Yvonne

Auteur : Cocagne, Jehan de | Ouvrage : Lectures Catholiques .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Yvonne… c’est ma filleule, une ado­rable enfant de huit ans, quelque chose de déli­cat, de fluet, de doux, de gra­cieux comme une fleur… Et avec ça, de grands yeux pro­fonds et bleus comme un ciel d’é­té, et une che­ve­lure d’or soyeuse et souple… Tout le por­trait de sa mère, sa pauvre mère qui dort de son der­nier som­meil depuis deux ans, là-bas, clans le grand tom­beau de famille. C’est pour cela que sou­vent, très sou­vent, le regard de la famille se mouille et s’at­triste, au sou­ve­nir de celle qui n’est plus. Elle a bien un autre sujet de tris­tesse, ma filleule, c’est que son papa, qui est un méde­cin très riche et très expé­ri­men­té, ne fait jamais sa prière et jamais ne va à la messe…


La chambre d’Y­vonne, une veille de  : un vrai nid blanc et rose, œuvre der­nière de « pauvre maman. »

Ma filleule est en train de se désha­biller, avec l’aide de Miette, sa nourrice. 

— Alors, dis, Nou­nou ? tu crois qu’il pour­ra lire mon écri­ture, le petit Jésus ? 

— Cer­tai­ne­ment, mon ange. Le petit Jésus est très savant. 

— Plus savant que sœur Bri­gitte ? dis, Nounou ? 

— Oui, ma petite, plus savant que sœur Bri­gitte : le petit Jésus sait tout … tout. 

— Il sait donc que papa ne fait pas sa prière… ne va pas à la messe ? 

— Hélas ! oui, mignonne, et cela lui fait beau­coup de la peine. 

— Et tu crois qu’il m’ac­cor­de­ra ce que je lui demande ? 

— Bien sûr, que je le crois !… Allons, mets-toi vite au lit… tes petits pieds se refroidiraient. 

Yvonne ins­talle pom­peu­se­ment, bien au fond de sa petite che­mi­née, deux mignonnes bot­tines blanches. Puis, dans l’une d’elles, elle glisse… un billet.


Figu­rez-vous que, l’an pas­sé, à pareil jour, ma filleule avait com­plo­té de se tenir éveillée pour voir le petit Jésus et lui dire de conver­tir son papa. Mais, mal­gré tous ses efforts, le som­meil vint et le petit Jésus pas­sa sans qu’elle le vît, lais­sant dans l’âtre une jolie boîte à ouvrage.


Cette année, de peur de se lais­ser sur­prendre, elle a… écrit au petit Jésus ! Elle n’est pas encore bien savante, ma filleule, ç’a été dur, mais enfin, main­te­nant, elle peut dor­mir tranquille…


Là, tout à côté, dans le salon, le doc­teur est en train de tra­vailler. Cette veillée de Noël ne semble lui rien dire. Il est trop atta­ché aux biens ter­restres, pour son­ger aux douces émo­tions de cette mer­veilleuse nuit. D’ailleurs, l’é­cole de méde­cine a tué, chez lui, tout sen­ti­ment reli­gieux. Le doc­teur X… est athée !… 

Ce soir-là, comme d’ha­bi­tude, il va dépo­ser, avant de se cou­cher, un gros bai­ser sur le front de sa fillette endor­mie. Je ne sais com­ment, en pas­sant devant la che­mi­née, il aper­çoit les petites bot­tines encore vides, car le divin Enfant a tant à faire cette nuit, qu’il ne peut conten­ter tout le monde à la fois. Curieux, cet usage qu’il a oublié ; il s’ap­proche, prend les chaus­sures et, par mégarde, en fait tom­ber la lettre des­ti­née au petit Jésus. Il l’ouvre. Oh ! qu’elle était touchante !

Écou­tez-la ; l’En­fant-Dieu ne l’a jamais reçue, bien qu’elle soit arri­vée à son adresse : 

« Cher petit Enfant-Jésus, disait Yvonne, vous savez que je n’ai plus de maman, puisque c’est vous qui l’a­vez prise dans votre para­dis, quoique cela me fasse bien de la peine de ne plus la voir ; j’ai encore mon papa, mais il n’a pas l’air de vous aimer comme il faut. Il ne va pas à la messe, il ne fait pas sa prière. Vous devriez bien le conver­tir, vous qui êtes si bon, si bon !
Votre petite amie,

Yvonne. »

« Dites à maman que je l’embrasse bien fort, quand vous la verrez. » 

Le doc­teur ne put maî­tri­ser son émo­tion. Il pas­sa toute la nuit à pleurer.

Le len­de­main, en se levant, Yvonne trou­va une belle pou­pée dans la che­mi­née, et lorsque Miette s’ap­prê­tait à la conduire à la messe, le père s’interposa.

— C’est moi désor­mais qui te condui­rai à la messe, mignonne, car le petit Jésus a reçu ta lettre.

Jehan de Cocagne.

Coloriage de Noel pour les enfants : d'après Gerard David

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