Conte de l’Épiphanie.
En ce temps-là, l’étoile miraculeuse parut au firmament. Et les mages Gaspar et Balthazar vinrent, en caravane pompeuse, rejoindre le mage Melchior. Et tous trois se disposèrent à suivre le guide scintillant et lointain.
Or, vivait à la cour du roi Melchior une fillette de dix à douze ans nommée Leïla. Le chef des esclaves, captivé par sa grâce frêle, par son blanc visage, fleur précieuse et rare, au milieu des visages brûlés et basanés du pays, l’avait achetée. C’était elle qui tenait l’éventail devant le trône du roi Melchior et la bienveillance du monarque s’étendait jusqu’à l’enfant, car elle était douce et silencieuse et savait chanter de mélodieuses et mélancoliques chansons qui berçaient le repos pendant les longues somnolences de midi.
Leïla, remplissant sa charge, entendit ces mots que prononçait le roi Gaspar :
— Un grand roi nous est né ! Sous son règne, les hommes s’aimeront et seront tous frères ! Il n’y aura plus de haines, d’esclavage ! Suivons donc l’étoile et allons reconnaître ce Messie qui nous est annoncé !
— Ainsi ferai-je avec vous ! dit Melchior.
Et l’ordre fut donné de préparer des présents et d’en charger les chameaux pour le très prochain départ.
Leïla se tint prosternée devant le trône de Melchior, et, lorsque tous se furent retirés, elle demeura dans cette attitude suppliante, attendant que le roi voulût bien lui adresser la parole. Et Melchior dit :
— Que voulez-vous ? Petite fille, parlez sans crainte.
— Oh ! Roi, je voudrais aussi voir le Messie ? Emmenez Leïla, votre esclave ! Elle baisera la trace de vos pas.
— Je ne puis, vous êtes trop frêle pour que l’on vous emmène en si grand voyage. Restez ici, Leïla, je vous ferai présent d’un collier de perles rares.
Leïla soupira, mais n’osa rien dire. De nouveau elle se prosterna, puis s’en alla…
Dans l’enceinte où l’on entassait les présents : encens de l’Arabie, tapis merveilleux, ambres parfumés, elle vint errer, petite ombre blanche. Et soudain, tout doucement, se glissa dans un des couffins, rabattit sur elle un cachemire précieux. Mais elle ressortit et, toujours silencieuse, revint bientôt, tenant un petit paquet qu’elle dissimula dans le panier.
Puis, derechef, elle se blottit dans sa cachette…
… Maintenant, la caravane défile sous le dur soleil. Ballottant leurs fardeaux, les chameaux avancent d’une allure rapide. Sur de blancs coursiers, richement ornés, les mages chevauchent de concert. Et le soir, ils interrogent le ciel limpide, anxieux d’y voir briller le flambeau fidèle et mystérieux. Quand l’astre s’allume, ils mettent pied à terre, se prosternent, puis la course reprend monotone et sûre. Des jours brûlants succèdent aux nuits froides et lumineuses. Leïla, dans son couffin, est brisée, mais elle est héroïque. Elle se nourrit de quelques dates que renferme son petit paquet. Et, lorsque près d’un puits l’on abreuve les bêtes, pendant l’heure du repos, elle va boire à la source que les pieds des chevaux ont rendue boueuse…
Et les mages parvinrent enfin au pays de Judée. Là, chez le roi Hérode, ils s’arrêtèrent pour se renseigner. L’inquiétude de leur hôte fut grande : Quel était donc ce Messie que venaient lui annoncer ces rois, guidés par une étoile ? Qu’ils aillent le chercher et reviennent le lui dire : lui aussi le voulait adorer !
Pendant ce temps, le chef des esclaves visita les présents, enlevant les poussières de la route, les comptant. Que devint-il quand il découvrit la fillette, pâle et meurtrie, mais souriante, blottie dans son panier, sous un blanc cachemire de l’Inde ! il fut consterné, car, comme tout le monde, il aimait la petite esclave.
— Oh ! Leïla, dit-il, petite fleur devant nos yeux, qu’avez-vous fait ? Pourquoi êtes-vous ici ?
— Je voulais voir le Messie, le Roi ne voulut pas m’emmener…
— Et vous vous êtes cachée ! Ne savez-vous pas que notre maître punit de mort la désobéissance de ses esclaves ?
Leïla baissa la tête :
— Je sais ! soupira-t-elle. Mais… si vous ne dites rien avant la fin du voyage, si vous ne me dénoncez pas, j’aurai vu le Messie et je pourrai mourir !
Tenez, je vous donnerai ce bracelet d’or pour votre femme…
— Gardez votre bracelet, Leïla, et que le Seigneur vous soit clément. Je ne dirai rien, quand bien même je devrais périr sous le bâton !…
Et les Mages se remirent en route. La nuit qui suivit, la brillante étoile que fixaient leurs yeux extasiés demeura soudain immobile, au-dessus d’un modeste toit de branchages.
— Est-ce là, dirent les Rois, notre Messie annoncé ? Où sont les serviteurs, les soldats, le palais ?…
Le palais… c’était une petite étable ouverte à toutes les bises, les serviteurs, un bon gros bœuf et âne placide. De soldats, il n’y en avait pas. Mais il y avait une toute jeune femme, d’une beauté merveilleuse, un homme, un ouvrier au doux visage contemplatif et sérieux, et dans une crèche, sur une poignée de paille, dormait un petit enfant nouvellement né, duquel émanait un rayonnement qui éclairait tout le modeste abri !
Et les Mages, d’abord étonnés, comprirent… Ils fléchirent les genoux devant l’humble crèche, puis chacun offrit ses présents. Ce furent d’abord Balthazar et Gaspar, puis ce fut Melchior qui fit apporter ses parfums et ses tapis. Et soudain se dressa devant lui Leïla, voilée d’un cachemire blanc et soyeux. Elle eut un regard de tendresse vers l’enfant. La jeune femme la regarda, puis sourit. Le nouveau-né dormait toujours !
Mais Melchior fronça les sourcils et dit :
— Vous avez désobéi, esclave. Vous êtes venue malgré ma défense. Vous mourrez ! En holocauste, je vous offrirai au Messie, comme nous offrons des sacrifices à notre Dieu !
L’enfant abaissa ses longs cils, croisa ses mains fluettes et murmura :
— Que votre volonté s’accomplisse, ô maître.
Lentement, tandis que les serviteurs cherchaient du bois pour le sacrifice, elle détacha son collier d’or, ses lourds bracelets et les tendit à la Vierge. Elle défit le voile précieux qui couvrait sa chevelure et, avec une précaution infinie, l’étendit sur le Tout-Petit.
Le roi Melchior regardait. Sa longue barbe blanche tremblait, car il était ému et regrettait une sentence que la douce résignation de l’esclave lui faisait plus amère à supporter. Mais devant telle assemblée sa dignité lui défendait de se dédire ! Le bois du bûcher fut bientôt assemblé et les serviteurs se saisirent de Leïla pour l’attacher… Joseph fit un mouvement comme pour intervenir… Les admirables yeux si tendres de la Vierge se voilèrent, elle inclina la tête et une larme tiède roula sur le front du Divin Enfant.
Alors se fit un grand miracle : le Tout-Petit s’éveilla, un sourire vint jouer sur ses lèvres et ses menottes frêles se tendirent vers l’esclave. Et le pâle visage de Leïla se transfigura, devint d’une beauté irréelle, ses liens tombèrent, sa robe blanche devint resplendissante et deux larges ailes jaillirent soudain de ses fragiles épaules. En même temps, sa voix mélodieuse chanta :
— Hosannah ! Hosannah !
Sans toucher le sol, elle avança, baisa doucement les petits pieds de l’Enfantelet qui s’était rendormi. Puis, ouvrant ses ailes, elle monta rejoindre une cohorte céleste qui planait dans la nuit bleue. Mais, en passant près du roi Melchior, elle le regarda avec un sourire ineffable en achevant le cantique :
— Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté !
Tel fut le miracle que fit Celui qui, plus tard, devait dire :
— Laissez venir à moi les petits enfants !
Aussi, lorsque Dieu rappelle à lui les mignons, avant qu’ils n’aient souffert de vivre, portée par ses blanches ailes, Leïla les vient chercher et les emporte tendrement contre son cœur jusqu’au fond du grand ciel bleu !
Liverani
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