D’après les noëls d’Auvergne.
CETTE nuitée, avant-veille de saint Étienne, premier martyr, les bergers faisaient la veillée au pied d’une petite montagne. Ils avaient allumé un clair et grand feu. Le puy les abritait du vent, et Grabié, de sa cime, sur-veillait les troupeaux. On le voyait appuyé à son bâton, debout et noir contre le ciel plein d’étoiles.
Enveloppés dans leurs limousines, Cirgues et Guillot dormaient, le chaperon sur la face. Les autres, en écoutant les contes que leur narrait Robin, se chauffaient les mains aux flammes ou mangeaient des châtaignes cuites sous la cendre. Parfois un bousset de vin passait à la ronde. Ils buvaient alors à la régalade ; et la lumière rouge éclairait leurs têtes renversées.
Sur la mi-nuit, comme Gauthier se levait pour jeter sur les braises une brassée de genièvre, une soudaine clarté illumina la campagne et tous furent saisis de frayeur. Mais, du haut des cieux, des anges beaux comme le jour leur disaient de ne point craindre, qu’ils venaient leur annoncer une grande joie : Que le Seigneur était né dans la ville de Bethléem et que tous devaient l’aller adorer.
Ils s’étaient dressés en sursaut. Tombant à genoux devant les anges et leur tirant leurs bonnets, ils promettaient d’aller saluer cette nuit même Celui qui apporte aux hommes la délivrance.
En grande liesse donc, ils se mirent en route, et plutôt courant que marchant, dansant la virandole par les friches, cependant que leurs brebis gambadaient autour d’eux. Cirgues sonnait de la vielle, et Ligier, enflant ses joues, du flageolet.
Le cœur enchanté de la nouvelle, les pastoureaux dévalaient en hâte. Et toujours chantant réjouissance, ils sautaient à grands sauts toutes les ravines, si bien que Grabié faillit se rompre le col.
En passant devant le buron de Pierrot, ils heurtèrent de tous leurs poings à la porte. L’autre, qui était bon homme, poussa son volet, bien ébahi de ce train. Ils lui demandèrent alors s’il n’avait pas ouï les voix célestes. À quoi il répondit en enfilant sa casaque qu’il avait bien entendu parler des gens qui, à coup sûr, n’étaient point du village et qu’il leur conseillait même de se donner garde de son chien ; mais quant à croire ce qu’ils disaient, il ne le croyait pas : car à des gens descendus des cieux, il faudrait pour y remonter une échelle par trop haute. Au demeurant, si ces vantards voulaient faire la course, il quitterait ses sabots et, même en leur donnant de l’avance, arriverait encore fin premier.
Les bergers attroupés firent force risées de sa simplesse, puis le convièrent à se joindre vite à eux pour venir présenter leur service à leur maître. Et Pierrot pensait qu’ils lui parlaient de M. de Chazeron. Mais quand il eut compris, il déclara que puisque leur roi tenait ses États dans Bethléem, ils devaient tous aller lui donner le bonsoir. Ne voulant s’y rendre sans étrennes, il mit force pommes et noix dans sa panetière la plus belle. Car ç’avait été grande année de noix et de pommes. Et il sortit sur la bruyère, tout brave avec ses grègues et sa souquenille de serge bleue, tenant à la main ses présents.
Menant joyeuse vie et clamant haut Noël ! Noël ! ils arrivèrent à leur village. Les chaumes luisaient dans la nuit claire, au- dessus des courtils où la gelée n’avait laissé que quelques choux et les buis pour le jour des Rameaux. Ils se dispersèrent par la place entre les chars dételés et les fagotiers pointus. Bientôt chacun revint de son logis, avec, qui une fourme, qui un flutiau, qui deux chardonnerets dans une cage pour réjouir l’Enfant, qui une houlette fine puisqu’il serait leur pasteur. Jenin portait sur ses épaules un cabri de trois mois qui bêlait. Même Barthot l’avaricieux, affirmant qu’il l’offrirait en pur don, secouait une bourse pleine de ducats qu’il tenait jusqu’à cette heure bien serrée dans son coffre.