Dans les archives de la rue du Bac on conserve un humble cahier avec les notes spirituelles de sœur Catherine. Comme sous l’écorce d’un cratère couve la flamme vive, ainsi les paroles criblées de fautes d’orthographe de la « Sœur du Poulailler » sont toutes incandescentes de zèle universel, de souci dévorant pour le salut du monde. Écoutons-la :
« Daignez, ô Reine des Anges et des hommes, jeter un regard favorable sur le monde entier… particulièrement sur la France et sur chaque personne en particulier. Il suffit que vous veuillez nous sauver pour que nous ne puissions manquer d’être sauvés… O Marie, inspirez-nous ce qu’il faut demander pour notre bonheur qui sera celui du monde entier… ».
Obscure, cette dernière phrase d’une splendeur incomparable ? N’y a‑t-il pas un seul bonheur que toute âme réclame ? Ce que Catherine refuse, c’est d’en exclure qui que ce soit. Son cœur « moulé » dans celui de la Vierge Immaculée embrasse l’univers.
Depuis 1830, les vocations dans les deux familles religieuses de Saint-Vincent se multiplient d’une façon « incompréhensible ». La petite médaille court, vole à travers le monde, de petites mains, de petites âmes diffusent sa présence, elle opère des merveilles, parce qu’elle est toute imbibée d’amour et de prières.
Un 8 décembre, sœur Catherine prend son gros parapluie et s’en va en pèlerinage à la chapelle de la rue du Bac. À genoux, très droite, immobile, n’appuyant à peine que les bouts de ses doigts joints, elle prie. Le soir, elle repart avec ses compagnes pour Enghien. En grimpant dans l’omnibus, elle glisse, se raccroche, arrive à monter, devient très pâle, sort de sa poche un mouchoir de Cholet à petits carreaux, le serre autour de son poignet. Une jeune sœur l’observe curieusement :
« Ma sœur Labouré, est-ce un trésor que vous tenez si précieusement » ?
« Oui, c’est mon bouquet. La Sainte Vierge m’en envoie souvent, pour sa fête ».
Au retour, il fallut bien le dire ! Son poignet était cassé.
Sans cet accident et cette brève confidence nous ne saurions pas comment la Sainte Vierge gâtait sœur Catherine aux jours de ses fêtes ! Notre lâcheté s’en offusque ? Mais comment, avec ses grands désirs, serait-elle exaucée, si elle n’y mettait du sien ? Qui veut la fin veut les moyens et, depuis la Croix, il n’y a pas trente-six chemins pour sauver les âmes.
Sœur Catherine dit : « Il faut voir Dieu en tout ».
Ce qu’elle dit, elle le fait.
D’où cette grande égalité d’humeur que l’on admire et dont on profite. La sachant « si humble », ses supérieures « la laissent dans son coin » et se sentent même « poussées » à exercer sa vertu. Étant d’un naturel vif, Catherine rougit parfois sous le coup, mais se domine aussitôt. Comment voulez-vous « faire marcher » la médaille si, à la prière, vous ne joignez le sacrifice ?
Un jour la Supérieure générale la convoque.
— Ma sœur Labouré, nous pensons à vous pour vous faire Supérieure d’une maison de Paris.
Catherine lève des yeux tout étonnés.
— « Moi ? ? ? mais, ma très honorée Mère, j’en suis bien incapable ! Demandez-le plutôt à n’importe qui » !
Elle ne proteste, et violemment, que lorsqu’on doute de la vérité des Apparitions.
Un jour une novice lance par boutade :
— Il se peut fort bien que cette soeur de 1830 n’ait vu qu’un tableau et l’ait pris pour une vision.
— Ma petite, elle l’a vue en chair et en os comme vous et moi !
Tour de clef. Plus rien ne passe. Intriguée, la petite novice pose des questions. Sœur Catherine hausse les épaules :
« Demandez-le donc aux Supérieures, je dois servir la soupe à mes vieux ».
Les années passent. En 1870, les anciennes se rappellent certaines prédictions de la voyante anonyme, qui maintenant se réalisent à la lettre.
M. Aladel meurt d’une sainte mort. Pendant ses obsèques, on s’étonne de voir sœur Catherine le « visage tout radieux ». Au grand passage, les amis de Dieu ne tombent-ils pas en Dieu comme des fruits mûrs ?
Au début de 1876, elle dit : « C’est la dernière fois que je fête le jour de l’An ».
Pourtant, il lui reste un gros souci.
La Vierge Marie lui est apparue en deux « poses » : avec les mains baissées, dardant des rayons, et tenant le globe sur son cœur. La première existe sur les médailles et au-dessus de l’autel de la rue du Bac.
La deuxième se fait attendre.
Or, Catherine y tient : la Sainte Vierge le veut.
En 1860, nous comprenons mieux qu’il y a un siècle le symbolisme de cette deuxième pose qui figure la royauté universelle de Marie, solennellement proclamée par l’Église.
Avec une sainte obstination, Catherine insiste. Et voici qu’au mois de mai son confesseur est rappelé à Dieu. Départ providentiel, mais qui fait souffrir cruellement son pauvre cœur épris de silence. Il ne lui reste plus que peu de temps à vivre, et pour obéir aux ordres de Notre-Dame la voici obligée à parler.
Huit mois avant sa mort elle s’ouvre donc à sa Supérieure, lui livre son secret gardé jalousement depuis quarante six ans, avec une aisance, une netteté et une précision surprenantes, et termine en disant :
« Il faut élever un autel là où la Sainte Vierge est venue. Au-dessus de l’autel, il faut mettre la statue de la Vierge au globe. Je ne voudrais pas paraître devant la Sainte Vierge avant que ceci ne soit réalisé. Cette statue aura été le martyre de ma vie ».
C’est donc pour obéir que sœur Catherine a consenti à ce suprême dépouillement. Désormais, même son secret ne lui appartiendra plus ! Lorsqu’on se presse autour de la « Sœur des Apparitions », elle s’étonne : « Voyons, je n’ai été qu’un instrument ».
Une Fille de Charité réclame :
— Partirez-vous sans rien nous dire de la Sainte Vierge ?
— Il faut mieux dire le chapelet. On le dit mal. Celles qui ont eu le bonheur de prier avec elle se souviennent de son visage tout transfiguré.
— Un chapelet dit avec vous n’est pas un chapelet ordinaire.
— Il faut toujours le dire ainsi, ma petite.
Le 31 janvier 1876, à 18 heures exactement qui fut le jour de sa naissance, sœur Catherine naquit au ciel sans agonie.
Cinquante-sept ans après, le 16 mars 1933, l’Église fit exhumer son corps que l’on trouva intact, à peine bruni.
Comme ceux de Bernadette, ses yeux qui avaient contemplé la Sainte Vierge n’ont pas souffert atteinte du tombeau.
Elle repose à l’endroit exact de l’Apparition, sous l’autel que surplombe la Vierge au globe, le grand souci de ses derniers jours.
On dirait qu’elle dort, mais ne vous y fiez pas ! Même au ciel les âmes de sa trempe refusent de se reposer, comme notre petite Thérèse, si grande.
Elle est donc aux aguets du haut de sa gloire, comme une vaillante sentinelle. Le Père Vincent n’est plus seul à tirer le manteau de la Sainte Vierge, chaque fois qu’il remarque une âme en peine ou quelque cruelle détresse. De l’autre côté sa fille chérie en fait autant, en y mettant peut-être encore plus d’obstination.
Sainte Catherine Labouré appartient à la famille des » petites âmes » qui conquièrent le ciel à force de dire » oui », toujours » oui » à Dieu.
Formée à l’école de Notre-Dame, elle a mis toute son ambition à n’être que servante : c’est pourquoi, aujourd’hui, elle est si puissante au ciel.
» Je vous bénis, ô Père, d’avoir caché ces choses aux sages et aux prudents et de les avoir révélées aux petits » — dit le Seigneur Jésus.
En nous offrant la Médaille, Sainte Catherine nous rappelle qu’il y a des secrets d’amour réservés aux humbles tout joyeux de n’être rien, comme elle même sa vie durant, jusqu’à sa bienheureuse mort.
Soyez le premier à commenter