La vraie adoration des bergers

Auteur : Pourrat, Henri | Ouvrage : Autres textes .

Temps de lec­ture : 9 minutes

D’après les noëls d’.

CETTE nui­tée, avant-veille de saint Étienne, pre­mier mar­tyr, les ber­gers fai­saient la veillée au pied d’une petite mon­tagne. Ils avaient allu­mé un clair et grand feu. Le puy les abri­tait du vent, et Gra­bié, de sa cime, sur-veillait les trou­peaux. On le voyait appuyé à son bâton, debout et noir contre le ciel plein d’étoiles. 

Enve­lop­pés dans leurs limou­sines, Cirgues et Guillot dor­maient, le cha­pe­ron sur la face. Les autres, en écou­tant les contes que leur nar­rait Robin, se chauf­faient les mains aux flammes ou man­geaient des châ­taignes cuites sous la cendre. Par­fois un bous­set de vin pas­sait à la ronde. Ils buvaient alors à la réga­lade ; et la lumière rouge éclai­rait leurs têtes renversées. 

Sur la mi-nuit, comme Gau­thier se levait pour jeter sur les braises une bras­sée de genièvre, une sou­daine clar­té illu­mi­na la cam­pagne et tous furent sai­sis de frayeur. Mais, du haut des cieux, des anges beaux comme le jour leur disaient de ne point craindre, qu’ils venaient leur annon­cer une grande joie : Que le Sei­gneur était né dans la ville de Beth­léem et que tous devaient l’al­ler adorer. 

Les anges annoncent la naissance de Jésus aux bergers

Ils s’é­taient dres­sés en sur­saut. Tom­bant à genoux devant les anges et leur tirant leurs bon­nets, ils pro­met­taient d’al­ler saluer cette nuit même Celui qui apporte aux hommes la délivrance. 

En grande liesse donc, ils se mirent en route, et plu­tôt cou­rant que mar­chant, dan­sant la viran­dole par les friches, cepen­dant que leurs bre­bis gam­ba­daient autour d’eux. Cirgues son­nait de la vielle, et Ligier, enflant ses joues, du flageolet. 

Le cœur enchan­té de la nou­velle, les pas­tou­reaux déva­laient en hâte. Et tou­jours chan­tant réjouis­sance, ils sau­taient à grands sauts toutes les ravines, si bien que Gra­bié faillit se rompre le col. 

En pas­sant devant le buron de Pier­rot, ils heur­tèrent de tous leurs poings à la porte. L’autre, qui était bon homme, pous­sa son volet, bien éba­hi de ce train. Ils lui deman­dèrent alors s’il n’a­vait pas ouï les voix célestes. À quoi il répon­dit en enfi­lant sa casaque qu’il avait bien enten­du par­ler des gens qui, à coup sûr, n’é­taient point du vil­lage et qu’il leur conseillait même de se don­ner garde de son chien ; mais quant à croire ce qu’ils disaient, il ne le croyait pas : car à des gens des­cen­dus des cieux, il fau­drait pour y remon­ter une échelle par trop haute. Au demeu­rant, si ces van­tards vou­laient faire la course, il quit­te­rait ses sabots et, même en leur don­nant de l’a­vance, arri­ve­rait encore fin premier.

Les ber­gers attrou­pés firent force risées de sa sim­plesse, puis le convièrent à se joindre vite à eux pour venir pré­sen­ter leur ser­vice à leur maître. Et Pier­rot pen­sait qu’ils lui par­laient de M. de Cha­ze­ron. Mais quand il eut com­pris, il décla­ra que puisque leur roi tenait ses États dans Beth­léem, ils devaient tous aller lui don­ner le bon­soir. Ne vou­lant s’y rendre sans étrennes, il mit force pommes et noix dans sa pane­tière la plus belle. Car ç’a­vait été grande année de noix et de pommes. Et il sor­tit sur la bruyère, tout brave avec ses grègues et sa sou­que­nille de serge bleue, tenant à la main ses présents. 

Menant joyeuse vie et cla­mant haut  ! Noël ! ils arri­vèrent à leur vil­lage. Les chaumes lui­saient dans la nuit claire, au- des­sus des cour­tils où la gelée n’a­vait lais­sé que quelques choux et les buis pour le jour des Rameaux. Ils se dis­per­sèrent par la place entre les chars déte­lés et les fago­tiers poin­tus. Bien­tôt cha­cun revint de son logis, avec, qui une fourme, qui un flu­tiau, qui deux char­don­ne­rets dans une cage pour réjouir l’En­fant, qui une hou­lette fine puis­qu’il serait leur pas­teur. Jenin por­tait sur ses épaules un cabri de trois mois qui bêlait. Même Bar­thot l’a­va­ri­cieux, affir­mant qu’il l’of­fri­rait en pur don, secouait une bourse pleine de ducats qu’il tenait jus­qu’à cette heure bien ser­rée dans son coffre. 

Les bergers se rendent à Bethléem pour adorer Jésus dans la crèche

Leurs ber­gères les joi­gnirent avec des cadeaux mieux seyants à un nou­veau-né, comme potées de lait dont on n’a­vait pas levé la crème, œufs frais, ceux du jour mar­qués au char­bon, fleur blu­tée de farine et bouillie de gruau. En souf­flant dans leurs doigts, ils se concer­tèrent devant le porche de l’é­glise. Robin cou­rut réveiller le curé, lui deman­dant de venir faire le com­pli­ment à leur Sau­veur. Car Mes­sire Guillaume savait le latin et pou­vait prê­cher une heure de temps. 

Le curé venu, ils prirent tous par les cour­sières, pour arri­ver plus vite. Et parce que leurs sabots menaient grand bruit dans les pierres, ils dis­cu­taient dans le haut de la voix des com­plaintes qui seraient à faire à leur maître. Qu’il les gar­dât d’a­bord des rou­tiers, qui brûlent les métai­ries et gâtent les récoltes ; puis des usu­riers qui res­serrent tout le grain en leurs gre­niers ; et sur­tout des pro­cu­reurs, des col­lec­teurs et des ser­gents de la taille, qui enlèvent jus­qu’à la maie et jus­qu’à la faux dans les mai­sons du pauvre monde. Il y aurait eu beau­coup à dire sur les sei­gneurs, mais pour en par­ler tout haut per­sonne ne serait assez osé. Enfin, puisque tout allait comme l’é­cre­visse, il fau­drait sup­plier le Sei­gneur d’y mettre ordre et prier aus­si la sainte Mère de rap­pe­ler leurs affaires à son divin Enfant. 

Ain­si ils se pous­saient autour de Mes­sire Guillaume et, le tirant par la manche, s’en­har­dis­saient à le conseiller pour sa harangue. Jenin repré­sen­tait que le vin de cette année était vert comme poi­reau et qu’ils devraient bien aux pro­chaines ven­danges en avoir plus et du meilleur. Mais le curé les cal­mait du geste en repas­sant dans sa tête les points de son dis­cours. Der­rière leur troupe, sa ser­vante, qui était boi­teuse, menait les femmes en cape­lines, chan­tant à leur tête de beaux can­tiques en faux-bour­don très dévot. 

Comme ils sor­taient du sen­tier bor­dé de houx, ils virent venir sur le grand che­min une longue caval­cade ; c’é­taient trois mages des pays d’O­rient. Ayant connu par leur science la nais­sance de Notre-Sei­gneur , ils venaient l’a­do­rer en grand arroi. Et pour contem­pler leur marche, les ber­gers se ran­gèrent, tenant à bas leurs chaperons. 

Les rois mages offrent l'or, l'encens et la myhrre à l'Enfant Jésus

Au milieu de la route che­vau­chait un vieillard à la barbe large comme une gerbe, por­tant sous le man­teau four­ré le jus­tau­corps de damas cra­moi­si, avec la belle cein­ture et l’au­mô­nière de drap d’or. Le roi de dextre, jaune comme safran, était vêtu à l’a­van­tage d’une robe de bro­cart char­gée de rubis bien pré­cieux. Mais celui de senestre, tout de vert, accou­tré à la mogra­bine, éba­hit fort les pas­tou­reaux ; car il n’a­vait de blanc que les dents et les yeux, si bien que Pier­rot crai­gnit qu’il ne salisse l’En­fant s’il venait jamais à le toucher. 

En véri­té, ces rois, sans par­ler du bien qu’ils por­taient et qui aurait payé Cler­mont et la Limagne, avaient si magni­fique façon qu’on n’en vit jamais de plus beaux en temps de masques. 

Leur équi­page pas­sé, les ber­gers prirent la route der­rière eux et les sui­virent d’un peu loin. Ain­si, entre les pâtis, ils allaient tous vers une étoile grande et belle qui lui­sait au bout de l’a­ve­nue sur les clo­chers et les pignons de la ville. 

Tout était ouvert dans Beth­léem ; et d’a­bord, joi­gnant l’hô­tel­le­rie des Trois-Dau­phins, ils virent une pauvre étable d’où sor­tait une clar­té sem­blable à celle du soleil un jour de Pâques. Les murs s’é­taient à demi effon­drés après les grandes pluies de l’ar­rière-sai­son ; de prime vue on aper­ce­vait dans la crèche, cou­ché sur des dra­peaux de chanvre roux, un enfan­te­let sans béguin ni bras­sière. Un gros bœuf de Salers, assis­té d’un petit âne gris, le réchauf­fait de son haleine. La Sainte Vierge était assise là, sur un tabou­ret à trois jambes, et saint Joseph, qui pour les abri­ter de la bise avait sus­pen­du sa cape au-des­sus d’eux, dans un coin, fen­dait du bois avec sa bonne hache de charpentier. 

Tout api­toyée, Ali­son souf­fla à Robin d’al­ler qué­rir le ber­ceau dont leur oncle le sabo­tier leur avait fait cadeau, le beau ber­ceau de ceri­sier sculp­té qui avait ser­vi pour leur Jean­tou. Cepen­dant la com­pa­gnie s’a­van­ça, ado­rant le Sau­veur tout aimable, et les rois à deux genoux offrirent l’or, l’en­cens, enfin la myrrhe, d’o­deur si suave qu’on se fût cru en jar­din de paradis. 

Lorsque les mages eurent pris congé, la Sainte Vierge, voyant les ber­gers tout hon­teux, leur fit bonne mine, les enga­geant à appro­cher de l’En­fant, de sorte qu’ils lui pré­sen­tèrent leurs étrennes hum­ble­ment et de franc cou­rage. Alors le curé fit le beau com­pli­ment en lan­gage de ville, racon­tant toute la vie et la misère des pas­tou­reaux, en priant le Sei­gneur d’y avi­ser. Pour la fin il le sup­plia dou­ce­ment de les vou­loir tous mettre plus tard au séjour des anges, dans la mai­son de son Père.

Devant l’En­fant qui leur ten­dait les bras, les ber­gers res­taient age­nouillés, le cœur tout fon­du d’a­mour, et il leur sem­blait qu’en cette pauvre étable s’é­taient main­te­nant ras­sem­blées toute la paix et toute la lumière du monde. 

Hen­ri Pourrat.

Coloriage l'ange annonçant la bonne nouvelle aux bergers

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