C’EST incroyable ! s’écria Cadiche, voici encore la vieille Sophie qui fait un nouveau gâteau ! C’est au moins le quatrième depuis deux jours et elle n’a pas l’air disposée à s’arrêter !
Atalante, la jolie jument alezane, regarda l’âne avec pitié :

— Toi qui es toujours si bien informé, dit-elle, je suis surprise que tu ne saches pas que c’est demain Noël, un grand jour de fête !
— D’autant plus, rumina Colombe, une grosse vache blonde, que tu devrais te rappeler l’histoire que l’on t’a contée comme à moi, quand tu étais petit, et dans laquelle l’un de tes ancêtres, comme l’une des miennes, réchauffait le petit Jésus qui venait de naître…
— Beuhhh… dit le bœuf, vous vous trompez ma commère ! C’était l’un de mes ancêtres, à moi !
— Qu’importe ! dit Colombe, Cadiche est impardonnable de ne pas se rappeler le rôle du sien… que vous ne pouvez nier !
— Ouah ! Ouah s’écria Myrtil, le grand chien de garde qui venait d’arriver, tout boueux et trempé, laissez-moi me sécher… De quoi parliez-vous ?
— De Noël ! répondit d’une voix grave un nouvel arrivant qui venait de faire une entrée discrète et s’était assis dans la mangeoire de Cadiche.
Des cris étonnés le saluèrent
— Mitsou ! Toi ici !… Par quel hasard ? C’est bien de l’honneur !…
Tout le monde parlait à la fois.
Mitsou, le bel angora noir, très digne, écoutait.
— La maison, dit-il enfin, est intenable ! Ce ne sont que nettoyages, rangements et désorganisation !
Un arbre de Noël dans un salon, toutes les grandes personnes s’amusent autour, en attendant que ce soit le tour des enfants. Ceux-ci courent partout, leurs souliers à la main.
— Des souliers à la main ! s’écrie un incrédule.
— Mais oui, répondit Mitsou, qui, patiemment, expliqua ce qu’ignoraient les amis de l’étable :
Les souliers dans la cheminée, la visite du petit Noël, les cadeaux aux enfants sages, qui demandaient ce qu’ils désiraient et la messe de minuit, le réveillon, et toutes les joies de cette belle fête…

Myrtil arrivait, portant avec précaution une écuelle de crème.
Pleins d’admiration, tous écoutaient quand soudain, après que Mitsou se fut tu, Cadiche secoua ses longues oreilles et prit la parole :
— Eh bien, dit-il, ce n’est pas juste !… Et nous, nous dont les ancêtres, Colombe l’a dit, étaient auprès du petit Jésus et essayaient, avec leur souffle, de le réchauffer, pourquoi n’avons-nous pas, ce jour-là, une fête aussi. ?
— Cadiche veut mettre ses sabots dans la cheminée ! s’écria Myrtil, ironique.
— Fais attention à mes sabots ! répliqua Cadiche. Ce ne serait pas la première fois qu’ils te rappelleraient la politesse.
— Allons, allons, dit Atalante, Cadiche a raison. Toi, Myrtil, tu as toujours ta part des fêtes de la maison, comme Mitsou, car Sophie, la cuisinière, vous fait profiter des restes… Mais nous ?
— Des restes, c’est cela ! reprit Mitsou qui s’installait, pattes en manchon. Mais pourquoi, un jour de fête, n’aurions-nous pas, nous aussi, un réveillon fait exprès pour nous et des cadeaux ? Nous avons été fort gentils.
Un rire léger se fit entendre puis un grand bruit d’ailes.
— Ce sont les pigeons qui rêvent, expliqua Colombe.
Mais elle se trompait. Les pigeons dormaient, tête sous l’aile.

C’étaient deux petits anges, deux petits anges du Bon Dieu, qui, chargés de noter sur un grand cahier les adresses des maisons des enfants sages, avaient, en passant, entendu parler dans, l’étable et avaient écouté curieusement.
— Ils ont raison, dit l’un d’eux, reprenant son vol.
— On en parlera Là-Haut, dit l’autre.
Et voilà sans doute pourquoi Jacqueline, se réveillant le matin du 24 décembre, songea à ses bons amis de l’étable.
— Pourquoi, se dit-elle, ne pas les fêter, eux aussi ? Je vais m’occuper de leur Noël.
Ce fut donc ainsi que, le soir, une petite ombre furtive se glissa dans l’étable, les bras chargés de paniers.
Et, un peu plus tard, à la lueur de la lune qui brillait, le plus étrange des réveillons s’organisait. Des paquets de carottes fraîches, et des mesures d’avoine, de gros blocs de sel, et de gros morceaux de pain. Il y en avait pour tous les goûts. Pour Atalante et pour Cadiche, pour Colombe et pour le bœuf Tircis.
Mais voici que Myrtil arrivait portant avec précaution une écuelle de crème à la vanille, tandis que Mitsou tenait « en son bec » une galette.
Ils trouvèrent les habitants de l’étable en grande effervescence.
Leur arrivée la fit redoubler :
— La crème est pour moi, dit Mitsou, mais Myrtil pouvait la porter plus facilement. D’ailleurs, nous partagerons galette et crème, c’est convenu.
— Et nous aussi, nous partagerons tout, hennit Atalante poussant généreusement le bloc de sel vers Colombe.
Quel beau réveillon et que tout le monde fut content !
Même les petits anges qui avaient prié le Bon Dieu, même la petite Jacqueline à qui le Bon Dieu avait suggéré la pensée de gâter ses bons amis. Et le Bon Dieu enfin, qui aime tant que ses créatures soient heureuses !…
MAD H.-GIRAUD.
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