Le plus grand drame du monde

Auteur : Mainé, Marie-Colette | Ouvrage : Et maintenant une histoire II .

Temps de lec­ture : 14 minutes

Ce soir-là, les hommes s’é­taient endor­mis, fati­gués du jour pas­sé, acca­blés par une vie sans lumière…

La nuit était calme, belle, recueillie… comme en attente.

Un drame se pré­pa­rait ! Un drame ? Simple inci­dent pour quelques-uns qui pour­tant s’en iraient aux quatre coins du monde réveiller tous les hommes de la terre… un inci­dent qui se réper­cu­te­rait à tra­vers les âges jus­qu’à la fin des temps !

Ce soir-là, les étoiles s’é­taient allu­mées comme d’ha­bi­tude, et les hommes s’é­taient endormis…

Pas tous, cependant !…

* * *

Récit de la Passion pour le catéchisme : Judas vend Jésus pour 30 deniersJérusalem, 12 Nizan (mars-avril), 20 heures.

Une salle sombre, mal éclai­rée par la trem­blo­tante lueur d’une lampe à huile… La flamme qui danse allume des points d’or aux vête­ments des hommes qui dis­cutent. Leurs yeux luisent, perçants…

Les voix se répondent, chu­cho­tantes, lourdes de menaces…

« Oui, ce soir, je sais où « Il » sera… C’est le moment : venez « Le » prendre…

— Mais… nous ne « Le » connais­sons pas ; il fau­drait… un signe.

— Facile !… Je L’embrasserai. Alors ?… Com­bien me donnez-vous ? »

Le silence est pesant… Un son clair le rompt ; une main jette des pièces. L’argent tinte sur le marbre… Une fois… Deux fois… Trois fois… Trente fois…

Une autre main, avide, ramasse la somme.

« Mer­ci.… tout à l’heure ! »

* * *

Pour les enfants du caté : La Passion  du Christ - La Priere au jardin des oliviersDans l’oliveraie de la colline.

Le ruis­seau coule de roc en roc avec un bruit de soie qui se déchire… Sur le pont, quelques hommes s’a­vancent, par­lant dou­ce­ment entre eux… Pas­sé le Cédron, le groupe remonte la pente de la col­line oppo­sée ; bien­tôt, les pro­me­neurs atteignent une oliveraie.

Les vieux arbres tor­dus entre­mêlent leurs branches. Dans l’ombre, on dirait des diables guet­tant leur proie.

« Res­tez ici, je vais un peu plus loin, avec Pierre, Jacques et Jean… »

Le groupe, dimi­nué, s’en­fonce sous les troncs noueux la lune est levée, et sur le ciel clair se découpe l’é­norme sil­houette du temple. Comme elle semble menaçante !

« Je suis triste à en mourir… »

La voix est triste, en effet, presque trem­blante ; elle supplie :

« Veillez et priez avec Moi… »

Le Maître s’é­loigne… pas loin, et s’a­bat face contre terre.

Les minutes coulent, lentes… lourdes… lourdes comme le monde.

Par deux fois, le Maître revient vers les autres : décep­tion ! ils dorment… Et c’est tout seul qu’Il doit lut­ter contre la peur, contre l’an­goisse, contre le poids des péchés de tous les hommes ; Il ago­nise des heures… seul !

« Père, que votre volon­té soit faite et non la mienne ! »

Le nuit s’a­vance ; un bruit confus monte de la val­lée. Au détour du sen­tier, un ins­tant des torches brillent Le Maître a réveillé les dis­ciples. Il a prié : Il est prêt, et avance librement !

Sous les branches, une ombre se faufile.

« Salut, Maître ! »

Un bai­ser mal­adroit se pose sur la joue de Jésus.

Alors, de der­rière chaque tronc, jaillit un soldat.

* * *

Jérusalem, à la mi-nuit.

La ville endor­mie est très blanche sous la lune ; par-là, des porches font d’ef­frayants trous d’ombre… On dirait une ville fantôme !…

Un tumulte confus monte d’une ruelle encais­sée quelques têtes mal réveillées appa­raissent aux fenêtres.

« Que se passe-t-il ? »

Un déta­che­ment paraît… Vague­ment, à la lueur des torches, on aper­çoit une haute sil­houette dure­ment ligotée…

« C’est Jésus de Naza­reth !… On L’a arrêté !…

— Pas pos­sible !… Il n’a rien fait de mal !…

— On dit que c’est un agi­ta­teur… Un homme dan­ge­reux… Un faux prophète…

— Que vont-ils faire de Lui ? 

— Ah ! ça… on ne sait pas…

* * *

Jesus devant Caiphe - Le Chemin de Croix pour les enfants13 Nizan, aux premières heures de l’aube.

Hié­ra­tique sous sa tiare, Caïphe, le Grand Prêtre, siège au San­hé­drin ; à droite et à gauche sont assis quelques membres du Grand Conseil, réunis en hâte (les plus sûrs !). Avec des yeux mau­vais, ils contemplent l’Accusé…

Au centre de la salle en demi-cercle, Celui-ci se tient droit, calme… Mal­gré ses vête­ments en désordre et ses mains liées, Il semble domi­ner la situation…

Caïphe le sent, cela l’a­gace… De plus, l’au­dience ne marche pas selon ses dési­rs. Bien sûr, le juge­ment est ren­du d’a­vance ; encore faut-il trou­ver une astuce pour le rendre valable… Depuis un bon moment, les témoins se suc­cèdent, vrais ou faux, cela importe guère ; le plus ennuyeux, c’est qu’ils se contre­disent à chaque mot…

Caïphe s’im­pa­tiente : c’est inepte !… La scène menace de tour­ner au ridi­cule, tel­le­ment on la sent fausse… vou­lue… pré­pa­rée… Les San­hé­drites eux-mêmes semblent gênés ; déjà, l’un d’eux, plus mal­adroit, a fait remar­quer que cette réunion est illé­gale, la loi inter­di­sant les juge­ments ren­dus la nuit.

Caïphe des­cend de son siège et s’ap­proche de Jésus.

« Eh bien ! Tu as enten­du ce qu’ils viennent de dire contre Toi ? Allons, réponds… »

Jésus se tait.

Le Grand Prêtre s’ir­rite de plus en plus… jamais il n’a vu un tel accu­sé ; ce jeune homme dont les yeux semblent voir très loin le met hors de lui… Ma parole ! on dirait qu’il y a une nuance de pitié dans ce regard !… Caïphe se sent gro­tesque ; déci­dé, il remonte sur son siège : il va jouer le grand jeu ! Gran­di­lo­quent, il clame d’une voix forte

« Je T’ad­jure, au nom du Dieu Vivant, de nous dire si Tu es le Christ ! »

L’ins­tant est solen­nel… Inter­ro­gé au nom du Dieu Vivant l’Ac­cu­sé ne peut se déro­ber ; du reste, Il ne le veut pas.

« Tu l’as dit : Je le suis ! »

Caïphe bon­dit. Ça y est ! Il tient son prétexte.

« Vous avez enten­du ? Qu’a­vons-nous besoin de témoins ?… Il a blasphémé… »

Les autres se lèvent, crient, déchirent leurs vête­ments, se voilent le visage…

« Vous avez enten­du ?… Que vous en semble ? Il mérite la mort !… »

* * *

13 Nizan, Forteresse Antonia, au petit jour.

« J’y vais… »

La réponse a cla­qué, sèche…

Il n’est pas content, le pro­cu­ra­teur impé­rial ! Que lui veulent encore ces juifs tur­bu­lents ?… Déci­dé­ment, il ne sera jamais tranquille !…

Une impor­tante foule se presse sur le terre-plein. Bien sûr, aucun juif ne veut se souiller en met­tant le pied dans la mai­son d’un païen : il faut que lui, Pilate, se rende sur la ter­rasse. Ah ! ce n’est pas tou­jours drôle d’oc­cu­per Israël !…

Les San­hé­drites s’ex­pliquent… Pilate dis­cerne mal leurs accu­sa­tions, une affaire de reli­gion sans doute… ces juifs sont tel­le­ment pointilleux !

Jésus est condamné à mort - Le Chemin de Croix du caté

« Pre­nez-Le donc, et jugez-Le selon votre loi !

— Tu sais bien que nous n’a­vons pas le droit de condam­ner à mort… »

Acerbe, la riposte jaillit. Caïphe souffre assez de la dépen­dance de son pays, mais il veut obte­nir la condam­na­tion. Cet homme met le désordre dans la nation… Il se fait pas­ser pour le libérateur…

Aïe !… Ceci est plus grave et mérite exa­men. Ren­tré dans le pré­toire, Pilate se fait ame­ner l’Ac­cu­sé. Tout à l’heure, il L’a à peine regar­dé ; main­te­nant, ils sont face à face.

Obser­va­teur, le pro­cu­ra­teur note : les habits déchi­rés, les meur­tris­sures du visage… Peste ! ils l’ont bien arran­gé leur libé­ra­teur ; lui, Pilate, le trou­ve­rait plu­tôt sym­pa­thique ce jeune homme ; Il est calme, digne, modeste de tenue, pas bien riche sans doute ; Il a des mains d’ou­vrier. Et des yeux… mais qu’est-ce qu’ils veulent dire, ces yeux ? Sous leur rayon­ne­ment, Pilate se sent mal à l’aise… Brusque, il attaque :

« Ain­si, tu es roi ?

— Dis-tu cela de toi-même, ou d’autres te l’ont-ils dit de Moi ?

— Je ne suis pas juif, moi !… On T’ac­cuse… Qu’as-Tu fait ?

— Mon royaume n’est pas de ce monde… Je suis venu sur terre pour rendre témoi­gnage à la Vérité… »

Pilate s’at­ten­dait à tout… sauf à cette réponse. Dehors, la foule gronde ; le pro­cu­ra­teur sort, fai­sant signe au pri­son­nier de le suivre. Dès qu’ils paraissent, c’est une explo­sion de cris : les meneurs ont bien tra­vaillé. Le pro­cu­ra­teur se tourne vers Jésus, mais Celui-ci ne tente même pas de se défendre ; jamais on n’a vu pareille chose ! Jamais non plus un homme n’a été cou­vert de tant de haine.

Le temps passe. Pilate cherche à sau­ver cet accu­sé pas comme les autres, mais toutes les ten­ta­tives du pro­cu­ra­teur échouent : Hérode, à qui il avait envoyé Jésus, Le lui ren­voie, vêtu de la robe des fous…

Une confron­ta­tion avec Barab­bas, un triste indi­vi­du dont on ne compte plus les mau­vais coups, a tour­né au tra­gique : la foule, com­plè­te­ment folle, il n’y a pas d’autre mot, a choi­si le criminel.…

Une expli­ca­tion en par­ti­cu­lier avec les San­hé­drites n’a ame­né qu’une menace directe de Caïphe.

« Cet homme est un enne­mi de l’É­tat ; si tu Le libères, c’est que tu n’es pas l’a­mi de César ! »

Hé ! c’est qu’il est bien capable de faire un rap­port à Rome, le vieux renard !… Il faut prendre garde : la place est bonne… L’at­mo­sphère s’é­chauffe… L’in­ci­dent tourne en émeute.

Un cri perce, s’é­lève, s’enfle, domine tout :

« Cru­ci­fiez-Le ! »

* * *

13 Nizan, 11 heures, même lieu.

On vient de fla­gel­ler l’Ac­cu­sé. Il est là, titu­bant, sai­gnant, déchi­ré… Pas une parole de pitié ne vient de ces hommes au cœur dur…

Pilate s’est assis. Les cris s’a­paisent… Une minute le silence plane, ter­rible, plein de haine, plein d’angoisse…

La sen­tence légale tombe, nette comme un coup de glaive

« Tu iras en croix ! »

Une hor­rible cla­meur de joie monte… Du geste, Pilate la domine.

« Je suis inno­cent de la mort de cet homme, vous en répondrez. »

Un ins­tant de stu­peur… La menace est grave ; mais vite, un cri jaillit, repris en chœur par la foule :

« Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! »

* * *

Jésus-Christ, le portement de la Croix - récit de la Passion pour les jeunes13 Nizan, dans les rues de Jérusalem.

Comme à chaque veille de Sab­bat, la ville est ani­mée, les pas­sants crient, se bousculent :

« Place ! »

Un cen­tu­rion à che­val écarte les badauds.

« Des condam­nés à mort ! »

Entre deux files de sol­dats, trois hommes avancent péni­ble­ment ; ils ont au cou la pan­carte por­tant le motif de leur condam­na­tion ; et sur leurs épaules, on a lié la lourde poutre qui ser­vi­ra à les cru­ci­fier ; sous le poids, ils vacillent, épui­sés déjà par le sup­plice de la fla­gel­la­tion ; ils ont peine à avan­cer. Oh ! ces rues de Jéru­sa­lem, avec leurs cailloux, leurs marches inégales, leurs détri­tus glis­sants… A chaque ins­tant, les pri­son­niers butent. Gare s’ils tombent ! c’est la pique des sol­dats qui les relève… Et la foule de rire, de se moquer, d’in­sul­ter… Prestes, les gamins se fau­filent, des pierres en main…

« A moi le premier !

— Vise bien !… Qu’est-ce qu’Il a sur la tête ? Un fagot ?

— Penses-tu, C’est une cou­ronne ! Tu n’as pas vu sa pan­carte : « roi des juifs ! »

— Saluez ; voi­là le roi qui passe ! »

* * *

13 Nizan, midi, sommet du Calvaire.

Le soleil de midi tombe impla­cable ; les condam­nés sont arri­vés au lieu du sup­plice. Le cen­tu­rion ordonne :

« Com­men­cez… Celui-ci, d’abord. »

Deux bour­reaux s’emparent de Jésus, arrachent sa tunique col­lée aux plaies, L’é­ten­dant à même le sol, les épaules sur la poutre… On tire sur les bras…

« Donne le mar­teau, j’ai les clous… »

C’est vite fait ! Le bour­reau connaît son métier. Un aide main­tient le bras bien à plat sur le bois ; l’exé­cu­teur pique le clou dans le pli du poi­gnet. Trois coups de mar­teau ça y est ! Simple, mais… hor­rible à subir…

Les deux mains fixées, les gardes sou­lèvent la poutre, tirent sur les mains clouées, on accule le Sup­pli­cié contre le poteau ver­ti­cal de la croix, puis, d’un grand geste, les hommes sou­lèvent la poutre… la fixent.

On plie les jambes, les pieds l’un sur l’autre ; un troi­sième clou… Fini !

* * *

13 Nizan, 3 heures même lieu. 

Sur le bois, le Condam­né ago­nise ; tout son corps écar­te­lé se crispe de souf­france… Il étouffe… Cela dure depuis trois heures !… Len­te­ment, Il prend appui sur la plaie de ses pieds, se dresse, mil­li­mètre par mil­li­mètre ; Il allège l’a­troce ten­sion des bras, Il reprend haleine… C’est affreux à voir !

« J’ai soif ! »

Sept fois, Il parle ainsi.

Un à un, les San­hé­drites ont quit­té la place, gênés, hon­teux. Cette exé­cu­tion est par trop étrange, on dirait que tout s’en mêle ; l’at­mo­sphère est étouf­fante, le ciel bas : on n’y voit plus ; seuls quelques rayons livides éclairent la scène…

Sur le Cal­vaire, près des gardes, il n’y a main­te­nant qu’un tout jeune homme, et un groupe de femmes : des amis… la mère !

Les cris de haine se sont tus ; on n’en­tend que le souffle hale­tant des sup­pli­ciés et le léger cli­que­tis que font les sol­dats en jouant aux dés. Eux aus­si sont inquiets, ils parlent bas.

« Regarde, le ciel est de plus en plus noir…

— Je n’ai jamais vu cela.

— « Il » n’en a plus pour longtemps. »

Un grand cri tra­verse l’an­goisse qui plane.

« Tout est consommé ! »

Quelques secondes, ter­ri­ble­ment longues.

« Père, Je remets mon âme entre vos mains. »

Un sou­pir, le der­nier : la tête tombe, le corps se fige, le plus grand drame du monde est achevé.

Les hommes sont rachetés !

histoire de la Mort du Christ - Crucifixion avec Saint Paul et Saint François - Luini Bernardino

Marie-Colette Mai­né.

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