Le conte de la Bergère muette

Auteur : Pourrat, Henri | Ouvrage : La semaine de Suzette .

Temps de lec­ture : 5 minutes

Conte populaire transcrit par Henri POURRAT

Conte de la bergère muette qui vit une belle dame

IL y avait une fois une qu’on nom­mait Isa­beau. Cœur plus simple ne se serait trou­vé en la chré­tien­té tout entière. Can­dide comme la fleur des champs, la pâquette des ruis­seaux, la petite ané­mone blanche ou le nar­cisse des prés qui a le cœur tout d’or. Encore jeune de jeune jeu­nesse. Mais déjà elle aidait les siens en allant gar­der les bre­bis ; et tout en les gar­dant, elle filait sa que­nouille à l’ombre d’un frêne. Tou­jours riante, tou­jours rayon­nante. Seule­ment, à la grande déso­la­tion de ses père et mère, qui n’a­vaient pas d’autre enfant, elle était muette. 

Ils l’ont ame­née à la ville, à un grand méde­cin — bien que ce ne fût guère la cou­tume pour des gens de cam­pagne. Et ce méde­cin leur a dit qu’au­cun savant au monde ne sau­rait la guérir.

Un jour qu’elle était là sur le pacage, auprès de ses mou­tons, et son chien auprès d’elle, atten­dant venir l’Ange­lus, elle priait sans pou­voir réci­ter, elle repre­nait à part soi une dizaine d’Ave, les mains au creux de sa robe, son mou­choir sur la tête à cause du soleil. 

Tout à coup, vers l’heure de la soupe, elle a eu devant soi une grande lumière. Une dame s’ap­pro­chait d’elle, si belle, si belle… Et puis ce n’é­tait pas tant sa beau­té que cet air de haut lieu, qui ouvrait un pays tout d’in­no­cence et de soleil. 

La ber­gère Isa­beau était tom­bée à deux genoux sur l’herbe, ravie en sa contemplation. 

— Belle ber­gère, belle Isa­beau, lui a dit la dame, il faut que tu me donnes un de tes agnelets. 

Conte de la bergere - Elle court vers son père et sa mère

— S’il faut que je vous donne un de mes agne­lets, il faut qu’à mon père, à ma mère, j’aille en faire la demande. 

— Isa­beau, ma petite, va le leur deman­der. Je garde tes bre­bis, ne sois pas en peine d’elles. 

Alors, toute sim­plette et toute obéis­sante, pre­nant ses sabots à la main pour mieux cou­rir, la ber­gère court vers la mai­son. Et si ravie qu’elle est, elle ne s’a­vise même pas qu’elle vient de répondre à la dame, et qu’elle parle maintenant !

— Bon­jour, bon­jour, mon père, ma mère aus­si ! Il y a vers mon trou­peau une si belle dame… Elle fait la demande d’un agnelet… 

Le père, la mère, n’en pou­vaient croire leurs oreilles. Leur fille, leur Isa­beau, l’en­fant muette par­lait ! Riant, pleu­rant, éper­dus, bonnes gens !

— Va, va, notre Isa­beau, va, va lui dire, lui dire qu’ils sont à son ser­vice, tous les plus beaux !

La petite ber­gère s’en retourne, tou­jours cou­rant, vers le pacage, vers la dame, comme si le cœur lui tirait par un fil d’or. 

— Que t’ont-ils dit, ton père, ta mère aussi ?

— M’ont dit que sont à vous tous les plus beaux ! Tant d’a­gne­lets que vous en vou­drez, tous à votre service. 

— Isa­beau, ma petite, mer­ci à toi. Mais c’est toi que dans qua­rante jours je vien­drai prendre pour te mener dans ma prai­rie, vers mon Agneau, vers l’A­gneau même. 

L'enfant est parti au paradis voir l'Agneau de Dieu

Et la dame est par­tie dans la lumière. Et la petite ber­gère ne vou­lait plus que par­tir aus­si. Comme ces gouttes d’eau du matin, plus pures qu’une liqueur, avec leurs feux si purs d’un vert et rouge d’arc-en-ciel sur les feuilles de trèfle, et qui n’at­tendent que d’être bues par le soleil. 

Son père, sa mère, voyaient cela… Et quand ils en auraient pleu­ré, qu’au­raient-ils eu ? Mais il y avait dans ce qui arri­vait autre chose qu’un cha­grin pour leur prendre le cœur. 

La parole de la dame ne pou­vait pas men­tir. Qua­rante jours pas­sés, un soir on a trou­vé Isa­beau à genoux sous le grand frêne du pacage. Comme per­due dans le ravissement. 

Dans sa main blanche tenait un bel écrit, et per­sonne ne l’a pu lire que Mon­sei­gneur. Sur cet écrit, il était mar­qué qu’I­sa­beau avait jeû­né sans en rien dire tout le temps du Carême, les Quatre-Temps, aus­si chaque vigile, aus­si l’Avent ; que la Dame à pré­sent, celle d’en haut, la dési­rait plus près d’elle, dans un couvent où l’on adore l’Agneau.

Un commentaire

  1. MimiduBdF a dit :

    Ahhh, je découvre ce conte et c’est peut-être ce qui explique l’ap­pa­ri­tion étrange d’une « belle Isa­beau » et de l’a­gneau (que j’a­vais pré­cé­dem­ment pris pour une image de Jésus), dans le Noël Savoyard :
    Dans ce chant de Noël, évi­dem­ment tout tour­né vers Dieu, il est dit :
    « Je te prie, recueille la belle Isabeau
    La fleur est nou­velle, a fait un agneau »
    Mer­ci pour cette publication

    20 janvier 2023
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