Apparitions de la rue du Bac

Auteur : Winowska, Maria | Ouvrage : La belle aventure de Catherine - La médaille miraculeuse .

Temps de lec­ture : 10 minutes

Et main­te­nant, cédons-lui la parole, en cor­ri­geant sim­ple­ment les fautes d’or­tho­graphe… qui fourmillent. 

« Vient la fête de Saint Vincent. La veille, notre bonne Mère Marthe nous fit une ins­truc­tion sur la dévo­tion à la , ce qui m’a don­né un si grand désir de la voir que je me suis cou­chée avec cette pen­sée… Enfin, je me suis endormie. 

« À onze heures et demi du soir, je m’en­tends appe­lée par mon nom : « Ma sœur Labou­ré ! Ma sœur Labou­ré » M’é­veillant, je regar­dai du côté d’où venait la voix qui était du côté du pas­sage. Je tire le rideau : je vois un enfant habillé de blanc, âgé à peu près de quatre à cinq ans, qui me dit : « Venez à la Cha­pelle, la Sainte Vierge vous attend » ! Aus­si­tôt la pen­sée me vient : « Mais on va m’en­tendre » ! Cet enfant me répond : « Soyez tran­quille, il est onze heures et demi, tout le monde dort bien, venez, je vous attends » ! 

Soeur Catherine Labouré est menée par son petite ange gardien jusqu'à la chapelle de la rue du Bac

« Je me suis dépê­chée de m’ha­biller et je me suis diri­gée du côté de cet enfant qui était res­té debout, sans avan­cer plus loin que la tête de mon lit. Il m’a sui­vie ou plu­tôt je l’ai sui­vi, tou­jours sur ma gauche, par­tout où il pas­sait. Les lumières étaient allu­mées par­tout où nous pas­sions, ce qui m’é­ton­nait beau­coup ; je fus bien plus sur­prise lorsque je suis entrée à la cha­pelle. La porte s’est ouverte à peine l’en­fant l’a­vait tou­chée du bout du doigt. Mais ma sur­prise a été encore bien plus com­plète, quand j’ai vu tous les cierges et flam­beaux allu­més, ce qui me rap­pe­lait la Messe de minuit. Cepen­dant, je ne voyais pas la Sainte Vierge. 

« L’en­fant me condui­sit dans le sanc­tuaire, à côté du fau­teuil de M. le Direc­teur, et là, je me suis mise à genoux, et l’en­fant est res­té debout tout le temps. Comme je trou­vais le temps long, je regar­dais si les veilleuses (les sœurs dési­gnées pour veiller la nuit) ne pas­saient pas par la tribune.

« Enfin l’heure est arri­vée. L’en­fant me pré­vient. Il me dit : « Voi­ci la Sainte Vierge, La voi­ci » ! J’en­tends comme un bruit, comme le frou-frou d’une robe de soie qui venait du côté de la tri­bune. L’en­fant qui était là me dit : « Voi­ci la Sainte Vierge ! ». Regar­dant la Sainte Vierge, je n’ai fait qu’un bond auprès d’elle, à genoux, sur les marches de l’au­tel, les mains appuyées sur les genoux de la Sainte Vierge. 

Sainte Catherine au pied de la Vierge Marie dans la chapelle.

« Là, il s’est pas­sé un moment, le plus doux de ma vie. Il me serait impos­sible de dire ce que j’ai éprou­vé ! Elle me dit com­ment je devais me conduire envers mon direc­teur, et plu­sieurs choses que je ne dois pas dire, de la manière de me conduire dans mes peines, de venir (en me mon­trant de la main gauche le pied de l’au­tel) me jeter au pied de l’au­tel et là, répandre mon cœur ; là, je rece­vrais toutes les conso­la­tions dont j’au­rais besoin… Je lui ai deman­dé ce que signi­fiaient toutes les choses que j’ai vues, Elle m’a tout expliqué. 

« Je suis res­tée là, je ne sais com­bien de temps. Quand Elle est par­tie, je n’ai aper­çu que quelque chose qui s’é­tei­gnait, enfin plus qu’une ombre qui se diri­geait du côté de la tri­bune, par le même che­min qu’Elle était arrivée. 

« Je me suis rele­vée de des­sus les marches de l’au­tel et j’ai aper­çu l’en­fant où je l’a­vais lais­sé. Il me dit : « Elle est par­tie » ! Nous avons repris le même che­min, tou­jours allu­mé, et cet enfant était tou­jours sur ma gauche. Je crois que c’é­tait mon qui s’é­tait ren­du visible pour me faire voir la Sainte Vierge, parce que je l’a­vais beau­coup prié pour qu’il m’ob­tienne cette grâce. Il était habillé de blanc, res­plen­dis­sant de lumière. Reve­nue à mon lit, j’ai enten­du son­ner l’heure. Il était deux heures du matin. Je ne me suis pas rendormie ». 

Fal­lait-il donc qu’elle le pré­cise ? Peut-on dor­mir après pareil ren­dez-vous ? Avec son robuste bon sens, Cathe­rine tient à noter le moindre détail de la mer­veilleuse ren­contre qu’elle ne ces­se­ra de repas­ser jus­qu’à la fin de ses jours. 

Quatre heures sonnent. Cathe­rine se rha­bille et des­cend à la cha­pelle. Rien ne la dis­tingue dans le défi­lé des bon­nets et des cor­nettes qui ondulent comme une volée de colombes. Elle joint sage­ment ses mains qui ont tou­ché les genoux de la Sainte Vierge —parions qu’elle ne les a lavées qu’à regret !— son cœur se fond en action de grâces. Aus­si­tôt après la messe elle reprend ses humbles besognes, avec tant de dou­ceur et tant d’hu­mi­li­té, qu’on ne la remarque même pas. 

Une seule chose la pré­oc­cupe : il faut qu’elle parle à son confes­seur, l’ordre de la Sainte Vierge est for­mel ! Or, M. Ala­del, un saint homme, se méfie par prin­cipe de toutes ces ima­gi­na­tions de bonnes femmes. À peine com­mence-t-elle à lui confier son pré­cieux secret, qu’il lui coupe la parole : 

« Ce sont là, ma fille, des ten­ta­tions d’or­gueil. N’ac­cor­dez aucun cré­dit à tous ces fan­tômes et occu­pez-vous de vos devoirs… »

Et clac ! Il lui ferme le gui­chet au nez. 

Pauvre Cathe­rine ! Elle revient à la charge. M. Ala­del lui prête fina­le­ment une oreille dis­traite et met sérieu­se­ment en doute son équi­libre men­tal. Jugez un peu vous-même ! En plus de l’, elle lui confie un secret qu’elle ne ren­dra public qu’en 1870, qua­rante ans plus tard… La Sainte Vierge l’au­rait aver­tie que « des grands mal­heurs allaient fondre sur la France, que le trône serait ren­ver­sé, que le dan­ger serait grand… que la croix serait mépri­sée, que le monde entier serait dans la tristesse..». 

Paris est calme. Paris s’a­muse. M. Ala­del suit à grandes enjam­bées la rue de Sèvres, tor­ride sous la cani­cule. Le contraste entre la réa­li­té et les « pro­phé­ties » de la pauvre novice est si violent, qu’il mar­monne devers soi en ouvrant le lourd por­tail de la Mai­son de Saint-Lazare : « Mais cette fille est folle, folle à lier » !

Huit jours après éclate comme une tor­nade la révo­lu­tion de juillet : les paroles de sœur Cathe­rine se réa­lisent à la lettre ! 

M. Ala­del est trop fin psy­cho­logue pour lui avouer que ses doutes se sont vola­ti­li­sés sous le choc de la tour­mente. Ce ne sont pas les visions qui fabriquent des saints. Le diable peut les contre­faire : ce qu’il singe mal, c’est l’hu­mi­li­té. M. Ala­del a charge d’âmes, il tient à éta­blir la jeune novice dans le sen­ti­ment de sa bas­sesse. Il conti­nue donc à la trai­ter sévè­re­ment, mais désor­mais il prête à ses pro­pos une oreille moins sévère. 

Intercession du ciel

Cathe­rine souffre. Cathe­rine prie. La mai­son-mère des Filles de Cha­ri­té n’est pas atteinte, mais les nou­velles affluent. Églises pro­fa­nées, cou­vents dévas­tés, prêtres mal­trai­tés, com­bats fra­tri­cides, noire éclo­sion des nids de vipères cachées au fond des âmes qui refusent Dieu… notre petite novice ne serait pas l’en­fant ché­rie de Notre-Dame si son cœur ne sai­gnait de la grande pitié du royaume de France ! 

Sa voca­tion la rend dis­po­nible à toutes les larmes du monde : saint Vincent du haut du ciel lui com­mu­nique son cœur uni­ver­sel. Tan­dis qu’elle se mor­fond d’être si petite, si pauvre et si sotte (peut-on attendre quelque chose de bien d’une fille qui ignore l’or­tho­graphe ?) là-haut on tient conseil. Ramas­sons tous les fils de cette mer­veilleuse his­toire : l’in­ter­ven­tion du saint fon­da­teur qui « la veut » chez lui, l’ap­pa­ri­tion de la Sainte Vierge le 19 juillet, jour de sa fête… il ne faut pas être grand clerc pour en tirer les conclu­sions. Si l’his­toire de sœur Cathe­rine se jouait comme un « mys­tère » du moyen âge à trois paliers, tan­dis qu’elle prie au milieu, on ver­rait au-des­sus le Père Vincent tirant le man­teau de la Sainte Vierge pour l’ap­pe­ler au secours de la France, et tout à fait au-des­sous, l’en­fer qui enrage. 

— Que vou­lez-vous que je fasse ? demande la Sainte Vierge. 

— Quelque chose de très simple et de très beau, répond Saint Vincent. On est en guerre. Votre armée a besoin de cartouches. 

— Voyons donc, Père Vincent, sied-il de tenir au para­dis ces pro­pos belliqueux ? 

— Bonne Mère, vous lisez au fond de mon cœur. Lors­qu’on essuie les charges de l’en­fer, ce n’est pas l’heure de res­ter cois comme de crain­tifs mou­tons. J’ai mon armée sur terre, solen­nel­le­ment atti­trée. De ces esca­drons en cor­nette vous êtes le géné­ra­lis­sime. Je suis aux écoutes de leurs âmes : j’y trouve pas mal de tié­deur, un cer­tain désar­roi. Il leur faut un sti­mu­lant, quelque chose qui les lance dans la bagarre comme un ton­nerre de Dieu ! Vous savez que j’ai tou­jours été pour l’of­fen­sive. Don­nez-nous des munitions. 

— Soit, Père Vincent. Je m’en vais au Conseil de la Très Sainte Tri­ni­té pour éta­blir le plan de la bataille. 

Ain­si notre ima­gi­na­tion tra­duit en images ce fait évident : la médaille n’au­rait pas conquis la terre, si elle n’é­tait un don du ciel.

Cathe­rine souffre, Cathe­rine prie… Les grâces ne foncent pas à l’im­pro­viste, mais nous veulent dis­po­nibles et se pré­parent de longue haleine. Elles réclament un vide et rem­plissent les mains des petits pauvres. Elles comblent ceux qui mendient. 

Entre le 19 juillet et le 27 novembre 1830, Cathe­rine n’a pas ces­sé, har­di­ment, de mon­ter à l’as­saut du ciel. Or, dit Dieu, qui cogne avec per­sé­vé­rance, finit par entrer et qui demande, obtient.


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