Charité envers Dieu
C’est un tout petit grain de sable doré qui était arrivé à Nazareth sur les ailes du vent. Il s’appelait « Brin d’Or ». Personne n’avait remarqué l’arrivée de cette poussière, infiniment petite et véritable atome dans l’immense structure de l’Univers.
Le vent puissant l’avait déposé au seuil d’une humble demeure d’artisans. Brin d’Or, tout étourdi d’un long voyage au-dessus des paysages de Palestine, restait dans l’encoignure de l’entrée, sans bouger. Toute la nuit déjà il avait dormi là : il se trouvait si seul… si dépaysé ! La veille, il était encore à gambader avec ses petits frères sur la dune, et le vent s’étant levé de fort mauvaise humeur était venu le ravir à l’affection des siens.
Pendant des heures, il l’avait entraîné en un vol éperdu et puis l’avait laissé choir, sans l’avertir. C’est ainsi que le souffle de l’épreuve entraîne les hommes, petits et grands, qu’ils le veuillent ou non, dans une chevauchée pleine de mystère. Il les dépose tout meurtris en des lieux inconnus ; si ce n’est pas à Nazareth comme Brin d’Or, c’est souvent bien près du Divin Artisan qui habitait cette humble bourgade.
Le soleil d’orient resplendissait et dardait ses rayons ardents sur les campagnes, sur les maisons aux riantes terrasses. Brin d’Or commençait à se réchauffer ; il était assoiffé de lumière et de chaleur et ce soleil lui rendait toute sa vigueur.
Il s’enhardit, un peu indiscret peut-être, regarda à l’intérieur de la maison qui avait abrité son sommeil et, d’étonnement, passa au ravissement.
Oh ! ce que vit Brin d’Or lui fit oublier à tout jamais sa dune… Dans un poudroiement léger de sciure blonde, un jeune adolescent d’une idéale beauté travaillait, légèrement penché sur un établi de menuisier ; il maniait habilement le rabot. Sous sa main naissaient des flots soyeux de copeaux dont les spirales venaient se mêler parfois aux longues boucles de sa chevelure. En s’arrêtant pour s’éponger le front, son beau regard profond tomba sur Brin d’Or et s’arrêta un moment sur cette infiniment petite merveille de la nature. Le petit grain de sable doré en tressaillit de joie et murmura tout extasié : « Seigneur, je Vous aime et je veux rester avec Vous toujours. »
Depuis cette inoubliable rencontre, Brin d’Or s’est attaché à rester toujours avec Jésus ; il a pris demeure dans l’atelier de saint Joseph et il reste là, tout heureux d’être auprès du Maître.
Il a bien failli avoir des déboires avec la Sainte Vierge, parce que cette ménagère admirable aimait la propreté et, la journée de travail finie, venait balayer minutieusement l’atelier. Naturellement, le pauvre Brin d’Or reçut son arrêt d’expulsion avec toutes les autres poussières dès son premier jour d’arrivée.
Croyez-vous qu’il se tint pour battu ? Ah ! non point. Il avisa un pot de fleurs — car la Sainte Famille aimait et cultivait les fleurs — et se glissa parmi la terre de celui-ci. Dès le matin, les feux du jour le faisaient scintiller et Jésus le regardait en souriant.
Les années s’écoulèrent dans la paix pour Brin d’Or ; il se plaisait dans l’ambiance de cette maison sainte et laborieuse. Mais, sur la terre, tout a une fin, et vint le temps où le Maître commença sa vie publique.
Adieu la paix de la vie de famille, paix humble et cachée. C’est l’heure des longues marches fatigantes sur toutes les routes pour annoncer au monde la bonne nouvelle de l’Évangile, c’est l’heure des guérisons, de l’enthousiasme des foules, de la haine perfide des pharisiens.
Brin d’Or est avec Jésus partout : il ne Le quittera pas ; il s’est faufilé dans un pli de son vêtement, tout près de son Cœur, et le Maître ne l’a pas repoussé ; l’infime poussière demeure avec le Créateur. Jusque dans la flagellation, il n’a pas bougé ; mais quand les soldats arrachent les vêtements de la Victime qui ne se plaint pas, Brin d’Or quitte brusquement sa retraite et se jette dans un flot de sang qui colle au Corps de Jésus. Rien ne le sépare de son Dieu ; pas même Véronique ne réussira à le retirer ; quand le Maître expirera, il sera là toujours, serré contre Lui… jusqu’au tombeau.
Mais, au matin de Pâques, lorsque Jésus sortit tout resplendissant de gloire, on ne vit plus trace de Brin d’Or sur la terre.
« Il devait être en Paradis, me dit le vieil olivier qui m’a conté cette histoire. Va et fais comme Brin d’Or ; tu n’es qu’une poussière mais Dieu t’aime, tu es son enfant », ajouta-t-il.
M. Demetz.
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