Yvonne… c’est ma filleule, une adorable enfant de huit ans, quelque chose de délicat, de fluet, de doux, de gracieux comme une fleur… Et avec ça, de grands yeux profonds et bleus comme un ciel d’été, et une chevelure d’or soyeuse et souple… Tout le portrait de sa mère, sa pauvre mère qui dort de son dernier sommeil depuis deux ans, là-bas, clans le grand tombeau de famille. C’est pour cela que souvent, très souvent, le regard de la famille se mouille et s’attriste, au souvenir de celle qui n’est plus. Elle a bien un autre sujet de tristesse, ma filleule, c’est que son papa, qui est un médecin très riche et très expérimenté, ne fait jamais sa prière et jamais ne va à la messe…
La chambre d’Yvonne, une veille de Noël : un vrai nid blanc et rose, œuvre dernière de « pauvre maman. »
Ma filleule est en train de se déshabiller, avec l’aide de Miette, sa nourrice.
— Alors, dis, Nounou ? tu crois qu’il pourra lire mon écriture, le petit Jésus ?
— Certainement, mon ange. Le petit Jésus est très savant.
— Plus savant que sœur Brigitte ? dis, Nounou ?
— Oui, ma petite, plus savant que sœur Brigitte : le petit Jésus sait tout … tout.
— Il sait donc que papa ne fait pas sa prière… ne va pas à la messe ?
— Hélas ! oui, mignonne, et cela lui fait beaucoup de la peine.
— Et tu crois qu’il m’accordera ce que je lui demande ?
— Bien sûr, que je le crois !… Allons, mets-toi vite au lit… tes petits pieds se refroidiraient.
Yvonne installe pompeusement, bien au fond de sa petite cheminée, deux mignonnes bottines blanches. Puis, dans l’une d’elles, elle glisse… un billet.
Figurez-vous que, l’an passé, à pareil jour, ma filleule avait comploté de se tenir éveillée pour voir le petit Jésus et lui dire de convertir son papa. Mais, malgré tous ses efforts, le sommeil vint et le petit Jésus passa sans qu’elle le vît, laissant dans l’âtre une jolie boîte à ouvrage.
Cette année, de peur de se laisser surprendre, elle a… écrit au petit Jésus ! Elle n’est pas encore bien savante, ma filleule, ç’a été dur, mais enfin, maintenant, elle peut dormir tranquille…
Là, tout à côté, dans le salon, le docteur est en train de travailler. Cette veillée de Noël ne semble lui rien dire. Il est trop attaché aux biens terrestres, pour songer aux douces émotions de cette merveilleuse nuit. D’ailleurs, l’école de médecine a tué, chez lui, tout sentiment religieux. Le docteur X… est athée !…
Ce soir-là, comme d’habitude, il va déposer, avant de se coucher, un gros baiser sur le front de sa fillette endormie. Je ne sais comment, en passant devant la cheminée, il aperçoit les petites bottines encore vides, car le divin Enfant a tant à faire cette nuit, qu’il ne peut contenter tout le monde à la fois. Curieux, cet usage qu’il a oublié ; il s’approche, prend les chaussures et, par mégarde, en fait tomber la lettre destinée au petit Jésus. Il l’ouvre. Oh ! qu’elle était touchante !
Écoutez-la ; l’Enfant-Dieu ne l’a jamais reçue, bien qu’elle soit arrivée à son adresse :
« Cher petit Enfant-Jésus, disait Yvonne, vous savez que je n’ai plus de maman, puisque c’est vous qui l’avez prise dans votre paradis, quoique cela me fasse bien de la peine de ne plus la voir ; j’ai encore mon papa, mais il n’a pas l’air de vous aimer comme il faut. Il ne va pas à la messe, il ne fait pas sa prière. Vous devriez bien le convertir, vous qui êtes si bon, si bon !
Votre petite amie,
Yvonne. »
« Dites à maman que je l’embrasse bien fort, quand vous la verrez. »
Le docteur ne put maîtriser son émotion. Il passa toute la nuit à pleurer.
Le lendemain, en se levant, Yvonne trouva une belle poupée dans la cheminée, et lorsque Miette s’apprêtait à la conduire à la messe, le père s’interposa.
— C’est moi désormais qui te conduirai à la messe, mignonne, car le petit Jésus a reçu ta lettre.
Jehan de Cocagne.
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