Comme quoi Guilhaumette la Rosée fut sauvée des griffes du Malin par sa charité.

Auteur : Legrin, Albert | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 6 minutes

Conte de Pâques

C’é­tait en 1400 et tant : en ce temps-là comme chante le diacre à l’É­van­gile, vivait en la ville de Pon­tor­son une vieille femme, si âgée, si décré­pite, si ché­tive, si minable, que les anciens du pays n’a­vaient aucune sou­ve­nance de l’a­voir vue jeune, accorte et folâtre ; elle habi­tait sur les bords du Coues­non une chau­mière bran­lante et, quand la tem­pête souf­flait de la grève, c’é­tait miracle que la hutte de Guil­hau­mette résis­tât et ne fut pas jetée dans la rivière. Cette mal­heu­reuse était la ter­reur du voi­si­nage : elle ne fai­sait pour­tant de mal à per­sonne ; inca­pable de tra­vailler, elle deman­dait d’une voix bien humble, bien sup­pliante, une aumône que la peur ne lui fai­sait pas refu­ser. Les jeunes gens pre­naient la fuite à son approche : les vieux se signaient, les enfants n’o­saient aller jouer sur la grève, de peur d’être enle­vés par ce mau­vais génie à qui on attri­buait tout le mal qui arri­vait dans le pays.

Guilhaumette

Guil­hau­mette pas­sait son che­min en silence, appuyée sur un long bâton, elle se remé­mo­rait, la pauvre, le temps où, gente jou­ven­celle aux joues fleu­ries comme une églan­tine, ce qui lui avait valu son sur­nom de la Rosée. Elle était fêtée, adu­lée par les hauts et puis­sants sei­gneurs du pays. Dans ce temps-là, elle était riche, elle semait l’or à pro­fu­sion et bien sou­vent : hélas ! pour satis­faire ses fan­tai­sies, les fiers che­va­liers avaient pres­su­ré leurs vas­saux, enle­vé le néces­saire aux vilains pour dépo­ser leur or aux pieds de l’enchanteresse.

Mais les années étaient venues, les rides étaient appa­rues, les che­veux noirs avaient blan­chis, les joues s’é­taient creu­sées, la taille s’é­tait épais­sie, en un mot la vieillesse était arri­vée avec son cor­tège de dou­leurs, avec la faim, la froi­dure, avec le remords, mais non avec le repentir.

Nous sommes au Same­di-Saint, était accom­pa­gné cette année de neige et de fri­mas ; il tom­bait le vingt-cin­quième jour de mars, l’hi­ver avait été bien dur ; la faim avait fait de nom­breuses vic­times, la misère était grande, mais l’es­pé­rance du prin­temps pro­chain met­tait comme un rayon lumi­neux dans tous les cœurs, mal­gré la rigueur du temps.

le MOnt Saint Michel

Ce jour donc, Guil­hau­mette était allée au mont Saint-Michel recueillir des aumônes, essayant en vain de chan­ter la Résur­rec­tion du Sau­veur : sa bouche éden­tée ne lais­sait pas­ser aucun son faci­le­ment sai­sis­sable, elle put cepen­dant ins­pi­rer la pitié et elle eut la chance de mettre dans son sac de quoi man­ger le len­de­main : en reve­nant, au milieu de la grève, elle trou­va un vieillard cou­ché sur la tangue, éva­noui, ne don­nant presque plus de signe de vie.

Guil­hau­mette ne s’é­mou­vait pas faci­le­ment et elle allait pas­ser sans s’oc­cu­per davan­tage du misé­rable, lors­qu’elle sen­tit un germe de com­pas­sion se lever en elle ; elle était encore vigou­reuse, elle relève le vieillard, le fait reve­nir à la vie ; ses pre­mières paroles furent pour deman­der à man­ger ; depuis trois jours il n’a­vait vécu que de l’eau des fos­sés de la route. Guil­hau­mette ouvre son sac et par­tage avec lui son conte­nu ; mais le vieillard a tou­jours faim et il dévore tout ce que la pauvre Guil­hau­mette avait appor­té ; elle ne l’ar­rête pas, et quand il a pris la der­nière miette de pain, elle lui dit adieu.

Pesam­ment et lan­guis­sam­ment elle retourne chez elle, la neige recom­mence à tom­ber, ralen­tis­sant encore la marche de Guil­hau­mette qui enfin, tran­sie, presque para­ly­sée par le froid, arrive à sa demeure. Elle veut se réchauf­fer en vain elle essaie d’al­lu­mer du feu, le bois mouillé ne prend pas et cepen­dant la neige tombe, péné­trant jus­qu’à l’in­té­rieur de la hutte, par les fis­sures du toit mal clos. A bout de patience, Guil­hau­mette s’é­crie : « Mau­dit feu, que le diable t’al­lume ». Au même ins­tant, des­cend à grand bruit, de la che­mi­née, un être bar­bu, hir­sute, aux pieds de bouc, puant le souffre ; il s’ac­crou­pit devant la che­mi­née, la queue rele­vée et il fait entendre un bruit qui reten­tit jus­qu’à Beau­voir. Le feu s’al­lume, une flamme claire jaillit, mais elle atteint le gra­bat, la hutte : en vain Guil­hau­mette jette de l’eau pour l’é­teindre, plus elle en jette, plus le feu s’é­tend, il enva­hit tout. Guil­hau­mette sort, la flamme la suit, la gagne, elle va périr et elle aper­çoit le Malin qui est là, se frot­tant les griffes de joie, car c’est une âme qui va tom­ber dans ses filets.

Mais tout à coup on entend les cloches carillon­ner joyeu­se­ment l’ de la Résur­rec­tion. Guil­hau­mette se rap­pelle qu’elles annoncent la grande fête de Pâques, elle jette un cri de misé­ri­corde, elle implore le Sau­veur dont on va fêter la Résur­rec­tion. Une voix se fait entendre : « Parce que tu as secou­ru un pauvre, un de mes frères, tu seras sau­vée. » Et au même ins­tant une lueur douce et suave fait place à la flamme brû­lante, et le Malin, furieux, se pré­ci­pite dans le Coues­non pour reprendre le fond de ses abîmes.

Guil­hau­mette entra dans un ermi­tage et fit une fin édifiante.

Et voi­là comme en l’an de grâce 1400 et tant, Guil­hau­mette la Rosée fut sau­vée par sa .


Albert Legrin,

25 mars 1894

Revue illus­trée des pro­vinces de l’Ouest – Tome XII – 1894

Source : http://shenandoahdavis.canalblog.com/archives/2015/04/05/31836761.html

Coloriage Résurrection Pâques, Alleluia

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