Au milieu de ses rudes besognes, sœur Catherine, exulte de joie. Que lui importe-t-il de demeurer inconnue si Notre Dame est glorifiée, si la médaille se propage, porteuse de grâces ? Si des pécheurs se convertissent, si des malades guérissent, si des malheureux sont consolés ? Elle presse sur son cœur le précieux insigne comme un sceau ardent. Sa charité déborde les clôtures, avec ses « cartouches » elle pénètre jusqu’aux confins du monde.
Pour ceux qui ne croient pas — elle croit.
Pour ceux qui n’espèrent pas — elle espère.
Pour ceux qui n’aiment pas — elle aime.
Pour ceux qui ne prient pas — elle prie.
L’essor de la médaille ne serait pas tellement éclatant si une humble Fille de Charité ne passait ses jours et parfois ses nuits à l’envelopper de sacrifices et de prières ! Le souvenir des rayons éteints s’est gravé dans sa mémoire : puisqu’ils signifient des grâces « que personne ne demande », c’est à elle de les réclamer, le ciel appartient aux violents.
À Enghien comme à la rue du Bac, les exploits de la « Médaille qui guérit » défraient toutes les récréations.
« Savez-vous mes chères sœurs, la dernière nouvelle ? Monseigneur de Pradt, l’Archevêque constitutionnel qui était en rébellion contre Rome, est mort réconcilié. Monseigneur de Quelen est allé le voir avec la médaille. Plein de haine, le moribond lui montre la porte… Tout d’un coup il se ravise, fond en larmes, rétracte ses erreurs. Personne n’osait espérer pareille conversion !
« C’est comme à Alençon, à l’hôpital militaire. Un malade qui souffrait atrocement passait son temps à blasphémer. Ses propos orduriers scandalisaient toute la salle. Or, il était à toute extrémité. La religieuse Augustine qui était de service attacha en secret une médaille à son lit. Quel ne fut pas son étonnement lorsque le lendemain elle trouva son énergumène paisible comme un agneau. « Ma sœur, on dirait que des écailles me sont tombées des yeux. Vite, amenez-moi M. l’Aumônier, je veux me confesser… ».
L’Aumônier n’en crut rien, ayant essuyé plus d’un cuisant refus. « Mais cet homme divague, ne vous y fiez pas, ma sœur… ».
« Que si, venez donc voir. Je lui ai attaché au lit une médaille miraculeuse ».
« La médaille, la médaille…, bougonna M. l’Aumônier, vous vous montez la tête » !
« Il alla cependant voir le malade qui s’écria, en joignant les mains :
— Mon Père, ne tardez pas ! Ma conscience est bien lourde, je veux me débarrasser de ce vilain fardeau.
— Est-ce bien sérieux ? — demanda l’Aumônier, méfiant. Désirez-vous de plein gré que je vous entende en confession ou cédez-vous à quelque sollicitation ?
— C’est moi seul, mon Père, ou plutôt un moi nouveau. Cette nuit on m’a retourné comme un gant. J’aime ce que j’ai haï, je déteste ce que j’aimais, j’ai horreur de mes péchés, de grâce, enlevez-moi ce poids !
« À partir de ce jour ce ne fut plus le même homme. Au paroxysme de la souffrance, il gardait le sourire. Son agonie fut si édifiante que toute la salle en fut impressionnée. D’autres suivirent son exemple.. ».
Conversion d’Alphonse Ratisbonne
« Tout cela n’est rien en comparaison de l’aventure de M. Ratisbonne à Rome !
« C’était un Israélite, d’une riche famille alsacienne. Il a fait son droit à Paris où il a mené grand train. Intelligent, homme d’affaires, très beau, fiancé à une jeune fille charmante, il exécrait le christianisme.
« Ayant décidé d’aller passer l’hiver à Malte, il prit soin de fixer son itinéraire par Naples, en contournant Rome.
« Or, une série d’imprévus l’obligèrent à passer plusieurs jours « dans la capitale papiste ». Il y rencontra le frère d’un camarade de classe, le Baron de Bussière. Ils parlèrent religion. M. Ratisbonne lâcha bride à sa mauvaise humeur. Tout l’exaspérait : les effusions méridionales du peuple romain, les églises surchargées d’objets de mauvais goût, mais surtout les effigies de la Madone veillant sur les carrefours. « On ne peut faire un pas sans s’y buter », fit-il rageusement.
« Le Baron de Bussières l’écoutait avec tristesse. Converti de fraîche date, il priait ardemment pour son ami et faisait prier autour de lui. Soudain, comme un éclair, une idée lui traversa l’esprit : « Puisque vous êtes un esprit fort et que vous n’attachez aucune importance à nos superstitions, promettez-moi de porter ceci ». Ratisbonne regarda et fit une grimace : c’était la médaille miraculeuse.
« Pour ne pas blesser son ami, il consent « à cette comédie », bien résolu à se débarrasser au plus vite de cette espèce de « fétiche ». Le soir, il n’y pense plus.
« Le lendemain, dans l’après-midi, il accompagne le Baron de Bussières à l’église San Andrea delle Fratte pour régler les funérailles d’un ami commun. Resté seul un instant dans la nef déserte, il aperçoit, dans la première chapelle à gauche, une éclatante lumière qui tourbillonne, s’entr’ouvre et laisse apparaître la Vierge Marie, telle qu’elle figure sur la médaille. Ratisbonne s’écroule à genoux, ivre d’émotion et de joie.
— Elle ne m’a pas parlé, mais j’ai tout compris — dira-t-il à Bussières.
« De loup féroce, la Vierge Immaculée venait de le transformer en agneau ! Dix jours après il fut baptisé à l’église de Gésu et maintenant, il veut se faire prêtre…
« Il a offert toute sa fortune pour fonder l’orphelinat de la Providence, rue Oudinot. Bien entendu, il brûle de connaître la privilégiée de la Sainte Vierge et ne cesse de revenir à la charge. Eh bien, même lui en est pour ses frais et se bute à un « non » catégorique et sans appel.
La princesse russe
« Exactement comme pour la princesse russe. Mais, chut ! C’est un secret… (Ici les cornettes environnent la narratrice « comme les pigeons de mon père le tamis plein de grain » pense sœur Catherine.)
« Il ne faut pas l’ébruiter, car sa famille en est furieuse, furieuse ! Elle s’appelle Nathalie Narishkine, une princesse, pensez donc… de la plus ancienne dynastie impériale russe. Elle est venue à Paris pour s’amuser et acheter de belles toilettes. Un beau jour, on lui dit : « Savez-vous que la Sainte Vierge est apparue dans une chapelle à une jeune novice ? » Nathalie déclare aussitôt : « Je veux la voir et lui parler ». Il paraît que les Russes aiment beaucoup la Sainte Vierge.
« Donc, elle court rue du Bac, fait une belle offrande, expose sa requête… et se heurte à un mur de silence. Les princesses ne sont pas habituées à voir refuser leurs caprices. Piquée au vif elle s’obstine et retourne à la chapelle des Apparitions, si bien qu’au bout de quelques semaines, elle se décide à se faire catholique ! Grand émoi dans la famille. On l’embarque pour la Russie. Elle emmène une cargaison de médailles miraculeuses. Peu de temps après sa maman meurt, le regard rivé sur ce qu’on appelle là-bas « l’icône de la Vierge Immaculée », notre médaille ! Nathalie retourne en France, se fait catholique et maintenant, le clou : elle vient d’entrer au Séminaire de la rue du Bac…
« Et M. le Curé de Notre-Dame des Victoires ? Depuis qu’il a consacré sa paroisse au Cœur Immaculé de Marie, l’église ne désemplit pas, tandis qu’avant, elle était déserte. Pensez donc, le quartier le plus mal famé de Paris ! Maintenant on y vient en pèlerinage et c’est tout une affaire de trouver une petite place dans l’omnibus jaune qui s’arrête à proximité. Or, savez-vous ce que M. le Curé a dit à nos sœurs l’autre jour, en les voyant entrer à l’église ?
(Un moment de silence, l’auditoire grille de curiosité).
« Eh bien, il leur a dit « Que venez-vous faire ici, mes sœurs ? Vous quittez la source pour puiser au ruisseau ».
Sœur Catherine écoute en ravaudant les chaussettes de ses enfants terribles. Pas un pli sur son visage ne trahit son émoi. Volontairement insignifiante, elle garde si bien la dernière place qu’on l’y laisse. Telle est la ruse des saints : à coup d’humilité ils font vraiment croire à leur entourage qu’ils ne sont « bons à rien » et pauvres d’esprit. Une sœur qui s’en croit riche, vient de la coiffer d’un sobriquet : « Où donc — demande-t-elle d’un petit air espiègle — où est ma sœur du poulailler » ?
C’est qu’à Enghien il y a une basse-cour qui exige une main avertie ! Sœur Catherine s’en charge et inscrit tous les jours, de son écriture gauche et appliquée, le nombre d’œufs que les poules ont pondus. Elle tient à l’ordre.
Ses humbles besognes ne l’empêchent pas de voir grand, d’aimer fort. Sur ce point, tous les confidents de la Sainte Vierge se ressemblent : ils refusent toutes limites à leur soif de conquêtes.
Sœur Catherine songe : « Maintenant que nous avons des munitions il faut penser à l’armée. Nous avons des cadres, de belles troupes régulières que notre Père Vincent a entraînées dans une discipline toute militaire. Mais cela ne suffit pas ! Il nous faut des renforts ! Une levée en masse, des corps francs, de quoi noyauter le monde entier ».
(Si elle n’emploie pas ces termes, peu connus à l’époque, l’intention y est, son esprit pratique établit un plan impeccable qu’elle va exposer au Généralissime, je veux dire à la Très Sainte Vierge.)
Car, ne l’oublions pas, si la médaille « marche », c’est que Catherine PRIE.
Les enfants de Marie
— Bonne Mère — supplie-t-elle — mettez dans les petites âmes un grand désir de vous faire connaître et aimer, en bombardant le monde entier avec vos cartouches !
La réponse de Notre-Dame ne se fit pas attendre.
Une fois de plus, Catherine s’en alla quérir M. Aladel, son confesseur.
— Mon Père, la Sainte Vierge veut que vous commenciez un ordre nouveau.
M. Aladel sursaute ! Méfiant, il interroge Catherine.
La sœur du Poulailler n’a pas étudié le droit canon. Elle se sert d’expressions qui ne sont peut être pas tout à fait « canoniques », mais le plan qu’elle expose est d’une merveilleuse limpidité.
À quoi servirait la médaille si on la laissait dans un coin ? Pour la propager jusqu’au bout du monde, il faut des ENFANTS DE MARIE. Une grande armée de petites âmes, aux ordres exclusifs de l’Immaculée. Décorées de la médaille comme d’une enseigne terrible à l’enfer, elles seraient ce levain dans la pâte du monde dont nous parle l’Évangile.
Les yeux de Catherine s’illuminent : « Oh, mon Père, y‑a-t-il un nom plus beau que celui d’Enfant de Marie ? Quels liens plus doux et plus tendres que ceux, d’une maman avec ses petits ? »
Dans ses paroles vibre une émotion indicible : sa belle aventure n’a-t-elle pas commencé au jour lointain où de ses petits bras elle avait étreint la statue de Notre Dame en murmurant : « C’est vous, maintenant, ma Mère » ?
Il faudra quinze ans pour que naisse la première association de « l’Ordre Nouveau » : en 1845 dans la région parisienne, à Saint-Louis-en-l’Ile, sous la direction de M. Aladel.
Sœur Catherine court à la chapelle pour dire « merci »… et retourne à son poulailler.
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