L’adoration de Leïla

Auteur : Liverani | Ouvrage : La semaine de Suzette .

Temps de lec­ture : 8 minutes

Conte de l’Épiphanie.

En ce temps-là, l’é­toile mira­cu­leuse parut au fir­ma­ment. Et les mages Gas­par et Bal­tha­zar vinrent, en cara­vane pom­peuse, rejoindre le mage . Et tous trois se dis­po­sèrent à suivre le guide scin­tillant et lointain. 

Or, vivait à la cour du roi Mel­chior une fillette de dix à douze ans nom­mée Leï­la. Le chef des esclaves, cap­ti­vé par sa grâce frêle, par son blanc visage, fleur pré­cieuse et rare, au milieu des visages brû­lés et basa­nés du pays, l’a­vait ache­tée. C’é­tait elle qui tenait l’é­ven­tail devant le trône du roi Mel­chior et la bien­veillance du monarque s’é­ten­dait jus­qu’à l’en­fant, car elle était douce et silen­cieuse et savait chan­ter de mélo­dieuses et mélan­co­liques chan­sons qui ber­çaient le repos pen­dant les longues som­no­lences de midi. 

Leï­la, rem­plis­sant sa charge, enten­dit ces mots que pro­non­çait le roi Gaspar : 

— Un grand roi nous est né ! Sous son règne, les hommes s’ai­me­ront et seront tous frères ! Il n’y aura plus de haines, d’es­cla­vage ! Sui­vons donc l’é­toile et allons recon­naître ce Mes­sie qui nous est annoncé !

— Ain­si ferai-je avec vous ! dit Melchior. 

Et l’ordre fut don­né de pré­pa­rer des pré­sents et d’en char­ger les cha­meaux pour le très pro­chain départ. 

Leï­la se tint pros­ter­née devant le trône de Mel­chior, et, lorsque tous se furent reti­rés, elle demeu­ra dans cette atti­tude sup­pliante, atten­dant que le roi vou­lût bien lui adres­ser la parole. Et Mel­chior dit : 

— Que vou­lez-vous ? Petite fille, par­lez sans crainte. 

— Oh ! Roi, je vou­drais aus­si voir le Mes­sie ? Emme­nez Leï­la, votre  ! Elle bai­se­ra la trace de vos pas. 

— Je ne puis, vous êtes trop frêle pour que l’on vous emmène en si grand voyage. Res­tez ici, Leï­la, je vous ferai pré­sent d’un col­lier de perles rares. 

Leï­la sou­pi­ra, mais n’o­sa rien dire. De nou­veau elle se pros­ter­na, puis s’en alla… 

Dans l’en­ceinte où l’on entas­sait les pré­sents : encens de l’A­ra­bie, tapis mer­veilleux, ambres par­fu­més, elle vint errer, petite ombre blanche. Et sou­dain, tout dou­ce­ment, se glis­sa dans un des couf­fins, rabat­tit sur elle un cache­mire pré­cieux. Mais elle res­sor­tit et, tou­jours silen­cieuse, revint bien­tôt, tenant un petit paquet qu’elle dis­si­mu­la dans le panier.

La petite esclave Leïla devant le roi mage Melchior
— Que vou­lez-vous, petite fille ? Par­lez sans crainte.

Puis, dere­chef, elle se blot­tit dans sa cachette… 

… Main­te­nant, la cara­vane défile sous le dur soleil. Bal­lot­tant leurs far­deaux, les cha­meaux avancent d’une allure rapide. Sur de blancs cour­siers, riche­ment ornés, les mages che­vauchent de concert. Et le soir, ils inter­rogent le ciel lim­pide, anxieux d’y voir briller le flam­beau fidèle et mys­té­rieux. Quand l’astre s’al­lume, ils mettent pied à terre, se pros­ternent, puis la course reprend mono­tone et sûre. Des jours brû­lants suc­cèdent aux nuits froides et lumi­neuses. Leï­la, dans son couf­fin, est bri­sée, mais elle est héroïque. Elle se nour­rit de quelques dates que ren­ferme son petit paquet. Et, lorsque près d’un puits l’on abreuve les bêtes, pen­dant l’heure du repos, elle va boire à la source que les pieds des che­vaux ont ren­due boueuse… 

Et les mages par­vinrent enfin au pays de Judée. Là, chez le roi Hérode, ils s’ar­rê­tèrent pour se ren­sei­gner. L’in­quié­tude de leur hôte fut grande : Quel était donc ce Mes­sie que venaient lui annon­cer ces rois, gui­dés par une étoile ? Qu’ils aillent le cher­cher et reviennent le lui dire : lui aus­si le vou­lait adorer ! 

Pen­dant ce temps, le chef des esclaves visi­ta les pré­sents, enle­vant les pous­sières de la route, les comp­tant. Que devint-il quand il décou­vrit la fillette, pâle et meur­trie, mais sou­riante, blot­tie dans son panier, sous un blanc cache­mire de l’Inde ! il fut conster­né, car, comme tout le monde, il aimait la petite esclave. 

— Oh ! Leï­la, dit-il, petite fleur devant nos yeux, qu’a­vez-vous fait ? Pour­quoi êtes-vous ici ? 

— Je vou­lais voir le Mes­sie, le Roi ne vou­lut pas m’emmener…

— Et vous vous êtes cachée ! Ne savez-vous pas que notre maître punit de mort la déso­béis­sance de ses esclaves ?

Leï­la bais­sa la tête : 

— Je sais ! sou­pi­ra-t-elle. Mais… si vous ne dites rien avant la fin du voyage, si vous ne me dénon­cez pas, j’au­rai vu le Mes­sie et je pour­rai mourir !

Tenez, je vous don­ne­rai ce bra­ce­let d’or pour votre femme… 

— Gar­dez votre bra­ce­let, Leï­la, et que le Sei­gneur vous soit clé­ment. Je ne dirai rien, quand bien même je devrais périr sous le bâton !… 

Et les Mages se remirent en route. La nuit qui sui­vit, la brillante étoile que fixaient leurs yeux exta­siés demeu­ra sou­dain immo­bile, au-des­sus d’un modeste toit de branchages. 

— Est-ce là, dirent les Rois, notre Mes­sie annon­cé ? Où sont les ser­vi­teurs, les sol­dats, le palais ?… 

Le palais… c’é­tait une petite étable ouverte à toutes les bises, les ser­vi­teurs, un bon gros bœuf et âne pla­cide. De sol­dats, il n’y en avait pas. Mais il y avait une toute jeune femme, d’une beau­té mer­veilleuse, un homme, un ouvrier au doux visage contem­pla­tif et sérieux, et dans une crèche, sur une poi­gnée de paille, dor­mait un petit enfant nou­vel­le­ment né, duquel éma­nait un rayon­ne­ment qui éclai­rait tout le modeste abri ! 

Et les Mages, d’a­bord éton­nés, com­prirent… Ils flé­chirent les genoux devant l’humble crèche, puis cha­cun offrit ses pré­sents. Ce furent d’a­bord Bal­tha­zar et Gas­par, puis ce fut Mel­chior qui fit appor­ter ses par­fums et ses tapis. Et sou­dain se dres­sa devant lui Leï­la, voi­lée d’un cache­mire blanc et soyeux. Elle eut un regard de ten­dresse vers l’en­fant. La jeune femme la regar­da, puis sou­rit. Le nou­veau-né dor­mait toujours ! 

Mais Mel­chior fron­ça les sour­cils et dit : 

— Vous avez déso­béi, esclave. Vous êtes venue mal­gré ma défense. Vous mour­rez ! En holo­causte, je vous offri­rai au Mes­sie, comme nous offrons des sacri­fices à notre Dieu ! 

L’en­fant abais­sa ses longs cils, croi­sa ses mains fluettes et murmura : 

— Que votre volon­té s’ac­com­plisse, ô maître. 

Leïla devant l'Enfant-Jésus de la crèche
— Vous avez déso­béi, esclave, vous êtes venue mal­gré ma défense.

Len­te­ment, tan­dis que les ser­vi­teurs cher­chaient du bois pour le sacri­fice, elle déta­cha son col­lier d’or, ses lourds bra­ce­lets et les ten­dit à la Vierge. Elle défit le voile pré­cieux qui cou­vrait sa che­ve­lure et, avec une pré­cau­tion infi­nie, l’é­ten­dit sur le Tout-Petit. 

Le roi Mel­chior regar­dait. Sa longue barbe blanche trem­blait, car il était ému et regret­tait une sen­tence que la douce rési­gna­tion de l’es­clave lui fai­sait plus amère à sup­por­ter. Mais devant telle assem­blée sa digni­té lui défen­dait de se dédire ! Le bois du bûcher fut bien­tôt assem­blé et les ser­vi­teurs se sai­sirent de Leï­la pour l’at­ta­cher… Joseph fit un mou­ve­ment comme pour inter­ve­nir… Les admi­rables yeux si tendres de la Vierge se voi­lèrent, elle incli­na la tête et une larme tiède rou­la sur le front du Divin Enfant. 

Alors se fit un grand miracle : le Tout-Petit s’é­veilla, un sou­rire vint jouer sur ses lèvres et ses menottes frêles se ten­dirent vers l’es­clave. Et le pâle visage de Leï­la se trans­fi­gu­ra, devint d’une beau­té irréelle, ses liens tom­bèrent, sa robe blanche devint res­plen­dis­sante et deux larges ailes jaillirent sou­dain de ses fra­giles épaules. En même temps, sa voix mélo­dieuse chanta : 

— Hosan­nah ! Hosannah ! 

Sans tou­cher le sol, elle avan­ça, bai­sa dou­ce­ment les petits pieds de l’En­fan­te­let qui s’é­tait ren­dor­mi. Puis, ouvrant ses ailes, elle mon­ta rejoindre une cohorte céleste qui pla­nait dans la nuit bleue. Mais, en pas­sant près du roi Mel­chior, elle le regar­da avec un sou­rire inef­fable en ache­vant le cantique : 

— Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! 

Tel fut le miracle que fit Celui qui, plus tard, devait dire : 

— Lais­sez venir à moi les petits enfants ! 

Aus­si, lorsque Dieu rap­pelle à lui les mignons, avant qu’ils n’aient souf­fert de vivre, por­tée par ses blanches ailes, Leï­la les vient cher­cher et les emporte ten­dre­ment contre son cœur jus­qu’au fond du grand ciel bleu !

Live­ra­ni

La semaine de Suzette ; Becassine

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