Il y avait une fois Marie et saint Joseph qui tous deux emportant l’Enfant avaient dû prendre les chemins. C’était pour fuir la colère d’Hérode, — vive le roi ! — fuir ses soudards, lancés sur leurs chevaux, la brigade, capitaine en tête, qui à coups d’épée et de dague a massacré les innocents. La lame au poing, éclaboussés de sang, ils courent, cherchent, mènent le train par toute la campagne, — vive le roi, alleluia !
La bonne Dame, au soir, n’en pouvait plus. Mais au trot, au galop, galop d’enfer, faisant feu sur toutes les pierres, de tous ses fers, — vive le roi ! — a reparu cette cavalerie. Il a fallu repartir et courir. La bonne Dame, son bel Enfant entre les bras, — vive le roi, alleluia ! — courait, courait ; mais c’était dans la plaine, et on la voyait de partout.
Elle courait, courait, courait, tant qu’elle pouvait, serrant contre elle son Jésus, qu’Hérode avait ordonné d’égorger. Puis tout à coup, le souffle lui a manqué. Elle est tombée sur la terre, comme morte. Seulement, par le vouloir de Dieu, elle est tombée sur une petite sauge.
« Sauge, sauge, a dit Notre-Dame, sauve Jésus ! »
Ah ! la sauge l’a entendue. Elle s’est dépêchée de croître : elle est devenue gros buisson. Les soudards, arrivant là-dessus, — vive le roi ! — du haut de leurs chevaux passaient les yeux partout. Ils accouraient de-çà, de-là ; ils quêtaient, balançant leurs trognes.
Et la menthe, cette rapporteuse, leur soufflait tant qu’elle pouvait
« Sous la broussaille ! Sous la broussaille ! »
Mais dans le tintamarre de leur cavalerie, fers tapant, gourmettes tintant, ils n’ont rien entendu, par chance ! — vive le roi, alleluia !
Ils sont repartis tout capots.
« Menthe, menthe, a dit la bonne Dame, tu es menthe et tu mentiras : tu fleuriras, pas ne graineras. »
À la sauge, elle a dit :
« Sauge, sauge, que Dieu te sauve ! Tu fleuriras et tu graineras. »
Aussi, de la sauge il faut s’aider quand on se sent en langueur et quand on se sent en santé, il ne faut pas l’oublier, la sauge ! La sauge, c’est la main de Dieu.
Mais les soudards du roi Hérode ont continué de battre la plaine. Ils ont revu la Dame au loin : ils ont poussé un grande clameur. Bride abattue, dans des lueurs de fer, des tourbillons de poudre, ont accouru à travers champs.
La bonne Dame avec son bel Enfant a cru se cacher sous un tremble.
Le tremble s’est mis à trembler, à tourner, à écarter sa feuille, les découvrant à toute vue.
Par chance, le noisetier était là, qui est si brave. Il a élargi sont feuillage il a fait touffe de son mieux.
Et depuis, tandis que le tremble tout blêmissant, tout couturé, tremble toujours de fièvre, le noisetier est le plus sain de tous les arbres : il lui suffit de toucher les serpents pour les faire tomber morts, et il a reçu ce privilège de fleurir plusieurs fois l’année, à chaque fête de Notre-Dame.
Mais l’Égypte, ce n’est pas là : la route est longue avant l’Égypte. Dans sa fuite, devant ces féroces, ces cavaliers sanglants toujours quêtant, Marie a dû de nouveau chercher une cache. Elle a demandé au coucou de prendre l’Enfant dans son nid, sur le chaume.
Le coucou s’est mis à hucher, à appeler les poursuivants, « Coucou ! Coucou ! Coucou ! »
Dans les lueurs de fer, les tourbillons de poudre, les cavaliers d’Hérode ont accouru, bride abattue. Par chance, il y avait là le loriot. Lui, il prit l’Enfant ; dans son nid l’a cachée.
Et depuis, le coucou est ce triste sire de plume grise qui n’a plus de nid à lui, va pondre chez les autres. Tandis que le loriot a la plume dorée. La Dame la lui a donnée ainsi pour récompense. Il lui est donné aussi d’avertir les gens par son cri, quand le soleil va se cacher, qu’il va pleuvoir. Lui, tout le monde l’aime, compère loriot, qui gobe la cerise et laisse le noyau !…
La bonne Dame encore fuyait, fuyait, son Jésus dans les bras. Mais le capitaine d’Hérode — vive le roi ! la suivait à la trace, avec ses cavaliers d’armée. Et sur leurs grands chevaux, galopant, galopant, tout habillé de fer, dans la poudre et dans les éclairs, écrasant tout, balayant tout, ils arrivaient.
Ils avaient juré pour le coup, que plus rien sur les champs, nid, broussaille, touffe d’arbre, n’échapperait à leur œil — Vive le roi ! alleluia !
Le bouvier brave homme pleure la faim en sa pauvre maison. Depuis sept jour n’a pas mangé de pain. N’ont pas mangé non plus sa femme ni ses enfants.
On est au cœur de la saison noire, passé Noël, dans le plus fort, le plus mort du temps. Les gens disent : les Rois, les froids. Et jusqu’à la moisson, mon Dieu Seigneur, comment pourra-t-on vivre ?
« Va, va, va, à la Combe. Que s’y sème le blé ! »
Il a obéi à la voix. Et tandis que le blé se sème, la sainte Vierge vient à passer.
« Bonjour, bonjour, bouvier brave homme : oh, le blé beau que vous semez !
— Bonjour, bonjour, la bonne Dame : le bel Enfant que vous portez !
— Dis-moi, dis-moi, bouvier brave homme, voudrais-tu bien le protéger ?
— Oh oui, oh oui, la bonne Dame, je ferai tout ce que je pourrai ! »
S’il est brave homme, le bouvier, c’est que donner aide et assistance, comme aux gens du vieux temps, lui transporte le cœur.
Alors la Vierge lui a demandé de tracer la raie profonde : c’est pour l’y enterrer, tenant l’Enfant dans ses bras.
Et il a appuyé au mancheron de l’araire. Il a fait la raie si profonde que la bonne Dame a pu s’y enterrer, elle et l’Enfant en son giron.
Par dessus eux il a jeté sa cape.
« Dis-moi, dis-moi, bouvier brave homme, te fait-il pas faute, ton blé ?
— Oh si, oh si, la bonne Dame, depuis sept jours n’avons mangé !
— Eh bien, va quérir ta faucille, et tu moissonneras ton blé !
— Comment, comment serait-ce possible ? Il n’est même pas tout semé ?
— Va seulement prends ta faucille, le blé sera bon à moissonner ! »
La bonne Dame, cependant, du fond de la raie chantait au blé ce qu’il fallait qu’elle chantât :
Ô blé, ô blé, fleuris et graine,
Avance, avance de mûrir !
Et le blé est sorti de terre au dessus de la Dame et de l’Enfant : tout d’un temps, blé vert, blé en tiges, blé en épis, blé bon pour la faucille.
« Va, va, va à la Combe : et que s’y moissonne le blé ! »
Le bouvier brave homme a obéi à cette voix. Et tandis que le blé se moissonne, la troupe est venue à passer.
« Bonjour, bonjour, bouvier brave homme : le beau blé que vous moissonnez !
— Et vous, capitaine d’Hérode, le beau cheval que vous montez !
— Dis-moi, dis-moi, bouvier brave homme, la Dame n’as-tu vu passer ? Entre ses bras cet enfant porte qu’avons commandement de tuer !
— Si fait, si fait, le capitaine : elle a passé quand je semais.
— Alors, tournons-nous en, brigade : c’est l’an passé qu’elle a passé ! Mais vive le roi, par mon âme, va, va, je la rattraperai ! Je lui trancherai les mamelles, les deux bras je lui couperai ! L’Enfant tombera sur la terre, l’enfant ne pourra plus téter ! »
Ils parlaient, juraient, s’enrageaient le capitaine et les soudards d’Hérode. — Vive le roi ! — À grand fracas de galopade, fers tintant et sabots tapant, ils sont repartis comme la poudre, la poudre au vent qui se perd sur les champs, — vive le roi, alleluia !
La bonne Dame s’est levée de la raie, et l’Enfant a béni le blé. Le blé en un moment était sorti de terres, — vive le roi ! — comme du sein de l’Enfant, comme de sa chair même. Il y en a eu pour le bouvier brave homme, pour sa femme et pour ses petits.
De ce blé béni par Jésus, il y’en a pour le pain des hommes, il y en a pour le pain Dieu — vive le roi, alleluia !
Source : https://www.bibliotheques-clermontmetropole.eu/overnia/notice.php?q=id:66934
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