Marie, c’est vous qui serez ma Mère !

Auteur : Winowska, Maria | Ouvrage : La belle aventure de Catherine - La médaille miraculeuse .

Temps de lec­ture : 13 minutes

Un matin d’oc­tobre, en 1815, papa réveille ses petits en pleurant. 

— Venez vite dire adieu à votre  ! dit-il. 

Zoé s’ar­rête sur le seuil, toute inter­dite. Maman ne bouge pas, on dirait qu’elle dort ! De grands cierges solen­nels l’en­tourent, ses mains jointes tiennent un cha­pe­let, elle semble sou­rire au milieu des fleurs que l’on apporte par brassées. 

Puis elle s’en va, lais­sant un grand vide dans le cœur de ceux qui l’aiment. Zoé souffre, mais garde le silence. Il y a tant de cha­grin tout autour, les yeux rou­gis de papa lui font tel­le­ment mal, qu’elle n’ose se plaindre. Les voi­sines hochent la tête : « Elle est trop petite pour comprendre ». 

Un jour la ser­vante entre sans bruit, ayant sur le seuil quit­té ses sabots, et s’ar­rête pétrifiée.

La sage Zoé est en train d’es­ca­la­der le buf­fet ! Pour voler des frian­dises ? Nen­ni ! La voi­ci qui se hausse sur les pointes des pieds pour mieux étreindre la sta­tue de la Sainte Vierge. La tête blot­tie contre son coeur, d’une voix gon­flée de larmes, elle murmure :

« C’est vous, main­te­nant, qui serez ma Mère » !

La ser­vante se retire dou­ce­ment, émue jus­qu’aux larmes. 

Ah, si tous les orphe­lins savaient qu’ils ont au ciel la plus tendre des mamans ! 

Zoé le sait. À par­tir de ce jour les liens qui l’u­nissent à la Sainte Vierge deviennent plus étroits. Naï­ve­ment, elle lui conte ses joies, ses peines et dépose à ses pieds des gerbes de cha­pe­lets. Car elle prie comme elle res­pire, tout simplement. 

Catherine prend la statue de la Vierge Marie et dit : C'est vous, maintenant, qui serez ma Mère

Son ins­truc­tion laisse plus à dési­rer. L’é­cole des filles est à trois kilo­mètres de la mai­son, trop loin pour ses petites jambes. Après la mort de Mme Labou­ré, sa tante Mar­gue­rite l’emmène chez elle, mais n’a guère le temps de lui don­ner des leçons. Lors­qu’à douze ans Zoé retour­ne­ra à Fain pour sa pre­mière com­mu­nion, elle ne sau­ra guère lire ni écrire. Toute sa vie, elle fera des fautes d’orthographe… 

Cela vous étonne ? À bien réflé­chir, vous serez moins surpris.

Voyez Ber­na­dette, Maxi­min et Méla­nie, les petits enfants de Fati­ma On dirait que Notre-Dame a un amour de pré­di­lec­tion pour les humbles, les simples, les igno­rants. Ce qui ne veut nul­le­ment dire qu’elle encou­rage la paresse ! Ce n’est pas la faute de ses petits confi­dents s’ils ne savent lire ni écrire. En les choi­sis­sant de pré­fé­rence à tant d’autres, plus ins­truits, la Sainte Vierge nous montre sa façon de voir, qui est celle de Dieu.

Car, on peut avoir des diplômes avec une âme tout enté­né­brée, comme on peut pas­ser de brillants exa­mens à l’é­cole de l’Es­prit-Saint sans savoir ni lire ni écrire ! C’est beau, un savant, lors­qu’il sait s’a­ge­nouiller, mais s’il refuse Dieu, toute sa science ne lui sert de rien. Dieu et sa Mère ont en telle hor­reur l’or­gueil qui enfle, l’or­gueil qui tue, qu’ils pré­fèrent les petits humbles aux grands qui se suf­fisent ! Zoé ne sait lire ni écrire, mais son cœur res­semble à un beau jar­din plein de fleurs du para­dis que les anges arrosent dou­ce­ment par ordre de leur Reine. 

À l’é­poque, les enfants atten­daient l’âge de douze ans pour faire leur pre­mière com­mu­nion. Le 25 jan­vier, dans l’é­glise parois­siale, Zoé reçut le Pain des anges de la main de Dom Mamert qui l’a­vait confes­sée. Que lui dit Jésus ? Que lui répon­dit-elle ? Le voile du silence enve­loppe ce grand jour, mais on recon­naî­tra l’arbre à ses fruits.

À nous deux, nous ferons marcher la maison !

Dès le len­de­main, Zoé doit faire face à de lourds devoirs. Sa grande sœur Marie-Louise ne peut entrer chez les Filles de Cha­ri­té de Langres tant qu’on ne la rem­place. Elle lan­guit d’im­pa­tience. Papa est d’ac­cord, mais il faut une maî­tresse à la ferme, bruis­sante de tra­vail. D’un petit air réso­lu, tenant par la main Tonine sa cadette, Zoé déclare : 

« N’ayez point de sou­cis ! À nous deux, nous ferons mar­cher la maison » !

Pierre Labou­ré consi­dère les deux fillettes d’un air atten­dri. Cette Zoé a du cran, il l’a vue à l’œuvre ! Marie-Louise peut se déchar­ger sur ses frêles épaules. Désor­mais, le foyer désert aura sa petite reine, prompte au tra­vail, adroite et vigi­lante. Les ser­vantes lui obéissent. Les ouvriers lui obéissent. Même les bêtes lui obéis-sent ! Il y aurait de quoi tour­ner la tête à une gamine de douze ans si, chaque matin, la grâce des humbles ne fai­sait le point.

Car cette enfant se lève aux aurores, qu’il pleuve ou qu’il vente, l’é­té comme l’hi­ver, pour aller à la messe de l’Hos­pice, à Moû­tiers-Saint-Jean — six kilo­mètres aller-retour ! Dom Mamert lui a per­mis de com­mu­nier fré­quem­ment, chose rare à l’é­poque. Sans le Pain des forts, com­ment ferait-elle pour affron­ter des tâches trop lourdes pour ses jeunes épaules, com­ment sau­rait elle com­man­der tout en demeu­rant humble et obéissante ?

Son père est consi­dé­ré dans la région. Maire de Fain, puis conseiller muni­ci­pal, il par­tage son temps entre sa ferme et l’ad­mi­nis­tra­tion de la com­mune. L’ayant mise à l’é­preuve, il charge Zoé de res­pon­sa­bi­li­tés de plus en plus déli­cates. C’est elle, la jeune fer­mière qui dis­tri­bue et contrôle le tra­vail, paie les salaires, fait la cui­sine, soigne le bétail. Ayant le don du gou­ver­ne­ment, elle ordonne toutes choses avec pru­dence et jus­tice et « prend le temps de bien faire ce qu’elle fait ». Tout le monde l’aime et plus d’un voi­sin la vou­drait comme bru. Maître Pierre Labou­ré caresse de beaux pro­jets de mariage, mais sans trop de hâte : au fond, il ne vou­drait jamais se sépa­rer de « sa préférée ». 

La douce Tonine, sa cadette d’un an et demi, la suit comme un agneau. Nous lui devons quelques rares, trop rares confi­dences sur cette période de grandes déci­sions. L’âge mûr récolte ce qu’a semé la jeu­nesse et tout l’a­ve­nir dépend de l’o­rien­ta­tion que l’on a prise entre douze et dix-huit ans, dans le sens, ou à contre sens des vou­loirs de Dieu. 

La , c’est cela : prendre des mains de Dieu cette ébauche que nous sommes et en faire, avec Lui, un chef-d’œuvre.

Ni nous sans Lui. Ni Lui sans nous. La main dans sa main, bâtir notre des­tin qui est le secret de notre bonheur. 

Il y a la voca­tion du mariage. 

Il y a la voca­tion d’in­gé­nieur, de méde­cin, de savant, d’ou­vrier, d’a­gro­nome, d’a­via­teur, d’as­sis­tante sociale, d’infirmière.

Mais il y a aus­si, plus pré­cieuse et plus rare, la voca­tion du don exclu­sif dans le sacer­doce ou dans la vie religieuse. 

Pour dis­cer­ner ce que Dieu nous demande, il faut bien l’é­cou­ter et sans trop tar­der : la mois­son lève drue lors­qu’on sème au printemps.

Zoé ne sait ni lire ni écrire — quand donc l’au­rait-elle appris ? — mais avec Jésus chaque matin elle reçoit le don de sagesse qui lui fait voir clair au fond de son cœur. 

Son tra­vail l’in­té­resse. On aime ce que l’on réus­sit. Elle n’est pas sotte et remarque que l’on chu­chote à son pas­sage : « Maître Pierre a de la chance de l’a­voir, elle tra­vaille vite et bien » ! Elle sait même que des com­mères écha­faudent des pro­jets de mariage, étant don­né qu’elle repré­sente un bon par­ti ! Avec ses yeux cou­leur de per­venche elle ne manque pas de charme. Tel gar­çon se retourne sur son pas­sage. Elle fait sem­blant de ne rien voir, mais son cœur bat plus fort… 

Eh bien, non ! Dieu l’ap­pelle. Pour en dou­ter, il fau­drait qu’elle lui fasse la sourde oreille. Ou bien qu’elle étouffe cette voix unique en menant grand bruit. Com­bien de voca­tions s’en­lisent dans le vacarme ? 

Droite et claire, Zoé ne tri­che­ra pas. Un beau jour, elle confie à Tonine : 

— Moi aus­si, j’i­rai au couvent ! 

— Où donc iras-tu ? — inter­roge la cadette. 

Zoé garde le silence. La ques­tion demeure ouverte. Puisque c’est Dieu qui l’ap­pelle, il sau­ra bien orien­ter ses pas. En atten­dant, il y a tout cet ouvrage en souf­france, toute la ferme sur ses bras ! 

Com­ment arrive-t-elle à tout faire si vite et si bien ? 

Tonine l’aide de son mieux, mais elle est jeunette ! 

Il y a le jar­din, la vigne, la basse-cour, le cla­pier. La vais­selle à laver, les légumes à éplu­cher, la les­sive à faire. Et puis, il y a le pigeon­nier. Dès qu’elle paraît, des cen­taines de colombes l’en­tourent d’un blanc tour­billon en se dis­pu­tant le grain d’or qu’elle lance à toute volée. 

Tonine l’ob­serve en riant : « Elles te font une auréole » !

Elle te font une auréole

Il est quatre heures. Zoé enlève son tablier et court à l’é­glise de Fain pour son unique récréa­tion. Avec Tonine qui la suit, nous n’au­rons pas de peine à sur­prendre son secret. 

La voi­ci à genoux, sur les dalles, les mains jointes, le regard rivé au taber­nacle. Plus rien autour d’elle n’existe ! Jésus est là, qui lui parle, qui l’en­tend. Pour la réveiller, Tonine la tire par la jupe : 

« Mets-toi donc sur le prie-Dieu ! Les dalles sont humides ! »

Zoé fait « non » de la tête. 

Elle pense que Jésus, sur la croix, était moins confor­table et qu’en par­ta­geant un peu sa peine, elle l’aide à sau­ver les âmes. 

Tonine n’a pas le cou­rage de prier si long­temps. Elle attend dehors et voit son aînée sor­tir de l’é­glise les yeux pleins de bonheur. 

La dure besogne peut reprendre : Zoé se sent forte !

L’appel de Dieu

Lors­qu’on prend en sou­ci les pécheurs, les péni­tences deviennent douces. Deman­dez à une maman s’il lui en coûte de se pri­ver pour son enfant ? L’a­mour allège la peine. 

Et voi­là com­ment Zoé apprend à genoux ce qu’au­cun livre ne sau­rait lui ensei­gner : le prix des petites contra­rié­tés quo­ti­diennes que la croix de Jésus trans­forme en or franc, pour le rachat des âmes. 

Elle n’a pas le temps de fré­quen­ter l’é­cole, mais elle est en train de prendre ses diplômes à l’u­ni­ver­si­té de l’Esprit-Saint ! 

Tonine en perd le souffle. Vrai­ment, sa sœur exa­gère ! Ce matin elle a refu­sé ron­de­ment la tasse de café en disant : 

— Mer­ci. Je jeûne. 

— Mais tu es trop petite ! 

— Je suis solide, va ! Et puis, c’est déci­dé. Désor­mais, je vais jeû­ner tous les ven­dre­dis et tous les samedis. 

Est-ce Dom Mamert, son confes­seur, qui lui en a don­né la permission ? 

Car, Zoé est trop droite pour prendre de si graves déci­sions hors de l’obéissance. 

Cepen­dant, elle ne sait tou­jours pas où Dieu l’ap­pelle. Elle prie pour voir clair, mais reste dans le noir. C’est cela, l’é­preuve. Dieu se cache pour mieux, un jour, se donner. 

Saint Vincent de Paul

À l’âge de seize ans, Zoé fait un rêve. La voi­ci, comme d’ha­bi­tude, à la messe mati­nale. Le prêtre qui célèbre doit être de pas­sage, car elle ne le connaît pas. Mais pour­quoi donc la regarde-t-il avec tant d’in­sis­tance, chaque fois qu’il se retourne ? La messe ache­vée, il lui fait signe de le suivre… Bou­le­ver­sée, prise de peur, Zoé se sauve à toutes jambes. 

Avant de rega­gner la mai­son elle va voir, selon son habi­tude, une pauvre malade. Quelle n’est pas sa stu­pé­fac­tion lors­qu’elle aper­çoit, sur le seuil du logis, le mys­té­rieux célébrant ? 

« Ma fille — lui dit-il — c’est bien de soi­gner les malades. Vous me fuyez main­te­nant, mais un jour vous serez heu­reuse de venir à moi. Le Bon Dieu a ses des­seins sur vous. Ne l’ou­bliez pas ! »

Zoé se réveille, l’o­reiller trem­pé de larmes. « Ce n’est qu’un rêve — pense-t-elle — mais je ne l’ou­blie­rai jamais ! » 

Nous savons par la Bible que Dieu se sert de rêves. Dans cinq ans, elle comprendra. 

Main­te­nant elle va sur ses dix-huit ans. Fer­mière modèle, alerte, agréable à voir, elle repré­sente un beau par­ti. On la demande en mariage. Zoé dit : non. 

Tonine voit les choses sous un autre angle. Elle se sent la voca­tion du mariage et ne com­prend pas son aînée. Un jour elle l’interroge : 

— Ce pauvre Georges ne te fait donc pas pitié ? Il avait les larmes aux yeux en s’en allant ! 

Zoé hausse les épaules avec un brin d’impatience : 

— Voyons, Tonine, ne te l’ai-je pas dit et répé­té ? Je me suis fian­cée avec le Sei­gneur-Jésus. Puis-je man­quer à ma parole ? 

— Tu n’as donc pas chan­gé depuis l’âge de douze ans ? 

— Non ! Et je ne chan­ge­rai jamais. Dès que tu auras l’âge de me rem­pla­cer, je partirai.


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