Le gâteau des Rois

Auteur : Valdor | Ouvrage : L'Étoile noëliste .

Temps de lec­ture : 13 minutes

DANS un vil­lage d’O­rient où ils étaient nés et où ils avaient tou­jours vécu, per­sonne cer­tai­ne­ment ne connais­sait, mieux les étoiles que le petit ber­ger Rhaël et sa sœur Noé­mie. Ils les avaient si sou­vent contem­plées pen­dant les belles nuits chaudes, alors qu’ils cou­chaient en plein air, à côté de leurs troupeaux.

Rhaël et Noé­mie étaient pauvres et orphe­lins, mais ils n’é­taient pas mal­heu­reux, car ils s’ai­maient ten­dre­ment, et savaient se conten­ter de leur très humble position. 

Ils avaient de petites âmes très poé­tiques et un vif sen­ti­ment du beau et de l’i­déal ; c’est pour­quoi les étoiles du ciel les atti­raient par leur clar­té et leur mystère.

Ils les appe­laient par leurs noms, savaient l’heure d’a­près leur posi­tion sur l’ho­ri­zon, et s’en ser­vaient très bien pour se guider. 

Aus­si, quel ne fut, pas leur éton­ne­ment, une nuit, d’en aper­ce­voir une nou­velle qu’ils n’a­vaient encore jamais vue !

Elle était petite, mais très brillante et parais­sait lointaine.

Le len­de­main, l’é­toile était un peu plus grosse et parais­sait plus près, et il en fut de même les nuits sui­vantes : l’astre gran­dis­sait, et se rap­pro­chait visiblement. 

Nuit étoilé - Noël, l'étoile des mages

Les petits ber­gers étaient ravis d’é­ton­ne­ment et d’ad­mi­ra­tion et for­maient mille conjec­tures concer­nant ce phé­no­mène ; mais ils n’en par­laient à per­sonne ; d’a­bord, ils vivaient presque tou­jours dans la soli­tude, éloi­gnés de toute habi­ta­tion, et puis ils étaient peu com­mu­ni­ca­tifs, se suf­fi­sant par­fai­te­ment l’un à l’autre.

Main­te­nant, l’é­toile occu­pait toutes leurs pen­sées ; ils, atten­daient la nuit avec impa­tience pour voir. Elle brillait d’un éclat, incom­pa­rable, jetant mille feux comme une escar­boucle et mon­tant chaque soir un peu plus haut dans le ciel.

Enfin, une nuit, elle attei­gnit le zénith, et sa lumière était tel­le­ment res­plen­dis­sante que Noé­mie et Rhaël, éblouie, ne pou­vaient se déci­der à se cou­cher. La nuit, était déjà avan­cée quand ils s’en­dor­mirent ; mais leur som­meil ne dura pas long­temps. De grand matin, ils furent éveillés par le bruit d’une troupe d’hommes et d’a­ni­maux qui s’a­van­çaient. Les deux enfants se pré­ci­pi­tèrent au bord de la route pour voir de quoi il s’agissait.

Ils aper­çurent de riches cha­riots traî­nés par des che­vaux de prix, des cha­meaux super­be­ment har­na­chés, une foule de ser­vi­teurs et trois hommes por­tant l’in­signe des souverains. 

La cara­vane fit halte au lieu où étaient les petits ber­gers qui contem­plaient le spec­tacle avec des yeux émer­veillés. On déploya les tentes, et on ins­tal­la le campement.

Un grand nègre qui rem­plis­sait les fonc­tions de cui­si­nier deman­da aux enfants s’ils savaient où trou­ver de l’eau dans les environs. 

Tous deux s’empressèrent de le conduire à un puits. 

Ce petit ser­vice et d’autres qu’ils ren­dirent aux gens de la suite leur gagnèrent les bonnes grâces des domes­tiques, qui leur apprirent que leurs maîtres étaient rois dans de loin­tains pays ; c’é­taient de plus des savants, des mages, hommes d’é­tude et de prière, qui, connais­sant que les temps étaient accom­plis où le Mes­sie devait naître, avaient vive­ment dési­ré le cher­cher pour l’adorer. 

Heu­reu­se­ment, une étoile mer­veilleuse leur était appa­rue pour les gui­der. Ils s’é­taient immé­dia­te­ment mis en route pour la suivre, ne dou­tant pas qu’elle s’ar­rê­te­rait au lieu où se trou­ve­rait le Sau­veur. En écou­tant le récit, le cœur des enfants bat­tit bien fort : leur étoile ! c’é­tait leur étoile ! 

Ils com­pre­naient main­te­nant pour­quoi ils la voyaient se rap­pro­cher : elle ame­nait les voya­geurs royaux dans la région. C’é­tait donc de ce côté que se trou­vait la rési­dence de l’En­fant divin ; et Noé­mie et Rhaël n’eurent plus qu’un désir : aller, eux aus­si, auprès de lui pour lui rendre leurs hom­mages et leurs adorations. 

Leur réso­lu­tion fut vite prise : puisque les rois mages sui­vaient l’é­toile, ils sui­vraient les rois mages ; ain­si ils ne pour­raient man­quer d’ar­ri­ver au but.

Une chose cepen­dant les tour­men­tait ; ils avaient aus­si appris des ser­vi­teurs que les princes appor­taient avec eux de riches pré­sents pour les offrir au petit Sau­veur, et eux, devaient-ils arri­ver les mains vides ? Ils ne pou­vaient s’y rési­gner, mal­gré leur pau­vre­té. Les trou­peaux qu’ils fai­saient paî­tra ne leur appar­te­naient pas ; ils leur étaient confiés par des pro­prié­taires qui rétri­buaient leurs ser­vices, par quelques dons en nature. Le frère et la sœur pos­sé­daient un seul ani­mal : un petit agneau qu’on leur avait aban­don­né parce que sa mère était morte et qu’on avait craint qu’il ne pût vivre ; mais les enfants l’a­vaient si bien soi­gné qu’ils avaient réus­si à l’é­le­ver. La petite bête était mignonne, docile ; elle les connais­sait bien et venait man­ger dans leur main. C’é­tait leur petit com­pa­gnon, leur dis­trac­tion favo­rite. Certes, cela leur coû­te­rait de s’en sépa­rer ; mais le sacri­fice n’en serait que plus méritoire. 

Le jour donc où les mages levèrent le camp, Noé­mie et Rhaël se mirent en route, trot­tant bra­ve­ment der­rière eux dans, la pous­sière avec leur agneau. 

Le cortège des rois mages

Tout à leur pieux désir, les enfants n’a­vaient pas pen­sé une minute com­bien ce voyage serait pénible pour eux, dénués de tout comme ils l’é­taient, et, d’ailleurs, ils l’eussent pen­sé que cela ne les aurait pas arrê­tés ; mais les pauvres petits eurent bien à souf­frir. Sou­vent leurs pieds enflés et dou­lou­reux leur refu­saient le ser­vice, et pour­tant il fal­lait mar­cher, mar­cher tou­jours, sous peine de perdre de vue la pré­cieuse cara­vane et de ne plus savoir com­ment se diriger. 

Heu­reu­se­ment, peu après leur départ, le ser­vi­teur noir qui leur avait par­lé le pre­mier jour les aper­çut et les appe­la. Les ayant inter­ro­gés et ayant appris le but de leur pénible ran­don­née, il fut tou­ché de pitié et conta la chose à ses cama­rades. L’his­toire vint aux oreilles des rois, qui, admi­rant la foi et la pié­té des enfants, leur per­mirent de faire par­tie de leur cor­tège. Ils eurent une place dans les cha­riots et de la nour­ri­ture en abon­dance. C’é­tait le com­men­ce­ment de la récom­pense que Dieu accorde tou­jours à ceux qui placent son amour avant toute chose. 

Cepen­dant, on appro­chait du terme du voyage. Les mages avaient fait une étape à Jéru­sa­lem pour s’en­qué­rir du Mes­sie. Le roi Hérode les avait vus en secret et leur avait recom­man­dé, lors­qu’ils auraient trou­vé le petit Enfant, de venir l’en aver­tir, afin qu’il pût lui aus­si aller l’a­do­rer, disait-il, quand son but, à la réa­li­té, était de le faire mourir. 

L’é­toile main­te­nant se diri­geait vers la bour­gade de Beth­léem. Enfin, elle s’ar­rê­ta. Gas­pard, Mel­chior et Bal­tha­zar s’a­per­çurent alors, non sans sur­prise, qu’elle était fixée au-des­sus du toit d’une pauvre étable. Ils y entrèrent et trou­vèrent la Sainte Famille. S’é­tant pros­ter­nés devant l’En­fant Jésus, ils l’a­do­rèrent, puis, ayant ouvert leur tré­sor, ils lui offrirent des pré­sents : de l’or, de 1’encen et de la myrrhe. De l’or, parce qu’il était un roi ; de l’en­cens, parce qu’il était un Dieu ; de la myrrhe, parce qu’il était un homme. 

L'adoration des mages

Rhaël et Noé­mie, eux aus­si, avaient péné­tré tout trem­blants dans ce pre­mier sanc­tuaire chré­tien ne pou­vaient ras­sa­sier leurs yeux de la beau­té du divin Enfant et de sa sainte Mère.

Timi­de­ment, ils dépo­sèrent à leurs pied l’a­gneau blanc dont ils avaient fait la toi­lette avec le plus grand soin, fai­sant en mème temps men­ta­le­ment l’of­frande de leurs cœurs purs et si bons, et leur joie fut inex­pri­mable quand ils virent Jésus lais­ser tom­ber sur eux son divin regard pour leur faire com­prendre qu’il agréait leur hommage. 

La halte des saints mages à Beth­léem ne fut pas longue, car ils ne pou­vaient aban­don­ner long­temps leurs États.

Ayant refor­mé leur cara­vane, ils se pré­pa­rèrent au départ. Ils avaient pro­mis aux petit ber­gers de les rame­ner à leur point de départ ; mais ayant été avi­sés divi­ne­ment, en songe, de ne pas retour­ner auprès d’Hé­rode, ils réso­lurent de ren­trer chez eux par un autre che­min, afin de faire perdre leur trace au méchant roi. 

Ils ne pou­vaient donc prendre avec eux leurs petits amis. Ils ne vou­lurent cepen­dant pas les aban­don­ner à leurs propres res­sources, pour les obli­ger à refaire à pied le pénible voyage. 

Ayant appris qu’une petite troupe de mar­chands venus, eux aus­si, se pros­ter­ner à la crèche, s’en retour­naient avec leurs ânes et leurs mulets du même côté que les enfants, ils leur confièrent ceux-ci en don­nant aux mar­chands une petite somme d’argent pour assu­rer le trans­port et l’en­tre­tien de Noé­mie et de Rhaël. 

Ceux-ci ne savaient com­ment témoi­gner leur recon­nais­sance à leurs bien­veillants pro­tec­teurs. En les quit­tant, les mages leur don­nèrent une petite outre rem­plie de vin et un grand gâteau et leur dirent :

—Pre­nez ceci et met­tez-le de côté, afin d’a­voir quelque chose à consom­mer en ren­trant chez vous.

Le petit ber­ger et sa sœur remer­cièrent avec effu­sion, et, ayant bai­sé la main des rois, ils prirent congé d’eux, le cœur rem­pli de gratitude.

Ce voyage de retour fut très amu­sant pour les enfants, les mulets trot­taient d’un bon pas, et les mar­chands trai­taient fort bien leurs petits compagnons. 

À l’en­droit où leur route dif­fé­rait de celle des enfants, ils se sépa­rèrent d’eux en leur sou­hai­tant bonne chance. 

Noé­mie et Rhaël n’é­taient qu’à deux heures de marche de chez eux. Le temps était beau, ils n’é­taient point fati­gués, c’é­tait donc un plai­sir pour eux de se ser­vir de leurs jambes. 

Ils allaient d’un pas alerte, cau­sant avec ani­ma­tion des grands évé­ne­ments qui venaient s’accomplir. 

Au bout d’une heure, ils s’ar­rê­tèrent pour faire une petite halte et s’as­sirent sur un tertre de gazon. 

— Sœur, dit Rhaël, j’ai faim, si nous goû­tions à notre superbe gâteau ? 

— Je ne demande pas mieux, répondit-elle. 

Le pré­sent, des mages fut tiré du sac, où il était soi­gneu­se­ment ren­fer­mé, et Rhaël ten­dit à sa sœur son cou­teau pour le trancher. 

Noé­mie cou­pa faci­le­ment un pre­mier mor­ceau, mais, quand elle vou­lait en déta­cher un second, son ins­tru­ment ren­con­tra une vive résis­tance ; elle appuya plus fort ; mais le cou­teau fut arrê­té de nou­veau par un objet dur. 

— Qu’y a‑t-il donc ? deman­da Rhaël. 

— Je ne sais, répon­dit Noé­mie, aus­si intri­guée que son frère. 

Alors, ayant sou­le­vé la croûte dorée qui se trou­vait en des­sus du gâteau, elle décou­vrit, niché dans la pâte, un minus­cule sachet en étoffe pré­cieuse, bro­dé de pier­re­ries. Le sachet ouvert lais­sa aper­ce­voir un dia­mant de la plus belle eau, un dia­mant digne de la cou­ronne d’un roi, un dia­mant valant une for­tune. Le frère et la sœur se regar­dèrent, suf­fo­qués d’admiration.

— Il brille autant que notre étoile, mur­mu­rèrent-ils ensemble. Car, pour eux, l’é­toile des mages était tou­jours leur étoile. 

— Les bons rois ont vou­lu nous faire une sur­prise, mur­mu­ra Noé­mie ; nous allons être riches, à présent. 

— Très riches ! répé­ta Rhaël. 

— Il ne faut pas perdre ce magni­fique dia­mant, reprit la fillette. 

— Ni nous le faire voler, ajou­ta son frère. 

Tous deux étaient déjà pris des sou­cis que donnent les biens temporels. 

— Où le cacher en atten­dant que nous le ven­dions ? se demandèrent-ils. 

— Il faut le remettre où il était pour l’ins­tant, dit Noé­mie, ce sera le plus sûr. 

Elle intro­dui­sit la pierre éblouis­sante dans le sachet, remit celui-ci dans son alvéole de pâte, rabat­tit le mor­ceau de croûte sou­le­vé et cou­pa soi­gneu­se­ment, pour la mettre de, côté, la par­tie du gâteau conte­nant le brillant ; puis elle et son frère se mirent à man­ger le reste, tout en fai­sant des pro­jets d’avenir. 

Sou­dain, sur la route, appa­rut une vieille femme tenant un bébé dans ses bras. Tous deux étaient aus­si pâles, aus­si maigres, aus­si dégue­nillés qu’il est possible.

La mal­heu­reuse s’ap­puyait péni­ble­ment sur un bâton, et l’en­fant gémis­sait dou­ce­ment comme s’il n’a­vait pas la force de crier. 

En arri­vant devant le tertre où les enfants étaient assis, la vieille s’y lais­sa tom­ber, acca­blée, et des larmes se mirent à cou­ler le long de ses joues ridées. 

— Qu’as-tu, bonne mère ? lui deman­dèrent le frère et la sœur. 

— Je suis à bout de tout, répon­dit la mal­heu­reuse ; je meurs de faim ain­si que ce pauvre petit. C’est le fils de ma fille ; son père et sa mère sont morts, nous lais­sant tous les deux sans res­source. Vieille et malade, com­ment puis-je tra­vailler pour gagner ma vie et la sienne ? Mes forces dimi­nuent de jour en jour. D’i­ci peu, je le sens bien, je serai morte et lui aussi. 

Noé­mie et Rhaël échan­gèrent un regard et se comprirent. 

— Tu ne le regret­te­ras pas ? Rhaël, deman­da la sœur.

— Oh ! non, répon­dit le frère, et toi ?

— Moi, pas davan­tage ; main­te­nant que j’ai vu le Mes­sie, je ne désire plus rien, il ne nous lais­se­ra pas plus man­quer dans l’a­ve­nir que dans pas­sé. Alors, nous le donnons ?

— Bien sûr !

La fillette prit le mor­ceau de gâteau avec sont pré­cieux conte­nu, et, le posant sur genoux de l’aïeule :

— Pre­nez, dit-elle, c’est tout ce que nous avons mais nous vous le don­nons de bon cœur. 

Et, ayant sai­si la main de son frère, elle s’en­fuit en cou­rant pour évi­ter des remer­cie­ments et peut-être un refus.

Rhaël et Noé­mie ren­trèrent dans leur demeure aus­si pauvre des biens du monde qu’ils en étaient par­tis, et cepen­dant ils reve­naient riches incom­pa­ra­ble­ment, puis­qu’ils rap­por­taient avec eux un tré­sor de foi, d’es­pé­rance et de charité.

Val­dor.

Coloriage Vitrail de la Nativité

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