Étiquette : <span>Charité envers le prochain</span>

| Ouvrage : Les Veillées des Chaumières .

Temps de lec­ture : 19 minutes

Midi… l’heure de la soupe, la trêve d’un ins­tant, dans le labeur de la jour­née chaude… 

Quit­tant la selle et le bat­toir, le bord de la rivière où, dans l’eau cou­rante, se mirent les libel­lules coquettes ; où, sur les rameux qui ondoient à la brise, se balancent les calo­somes aux élytres rouges et mor­do­rées ; où dans les cou­lées du soleil, sous les aulnes, se pour­chassent les éphé­mères, usant en des cycles ver­ti­gi­neux leur fra­gile exis­tence d’un jour, les lavan­dières de Jos­se­lin se sont assises à l’ombre pour prendre leur repas. 

Au bruit des voix se mêlent le cli­que­tis des cuillères d’é­tain heur­tant les écuelles de grès : cha­cune des femmes a, près d’elle, son panier de pro­vi­sions, appor­té soit par quelque fillette aux che­veux ébou­rif­fée sous la coiffe, soit par quelque petit gars jouf­flu, les­quels en atten­dant que la mère, la sœur, l’aïeule ait fini de man­ger, baignent leurs pieds nus dans la tié­deur de l’eau, ou s’é­battent par­mi les joncs et les saules de la rive. 

Quelques piqueurs de Rohan, leurs chiens cou­plés en laisse à leur poi­gnet, sont debout près du groupe des lavan­dières et jasent avec elles. 

Les jeunes, avec des sou­rires de malice et de coquet­te­rie, baissent les yeux et montrent toutes leurs dents en cro­quant les cerises de leur dessert. 

Les vieilles, sans perdre une bou­chée de leur dîner, médisent ou calom­nient, sour­noises, malignes, cou­lant en des­sous des regards de dépit vers celles dont les joues fraîches, l’œil brillant, le naïf éta­lage de vani­té satis­faite, semblent la conti­nuelle moque­rie de leur décrépitude. 

Et de ces riva­li­tés fémi­nines, de ces com­bats sans mer­ci à coups d’é­pingles, les gens de Rohan, que cela diver­tit énor­mé­ment, rient à gorge déployée. 

— Cette Jean­nie !… grom­me­lait aigre­ment une mégère au teint de brique, brû­lé moins encore par le tuile et le soleil que par le feu inté­rieur d’i­vresses à peu près habi­tuelles ; vous ver­rez que le bal la tue­ra. Si c’est une vie cela !… Hier, qui était dimanche, — un jour saint ! — elle a dan­sé jus­qu’a­près minuit comme une per­due… Aus­si, en lavant son linge, il n’y a qu’un ins­tant, dor­mait-elle tout debout. 

— À la voir si réveillée, on ne le dirait pas, Mathie Pen­ker ; et com­ment croire qu’elle se tue à dan­ser quand la voi­là aus­si fraîche que ses bigar­reaux ? — répli­qua Taquin, un piqueur qui pre­nait plai­sir à exci­ter la maligne colère de la vieille Mathie. 

Celle-ci lui jeta un coup d’œil furibond.

— Je ne l’at­taque pas pour cela, le grand Louis, fit-elle en haus­sant les épaules. Il n’y a pas besoin de mettre tant d’ar­deur à la défendre. 

À l’autre extré­mi­té du groupe deux mères, dont cha­cune avait pris fait et cause pour sa pro­gé­ni­ture dans une bagarre d’en­fants, se dis­pu­taient, s’in­vec­ti­vant à qui mieux mieux et mena­çant de pas­ser bien­tôt des gros­siers pro­pos aux horions. 

Jeune fille aux cerises

Au centre on débla­té­rait contre l’or­gueil des châ­te­lains ; la coquette Jean­nie criait bien haut que ce n’é­tait pas juste qu’elle n’eût que des cotillons de futaine, quand les demoi­selles nobles éta­laient robes de velours et de bro­cart comme des saintes Vierges, et assu­rait qu’elle por­te­rait aus­si bien qu’elles jupes à traîne, cor­sets de satin et escof­fions perlés… 

Tout à coup une voix d’une dou­ceur étrange dont le timbre clair domi­na le tumulte des aigres paroles, des inter­pel­la­tions et des rires, fit brus­que­ment retour­ner toutes les têtes. 

— Jolie fille vou­driez-vous, par , don­ner quelques-unes de vos cerises à mon enfant pour apai­ser sa soif ?… 

Une jeune femme, très pâle, très belle quoique vêtue misé­ra­ble­ment, por­tant sur son bras un blond ché­ru­bin, aus­si pale et aus­si beau qu’elle même, arrê­tée devant Jean­nie l’é­cer­ve­lée, lui ten­dait sa main blanche et fine comme celle d’une reine. 

— Il ne manque pas, dans le pays, de cerises à vendre, répon­dit la vani­teuse lavan­dière, allez-en ache­ter, ma mie… 

— Je n’ai pas d’argent… 

— Alors, pui­sez l’eau de la rivière où vont boire les chiens errants aus­si gueux que vous ! 

Auteur : Legrin, Albert | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Conte de Pâques

C’é­tait en 1400 et tant : en ce temps-là comme chante le diacre à l’É­van­gile, vivait en la ville de Pon­tor­son une vieille femme, si âgée, si décré­pite, si ché­tive, si minable, que les anciens du pays n’a­vaient aucune sou­ve­nance de l’a­voir vue jeune, accorte et folâtre ; elle habi­tait sur les bords du Coues­non une chau­mière bran­lante et, quand la tem­pête souf­flait de la grève, c’é­tait miracle que la hutte de Guil­hau­mette résis­tât et ne fut pas jetée dans la rivière. Cette mal­heu­reuse était la ter­reur du voi­si­nage : elle ne fai­sait pour­tant de mal à per­sonne ; inca­pable de tra­vailler, elle deman­dait d’une voix bien humble, bien sup­pliante, une aumône que la peur ne lui fai­sait pas refu­ser. Les jeunes gens pre­naient la fuite à son approche : les vieux se signaient, les enfants n’o­saient aller jouer sur la grève, de peur d’être enle­vés par ce mau­vais génie à qui on attri­buait tout le mal qui arri­vait dans le pays.

Guilhaumette

Guil­hau­mette pas­sait son che­min en silence, appuyée sur un long bâton, elle se remé­mo­rait, la pauvre, le temps où, gente jou­ven­celle aux joues fleu­ries comme une églan­tine, ce qui lui avait valu son sur­nom de la Rosée. Elle était fêtée, adu­lée par les hauts et puis­sants sei­gneurs du pays. Dans ce temps-là, elle était riche, elle semait l’or à pro­fu­sion et bien sou­vent : hélas ! pour satis­faire ses fan­tai­sies, les fiers che­va­liers avaient pres­su­ré leurs vas­saux, enle­vé le néces­saire aux vilains pour dépo­ser leur or aux pieds de l’enchanteresse.

Mais les années étaient venues, les rides étaient appa­rues, les che­veux noirs avaient blan­chis, les joues s’é­taient creu­sées, la taille s’é­tait épais­sie, en un mot la vieillesse était arri­vée avec son cor­tège de dou­leurs, avec la faim, la froi­dure, avec le remords, mais non avec le .

Nous sommes au Same­di-Saint, était accom­pa­gné cette année de neige et de fri­mas ; il tom­bait le vingt-cin­quième jour de mars, l’hi­ver avait été bien dur ; la faim avait fait de nom­breuses vic­times, la misère était grande, mais l’es­pé­rance du prin­temps pro­chain met­tait comme un rayon lumi­neux dans tous les cœurs, mal­gré la rigueur du temps.

Auteur : Duroc, Bertrand | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 6 minutes« Dis donc, André, si tu as envie de faire un tour avec nous, il reste une petite place sur la ban­quette. Tu nous aide­ras à déchar­ger tout à l’heure. »

André veut aider les autres - Livraison en camion

C’est Ray­mond, le grand frère de Jacques, qui parle. André réflé­chit une minute. Rien ne le retient pour le moment. Ça va rude­ment être chic cette petite pro­me­nade, sur le lourd camion.

« Oui, pour­quoi pas ? Par où passez-vous ?

— Nous allons fran­chir le pont du Rhône, puis nous rejoin­drons, sur la route de Valence, le han­gar où nous devons déchar­ger nos poutres.

— Ça va ! En avant ! »

D’un bond, André saute sur la ban­quette, à côté du frère de son ami. Ils sont dix main­te­nant sur le lourd véhi­cule qui s’é­branle avec un bruit de ferraille.

« Inutile de par­ler ; pas moyen de s’en­tendre là-dedans. », crie le jeune homme.

D’ailleurs, André n’a pas envie de par­ler. Il lui suf­fit de regar­der, de res­pi­rer lar­ge­ment l’air char­gé d’en­thou­siasme de ce matin de prin­temps. Quand Ray­mond, du seuil de la scie­rie, l’a­vait hélé, il sor­tait de la petite église où chaque jour de ses vacances de il vient prier pour son équipe. Elle ne va pas trop bien en ce moment. On ne sait pas au juste pour­quoi d’ailleurs, mais les gars n’ont plus la même ardeur qu’a­vant. « Peut-être qu’il manque des saints par­mi nous ; des gars prêts à tout offrir pour les autres. Ça devient mou… on s’ha­bi­tue ! » Mais mal­gré tout, ça n’a rien de décou­ra­geant ces pen­sées-là. C’est au contraire exal­tant, et André se dit tout bas : « C’est quand même chic la vie, sur­tout quand on a un tra­vail pareil à faire avec Jésus.

Oui, c’est chic ; mais c’est dur aus­si. On n’est pas Cœur Vaillant « pour rire ». Et il le savait bien, le har­di gar­çon qui rou­lait sans le savoir vers son destin…

Le pont, en un large pas de pierre, enjam­bait le fleuve. Le camion s’en­ga­gea en une réson­nance infer­nale. Ce fut alors que, brus­que­ment, la catas­trophe arri­va. André ne com­prit rien. Il sen­tit sou­dain un choc for­mi­dable, puis il enten­dit des cris. Et puis, plus rien… Ce fut le vide, la nuit… Le gars n’é­tait plus qu’une petite chose, empor­tée par le cou­rant. La masse énorme du camion, en se retour­nant, l’en­traî­na dans son remous, puis il remon­ta comme un bou­chon une fois, deux fois, à la sur­face. Sur son cœur, sur son insigne, ses mains s’é­taient croisées.

Auteur : Bourron, Edmée | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 12 minutesSuzon, Suzon, cria Claude, je viens d’en­tendre du bruit à l’étable !

— En es-tu sûr, deman­da la sœur aînée qui tri­co­tait au coin de l’âtre ? C’est la bise peut-être qui fait grin­cer la porte ou la fenêtre. La mai­son bouge toute. Quelle tem­pête dehors ! »

Suzon était une robuste fillette de douze ans au visage calme et éner­gique. Elle se leva de sa chaise pour voir l’heure que mar­quait l’hor­loge et ajouta :

« Comme Papa et Maman rentrent tard ce soir !

— Je parie que le train est en panne au tun­nel du Val-Noir comme lun­di der­nier », sou­pi­ra Riquou, l’un des cadets.

Histoire chrétienne pour les enfants« Ça se peut bien, fit-elle, la bise a souf­flé toute la jour­née. Il a dû s’a­mas­ser de for­mi­dables couches de neige sur la voie et dans les che­mins… Allons, mes petits, il est tard, il faut aller se mettre au lit. »

Ses quatre frères et sœurs l’en­tou­rèrent avec des cris de pro­tes­ta­tion et Jean­nette, la petite der­nière, se mit à pleurnicher :

« Atten­dons un peu. J’au­rai peur toute seule dans ma chambre.

— Pol­tronne va, peur de quoi ? Des rats ? De la bise qui chante dans la che­mi­née ? Je t’ai sou­vent répé­té que…

— Suzon, inter­rom­pit Claude, en la tirant par la manche de son tablier, je viens encore d’en­tendre du bruit dans l’étable.

— Allons voir, lan­ça-t-elle. C’est peut-être la génisse qui s’est déta­chée. Si elle s’a­muse à cor­ner le mulet, elle rece­vra une bonne ruade. Elle pour­rait avoir une patte cas­sée. Riquou, toi le plus cou­ra­geux, viens avec moi. Les autres res­tez ici. »

Sui­vie de son frère, elle s’en fut pous­ser la porte de bois qui fai­sait com­mu­ni­quer la cui­sine avec l’é­table, comme dans beau­coup de fermes de la montagne.

Auteur : Ardent, Luc | Ouvrage : Et maintenant une histoire I .

Temps de lec­ture : 8 minutesOn ne sait pas très bien com­ment ça a com­men­cé, mais actuel­le­ment ça y est.

Pour­tant, elle mar­chait bien, l’é­quipe Saint-Jacques. Ses membres avaient du cran ; je ne sais pas si tu fais six kilo­mètres à pied pour aller à ta réunion d’é­quipe ; en tout cas, eux les fai­saient. D’ailleurs, quand on connaît Paul, le chef, ça se com­prend : un petit gars de 12 ans, avec un sou­rire qui lui fait le tour de la figure, des mol­lets bien plan­tés qui ne savent que cou­rir, des yeux qui voient tout ; et quand il com­mande, eh bien ! il ne bégaie pas. Comme ce n’est jamais à lui qu’il pense, ses équi­piers l’aiment bien. Et puis, ce qu’on peut avoir du plai­sir avec lui ! À chaque réunion, c’est un nou­veau jeu ; et tou­jours de bonnes idées pour le coin, pour la route, pour faire lire le jour­nal, pour… on n’en fini­rait pas de le dire ; c’est à se deman­der où il les cherche.

jeux de patronnage - sacrifice pour l'équipeDonc, l’é­quipe Saint-Jacques mar­chait à bloc, à toute allure. La meilleure preuve, c’est qu’à cause d’elle deux gar­çons de la paroisse avaient été bap­ti­sés et qu’un vieux de 85 ans qui n’é­tait plus entré dans une église depuis sa Com­mu­nion solen­nelle avait vou­lu faire ses .

Un jour, à la réunion, André qui habite aux Trois Tilleuls arrive avec un vilain regard. Brus­que­ment, en pleine par­tie de « cercle empoi­son­né », il s’é­tale et se retourne furieux vers Louis : « Tu l’as fait exprès ! », et pan ! sur l’o­reille droite de l’autre qui vrai­ment ne sait pas ce qui se passe. Après avoir cra­ché par terre et lan­cé un juron, André s’en va. La réunion conti­nue, mais l’en­train est tombé.

La fois sui­vante, André est absent, mais aus­si Mar­cel qui habite tout près de chez lui. Déci­dé­ment, ça ne va pas.

Dans la semaine qui suit, voi­là que Paul, en ren­trant de l’é­cole, tombe sur une grosse pierre et se heurte très fort le genou. Ça enfle. « Trois mois de lit », dit le doc­teur. Pauvre équipe Saint-Jacques ! Vrai­ment, c’é­tait de la mal­chance. Que pou­vait-il donc bien y avoir ?