DANS un village d’Orient où ils étaient nés et où ils avaient toujours vécu, personne certainement ne connaissait, mieux les étoiles que le petit berger Rhaël et sa sœur Noémie. Ils les avaient si souvent contemplées pendant les belles nuits chaudes, alors qu’ils couchaient en plein air, à côté de leurs troupeaux.
Rhaël et Noémie étaient pauvres et orphelins, mais ils n’étaient pas malheureux, car ils s’aimaient tendrement, et savaient se contenter de leur très humble position.
Ils avaient de petites âmes très poétiques et un vif sentiment du beau et de l’idéal ; c’est pourquoi les étoiles du ciel les attiraient par leur clarté et leur mystère.
Ils les appelaient par leurs noms, savaient l’heure d’après leur position sur l’horizon, et s’en servaient très bien pour se guider.
Aussi, quel ne fut, pas leur étonnement, une nuit, d’en apercevoir une nouvelle qu’ils n’avaient encore jamais vue !
Elle était petite, mais très brillante et paraissait lointaine.
Le lendemain, l’étoile était un peu plus grosse et paraissait plus près, et il en fut de même les nuits suivantes : l’astre grandissait, et se rapprochait visiblement.

Les petits bergers étaient ravis d’étonnement et d’admiration et formaient mille conjectures concernant ce phénomène ; mais ils n’en parlaient à personne ; d’abord, ils vivaient presque toujours dans la solitude, éloignés de toute habitation, et puis ils étaient peu communicatifs, se suffisant parfaitement l’un à l’autre.
Maintenant, l’étoile occupait toutes leurs pensées ; ils, attendaient la nuit avec impatience pour voir. Elle brillait d’un éclat, incomparable, jetant mille feux comme une escarboucle et montant chaque soir un peu plus haut dans le ciel.
Enfin, une nuit, elle atteignit le zénith, et sa lumière était tellement resplendissante que Noémie et Rhaël, éblouie, ne pouvaient se décider à se coucher. La nuit, était déjà avancée quand ils s’endormirent ; mais leur sommeil ne dura pas longtemps. De grand matin, ils furent éveillés par le bruit d’une troupe d’hommes et d’animaux qui s’avançaient. Les deux enfants se précipitèrent au bord de la route pour voir de quoi il s’agissait.
Ils aperçurent de riches chariots traînés par des chevaux de prix, des chameaux superbement harnachés, une foule de serviteurs et trois hommes portant l’insigne des souverains.
La caravane fit halte au lieu où étaient les petits bergers qui contemplaient le spectacle avec des yeux émerveillés. On déploya les tentes, et on installa le campement.
Un grand nègre qui remplissait les fonctions de cuisinier demanda aux enfants s’ils savaient où trouver de l’eau dans les environs.
Tous deux s’empressèrent de le conduire à un puits.
Ce petit service et d’autres qu’ils rendirent aux gens de la suite leur gagnèrent les bonnes grâces des domestiques, qui leur apprirent que leurs maîtres étaient rois dans de lointains pays ; c’étaient de plus des savants, des mages, hommes d’étude et de prière, qui, connaissant que les temps étaient accomplis où le Messie devait naître, avaient vivement désiré le chercher pour l’adorer.
Heureusement, une étoile merveilleuse leur était apparue pour les guider. Ils s’étaient immédiatement mis en route pour la suivre, ne doutant pas qu’elle s’arrêterait au lieu où se trouverait le Sauveur. En écoutant le récit, le cœur des enfants battit bien fort : leur étoile ! c’était leur étoile !
Ils comprenaient maintenant pourquoi ils la voyaient se rapprocher : elle amenait les voyageurs royaux dans la région. C’était donc de ce côté que se trouvait la résidence de l’Enfant divin ; et Noémie et Rhaël n’eurent plus qu’un désir : aller, eux aussi, auprès de lui pour lui rendre leurs hommages et leurs adorations.
Leur résolution fut vite prise : puisque les rois mages suivaient l’étoile, ils suivraient les rois mages ; ainsi ils ne pourraient manquer d’arriver au but.
Une chose cependant les tourmentait ; ils avaient aussi appris des serviteurs que les princes apportaient avec eux de riches présents pour les offrir au petit Sauveur, et eux, devaient-ils arriver les mains vides ? Ils ne pouvaient s’y résigner, malgré leur pauvreté. Les troupeaux qu’ils faisaient paîtra ne leur appartenaient pas ; ils leur étaient confiés par des propriétaires qui rétribuaient leurs services, par quelques dons en nature. Le frère et la sœur possédaient un seul animal : un petit agneau qu’on leur avait abandonné parce que sa mère était morte et qu’on avait craint qu’il ne pût vivre ; mais les enfants l’avaient si bien soigné qu’ils avaient réussi à l’élever. La petite bête était mignonne, docile ; elle les connaissait bien et venait manger dans leur main. C’était leur petit compagnon, leur distraction favorite. Certes, cela leur coûterait de s’en séparer ; mais le sacrifice n’en serait que plus méritoire.
Le jour donc où les mages levèrent le camp, Noémie et Rhaël se mirent en route, trottant bravement derrière eux dans, la poussière avec leur agneau.

Tout à leur pieux désir, les enfants n’avaient pas pensé une minute combien ce voyage serait pénible pour eux, dénués de tout comme ils l’étaient, et, d’ailleurs, ils l’eussent pensé que cela ne les aurait pas arrêtés ; mais les pauvres petits eurent bien à souffrir. Souvent leurs pieds enflés et douloureux leur refusaient le service, et pourtant il fallait marcher, marcher toujours, sous peine de perdre de vue la précieuse caravane et de ne plus savoir comment se diriger.
Heureusement, peu après leur départ, le serviteur noir qui leur avait parlé le premier jour les aperçut et les appela. Les ayant interrogés et ayant appris le but de leur pénible randonnée, il fut touché de pitié et conta la chose à ses camarades. L’histoire vint aux oreilles des rois, qui, admirant la foi et la piété des enfants, leur permirent de faire partie de leur cortège. Ils eurent une place dans les chariots et de la nourriture en abondance. C’était le commencement de la récompense que Dieu accorde toujours à ceux qui placent son amour avant toute chose.
Cependant, on approchait du terme du voyage. Les mages avaient fait une étape à Jérusalem pour s’enquérir du Messie. Le roi Hérode les avait vus en secret et leur avait recommandé, lorsqu’ils auraient trouvé le petit Enfant, de venir l’en avertir, afin qu’il pût lui aussi aller l’adorer, disait-il, quand son but, à la réalité, était de le faire mourir.
L’étoile maintenant se dirigeait vers la bourgade de Bethléem. Enfin, elle s’arrêta. Gaspard, Melchior et Balthazar s’aperçurent alors, non sans surprise, qu’elle était fixée au-dessus du toit d’une pauvre étable. Ils y entrèrent et trouvèrent la Sainte Famille. S’étant prosternés devant l’Enfant Jésus, ils l’adorèrent, puis, ayant ouvert leur trésor, ils lui offrirent des présents : de l’or, de 1’encen et de la myrrhe. De l’or, parce qu’il était un roi ; de l’encens, parce qu’il était un Dieu ; de la myrrhe, parce qu’il était un homme.

Rhaël et Noémie, eux aussi, avaient pénétré tout tremblants dans ce premier sanctuaire chrétien ne pouvaient rassasier leurs yeux de la beauté du divin Enfant et de sa sainte Mère.
Timidement, ils déposèrent à leurs pied l’agneau blanc dont ils avaient fait la toilette avec le plus grand soin, faisant en mème temps mentalement l’offrande de leurs cœurs purs et si bons, et leur joie fut inexprimable quand ils virent Jésus laisser tomber sur eux son divin regard pour leur faire comprendre qu’il agréait leur hommage.
La halte des saints mages à Bethléem ne fut pas longue, car ils ne pouvaient abandonner longtemps leurs États.
Ayant reformé leur caravane, ils se préparèrent au départ. Ils avaient promis aux petit bergers de les ramener à leur point de départ ; mais ayant été avisés divinement, en songe, de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils résolurent de rentrer chez eux par un autre chemin, afin de faire perdre leur trace au méchant roi.
Ils ne pouvaient donc prendre avec eux leurs petits amis. Ils ne voulurent cependant pas les abandonner à leurs propres ressources, pour les obliger à refaire à pied le pénible voyage.
Ayant appris qu’une petite troupe de marchands venus, eux aussi, se prosterner à la crèche, s’en retournaient avec leurs ânes et leurs mulets du même côté que les enfants, ils leur confièrent ceux-ci en donnant aux marchands une petite somme d’argent pour assurer le transport et l’entretien de Noémie et de Rhaël.
Ceux-ci ne savaient comment témoigner leur reconnaissance à leurs bienveillants protecteurs. En les quittant, les mages leur donnèrent une petite outre remplie de vin et un grand gâteau et leur dirent :
—Prenez ceci et mettez-le de côté, afin d’avoir quelque chose à consommer en rentrant chez vous.
Le petit berger et sa sœur remercièrent avec effusion, et, ayant baisé la main des rois, ils prirent congé d’eux, le cœur rempli de gratitude.
Ce voyage de retour fut très amusant pour les enfants, les mulets trottaient d’un bon pas, et les marchands traitaient fort bien leurs petits compagnons.
À l’endroit où leur route différait de celle des enfants, ils se séparèrent d’eux en leur souhaitant bonne chance.
Noémie et Rhaël n’étaient qu’à deux heures de marche de chez eux. Le temps était beau, ils n’étaient point fatigués, c’était donc un plaisir pour eux de se servir de leurs jambes.
Ils allaient d’un pas alerte, causant avec animation des grands événements qui venaient s’accomplir.
Au bout d’une heure, ils s’arrêtèrent pour faire une petite halte et s’assirent sur un tertre de gazon.
— Sœur, dit Rhaël, j’ai faim, si nous goûtions à notre superbe gâteau ?
— Je ne demande pas mieux, répondit-elle.

Le présent, des mages fut tiré du sac, où il était soigneusement renfermé, et Rhaël tendit à sa sœur son couteau pour le trancher.
Noémie coupa facilement un premier morceau, mais, quand elle voulait en détacher un second, son instrument rencontra une vive résistance ; elle appuya plus fort ; mais le couteau fut arrêté de nouveau par un objet dur.
— Qu’y a‑t-il donc ? demanda Rhaël.
— Je ne sais, répondit Noémie, aussi intriguée que son frère.
Alors, ayant soulevé la croûte dorée qui se trouvait en dessus du gâteau, elle découvrit, niché dans la pâte, un minuscule sachet en étoffe précieuse, brodé de pierreries. Le sachet ouvert laissa apercevoir un diamant de la plus belle eau, un diamant digne de la couronne d’un roi, un diamant valant une fortune. Le frère et la sœur se regardèrent, suffoqués d’admiration.
— Il brille autant que notre étoile, murmurèrent-ils ensemble. Car, pour eux, l’étoile des mages était toujours leur étoile.
— Les bons rois ont voulu nous faire une surprise, murmura Noémie ; nous allons être riches, à présent.
— Très riches ! répéta Rhaël.
— Il ne faut pas perdre ce magnifique diamant, reprit la fillette.
— Ni nous le faire voler, ajouta son frère.
Tous deux étaient déjà pris des soucis que donnent les biens temporels.
— Où le cacher en attendant que nous le vendions ? se demandèrent-ils.
— Il faut le remettre où il était pour l’instant, dit Noémie, ce sera le plus sûr.

Elle introduisit la pierre éblouissante dans le sachet, remit celui-ci dans son alvéole de pâte, rabattit le morceau de croûte soulevé et coupa soigneusement, pour la mettre de, côté, la partie du gâteau contenant le brillant ; puis elle et son frère se mirent à manger le reste, tout en faisant des projets d’avenir.
Soudain, sur la route, apparut une vieille femme tenant un bébé dans ses bras. Tous deux étaient aussi pâles, aussi maigres, aussi déguenillés qu’il est possible.
La malheureuse s’appuyait péniblement sur un bâton, et l’enfant gémissait doucement comme s’il n’avait pas la force de crier.
En arrivant devant le tertre où les enfants étaient assis, la vieille s’y laissa tomber, accablée, et des larmes se mirent à couler le long de ses joues ridées.
— Qu’as-tu, bonne mère ? lui demandèrent le frère et la sœur.
— Je suis à bout de tout, répondit la malheureuse ; je meurs de faim ainsi que ce pauvre petit. C’est le fils de ma fille ; son père et sa mère sont morts, nous laissant tous les deux sans ressource. Vieille et malade, comment puis-je travailler pour gagner ma vie et la sienne ? Mes forces diminuent de jour en jour. D’ici peu, je le sens bien, je serai morte et lui aussi.
Noémie et Rhaël échangèrent un regard et se comprirent.
— Tu ne le regretteras pas ? Rhaël, demanda la sœur.
— Oh ! non, répondit le frère, et toi ?
— Moi, pas davantage ; maintenant que j’ai vu le Messie, je ne désire plus rien, il ne nous laissera pas plus manquer dans l’avenir que dans passé. Alors, nous le donnons ?
— Bien sûr !
La fillette prit le morceau de gâteau avec sont précieux contenu, et, le posant sur genoux de l’aïeule :
— Prenez, dit-elle, c’est tout ce que nous avons mais nous vous le donnons de bon cœur.
Et, ayant saisi la main de son frère, elle s’enfuit en courant pour éviter des remerciements et peut-être un refus.
Rhaël et Noémie rentrèrent dans leur demeure aussi pauvre des biens du monde qu’ils en étaient partis, et cependant ils revenaient riches incomparablement, puisqu’ils rapportaient avec eux un trésor de foi, d’espérance et de charité.
Valdor.
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