Ceux qui ne sont pas venus…

Auteur : Piacentini, René | Ouvrage : Le panier de cerises .

Temps de lec­ture : 17 minutes

« Tiens, m’a­vait dit mon oncle, pre­nons notre canne et notre cha­peau et filons jus­qu’à la Mou­tade. La cha­leur est tom­bée et nous serons de retour pour le dîner. Viens. » 

Le temps de bour­rer une der­nière pipe — cela, pour mon oncle qui fumait comme une loco­mo­tive — de rece­voir, sans les entendre, les suprêmes recom­man­da­tions de ma tante, et nous étions en route. Sur le pas de la porte, tante Amé­lie nous fai­sait le geste de l’a­mi­tié et sa voix cas­sée se for­çait pour jeter encore : 

— N’al­lez pas trop vite… Ne sue pas, Anatole. 

— Ma parole ! ta tante s’i­ma­gine que j’ai encore quinze ans. 

Pour répondre quelque chose, je disais sans réfléchir : 

— Vous les avez bien, mon oncle ! 

— Oui, gre­din ! avec soixante en plus. 

Une des grandes joies de mon enfance et de ma jeu­nesse était les quelques jours de vacances que je pas­sais, chaque année, chez mon oncle et ma tante : Phi­lé­mon et Baucis.

Pauvres chers petits vieux ! Il y a déjà de nom­breuses années que leurs yeux se sont fer­més aux, beau­tés et aux lai­deurs de ce monde, mais leur sou­ve­nir est tou­jours dans mon cœur. Mon oncle Per­rin était le meilleur des hommes : tra­vailleur, enjoué, bon ; un seul défaut, il fumait beau­coup, comme je viens de le dire. Et il avait, épou­sé une demoi­selle Amé­lie qui, jeune, avait été fort jolie, ce qui ne gâte rien, mais qui, de sur­croît, était bonne, enjouée, la meilleure des femmes et, ne fumant pas, n’a­vait pas de défaut. Long­temps, long­temps ils avaient fait l’é­cole, l’é­cole pri­maire, dans bien des postes suc­ces­sifs, à une époque où le métier d’ins­ti­tu­teur public était métier de gagne-petit que l’on accom­plis­sait encore plus par dévoue­ment que pour gagner sa vie. Ils ne s’é­taient pas enri­chis, certes, et leur modeste trai­te­ment ne leur avait guère per­mis d’a­mas­ser, mais ils avaient fait for­tune dans la paix, dans la joie, dans leur affec­tion mutuelle ; jamais un mot plus haut que l’autre, jamais un nuage en leur ciel… Une grande peine pour­tant dans leur exis­tence : long­temps ils avaient atten­du un petit être qui serait venu chez eux se faire aimer ; depuis long­temps ils ne l’at­ten­daient et se conso­laient de leur soli­tude à deux dans leur ten­dresse si pro­fonde et si tou­chante qui, à force de vieillir, avait per­mis à leur ribam­belle de neveux et de nièces de les sur­nom­mer affec­tueu­se­ment, — ils n’en savaient rien — Phi­lé­mon et Baucis. 

N’al­lez pas trop vite…

Ils avaient loué à long bail, leur retraite prise, une mai­son vaste et solide dans ce vieux hameau de Chaptes, un tout petit coin per­du de la Limagne d’, si petit, si caché qu’il n’a­vait cer­tai­ne­ment pas d’histoire. 

— N’est-ce pas mon oncle, qu’il n’y a pas d’histoire ? 

— C’est ce qui te trompe, me répon­dait le cher petit vieux, en s’ar­rê­tant un ins­tant de tri­co­ter des jambes pour faire tom­ber les cendres de sa pipe en la frap­pant contre un de ses talons. C’est ce qui te trompe ! 

« J’ai trou­vé dans les pape­rasses de la mai­rie et aus­si dans celles de la cure des ter­riers remon­tant au XIII° siècle et qui prouvent qu’a cette époque exis­tait à Chaptes une « frai­rie et Cha­rit­té » du Saint-Esprit, espèce de socié­té de secours mutuel fort bien pour­vue puis­qu’elle avait ses livres de cens, ses reve­nus, par le fait, et même sa mai­son. Tout cela a sub­sis­té jus­qu’à la Révo­lu­tion qui a sup­pri­mé, comme il conve­nait, au nom de la Fra­ter­ni­té sans doute, ces ves­tiges de l’obs­cu­ran­tisme du moyen âge. La mai­son du Saint-Esprit, je te la mon­tre­rai. Elle existe encore, mais vas‑y cher­cher une socié­té de secours mutuel ! Tiens : il y avait éga­le­ment une « Cha­rit­té du Saint-Esprit » dans ce hameau de rien du tout qui se trouve entre Promp­sat et Gimeaux, à Chi­rat. Une socié­té de secours mutuel à Chi­rat ! Aujourd’­hui il y a là à peine cinq feux… qui s’éteignent. 

— Vous vous échauf­fez, mon oncle. Rap­pe­lez-vous la recom­man­da­tion de Tante Amélie… 

— Ah ! ils me font suer, tous ces répu­bli­cains pur sang qui s’i­ma­ginent avoir inven­té la soli­da­ri­té humaine en même temps que la guillo­tine ! Je regrette de n’a­voir pas eu le temps, ni les capa­ci­tés vou­lues non plus, pour écrire l’his­toire des socié­tés, de ces « frai­rie et cha­rit­tés », comme ils disaient. Il y en avait des mil­liers en France, et la plu­part se récla­maient du Saint-Esprit… 

Mon oncle était par­ti. Je l’a­vais mis sur son dada favo­ri et il s’é­tait embal­lé. Il n’é­tait jamais plus réjouis­sant que dans ces colères à froid, si l’on peut dire, où il par­lait d’a­bon­dance, avec une rage appa­rente du moins, qui per­met­tait tou­jours de se deman­der s’il se pre­nait bien au sérieux. Mais il était tou­jours très inté­res­sant, car il avait fouillé beau­coup, trou­vé autant, et, sur l’his­toire locale de ce coin d’Au­vergne, il pos­sé­dait des connais­sances qu’il n’a pas pris la peine de consi­gner et qu’il a empor­tées avec lui pour les… com­plé­ter là-haut ! 

Nous avions pris le rai­dillon qui mène à la Mou­tade. C’é­tait alors une espèce de che­min de champs que, depuis, on a empier­ré, paraît-il ; et comme les soixante et douze ans de mon oncle l’empêchaient de par­ler et de mon­ter tout ensemble, il se taisait. 

Vue des monts d'Auvergnes

À mi-côte, il s’ar­rê­ta une minute, sans rien dire. D’un geste ami, que sa canne élar­gis­sait, il me dési­gna la ligne des Puys qui fes­ton­nait l’ho­ri­zon à notre droite. Ils étaient d’un bleu de cobalt, cet après-midi-là, et s’op­po­saient à un ciel lim­pide. Le Puy-de-Dôme seul, signe de pluie, por­tait un tur­ban de nuages. Mais depuis nous jus­qu’à cette fron­tière de mon­tagnes, dans ce pan immense de plaine, quelle varié­té de tons, quel plai­sir pour le regard ! Dans l’air attié­di, des oiseaux par cen­taines chan­taient la vie en fleur de cet avril ! Le beau pays, en vérité ! 

Des noyers, sur leurs troncs tor­dus ou éven­trés, pous­saient, dans les damiers des champs, la boule ronde de leur feuillage ; les peu­pliers, d’un vert que le temps n’a­vait pas encore assom­bri, ali­gnaient leurs ran­gées de géants ; les saules cen­drés s’ef­fi­lo­chaient au ras de terre… Et, comme des coque­li­cots dans les champs de blé, vieille image, mais si vraie, les petits vil­lages, dont les noms nous étaient fami­liers, piquaient leurs toits rouges : Beau­re­gard, Davayat, Le Mas, Cel­lule, Saint-Bon­net-Les-Champs, La Tourette ! 

Mon oncle qui s’é­tait assis et souf­flait, contem­plait sans mot dire et puis, tout à coup : 

— Quelle richesse ! 

Il se tut encore et il reprit : 

— Trop riche même ! 

— Com­ment trop riche, mon oncle ? 

— Eh oui, fit-il d’un ton triste et traî­nant, trop riche… Tu ne com­prends pas ? Alors écoute. Tu as dix-sept ans aujourd’­hui… Plus tard tu te rap­pel­le­ras ça…, plus tard. 

« Tu vois ce pan de mur, là, devant nous ? » 

Et, de fait, un mur lon­geait la route sur quelques mètres, au pied duquel les yeux bleus du prin­temps, je veux dire les per­venches, ache­vaient de fleurir. 

— Eh bien, c’est tout ce qui reste du vil­lage d’Auranche. 

— Auranche ?

— Oui, Auranche. Ce nom ne te dit rien ? Cela ne m’é­tonne pas. Au bord de ce che­min que nous avons sui­vi, à l’emplacement de ces champs dont les terres sont si bien nive­lées, il y avait naguère un gros vil­lage qui s’ap­pe­lait Auranche. Les vieilles gens seules se sou­viennent de ce nom et les vieux gri­moires. Le Monas­tère de la Visi­ta­tion de Riom pos­sé­dait ici une mai­son qui avait dû lui venir, sans doute, par consti­tut de dot, et d’où il tirait des légumes et des fruits !…

« Vois, au bas de cette pente, un endroit où le gazon est plus vert et plus touf­fu. Il y avait là une source qui devait être la fon­taine du vil­lage. Mais dans tous ces champs où s’é­le­vaient les mai­sons, tu peux cher­cher, va, tu ne trou­ve­ras pas une pierre. D’Au­ranche, ce seul pan de mur sub­siste, que le can­ton­nier abat­tra demain pour amé­lio­rer sa route : il ne reste pas pierre sur pierre ! » 

Muret en ruine du village égoïste

— Mais com­ment cela s’est-il fait, mon oncle ? 

— Je te l’ai dit : trop riches… 

« Ah ! ces gens-là étaient de fiers artistes qui avaient, plan­té leur tente, bâti leur mai­son, si tu veux, leur mai­son avec un large toit avan­cé sous poutres appa­rentes, et un esca­lier exté­rieur en pierre qui mon­tait à l’é­tage, face au levant. Quand ils sor­taient au matin, avec le soleil dans les yeux, ils cueillaient du regard toute la mon­tagne et toute la plaine, et leurs pou­mons se rem­plis­saient de tout l’air libre et pur et frais et embau­mé. Mais à force de voir, on dirait qu’on ne sait plus regar­der…, à force de regar­der en bas on en arrive à ne plus savoir lever les yeux… Tiens, tu vois encore ce noyer…, oui, celui d’où vient de sor­tir cette che­vêche, il y avait à cet empla­ce­ment-là, en 1635, une grande et belle mai­son, la plus belle du pays… » 

Éton­né de tant de pré­ci­sion, je regar­dai mon oncle, mais il par­lait avec une telle convic­tion et une telle flamme que je n’o­sai pas l’interrompre… 

« … Et cette mai­son était échue en par­tage à l’aî­né d’une famille dont les enfants avaient été nom­breux. Annet Bour­bon­naud avait vu la peine que, pour éle­ver leurs neufs enfants, ses parents s’é­taient don­née. Leur mère était morte jeune. Ils avaient tou­jours eu du pain, certes, mais pas tou­jours très blanc ; pas de viande sou­vent non plus, mais avec du mil et du sar­ra­sin l’on fai­sait des bouillies épaisses et qui calaient l’es­to­mac et qui don­naient quand même bon sang et de joli cou­rage. Mais lui, Annet Bour­bon­naud, n’a­vait pas les idées courtes des autres. Il s’é­tait dit en lui-même, quand il eut épou­sé sa cou­sine, Fran­çoise Cha­put : je n’au­rai pas la misère que mes parents ont eue, je n’au­rai pas à me lever sou­vent, les nuits, comme mon père, ni ma femme à se tuer pour pétrir et enfour­ner de gros pain bis ; je tra­vaille­rai parce que la terre est bonne et rap­porte, et qu’elle fait riche celui qui la cultive, mais ce que je gagne­rai, je le met­trai de côté pour moi, et, à ma mort, ma mai­son, mes champs, mes bêtes qui les cultivent, les habits que nous aurons tis­sés avec la laine de nos mou­tons et les toiles qui rem­pli­ront nos armoires brillantes, et les anneaux d’or et les pis­toles bien son­nantes, de tout cela mon fils, mon fils unique, héri­te­ra, et j’au­rai joui de la vie qui nous aura don­né, à ma femme et à moi, tout le bon­heur que mes parents n’ont pas su lui demander.

« Et Annet Bour­bon­naud fit comme il avait dit. 

« Il fut très riche. Il eut de beaux habits, de beaux meubles, de belles bêtes, et il fut le syn­dic du pays, et il par­lait haut, et il cra­chait loin devant lui parce qu’il n’a­vait peur de per­sonne. Et comme on vit qu’il avait réus­si dans les affaires, tout le pays pen­sa qu’il serait sage de l’i­mi­ter, car les hommes ont ten­dance à imi­ter ce qu’ils voient faire, le mal sur­tout, qui est plus facile sou­vent que le bien. Il fut tel­le­ment bien imi­té, Annet Bour­bon­naud, et les mœurs d’é­goïsme pas­sèrent si bien en habi­tude dans le vil­lage, que moins de deux cents ans après, les mai­sons, vides d’hommes, n’é­tant plus habi­tées que par les marau­deurs et les oiseaux de nuit, les murs tom­bèrent, et tout d’Au­ranche a dis­pa­ru, tout, jus­qu’au souvenir. » 

— Mais, mon oncle, d’où tenez-vous cela et com­ment savez-vous… 

— Com­ment je sais ? 

— Oui.

— Vois-tu, mon petit, les hommes portent éter­nel­le­ment la consé­quence de leurs actes. Est-ce pour rien que l’É­glise qui, pour appro­fon­dir le cœur de l’Homme, a pris le regard de Dieu, nous fait nous accu­ser d’a­voir péché par pen­sée, par paroles, par action et par omis­sion ? Qui, jamais, qui dira les consé­quences pour le temps et pour l’é­ter­ni­té de cet immense péché d’o­mis­sion de la vie. Qui ose­ra sou­te­nir le regard du Juge, par­mi ceux qui, se refu­sant à trans­mettre cette vie que le Créa­teur leur avait prê­tée dans ce but, l’ont volon­tai­re­ment frus­tré, Lui, d’une longue suite d’âmes qui auraient fait sa gloire. 

« Et pour­tant Annet Bour­bon­naud n’a­vait pas eu tort, appa­rem­ment. Que de misères il s’é­tait épargnées ! » 

— Vous êtes pro­phète, mon oncle ?… 

— Non, poète un peu seule­ment, mon neveu. Laisse-moi dire, ce soir, veux-tu ? 

« Oui, que de misères il s’é­tait épargnées…

« Si, fidèle aux lois de Dieu et aux mœurs de ses ancêtres, il avait accep­té la vie et toutes ses souf­frances qui puri­fient le cœur de l’homme et le divi­nisent, il aurait bien souf­fert, bien souf­fert. Il aurait eu six enfants. Et ça coûte six enfants à faire venir, six enfants et pen­dant quatre années les récoltes auraient été mau­vaises, lourds les taxes et les impôts, fré­quentes les réqui­si­tions et les cor­vées, sans entrailles les créan­ciers ; oui, il aurait souf­fert, beau­coup souf­fert… Des six enfants que Dieu lui aurait don­nés et qu’il aurait très vaillam­ment reçus, non pas en mau­gréant, mais en sou­riant, deux seraient morts en bas âge, anges du para­dis ; une fille aurait vécu, mal vécu, hélas ! en désho­no­rant le nom sans tache jusque là des Bour­bon­naud, et elle serait morte de son péché ; un autre fils aurait pris du ser­vice dans les armées du Roy et se serait fait tuer en Hol­lande. Cela fait quatre. Une autre fille, Annette, aurait vécu aus­si, mais, bonnes gens, tou­jours malade de fièvre, plaies, de para­ly­sie, quinze ans sur le lit, tra­cas pour les siens, si bien que dans le pays ou aurait dit et pen­sé : « Qu’est-ce qu’elle est venue faire celle-là, elle aurait mieux fait de res­ter où elle était… » et, à sa mort, il n’y aurait eu qu’un mot : « Enfin ! elle a ces­sé de souf­frir !… » Il serait res­té le fils, Antoine, qui, sur lui, aurait pris tout le soin de la mai­son et des bêtes et des champs et, par­mi ses enfants, l’un aurait fait son bon­heur et sa gloire ; et non pas seule­ment son bon­heur et sa gloire à lui, non pas seule­ment la gloire et le bon­heur de la Limagne, non pas seule­ment la gloire et le bon­heur de la pro­vince d’Au­vergne, mais la gloire et le bon­heur de toute la France, mais la gloire et le bon­heur du monde entier… » 

enfants du pauvre paysan

— Du monde entier, mon oncle ? 

— Du monde entier, comme je te le dis, mon neveu, car celui-là s’ap­pe­lait Dieu­don­né Bour­bon­naud. Il était d’une intel­li­gence hors ligne et d’une sagesse hors de pair. Il y avait en lui du Pas­cal et du Michel de l’Hos­pi­tal ; à Billon, chez les Jésuites, il fit ses études et ses maîtres, devi­nant chez lui la pous­sée du génie, le firent par­tir pour Paris, où il fit si bien que le roi Louis XVI, dont les affaires allaient mal, l’ap­pe­la dans son Conseil, fit de lui son ami. Il n’y eut, pas de Necker, il n’y eut pas de Tur­got, il y eut le grand Dieu­don­né Bour­bon­naud. Il fit si bien qu’il n’y eut pas de Révo­lu­tion fran­çaise, pas de Bona­parte pour domes­ti­quer la dite Révo­lu­tion à son pro­fit et faire son­ner les fan­fares de la guerre : il y eut seule­ment la France grande et paisible… 

— Mais, vous rêvez, mon oncle…

— Non, je ne rêve pas ; je pense. Et tu sais, cette Annette qui, selon le dire des gens, aurait mieux fait de ne pas naître parce que sa vie fut toute entière tis­sée de souf­france ; eh bien, c’est elle qui aurait été la plus belle âme, et la plus agréable à Dieu et la plus utile à son pro­chain de tout son temps, parce qu’elle aurait fait de son lit de souf­france et d’a­go­nie un autre Cal­vaire, et que dans sa per­sonne Notre-Sei­gneur Jésus-Christ aurait conti­nué de sau­ver le monde. Et, grâce aux mérites de cette dolente incon­nue, de cette mys­tique cachée, sa sœur qui vécut mal, et qui mou­rut de et dans son péché, eut son âme sau­vée, ain­si que le petit sol­dat qui mou­rut en Hol­lande au ser­vice du Roy… et mille et mille autres. 

« Je rêve ? non pas. Je te l’ai dit : je pense à ce qui aurait pu arri­ver si la malice, l’é­goïsme et la volon­té funeste d’un homme ne s’é­taient pas oppo­sés aux des­seins d’a­mour de la Providence. » 

Mon oncle se tut. Pen­dant un moment il contem­pla les mon­tagnes dont les ombres s’al­lon­geaient déjà et puis, leste encore, il se leva. Nous prîmes le che­min du retour, en silence. Tout à coup, il s’ar­rê­ta, piqua sa canne au bord d’un champ 

— Tiens, petit, si tu creu­sais à cet endroit, tu trou­ve­rais des choses qui feraient la joie d’un archéo­logue. Nous sommes ici sur un cime­tière de l’é­poque gal­lo-romaine. À un mètre ou un mètre cin­quante sous terre, il y a là une quan­ti­té de vases funé­raires où les cendres de ceux qui habi­tèrent ce pays, avant les pre­mières inva­sions franques, reposent. Tu trou­ve­rais des cubes de lave évi­dés, munis d’un cou­vercle et encer­clés de barres de fer. Ils contiennent, dans des lécythes ou des fioles de verre, un peu de cendre et des pièces de mon­naie. Au moins, de ceux-là, qui ont pos­sé­dé le pays, l’ont tra­vaillé, en ont joui, il reste quelque chose, tan­dis que de ceux du vil­lage d’Au­ranche, il reste à peine le sou­ve­nir. Les ruines même ont péri. Il ne doit rien res­ter sur terre de ceux qui pèchent contre la vie. C’est la ven­geance de ceux qui ne sont pas venus.

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