Les mérites de la médaille

Auteur : Winowska, Maria | Ouvrage : La belle aventure de Catherine - La médaille miraculeuse .

Temps de lec­ture : 12 minutes

Au milieu de ses rudes besognes, sœur Cathe­rine, exulte de joie. Que lui importe-t-il de demeu­rer incon­nue si Notre Dame est glo­ri­fiée, si la médaille se pro­page, por­teuse de grâces ? Si des pécheurs se conver­tissent, si des malades gué­rissent, si des mal­heu­reux sont conso­lés ? Elle presse sur son cœur le pré­cieux insigne comme un sceau ardent. Sa cha­ri­té déborde les clô­tures, avec ses « car­touches » elle pénètre jus­qu’aux confins du monde. 

Pour ceux qui ne croient pas — elle croit.
Pour ceux qui n’es­pèrent pas — elle espère.
Pour ceux qui n’aiment pas — elle aime.
Pour ceux qui ne prient pas — elle prie. 

L’es­sor de la médaille ne serait pas tel­le­ment écla­tant si une humble Fille de Cha­ri­té ne pas­sait ses jours et par­fois ses nuits à l’en­ve­lop­per de sacri­fices et de prières ! Le sou­ve­nir des rayons éteints s’est gra­vé dans sa mémoire : puis­qu’ils signi­fient des grâces « que per­sonne ne demande », c’est à elle de les récla­mer, le ciel appar­tient aux violents. 

À Enghien comme à la rue du Bac, les exploits de la « Médaille qui gué­rit » défraient toutes les récréations. 

« Savez-vous mes chères sœurs, la der­nière nou­velle ? Mon­sei­gneur de Pradt, l’Ar­che­vêque consti­tu­tion­nel qui était en rébel­lion contre Rome, est mort récon­ci­lié. Mon­sei­gneur de Que­len est allé le voir avec la médaille. Plein de haine, le mori­bond lui montre la porte… Tout d’un coup il se ravise, fond en larmes, rétracte ses erreurs. Per­sonne n’o­sait espé­rer pareille  !

« C’est comme à Alen­çon, à l’hô­pi­tal mili­taire. Un malade qui souf­frait atro­ce­ment pas­sait son temps à blas­phé­mer. Ses pro­pos ordu­riers scan­da­li­saient toute la salle. Or, il était à toute extré­mi­té. La reli­gieuse Augus­tine qui était de ser­vice atta­cha en secret une médaille à son lit. Quel ne fut pas son éton­ne­ment lorsque le len­de­main elle trou­va son éner­gu­mène pai­sible comme un agneau. « Ma sœur, on dirait que des écailles me sont tom­bées des yeux. Vite, ame­nez-moi M. l’Au­mô­nier, je veux me confesser… ». 

L’Au­mô­nier n’en crut rien, ayant essuyé plus d’un cui­sant refus. « Mais cet homme divague, ne vous y fiez pas, ma sœur… ». 

« Que si, venez donc voir. Je lui ai atta­ché au lit une  ».

« La médaille, la médaille…, bou­gon­na M. l’Au­mô­nier, vous vous mon­tez la tête » !

« Il alla cepen­dant voir le malade qui s’é­cria, en joi­gnant les mains : 

— Mon Père, ne tar­dez pas ! Ma conscience est bien lourde, je veux me débar­ras­ser de ce vilain fardeau. 

— Est-ce bien sérieux ? — deman­da l’Au­mô­nier, méfiant. Dési­rez-vous de plein gré que je vous entende en confes­sion ou cédez-vous à quelque sollicitation ? 

— C’est moi seul, mon Père, ou plu­tôt un moi nou­veau. Cette nuit on m’a retour­né comme un gant. J’aime ce que j’ai haï, je déteste ce que j’ai­mais, j’ai hor­reur de mes péchés, de grâce, enle­vez-moi ce poids ! 

« À par­tir de ce jour ce ne fut plus le même homme. Au paroxysme de la souf­france, il gar­dait le sou­rire. Son ago­nie fut si édi­fiante que toute la salle en fut impres­sion­née. D’autres sui­virent son exemple.. ».

Conversion d’Alphonse Ratisbonne

« Tout cela n’est rien en com­pa­rai­son de l’a­ven­ture de M. Ratis­bonne à Rome ! 

« C’é­tait un Israé­lite, d’une riche famille alsa­cienne. Il a fait son droit à Paris où il a mené grand train. Intel­li­gent, homme d’af­faires, très beau, fian­cé à une jeune fille char­mante, il exé­crait le christianisme. 

« Ayant déci­dé d’al­ler pas­ser l’hi­ver à Malte, il prit soin de fixer son iti­né­raire par Naples, en contour­nant Rome.

« Or, une série d’im­pré­vus l’o­bli­gèrent à pas­ser plu­sieurs jours « dans la capi­tale papiste ». Il y ren­con­tra le frère d’un cama­rade de classe, le Baron de Bus­sière. Ils par­lèrent reli­gion. M. Ratis­bonne lâcha bride à sa mau­vaise humeur. Tout l’exas­pé­rait : les effu­sions méri­dio­nales du peuple romain, les églises sur­char­gées d’ob­jets de mau­vais goût, mais sur­tout les effi­gies de la Madone veillant sur les car­re­fours. « On ne peut faire un pas sans s’y buter », fit-il rageusement. 

« Le Baron de Bus­sières l’é­cou­tait avec tris­tesse. Conver­ti de fraîche date, il priait ardem­ment pour son ami et fai­sait prier autour de lui. Sou­dain, comme un éclair, une idée lui tra­ver­sa l’es­prit : « Puisque vous êtes un esprit fort et que vous n’at­ta­chez aucune impor­tance à nos super­sti­tions, pro­met­tez-moi de por­ter ceci ». Ratis­bonne regar­da et fit une gri­mace : c’é­tait la médaille miraculeuse. 

« Pour ne pas bles­ser son ami, il consent « à cette comé­die », bien réso­lu à se débar­ras­ser au plus vite de cette espèce de « fétiche ». Le soir, il n’y pense plus. 

« Le len­de­main, dans l’a­près-midi, il accom­pagne le Baron de Bus­sières à l’é­glise San Andrea delle Fratte pour régler les funé­railles d’un ami com­mun. Res­té seul un ins­tant dans la nef déserte, il aper­çoit, dans la pre­mière cha­pelle à gauche, une écla­tante lumière qui tour­billonne, s’en­tr’ouvre et laisse appa­raître la Vierge Marie, telle qu’elle figure sur la médaille. Ratis­bonne s’é­croule à genoux, ivre d’é­mo­tion et de joie. 

— Elle ne m’a pas par­lé, mais j’ai tout com­pris — dira-t-il à Bussières. 

« De loup féroce, la Vierge Imma­cu­lée venait de le trans­for­mer en agneau ! Dix jours après il fut bap­ti­sé à l’é­glise de Gésu et main­te­nant, il veut se faire prêtre… 

« Il a offert toute sa for­tune pour fon­der l’or­phe­li­nat de la Pro­vi­dence, rue Oudi­not. Bien enten­du, il brûle de connaître la pri­vi­lé­giée de la Sainte Vierge et ne cesse de reve­nir à la charge. Eh bien, même lui en est pour ses frais et se bute à un « non » caté­go­rique et sans appel.

La princesse russe

« Exac­te­ment comme pour la prin­cesse russe. Mais, chut ! C’est un secret… (Ici les cor­nettes envi­ronnent la nar­ra­trice « comme les pigeons de mon père le tamis plein de grain » pense sœur Catherine.) 

« Il ne faut pas l’é­brui­ter, car sa famille en est furieuse, furieuse ! Elle s’ap­pelle Natha­lie Nari­sh­kine, une prin­cesse, pen­sez donc… de la plus ancienne dynas­tie impé­riale russe. Elle est venue à Paris pour s’a­mu­ser et ache­ter de belles toi­lettes. Un beau jour, on lui dit : « Savez-vous que la Sainte Vierge est appa­rue dans une cha­pelle à une jeune novice ? » Natha­lie déclare aus­si­tôt : « Je veux la voir et lui par­ler ». Il paraît que les Russes aiment beau­coup la Sainte Vierge. 

« Donc, elle court rue du Bac, fait une belle offrande, expose sa requête… et se heurte à un mur de silence. Les prin­cesses ne sont pas habi­tuées à voir refu­ser leurs caprices. Piquée au vif elle s’obs­tine et retourne à la cha­pelle des Appa­ri­tions, si bien qu’au bout de quelques semaines, elle se décide à se faire catho­lique ! Grand émoi dans la famille. On l’embarque pour la Rus­sie. Elle emmène une car­gai­son de médailles mira­cu­leuses. Peu de temps après sa maman meurt, le regard rivé sur ce qu’on appelle là-bas « l’i­cône de la Vierge Imma­cu­lée », notre médaille ! Natha­lie retourne en France, se fait catho­lique et main­te­nant, le clou : elle vient d’en­trer au Sémi­naire de la rue du Bac…

« Et M. le Curé de Notre-Dame des Vic­toires ? Depuis qu’il a consa­cré sa paroisse au Cœur Imma­cu­lé de Marie, l’é­glise ne désem­plit pas, tan­dis qu’a­vant, elle était déserte. Pen­sez donc, le quar­tier le plus mal famé de Paris ! Main­te­nant on y vient en pèle­ri­nage et c’est tout une affaire de trou­ver une petite place dans l’om­ni­bus jaune qui s’ar­rête à proxi­mi­té. Or, savez-vous ce que M. le Curé a dit à nos sœurs l’autre jour, en les voyant entrer à l’église ? 

(Un moment de silence, l’au­di­toire grille de curiosité). 

« Eh bien, il leur a dit « Que venez-vous faire ici, mes sœurs ? Vous quit­tez la source pour pui­ser au ruisseau ».

Sœur Cathe­rine écoute en ravau­dant les chaus­settes de ses enfants ter­ribles. Pas un pli sur son visage ne tra­hit son émoi. Volon­tai­re­ment insi­gni­fiante, elle garde si bien la der­nière place qu’on l’y laisse. Telle est la ruse des saints : à coup d’hu­mi­li­té ils font vrai­ment croire à leur entou­rage qu’ils ne sont « bons à rien » et pauvres d’es­prit. Une sœur qui s’en croit riche, vient de la coif­fer d’un sobri­quet : « Où donc — demande-t-elle d’un petit air espiègle — où est ma sœur du poulailler » ? 

C’est qu’à Enghien il y a une basse-cour qui exige une main aver­tie ! Sœur Cathe­rine s’en charge et ins­crit tous les jours, de son écri­ture gauche et appli­quée, le nombre d’œufs que les poules ont pon­dus. Elle tient à l’ordre. 

Ses humbles besognes ne l’empêchent pas de voir grand, d’ai­mer fort. Sur ce point, tous les confi­dents de la Sainte Vierge se res­semblent : ils refusent toutes limites à leur soif de conquêtes.

Sœur Cathe­rine songe : « Main­te­nant que nous avons des muni­tions il faut pen­ser à l’ar­mée. Nous avons des cadres, de belles troupes régu­lières que notre Père Vincent a entraî­nées dans une dis­ci­pline toute mili­taire. Mais cela ne suf­fit pas ! Il nous faut des ren­forts ! Une levée en masse, des corps francs, de quoi noyau­ter le monde entier ».

(Si elle n’emploie pas ces termes, peu connus à l’é­poque, l’in­ten­tion y est, son esprit pra­tique éta­blit un plan impec­cable qu’elle va expo­ser au Géné­ra­lis­sime, je veux dire à la Très Sainte Vierge.) 

Car, ne l’ou­blions pas, si la médaille « marche », c’est que Cathe­rine PRIE.

Les enfants de Marie

— Bonne Mère — sup­plie-t-elle — met­tez dans les petites âmes un grand désir de vous faire connaître et aimer, en bom­bar­dant le monde entier avec vos cartouches ! 

La réponse de Notre-Dame ne se fit pas attendre. 

Une fois de plus, Cathe­rine s’en alla qué­rir M. Ala­del, son confesseur. 

— Mon Père, la Sainte Vierge veut que vous com­men­ciez un ordre nouveau.

M. Ala­del sur­saute ! Méfiant, il inter­roge Catherine. 

La sœur du Pou­lailler n’a pas étu­dié le droit canon. Elle se sert d’ex­pres­sions qui ne sont peut être pas tout à fait « cano­niques », mais le plan qu’elle expose est d’une mer­veilleuse limpidité. 

À quoi ser­vi­rait la médaille si on la lais­sait dans un coin ? Pour la pro­pa­ger jus­qu’au bout du monde, il faut des ENFANTS DE MARIE. Une grande armée de petites âmes, aux ordres exclu­sifs de l’Im­ma­cu­lée. Déco­rées de la médaille comme d’une enseigne ter­rible à l’en­fer, elles seraient ce levain dans la pâte du monde dont nous parle l’Évangile. 

Les yeux de Cathe­rine s’illu­minent : « Oh, mon Père, y‑a-t-il un nom plus beau que celui d’ ? Quels liens plus doux et plus tendres que ceux, d’une maman avec ses petits ? »

Dans ses paroles vibre une émo­tion indi­cible : sa belle aven­ture n’a-t-elle pas com­men­cé au jour loin­tain où de ses petits bras elle avait étreint la sta­tue de Notre Dame en mur­mu­rant : « C’est vous, main­te­nant, ma Mère » ?

Il fau­dra quinze ans pour que naisse la pre­mière asso­cia­tion de « l’Ordre Nou­veau » : en 1845 dans la région pari­sienne, à Saint-Louis-en-l’Ile, sous la direc­tion de M. Aladel. 

Sœur Cathe­rine court à la cha­pelle pour dire « mer­ci »… et retourne à son poulailler.



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