Conte populaire transcrit par Henri POURRAT
IL y avait une fois une bergère qu’on nommait Isabeau. Cœur plus simple ne se serait trouvé en la chrétienté tout entière. Candide comme la fleur des champs, la pâquette des ruisseaux, la petite anémone blanche ou le narcisse des prés qui a le cœur tout d’or. Encore jeune de jeune jeunesse. Mais déjà elle aidait les siens en allant garder les brebis ; et tout en les gardant, elle filait sa quenouille à l’ombre d’un frêne. Toujours riante, toujours rayonnante. Seulement, à la grande désolation de ses père et mère, qui n’avaient pas d’autre enfant, elle était muette.
Ils l’ont amenée à la ville, à un grand médecin — bien que ce ne fût guère la coutume pour des gens de campagne. Et ce médecin leur a dit qu’aucun savant au monde ne saurait la guérir.
Un jour qu’elle était là sur le pacage, auprès de ses moutons, et son chien auprès d’elle, attendant venir l’Angelus, elle priait sans pouvoir réciter, elle reprenait à part soi une dizaine d’Ave, les mains au creux de sa robe, son mouchoir sur la tête à cause du soleil.
Tout à coup, vers l’heure de la soupe, elle a eu devant soi une grande lumière. Une dame s’approchait d’elle, si belle, si belle… Et puis ce n’était pas tant sa beauté que cet air de haut lieu, qui ouvrait un pays tout d’innocence et de soleil.
La bergère Isabeau était tombée à deux genoux sur l’herbe, ravie en sa contemplation.
— Belle bergère, belle Isabeau, lui a dit la dame, il faut que tu me donnes un de tes agnelets.
— S’il faut que je vous donne un de mes agnelets, il faut qu’à mon père, à ma mère, j’aille en faire la demande.
— Isabeau, ma petite, va le leur demander. Je garde tes brebis, ne sois pas en peine d’elles.
Alors, toute simplette et toute obéissante, prenant ses sabots à la main pour mieux courir, la bergère court vers la maison. Et si ravie qu’elle est, elle ne s’avise même pas qu’elle vient de répondre à la dame, et qu’elle parle maintenant !
— Bonjour, bonjour, mon père, ma mère aussi ! Il y a vers mon troupeau une si belle dame… Elle fait la demande d’un agnelet…
Le père, la mère, n’en pouvaient croire leurs oreilles. Leur fille, leur Isabeau, l’enfant muette parlait ! Riant, pleurant, éperdus, bonnes gens !
— Va, va, notre Isabeau, va, va lui dire, lui dire qu’ils sont à son service, tous les plus beaux !
La petite bergère s’en retourne, toujours courant, vers le pacage, vers la dame, comme si le cœur lui tirait par un fil d’or.
— Que t’ont-ils dit, ton père, ta mère aussi ?
— M’ont dit que sont à vous tous les plus beaux ! Tant d’agnelets que vous en voudrez, tous à votre service.
— Isabeau, ma petite, merci à toi. Mais c’est toi que dans quarante jours je viendrai prendre pour te mener dans ma prairie, vers mon Agneau, vers l’Agneau même.
Et la dame est partie dans la lumière. Et la petite bergère ne voulait plus que partir aussi. Comme ces gouttes d’eau du matin, plus pures qu’une liqueur, avec leurs feux si purs d’un vert et rouge d’arc-en-ciel sur les feuilles de trèfle, et qui n’attendent que d’être bues par le soleil.
Son père, sa mère, voyaient cela… Et quand ils en auraient pleuré, qu’auraient-ils eu ? Mais il y avait dans ce qui arrivait autre chose qu’un chagrin pour leur prendre le cœur.
La parole de la dame ne pouvait pas mentir. Quarante jours passés, un soir on a trouvé Isabeau à genoux sous le grand frêne du pacage. Comme perdue dans le ravissement.
Dans sa main blanche tenait un bel écrit, et personne ne l’a pu lire que Monseigneur. Sur cet écrit, il était marqué qu’Isabeau avait jeûné sans en rien dire tout le temps du Carême, les Quatre-Temps, aussi chaque vigile, aussi l’Avent ; que la Dame à présent, celle d’en haut, la désirait plus près d’elle, dans un couvent où l’on adore l’Agneau.
Ahhh, je découvre ce conte et c’est peut-être ce qui explique l’apparition étrange d’une « belle Isabeau » et de l’agneau (que j’avais précédemment pris pour une image de Jésus), dans le Noël Savoyard :
Dans ce chant de Noël, évidemment tout tourné vers Dieu, il est dit :
« Je te prie, recueille la belle Isabeau
La fleur est nouvelle, a fait un agneau »
Merci pour cette publication