Catégorie : <span>L'Étoile noëliste</span>

Auteur : Mistral, Frédéric | Ouvrage : L'Étoile noëliste .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Conte

Maître Archim­baud avait au moins cent ans. Il avait été en son temps un rude homme de guerre, et avait fait par­ler de lui. Mais main­te­nant, affai­bli, épui­sé de fai­blesse, il gar­dait le lit depuis long­temps et ne pou­vait plus bouger. 

Le vieil Archim­baud avait trois fils. Un matin, il appe­la l’aî­né et lui dit :

— Viens ça, mon fils : en tour­nant et en rêvant dans mon lit — car, cloué sur un lit, on a le temps de comp­ter — je me suis rap­pe­lé que, dans une bataille, me trou­vant un jour en dan­ger de mort, je pro­mis à Dieu de faire le de … Hélas ! je suis vieux comme les pierres, et je ne puis aller en guerre !… Je vou­drais bien que tu ailles à ma place faire ce pèle­ri­nage, car je ne vou­drais pas mou­rir sans accom­plir mon vœu. 

L’aî­né répondit : 

— Diantre ! allez-vous vous mettre en tête un pèle­ri­nage à Rome !… Père, man­gez, buvez, et tour­nez dans votre lit tant que vous vou­drez… Nous avons bien d’autres affaires. 

Le len­de­main matin, maître Archim­baud appelle son fils cadet : 

— Cadet, lui dit-il, écoute : en rêvas­sant et en comp­tant — car cloué sur un lit, on a le temps de rêver — je me suis sou­ve­nu que, dans une bataille, me trou­vant en dan­ger de mort, je m’en­ga­geai envers Dieu à faire le grand pèle­ri­nage de Rome… Hélas ! je suis vieux comme les pierres, et je ne puis aller en guerre ! Je vou­drais bien que tu ailles à ma place accom­plir ce pèlerinage. 

Le cadet répondit : 

— Père, dans une quin­zaine va venir le beau temps : il fau­dra sar­cler, tailler les vignes, pio­cher. Notre aîné doit conduire le bétail en mon­tagne ; le plus jeune est un enfant… Qui com­man­de­ra les ouvriers, si je m’en vais à Rome traî­ner la jambe sur les che­mins ?… Père, man­gez, dor­mez et lais­sez-nous un peu tranquilles. 

Le len­de­main matin, le bon maître Archim­baud appe­la le plus jeune : 

— Esprit, mon enfant, approche, dit-il. J’ai pro­mis au bon Dieu de faire un pèle­ri­nage à Rome… Mais je suis vieux comme les pierres, et je ne puis aller en guerre !… Je t’en­ver­rais bien à ma place, cher enfant, mais tu es un peu jeune, tu ne sais pas le che­min, c’est bien loin, mon Dieu ! et, si tu venais à t’égarer…

Auteur : Beaume, Georges | Ouvrage : L'Étoile noëliste .

Temps de lec­ture : 15 minutes

DANS le Ier siècle de notre ère, un soir de juillet impré­gné de l’o­deur des mois­sons blondes, un orage écla­ta sur la forêt de cette mon­tagne qu’on appelle aujourd’­hui Sainte-Odile, en . Des légion­naires de , char­gés de colo­ni­ser le nou­veau ter­ri­toire conquis par César, abat­taient des chênes ou char­riaient des blocs de gra­nit pour dal­ler une route, lorsque, sou­dain, ils virent sur­gir trois voya­geurs aux vête­ments déchi­rés par l’u­sure, aux san­dales pou­dreuse. Celui des trois qui parais­sait le maître, petit de taille et la barbe gri­son­nante, s’ap­puyait, sur un bâton et por­tait une robe à la manière orien­tale. Ses deux com­pa­gnons, jeunes, deux frères sans doute, car ils se res­sem­blaient, por­taient une tunique faite d’une toi­son d’a­gneau et la coif­fure de joncs tres­sée des pay­sans du mont Albain.

Les légion­naires, pour les accueillir, avaient sus­pen­du leurs tra­vaux, un cen­tu­rion les interrogea :

— D’où venez-vous ? 

— De Rome, répon­dit l’é­tran­ger à la barbe grise. 

— Où allez-vous ?

— Là-bas, vers ce fleuve. 

— Pre­nez garde. C’est un pays hostile. 

— Qu’im­porte ! Dieu est avec nous. 

Des sol­dats éten­dirent leurs man­teaux sur la terre humide, et les trois voya­geurs s’as­sirent, face à la plaine, devant le fleuve qui étin­ce­lait aux rayons dorés du soir. 

— Nous allons au bourg d’Ar­gen­to­ra­tum, dit l’in­con­nu à la barbe grise. Quel che­min nous faut-il prendre ? 

— C’est très loin, répli­qua le cen­tu­rion. D’i­ci, vous irez lon­ger le pied des mon­tagnes, et quand vous aurez tra­ver­sé plu­sieurs vil­lages, vous abou­ti­rez à Noven­tium, où se trouve un temple consa­cré au dieu Mercure… 

— Je le sais. 

— D’ailleurs, l’un de mes légion­naires vous conduira. 

— C’est bien. 

Paysage d'Alsace que saint Materne parcourut

Le plus âgé des voya­geurs se tour­na vers ses com­pa­gnons, et, leur mon­trant la terre d’Al­sace, encore cares­sée d’une douce lumière, leur dit : 

— Frères bien-aimés, pré­pa­rez vos javelles, car voi­ci la mois­son que le Sei­gneur vous donne.