailes pour me couvrir.
— Je peux te donner ma polaire. »
L’ange, recouvert, soupira d’aise. Pour me remercier, il m’emmène voir la Sainte Vierge. Oh ! Quel émotion ! Pensez donc, entrer dans la crèche, discuter avec un ange, l’aider et, pour couronner le tout, rencontrer Notre-Dame, c’est quelque peu exceptionnel. Mais la bonne Dame du ciel me met tout à fait à l’aise :
— « Entre donc ! Tu m’as l’air frigorifiée
— Mais Notre-Dame…
— Je ne suis pas plus Notre-Dame que tu es Esther. Appelle-moi Marie, comme tout le monde.
— Si vous me le demandez, je suis bien forcé de vous obéir.

— Pourquoi me vouvoies-tu ? Suis-je une personne si respectable ?
— Bien sûr puisque tous les catholiques vous prient.
— Ah ! Je comprends. Tu est l’élue du siècle.
— L’élue du siècle ?
— Oui, chaque siècle, une âme pure à le privilège d’entrer dans la crèche pour une nuit. Tu as choisi la nuit de Noël par chance. Tu verras la naissance de mon Fils. Mais puis-je te demander un service ?
— Oui, assurément.
— Alors va chercher le bœuf et l’âne que requiert la tradition. »
Je pars chercher les deux animaux et les trouve facilement.
— « Venez, leur dis-je, il faut aller dans la crèche pour réchauffer l’Enfant-Dieu à naître.
— Hi ! Han ! Partons vite ! Quant à toi, va, erre dans la campagne. Écoute bien tout ce tu pourras entendre. »
Suivant le chemin, je vois le moulin. Et je vois les ailes qui tournent toutes seules. À cette heure de la nuit, je me dis : « Ce n’est pas normal. » Je vais avertir le meunier. Ce gros paresseux se lève, n’en croyant pas ses yeux :
— « Je les avais pourtant attachées hier avec des cordes grosses comme ça.
— Mais elles tournent vos ailes. C’est le petit Jésus qui a fait son premier miracle. »
Ce feignant de meunier a soudain envie de travailler, il va cherche du blé.

— « Soit tu es devenu fou, soit c’est un grand miracle, » dit sa femme. Il ne lui répondit pas et moud trois sacs de farine ; il en prend un sous chaque bras et un sur la tête puis se dirige vers la crèche. Son épouse le rappelle :
— « Oh ! regarde ces rascasses que j’allais jeter, car maintenant, je ne veux plus empoisonner mes clients, hier, elles n’avaient plus figure humaine et maintenant, elles sont toutes belles. Je vais en amener au petit.
— Au petit ! Mais tu n’y penses pas ! il est trop jeune pour manger des poissons !
— Cela ne fait rien. Je les lui porterai quand même. »
Et ils emmènent leurs présents au Divin enfançon.
Je continue mon chemin et j’entends des voix qui chantent. Je m’approche et je vois un groupe de bergers qui célèbrent la naissance de Jésus en chantant des cantiques. Ils m’invitent à les rejoindre
— « Viens petite, viens et chante avec nous. Réjouissons-nous car un Dieu nous est né. »
Je me mets à chanter avec eux, avec le chœur des anges des « Gloria in excelsis Deo », des « Il est né le divin Enfant » et tous ces beaux cantiques que l’on chante à l’occasion de la Nativité de Jésus. Nous sommes tous heureux et émus de vivre cette proximité de la terre et du ciel.
Puis, je continue ma route et j’entends des bruits de sabots. Je me cache derrière un buisson et je vois arriver une somptueuse caravane avec les trois rois sur leurs chameaux.
L’un des rois, un homme âgé à la longue barbe blanche, s’approche de moi et me sourit.

Timidement je lui dit :
— « Bonsoir, je suis heureuse de vous rencontrer. Je m’appelle Esther. »
— « Bonsoir, Esther. Nous sommes les Rois Mages venus d’Orient pour célébrer la naissance de Jésus, » répond l’un d’entre eux.
— « C’est un honneur de vous rencontrer. Puis-je vous aider en quelque chose ? » demandé-je.
— « Pourriez-vous nous indiquer où se trouve la crèche ? Nous avons entendu parler de la naissance d’un enfant extraordinaire et nous voudrions lui offrir nos présents, » répond un autre.
— « Bien sûr, suivez-moi, je vous y conduirai. »
Nous nous dirigeons tous ensemble vers la crèche.
En arrivant ils se jetèrent à genoux (sauf Melchior qui était vieux et qui avait la jambe raide) et ils adorèrent Jésus. Puis ils offrirent les cadeaux qu’ils avaient amené de leurs lointaines contrées :

— « Nous sommes venus de loin, guidés par une étoile brillante. Nous avons apporté de l’or, de l’encens et de la myrrhe en hommage à celui qui est né Roi des rois. »
Nous restons là, silencieux, pendant un long moment, avant que la Sainte Vierge ne se tourne vers moi et me dise :
— « Il est temps pour toi de partir, ma fille. Tu as vécu une nuit extraordinaire et tu en garderas le souvenir pour toujours. »

Je la remercie pour tout ce qu’elle a fait pour moi, pour cette nuit merveilleuse et pour ce Fils qu’elle nous a donné.
Puis le petit ange Bouffareo me raccompagne et je m’en retourne chez moi, heureuse et comblée.
Au matin de ce jour de Noël, je m’éveille, tout est identique, seul l’enfant-Jésus a pris place dans la grande crèche familiale. Le statuette de l’ange Bouffareo est toujours immobile à l’entrée de la grotte pour veiller sur la bonne tenue des santons qui visitent ce lieu. Et pourtant, ne me sourit-il pas un peu plus qu’hier ?
Soyez le premier à commenter