Midi… l’heure de la soupe, la trêve d’un instant, dans le labeur de la journée chaude…
Quittant la selle et le battoir, le bord de la rivière où, dans l’eau courante, se mirent les libellules coquettes ; où, sur les rameux qui ondoient à la brise, se balancent les calosomes aux élytres rouges et mordorées ; où dans les coulées du soleil, sous les aulnes, se pourchassent les éphémères, usant en des cycles vertigineux leur fragile existence d’un jour, les lavandières de Josselin se sont assises à l’ombre pour prendre leur repas.
Au bruit des voix se mêlent le cliquetis des cuillères d’étain heurtant les écuelles de grès : chacune des femmes a, près d’elle, son panier de provisions, apporté soit par quelque fillette aux cheveux ébouriffée sous la coiffe, soit par quelque petit gars joufflu, lesquels en attendant que la mère, la sœur, l’aïeule ait fini de manger, baignent leurs pieds nus dans la tiédeur de l’eau, ou s’ébattent parmi les joncs et les saules de la rive.
Quelques piqueurs de Rohan, leurs chiens couplés en laisse à leur poignet, sont debout près du groupe des lavandières et jasent avec elles.
Les jeunes, avec des sourires de malice et de coquetterie, baissent les yeux et montrent toutes leurs dents en croquant les cerises de leur dessert.
Les vieilles, sans perdre une bouchée de leur dîner, médisent ou calomnient, sournoises, malignes, coulant en dessous des regards de dépit vers celles dont les joues fraîches, l’œil brillant, le naïf étalage de vanité satisfaite, semblent la continuelle moquerie de leur décrépitude.
Et de ces rivalités féminines, de ces combats sans merci à coups d’épingles, les gens de Rohan, que cela divertit énormément, rient à gorge déployée.
— Cette Jeannie !… grommelait aigrement une mégère au teint de brique, brûlé moins encore par le tuile et le soleil que par le feu intérieur d’ivresses à peu près habituelles ; vous verrez que le bal la tuera. Si c’est une vie cela !… Hier, qui était dimanche, — un jour saint ! — elle a dansé jusqu’après minuit comme une perdue… Aussi, en lavant son linge, il n’y a qu’un instant, dormait-elle tout debout.
— À la voir si réveillée, on ne le dirait pas, Mathie Penker ; et comment croire qu’elle se tue à danser quand la voilà aussi fraîche que ses bigarreaux ? — répliqua Taquin, un piqueur qui prenait plaisir à exciter la maligne colère de la vieille Mathie.
Celle-ci lui jeta un coup d’œil furibond.
— Je ne l’attaque pas pour cela, le grand Louis, fit-elle en haussant les épaules. Il n’y a pas besoin de mettre tant d’ardeur à la défendre.
À l’autre extrémité du groupe deux mères, dont chacune avait pris fait et cause pour sa progéniture dans une bagarre d’enfants, se disputaient, s’invectivant à qui mieux mieux et menaçant de passer bientôt des grossiers propos aux horions.
Au centre on déblatérait contre l’orgueil des châtelains ; la coquette Jeannie criait bien haut que ce n’était pas juste qu’elle n’eût que des cotillons de futaine, quand les demoiselles nobles étalaient robes de velours et de brocart comme des saintes Vierges, et assurait qu’elle porterait aussi bien qu’elles jupes à traîne, corsets de satin et escoffions perlés…
Tout à coup une voix d’une douceur étrange dont le timbre clair domina le tumulte des aigres paroles, des interpellations et des rires, fit brusquement retourner toutes les têtes.
— Jolie fille voudriez-vous, par charité, donner quelques-unes de vos cerises à mon enfant pour apaiser sa soif ?…
Une jeune femme, très pâle, très belle quoique vêtue misérablement, portant sur son bras un blond chérubin, aussi pale et aussi beau qu’elle même, arrêtée devant Jeannie l’écervelée, lui tendait sa main blanche et fine comme celle d’une reine.
— Il ne manque pas, dans le pays, de cerises à vendre, répondit la vaniteuse lavandière, allez-en acheter, ma mie…
— Je n’ai pas d’argent…
— Alors, puisez l’eau de la rivière où vont boire les chiens errants aussi gueux que vous !
Et comme elle savait que le rire creusait une agréable fossette dans sa joue pleine, elle rit aux éclats de sa plaisanterie, en regardant en dessous le grand Louis.
Les conversations avaient cessé, les querelles s’étaient suspendues et les lavandières dévisageaient avec étonnement l’inconnue arrivée soudain si près d’elles sans qu’elles l’eussent vue ou entendue approcher.
— Tiens, d’où sort-elle, celle-là, avec ses airs de princesse et ses guenilles ! s’exclama la voisine de Jeannie, une femme revêche, dont le petit garçon, accroché aux plis de sa jupe, mordait à belles dents une galette de froment, dorée de jaune d’œuf et bien beurrée, qu’il tenait à la main.
— Vous qui êtes mère, dit doucement l’étrangère, sans se laisser rebuter par l’accent peu encourageant des railleuses paroles, vous qui êtes mère, permettez à votre fils de partager son gâteau avec le mien qui n’a pas mangé depuis hier !…
L’enfant indécis regardait tour à tour son appétissante galette et le petit pauvre au visage souffrant dont, les yeux suppliants l’imploraient.
Il eût partagé peut-être, et sans trop de regret, car sa faim, à lui, commençait d’être assouvie.
Mais, d’un geste brusque, la paysanne repoussa la mendiante qui chancela.
— Je travaille et je peine pour nourrir moi et mes enfants et non les fainéants qui traînent leur paresse le long des routes, dit-elle durement. Passez votre chemin. La galette cuite au four de Françoise Rieux n’est pas pour des vagabonds de votre espèce.
La pauvre belle jeune femme était si harassée qu’elle posa sa main un instant, timide, sur le bâton ferré, fiché en terre, d’un des piqueurs de Rohan ; mais le gars lui ayant brutalement retiré cet appui, elle faillit choir, à la satisfaction méchante des lavandières.
En se traînant péniblement, elle fit encore un pas qui la mit en face de la vieille Mathie Penker.
Mathie Penker, qui était pauvre et jalousait les cerises de Jeannie presque autant que l’éclatante fraîcheur de ses vingt ans, coupait une à une, parcimonieusement, avec un couteau ébréché, les maigres bouchées de son pain noir.
À mains jointes, la voyageuse la pria.
— Votre vie a été longue et peut-être avez-vous connue bien des douleurs, murmura-t-elle, la souffrance a dû vous rendre compatissante et l’âge vous mettre au cœur la miséricordieuse tendresse des aïeules… Verrez-vous mon angelot mourir de faim sans lui donner un peu de votre pain ?
Au lieu de répondre, lu vieille continua de tordre et d’humecter dans sa bouche édentée la croûte durcie de son chanteau de seigle.
La mendiante se mit à deux genoux devant elle.
— Une bouchée… une seule bouchée… pour l’amour de Dieu qui promet de payer royalement le verre d’eau donné en son nom au malheureux.
L’enfant affamé étendait vers le morceau de pain de plus en plus réduit de la lavandière ses petites mains amaigries et semblait le dévorer des yeux.
Mathie Penker haussa les épaules.
— Je ne suis pas assez riche pour me donner le luxe de faire la charité, ricana-t-elle amèrement. Ce pain que je mange est le pain de l’aumône… et comme les riches qui me le donnent ne sont pas généreux, je n’en ai pas de trop pour moi. Au large !…
Le petit pauvre, ainsi rebuté, se mit à pleurer ; ses larmes ressemblaient à des perles de cristal. Sa grâce souffrante et sa beauté, que rendait plus touchante encore son triste dénuement, auraient dû attendrir la vieille lavandière, mais son âme cupide, jalouse et méchante, était inaccessible à un tendre sentiment.
Il ne restait plus du morceau de pain de seigle qu’un croûton trop desséché pour que ses dents branlantes eussent la force de le broyer.
Par une dernière et cruelle ironie, au lieu de l’abandonner au pauvret dont le regard, brûlant d’une fièvre d’inanition, ne pouvait s’en détourner, elle le jeta à l’un des chiens de chasse qui le happa avec dextérité.
Et, prés de toutes les autres, il en fut de même. L’étrangère n’obtint que des refus grossiers, de dures paroles, d’impitoyables moqueries.
Elle reprit sur son bras l’enfant épuisé et se releva péniblement.
— Ainsi, dit-elle aux lavandières d’une voix lente et sévère, aucune de vous n’aura eu pitié de l’infortune !…
« La belle jeune fille n’a pas voulu, au prix d’une facile charité, acheter du ciel un peu de bonheur pour son avenir… La mère qui a repoussé mon fils affamé ne s’est pas dit qu’un jour venant, le sien aussi pourrait avoir faim et n’être pas secouru…
« La vieille femme, aux portes de son éternité, n’a pas songé que la mort est proche et qu’aux sans pitié le Juge sera impitoyable…
« La jeune fille insensible, la mère égoïste, la vieille femme au cœur de roc verront bientôt châtier leur dureté…
— C’est une sorcière, elle nous menace ! bégaya Mathie Penker que la pensée de la mort, cette épouvante de sa vieillesse, rendait livide.
— Elle va jeter un charme sur mon enfant, cria Françoise Rieux, dont les dents claquaient…
— Mettez les chiens après elle, glapit Jeannie, la perverse et jolie fille. Hardi ! hardi ! gens de Rohan, donnez la chasse à la sorcière.
Sous les haillons qui la couvraient, la taille de l’inconnue se redressa, et, en dépit de sa misère, une soudaine majesté parut en elle, sur le front que, sans orgueil, elle portait levé vers le ciel ; dans le regard que, triste et grave, mais sans haine, elle abaissait vers la troupe lâche et cruelle des lavandières.
— Osez…, dit-elle simplement.
Les piqueurs hésitaient, troublés, émus malgré eux et presque effrayés de voir surgir si grande au milieu de ses abaissements la femme outragée.
— Hardi !… hardi… lâchez les chiens ! répéta Jeannie que la colère et la peur avaient jetée hors d’elle.
Et comme les valets de Rohan ne se décidaient pas assez site à son gré, arrachant la laisse que tenait le grand Louis, de ses frémissantes mains elle découpla elle-même les chiens.
— Taïaut… taïaut !… hardi, bonnes bêtes !… sus à la sorcière…
Son bras tendu leur désignait la mendiante, debout sur le tertre, à quelques pas, l’enfant étroitement serré contre son cœur.
Mais les chiens ne bougèrent pas.
La queue et les oreilles basses, ils frissonnaient, tremblant sur leurs pattes comme si, au lieu d’une pauvre femme impuissante et désarmée, ils eussent eu en face d’eux, leur faisant tête, un loup la gueule en feu, un sanglier prêt à les éventrer de ses terribles défenses.
Jeannie, emportée par une rage folle, saisit le fouet d’un piqueur et cingla de la lanière tressée le flanc des chiens qui hurlèrent lamentablement.
Toutes les femmes clamèrent ensemble, excitant la meute :
— Taïaut… taïaut ! à la sorcière !
— Malheureuses, dit l’inconnue, femmes plus cruelles que ces animaux dont vous excitez la férocité, une punition terrible est réservée à votre endurcissement, à votre méchanceté… La main de Dieu est sur vous, et vous serez frappées jusque dans vos enfants et petits enfants…
Elle se tut ; il lui fallait fuir.
Les chiens s’ébranlaient et fonçaient sur elle, tête baissée, dans un galop furieux.
Alors commença une effrayante et mystérieuse poursuite.
Un miracle avait-il donc rendu subitement les forces à la femme épuisée, à demi morte de fatigue et d’inanition ?…
Rapide et légère, elle ne courait pas, elle volait, effleurant à peine, du bord de la robe traînante, l’herbe rase des prés ; on eût dit que des ailes invisibles la portaient, car son pied ne foulait pas la terre et, à son bras, l’enfant ne semblait pas peser plus lourd qu’un atome de duvet ou un fétu de paille.
Les chiens, derrière elle, menaient sans l’atteindre, un train d’enfer… Et, emportés à leur suite, dans une course vertigineuse, comme celle des noirs cavaliers de la légende, allaient, sans pouvoir s’arrêter, les piqueurs et les lavandières.
Sous leurs pas, avec une rapidité quasi-fantastique, fuyaient les chemins poudreux, les pâturages herbues constellés de fleurs, les champs où déjà se doraient les moissons…
Et, à chaque tournant de route, au bout de chaque sillon, à la sortie de chaque pré, ils revoyaient, toujours aussi loin devant eux, aussi infatigable, aussi légère, la surnaturelle fugitive avec l’enfant blond dans ses bras.
Haut dans le ciel d’un bleu limpide, sans un nuage, le soleil, en même temps que son éblouissante clarté, semblait déverser à flots du feu sur la terre ; et, malgré cette atmosphère embrasée qui brûlait leur poumon, les chasseurs ne ralentissaient pas non plus la poursuite endiablée.
Soudain, au détour d’un talus, apparurent les dômes vert sombre de la forêt. Mais, avant d’atteindre la zone d’ombre et de fraîcheur de la futaie, il restait à traverser un épais taillis, où des buissons de ronces et de rosiers sauvages, étendant dans toutes les directions leurs rameaux rampants, jamais émondés, avaient tracé parmi les chênes nains des lacis inextricables.
De ce côté, aucun sentier ne s’ouvrait dans la brousse, et d’habitude les gens de Josselin aimaient mieux faire un long détour pour gagner les allées de la forêt, que de s’aventurer à travers, le bois du Roncier fréquenté seulement des vipères, blaireaux, renards ou autres animaux malfaisants.
En voyant leur fugitive s’y jeter, tous pensèrent avec une mauvaise joie
— Elle est prise !
Et ils se disaient aussi que ce n’était pas dommage, car ils n’en pouvaient plus de la chasse insensée… Les femmes étaient épuisées, les piqueurs haletaient, les chiens avaient la langue pendante, l’écume à la gueule et l’œil sanglant.
Tout à coup, sans que, dans la brousse, un arbuste plus haut que les autres, une roche ou quelque accident de terrain lui eussent offert un refuge momentané, l’étrangère disparut aux yeux de ceux qui la traquaient.
Qu’était-elle devenue ? Par où avait-elle passé ? S’était-elle enfoncée parmi les branchages drus du taillis ?
Ce qui donnait plus de probabilité à cette dernière hypothèse, c’est que, arrêtés net devant un épais buisson épineux, les chiens aboyaient furieusement.
Ce n’était point l’aboi sonore et joyeux, lancé à plein gosier qui accompagne comme une seconde fanfare la sonnerie des triomphants hallalis… mais un cri plaintif, lugubre et prolongé celui des chiens en détresse qui, dans l’horreur des nuits de meurtre et de malheur, hurlent à la mort ou au perdu.
La fièvre de la sauvage poursuite était tombée. Tous s’approchèrent, comme à regret, curieux de voir et pourtant troublés d’un vague effroi à la pensée de trouver là, devant eux, gisant sur le lit verdoyant des herbes et des mousses, dans l’entrelacement des jeunes ramées, les corps étendus de la femme morte de fatigue et de l’enfant mort de faim.
Ils ne virent rien.
Autour du hallier, nulle trace de pas. Ni feuilles froissées, ni branches brisées trahissant une chute ou le passage rapide de quelqu’un dans l’enchevêtrement des lianes. Ronces et églantiers entrecroisaient librement leurs flexibles rameaux chargés de pales fleurs rosées qu’aucune secousse n’avait effeuillées !
Cependant les chiens ne cessaient d’aboyer et il était impossible de les écarter du buisson devant lequel ils s’étaient butés, comme si la piste obstinément suivie, elle aussi, ce fût arrêtée là.
En y regardant de plus près, la Jeannie, dont l’œil était perçant et dont la curiosité aiguisée l’emportait sur la crainte irraisonnée, crut apercevoir à travers l’épaisse feuillée une masse confuse.
Aussitôt, à coups de talons, de couteaux, de bâtons ferrés, les piqueurs frayent un chemin, au milieu des épines jusqu’au centre du fourré et, lorsque la vue est dégagée, le cri d’un indicible étonnement jaillit de toutes les poitrines.
C’est une statue de la sainte Vierge, une statue inconnue dans le pays, qui gît à terre dans le Roncier et, chose étrange, — chose terrible ! — l’auguste visage de la Mère de Dieu que représente cette image, c’est le visage souffrant et résigné de la femme poursuivie avec tant de cruauté !
L’enfant divin qu’elle porte sur l’un de ses bras, et semble serrer contre elle, ainsi que l’étrangère en fuite étreignait le sien sur sa poitrine, c’est aussi le visage pâle et beau du doux chérubin blond mourant d’inanition.
Les chiens, allongés et pour ainsi dire aplatis sur le sol, domptés, frissonnants, rampent timides vers la miraculeuse apparition en poussant encore, par intervalles, des gémissements étouffés.
En vain les piqueurs essaient de retirer la statue du milieu des ronces et des épines. Tous le efforts de ces hommes vigoureux pour la soulever de terre sont tentés en pure perte.
Ce bloc de pierre, qui n’est point cependant de proportions gigantesques, semble avoir acquis un poids écrasant.
Force est de laisser la Vierge du Roncier sous l’arcade de verdure que lui forme le hallier et de retourner au bourg avec l’humiliation de la poursuite vaine.
Mais sur les lavandières coupables s’est appesantie la main vengeresse de la justifie divine.
Revenues à l’endroit mème où elles ont repoussé les prières de la mendiante inconnue, ri de ses supplications et de ses lacunes, à l’endroit où elles ont donné le signal de la chasse inhumaine, elles sont terrassées par de subites convulsions.
Elles se roulent dans la poussière, les nerfs tordus à se briser, tandis que de leur bouche écumante s’échappent d’effroyables hurlements.
— Elles aboient !… Elles aboient!… clament épouvantés les témoins de ce terrifiant spectacle.
Le bruit de la mystérieuse et fatale aventure, de la chasse sacrilège et de son châtiment soudain ne tarde pas à se répandre dans la contrée.
C’est la sainte Vierge, on le dit hautement, à qui les lavandières de Josselin ont refusé l’aumône, contre laquelle elles ont lancé les chiens des piqueurs de Rohan.
Les misérables créatures sont conspuées, montrées au doigt avec indignation, et les pieuses gens du pays, clergé en tête, vont avec croix et bannières chercher processionnellement la statue miraculeuse pour lui faire réparation de l’outrage.
Mais, de même que la première fois, il est impossible de la remuer. On comprend, alors la raison de ce phénomène.
En ce lieu, jusque-là sauvage et désert, la Mère de Dieu veut un sanctuaire. — Il s’y élèvera bientôt. — Mais, avant que la chapelle de Notre-Darne du Roncier fût achevée, Mathie Penker, l’aboyeuse, était morte, Françoise Rieux était devenue folle en entendant aboyer comme elle son petit gars, rose et joufflu.
Jeannie, la belle Jeannie n’épousa pas le grand Louis qui, pris de peur et de repentir, alla se renfermer dans un couvent ; elle trouva toutefois à se marier parce qu’elle avait du bien et que de tout temps il a existé des gens peu gênés de scrupules.
Seulement les enfants qui lui naquirent jamais ne riaient ou ne pleuraient pareillement aux autres, et lorsque retentissaient sauvages et bizarres les éclats de leur joie ou de leur douleur, les gens de Josselin disaient en se signant :
— Entendez hurler les petits de Jeannie l’aboyeuse !
S’il faut les en croire, la triste descendance de ces malheureuses n’est pas éteinte encore, et une vénérable aïeule m’a certifié avoir vu de ses yeux, mener des aboyeuses à la chapelle de Notre-Dame du Roncier, le jour du Pardon annuel.
Il fallait les y traîner de force, car elles se débattaient avec des cris désespérés.
Mais une fois devant la statue miraculeuse, entourées de la foule en prière intercédant pour elles, elles s’apaisaient par degrés, priaient à leur tour et s’en retournaient, sinon guéries, du moins calmées pour quelque temps.
Ne penses-vous pas, amis lecteurs, que bon nombre d’aboyeurs athées… et enragés auraient besoin de faire le pèlerinage de Notre-Dame de Roncier ?
Bonne S. DE BOÜARD
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