Conte de Pâques
C’était en 1400 et tant : en ce temps-là comme chante le diacre à l’Évangile, vivait en la ville de Pontorson une vieille femme, si âgée, si décrépite, si chétive, si minable, que les anciens du pays n’avaient aucune souvenance de l’avoir vue jeune, accorte et folâtre ; elle habitait sur les bords du Couesnon une chaumière branlante et, quand la tempête soufflait de la grève, c’était miracle que la hutte de Guilhaumette résistât et ne fut pas jetée dans la rivière. Cette malheureuse était la terreur du voisinage : elle ne faisait pourtant de mal à personne ; incapable de travailler, elle demandait d’une voix bien humble, bien suppliante, une aumône que la peur ne lui faisait pas refuser. Les jeunes gens prenaient la fuite à son approche : les vieux se signaient, les enfants n’osaient aller jouer sur la grève, de peur d’être enlevés par ce mauvais génie à qui on attribuait tout le mal qui arrivait dans le pays.
Guilhaumette passait son chemin en silence, appuyée sur un long bâton, elle se remémorait, la pauvre, le temps où, gente jouvencelle aux joues fleuries comme une églantine, ce qui lui avait valu son surnom de la Rosée. Elle était fêtée, adulée par les hauts et puissants seigneurs du pays. Dans ce temps-là, elle était riche, elle semait l’or à profusion et bien souvent : hélas ! pour satisfaire ses fantaisies, les fiers chevaliers avaient pressuré leurs vassaux, enlevé le nécessaire aux vilains pour déposer leur or aux pieds de l’enchanteresse.
Mais les années étaient venues, les rides étaient apparues, les cheveux noirs avaient blanchis, les joues s’étaient creusées, la taille s’était épaissie, en un mot la vieillesse était arrivée avec son cortège de douleurs, avec la faim, la froidure, avec le remords, mais non avec le repentir.
Nous sommes au Samedi-Saint, Pâques était accompagné cette année de neige et de frimas ; il tombait le vingt-cinquième jour de mars, l’hiver avait été bien dur ; la faim avait fait de nombreuses victimes, la misère était grande, mais l’espérance du printemps prochain mettait comme un rayon lumineux dans tous les cœurs, malgré la rigueur du temps.